30 décembre 2021

Au premier jour de l’an neuf

 


Dans la panoplie des vœux nous n’avons que l’embarras du choix. Sont à notre disposition :
-    Les optimistes qui envisagent « la réalisation de tous vos projets ».
-    Les sentimentaux qui précisent « vos souhaits les plus chers ».
-    Les généreux qui s’étendent à « tous les vôtres et à ceux que vous aimez ».
-    Les grincheux, murmurés avec désinvolture sachant qu’ils ne changeront rien au cours des choses.
-    Les pessimistes qui vous « évitent au moins les malheurs ».
-    Les hypocrites qui en rajoutent à la liste et précisent qu’ils sont « sincères ».
-    Les prudents qui se contentent de la formule raccourcie : « tous mes vœux », sans précision.
-    Les inconsistants qui s’évanouiront à peine prononcés.
-    Les avares qui jouent sur le minimum garanti : « meilleurs vœux »
-    Les antiviraux qui espèrent une « bonne santé ».
-    Les religieux qui ajoutent « sainte » à « bonne année ».

Bref, tous ces souhaits supposent :
-    une foi sans défaillance en l’efficacité du rite malgré tous les démentis accumulés au fil de l’histoire,
-    une espérance inébranlable qui défie la morsure du temps qui passe,
-    une charité sans mesure au profit du bien de tous.
Cette antique coutume, qui refleurit chaque premier jour de l’an, serait-t-elle le dernier rite chrétien qui fasse encore l’unanimité dans ce vieux monde qui adopta le calendrier Julien?
 
Vous avez choisi ci-dessus la catégorie qui vous semble convenir. Les plus simples et les plus discrets manquent à l’appel. Alors, que cette année soit, malgré tout, féconde pour vous et pour autrui !!!  


15 décembre 2021

Le vieil enfant et la crèche

 

 San Sebastian (Espagne)

 

Immobile devant la mise en scène rustique de l’évènement le plus important de l’histoire du monde, le vieil enfant se souvient de ce temps où convoqués par Mr le curé une ribambelle d’enfants et quelques adultes dévoués procédaient à l’installation des décors de la nativité de Jésus. Aux uns, l’étable à consolider, aux autres, la paille à éparpiller ; aux mains habiles le papier-rocher et l’étoile en papier-chocolat ; sapinettes, branches de houx piquantes à souhait attendaient d’accrocher les flocons d’ouate censés rappeler la neige hivernale. A la fin de ce montage, façon Ikéa simplifiée mais réussie, l’arrivée des personnages permettait au prêtre d’improviser une leçon de choses circonstanciée.
La même opération se répétait dans chaque famille en version plus modeste. 


Il était bien entendu que Jésus était né dans une étable conforme à celles de nos campagnes. Une coutume voulait même qu’on ajoutât un mouton lors de la naissance d’un enfant et chacun voulait voir son jumeau en bonne et due place.


Plus tard, on s’essaiera aux crèches vivantes à grand renfort d’acteurs déguisés et d’ânes sur pied et en sabot. Le vieil enfant connut aussi le temps de la modernisation avec les crèches citadines coincées entre des barres d’immeubles en carton pâte ou exotiques sous toile de tente ou encore celles, moins inspirées, qui ornaient les devantures alléchantes, débordantes de victuailles.


Il n’a pas encore vu la crèche robotisée bourrée d’électronique coloniser les églises avec en prime l’hologramme de l’enfant Jésus babillant ses premiers mots en araméen. A moins  qu’elle ne soit déjà ringardisée par la crèche bio, purement végétale, en auto suffisance énergétique avec zéro émission carbone. 


Au fond peu importe ! « Ce qui compte » nous dit notre pape François, dans une lettre (1) que l’on devrait offrir à tous les artisans des crèches « c’est que cela soit signifiant pour notre vie, car tout cela représente la sainteté au quotidien ». Alors, merci à ceux qui nous font rêver ne serait-ce qu’un instant à la sainteté des simples et des anonymes.


(1)    Pape François « Le merveilleux signe de la crèche » lettre apostolique sur la signification et la valeur de la crèche Médiaspaul 




03 décembre 2021

2021.

 La pandémie sévissait. Dieu était confiné dans son ciel qui est partout. Satan,  enfermé, fouinait dans les sous-sols des banques mondiales grouillants de profiteurs alléchés. Ils attendaient l’heure de dévoiler les noirs desseins qu’ils avaient concoctés pour tirer les meilleurs profits de la situation. « Et si j’allais voir Dieu ? » se dit le diable, « Il doit bien s’ennuyer un peu ! ».

-« Que fais-tu là le père du mensonge ? » lui dit Dieu.


_ « Je suis venu te voir car, depuis l’arrivée de cette épidémie mondiale, je n’ai plus rien à faire.  Je rôde dans les caves obscures du monde et je puis te dire que ce que je vois n’est pas beau ! Sais-tu que sur terre chacun se méfie de tous. Croire en l’honnêteté de l’autre est devenu un signe ostentatoire de faiblesse. Juger de tout et condamner autrui est une preuve d’indépendance d’esprit. Chacun sait tout, veut tout et peut tout. Partout la violence couve et la haine se répand. Elles font leurs emplettes sous les barres d’immeubles et fourbissent leurs armes pour viser les  autorités imprudentes. Partout les avides d’écrans et de pouvoir avancent masqués, s’agitent sur les strapontins tout en lorgnant sur le trône présidentiel. Tout ce qu’il y a de râleur, de boudeur, de bretteur, d’accusateur s’est donné rendez-vous sur les réseaux sociaux. Et pendant ce temps, les migrants chavirent en Méditerranée. J’ai gagné la partie, fixons la date de la passation de pouvoir.»

 


-« Mon pauvre Adversaire », lui répond Dieu, « malgré ton masque, je te reconnais bien dans cette funeste description. L’obscurité de ton âme a éteint tes yeux. A force de ne voir que le mal, la mort et le noir, tu as fini par oublier que tu ne verrais pas l’ombre s’il n’y avait pas le soleil, le noir, s’il n’y avait pas la lumière, la mort, s’il n’y avait d’abord la vie ; que le mal sans le bien ne se remarquerait pas et que le noir total n’existe pas puisque tu as pu distinguer toutes ces sombres malfaisances. Je te rappelle simplement, qu’à l’origine de tout, j’ai créé la lumière pour que tout le reste soit beau et bon. Quand l’homme saturé d’horreurs et dégoûté de lui-même quittera le temple de ses vaines idoles, il trouvera le sentier étroit qui le conduira vers un fil de lumière. Ne scrute plus les caves, regarde les marges, déjà elles éclairent…





13 novembre 2021

Quelle paix ?


 « Praubé France, b’es hére trahide ! » (Orthographe non contrôlée) « Pauvre France, que tu es trahie ! » : c’était le jugement sans appel des anciens de la guerre de 14  à la vue de nos innocentes espiègleries lorsque, le soir venu, les familles se retrouvaient sur le pas de la porte et que les enfants que nous étions jouaient sur la rue. Ces mêmes anciens qui étaient tout au plus septuagénaires nous paraissaient déjà vieux, usés, cassés, murés dans leur silence et perdus dans des souvenirs pas toujours glorieux. Assurément, ils s’affligeraient de constater l’inflation du vocabulaire dont notre époque raffole : des « héros » à tous les coins de rue, un « couvre-feu » bien éclairé et des « restrictions » à magasins ouverts et toujours achalandés. Ils étaient les témoins de cette paix des braves obtenue par une sanglante victoire dont nos monuments aux morts gardent l’empreinte. 


Paix encore et toujours impossible à établir tant que les gouvernants croiront l’obtenir en satisfaisant les conditions d’un supposé bien-être général car en ce domaine l’homme est insatiable. La paix des portefeuilles et du pouvoir d’achat ne satisfera jamais ceux qui ont la bourse trouée ou des besoins exorbitants.  Cette paix-là sera d’autant plus impossible à trouver que la terre s’épuise et que ses ressources n’étancheront jamais cette soif d’infini qui caractérise le désir de l’être humain.


Pourquoi ne pas changer de niveau et se situer sur celui où les coffres se remplissent  quand ils sont partagés? Là, la dignité est reconnue, la bienveillance accordée, le respect affiché. Mais ces biens-là sont aussi largement bafoués par l’avidité des puissants et l’égoïsme de chacun. Les pays pauvres en font les frais comme les travailleurs précaires ou exploités. Tant que les cortèges des  rues cracheront leur colère et que la mer jettera ses migrants sur les plages, la paix restera compromise. Il faudra certainement, comme le préconisent les sages, agir sur les risques de conflit et intervenir avant qu’ils ne se développent.
Jésus qui connaissait ce qui est au fond du cœur de l’homme recommandait déjà de se réconcilier avec celui que l’on avait offensé avant d’entrer au tribunal et de recourir au juge.


31 octobre 2021

Belloc, encore et toujours…


 Ce nom fleure bon la beauté harmonieuse d’un paysage amoureusement aménagé et délicatement soigné depuis bientôt un siècle et demi. A l’approche de la Toussaint, la lumière purifiée par la fraîcheur de l’air avive les couleurs automnales. Les brebis piquent de boutons blancs le tissu encore verdoyant des pâturages, les futaies mordorent leurs broderies qui bordent le  ciel. Le carré de l’abbaye ancienne flanqué de ses ailes récentes couronne la colline d’un éclatant diadème.

Là, quelques moines vieillis sous le joug de la règle et secondés par les plus jeunes fraternels et dévoués chantent au long du jour les psaumes usés jusqu’au silence. Malgré l’âge, les infirmités, la fatigue, ils resserrent les rangs clairsemés et jusqu’au dernier filet de voix, ils louent au nom de l’humanité le Dieu qui est, qui était et qui vient. La lumière de leurs visages émaciés éclaire leur longue bure comme la flamme dans la nuit. L’un d’eux, Bernard, conscience vive et lucide, jugement sûr, parole souvent prophétique, va atteindre le siècle en trottinant silencieusement sur son fauteuil roulant. Ils quitteront bientôt le berceau qui les a vus naître à la vie d’un monde nouveau et ils passeront sur l’autre colline, celles de leurs sœurs.



Comme à chacun de mes séjours, j’emprunte la longue allée jusqu’au Christ aux bras ouverts et j’entre avec précaution sur le champ des grands vivants. Six longues dalles mémorielles égrènent le nom de ceux qui sont couchés sous les grands chênes. Ils sont là les  saints de ce 1er novembre et des jours suivants. Ils sont là réunis comme ils l’ont été par la prière, toute une vie durant, malgré leurs péchés et leurs aspérités. « Comme on connaît ses saints, on les honore », frères partis en avant, bien connus ou inconnus, je vous honore tous!

Belloc, malgré le grand déménagement, restera  encore cette terre bénie, baignée de pure lumière. Et pour celui qui écoute, des langues nouvelles et des cantiques nouveaux résonneront encore sur la colline habitée…


14 octobre 2021

L’institution

 

Devant la montagne de turpitudes qui écrase l’Eglise, nous sommes tentés, chrétiens et à fortiori prêtres, de nous terrer, de rentrer dans notre trou et d’y rester. Essayer autant que possible de prendre la mesure du mal accompli et trop longtemps caché, compatir, réparer, prier, se taire. Mais le silence pourrait être interprété aussi comme un manque de courage.


L’institution est l’objet aujourd’hui de tous les reproches et de toutes les invectives. Sous ce vocable est visée la hiérarchie de l’Eglise par opposition aux fidèles laïcs. Mais ne serait-ce pas oublier un trop vite qu’on ne naît pas évêque ou prêtre. Ce sont bien des laïcs qui sont ordonnés à ces ministères. L’origine des déficiences n’est peut-être pas dans la distinction des tâches. Mais bien dans la prépondérance d'un état sur un autre, oubliant le sacerdoce commun des baptisés.
 
Alors, en ces temps d’accablement, deux personnages s’imposent : celui de Pierre et celui de Paul : Pierre, figurant la pesante et prudente institution, Paul, la légère et audacieuse mission. Pierre qui reçoit la charge exorbitante du pouvoir des clefs (Je te donnerai les clefs du Royaume de Dieu…) comprise au fil des siècles comme un pouvoir absolu et surtout solitaire. Or, dès le début de l’Eglise, l’exercice de ce pouvoir n’a pas été vécu ainsi. Paul, le dernier des disciples, s’est permis de faire des reproches à Pierre et cela a provoqué la convocation d’une assemblée décisionnelle, essentielle pour l’avenir de l’Eglise. On l’a appelé la première assemblée synodale (Ac 15). François, notre Pape veut associer toute l’Eglise à une démarche similaire. Aura-t-il la possibilité d’associer les laïcs aux prises de décision à chaque étape de ce processus et jusqu’à son terme ? 


Enfin, pour éviter le cléricalisme insupportable - mais qui n’est pas réservé hélas ! au seul clergé - pourquoi ne pas écouter Pierre quand il écrit à ses lecteurs : « Comme des pierres vivantes, prêtez-vous à l’édification d’un édifice spirituel pour un sacerdoce saint… » (1 P2 ,4). Et pourquoi ne pas s’inspirer des recommandations de Paul aux épiscopes  (les évêques) : « …que l’épiscope soit irréprochable…bienveillant, ennemi des chicanes…Il faut, en outre, que ceux du dehors lui rendent un bon témoignage… » (1 Tim3, 1). Revenons à la source !





02 septembre 2021

Blog spécial rentrée

« Ces incroyables croyants »


Dans Le roman inachevé du bœuf de la crèche (Médiaspaul), Jan de Bartaloumè avait demandé au bœuf et à l’âne de jeter un regard sur l’histoire du Christianisme afin d’en mieux connaître les racines et d’en comprendre l’actualité. Ces deux braves bêtes ont soufflé à l’éditeur de ce roman l’idée de remettre l’auteur à la tâche pour qu’il s’attèle à la question qui hante bien des consciences chrétiennes : « Pourquoi une Église si fortement et massivement implantée dans la culture française et européenne depuis des siècles s’est-elle si rapidement effritée au cours des trois dernières générations ? »
Tout a été dit sur l’origine de cette mésalliance entre le Dieu des chrétiens et les cultures contemporaines depuis la sécularisation amorcée au siècle des lumières jusqu’aux perversions des pédocriminels en passant par une mauvaise interprétation du Concile Vatican II. En général, les analyses se focalisent sur les croyants qui, à tort ou à raison, ont abandonné la « pratique » religieuse. Et si, osons le dire, cette crise profonde était provoquée par Dieu lui-même ? Un Dieu qui ne consent jamais à être réduit à une image ou un aspect de son mystère ! Un Dieu qui s’évade de toutes les définitions, de tous les mots pourtant nécessaires, de tous les habillages dont on veut l’affubler. Un Dieu qui fuit tous nos enfermements rassurants et qui nous oblige à le chercher toujours au-delà de nos représentations inaptes à saisir l’Au-delà-de-tout et à balbutier l’Indicible.


A  travers le portrait de trois générations qui plongent leurs racines culturelles et religieuses dans la France rurale du siècle précédent, Jan de Bartaloumè retrace l’histoire du divorce non acté officiellement mais consommé dans les faits  entre l’Eglise et notre société.
Par ce récit, dans lequel chacun retrouvera une part de son expérience, il rend d’abord  hommage aux baptisés de sa génération qui ont été les premiers laïcs  à s’engager nombreux  dans l’évangélisation de leurs frères. Pris en étau aujourd’hui entre le rigorisme d’une nouvelle génération et la radicalisation de certains cathos, beaucoup se sont démobilisés. L’auteur ne s’attarde pas à ranimer la braise des nostalgies ni à gratter les plaies saignantes. Il préfère rallumer l’espérance et ouvrir un avenir possible. Il s’adresse également aux générations suivantes en leur montrant que la crise que nous traversons est peut-être un signal de Dieu qui se dégage encore une fois des idoles que nous lui avons façonnées et dont ces générations  se veulent à juste titre les athées.
Ce livre se garde bien de donner une solution à la question posée par l’éditeur, car ce serait prétendre indiquer à l’Esprit de Dieu un itinéraire imposé à sa manifestation. Il se contente de déblayer les routes encombrées par nos idoles pour que les baptisés, retrouvant leur vocation intégrale et indispensable, ouvrent les chemins d’une Église régénérée.

    (1) Jan de Bartaloumè,  Ces incroyables croyants, Mediaspaul  en vente ou à commander dans toute bonne librairie à partir du 15 sept 11euro.


AUTEUR
Jean Casanave est un prêtre béarnais. Il a été aumônier de jeunes scolaires, d’université, curé de paroisse et pendant trente ans responsable de la formation permanente des chrétiens. Il partage ses « ruminations » dans jeancasanave.blogspot.com.  Parmi ses publications : Renouer avec la terre, 1997 ; Le ciel est rouge, il fera beau, 2004 ; Éclats de vie, 2007 ; L’un de vous, prêtre d’une fin de siècle, 2018 ; Le roman inachevé du bœuf de la crèche.



16 août 2021

Myriam


 « Tout est grâce » faisait dire Bernanos à son curé de campagne. Tout est grâce dans la vie de Myriam.


Comment cette jeune fille palestinienne a-t-elle pu assumer une telle destinée ? Certains spécialistes de la Bible pensent qu’elle a vécu son enfance à proximité du Temple de Jérusalem au sein d’une famille sacerdotale ; pensons à sa cousine Elisabeth et son époux Zacharie. Elle faisait semble-t-il partie d’un mouvement spirituel un peu marginal qui attendait une nouvelle révélation et un renouveau du culte.
Mais ces explications ne suffisent pas pour comprendre comment elle a pu être  aussi ouverte à la parole de Dieu au point d’en être fécondée et que celle-ci puisse germer en elle. Devenue l’épouse de Joseph, elle pourra enfanter celui que St Jean appellera le Verbe, la Parole même de Dieu.


Elle se souvenait peut-être d’une recommandation du prophète Isaïe qui entrevoyait la belle fécondité du peuple de Dieu et qui s’exclamait : « Crie de joie, stérile, qui n’enfantais pas ; éclate en cris de joie et d’allégresse, toi qui n’a pas connu les douleurs ; élargis l’espace de ta tente » !


Marie a élargi l’espace de sa tente à un point tel que Dieu lui-même y a trouvé sa place et sa demeure. Elle s’est décentrée  totalement d’elle-même pour ne plus faire qu’un avec le projet du Père de nous donner son Fils pour vivre parmi nous et offrir sa vie à l’humanité.


La situation familiale de Marie n’explique pas tout, d’autant que les femmes n’avaient pas accès aux fonctions qui entouraient la Parole de Dieu. Il faut croire qu’elle a bénéficié d’une grâce exceptionnelle qui lui a valu  d’être « assumée », corps et âme, par Dieu jusqu’à son assomption au ciel, ce qui lui vaut la première place parmi les croyants que l’Eglise lui a reconnue. Cette grâce était certainement le fruit d’une vie de prière intense à l’image de celle d’Anne et de Siméon, ces habitués du temple.
La vie de Marie nous rappelle qu’il y a toujours en nous la possibilité de recevoir plus que nous-mêmes. « L’homme passe infiniment l’homme » rappelait Pascal. On pense aux héros, qui placés dans des circonstances exceptionnelles, ont laissé transparaître une personnalité qu’ils ne soupçonnaient pas eux-mêmes. 


Mais dans un registre apparemment plus ordinaire, on pense aussi à la maternité et à la paternité, expérience unique où les époux se sentent emportés par un élan de vie qui les dépassent totalement et qui fait d’eux les acteurs étonnés d’un mystère qui les submerge entièrement.
Marie a été assez pauvre d’elle-même, de ses projets personnels, de ses ambitions pour laisser en elle toute la place à celui qui deviendra son fils tout en restant son Seigneur.
Sommes-nous assez détachés, assez creux de nous-mêmes pour élargir la tente de notre cœur à la présence du Christ dans notre vie ? Ceci implique d’arracher parfois les piquets sur lesquels nous avions ancré nos assurances, de tendre la toile jusqu’à la rupture. L’épreuve est douloureuse et toujours à reprendre mais c’est le prix à payer de notre propre assomption.


Avec Marie, prions pour que nos communautés soient assez ouvertes et disponibles afin que notre Père puisse engendrer encore une Eglise nouvelle à l’image de celle des premiers chrétiens…


31 juillet 2021

« Majeur et vacciné »



 Cette expression claquait fièrement sur les lèvres du jeune homme, monté sur ses ergots, qui venait d’accomplir le service militaire. En ce temps là, pas si lointain, tous les Français subissaient, à cette occasion, trois vaccins réglementaires sans qu’il ne soit venu à personne l’idée d’en demander le nom ou d’en contester l’usage.


Vaccinés oui ! Majeurs à 21 ans pas sûr ! Mais pour le moins conscients, après 18 ou 16 mois passés sous les drapeaux, que la vie en groupe comprenait quelques obligations essentielles.
« Obligatoire » est devenu un adjectif banni et honni par une partie de nos compatriotes. La liberté qui a coûté la vie à tant de nos anciens et de nos ancêtres risque, nous dit-on, sa peau sous l’effet d’une piqûre ! Qu’un gouvernement ose imposer une vaccination et chacun se sent offensé dans son intouchable dignité : « Je suis libre de disposer de mon corps comme je l’entends ! »


L’ennui, c’est que mon corps biologique dépend en grande partie du corps social dans lequel il vit, et vice versa. Et de même qu’il y a obligation pour l’individu de neutraliser ses cellules cancéreuses quand elles apparaissent s’il tient à la vie, de même la société est obligée d’édicter des lois contraignantes pour éradiquer les éléments qui la mettent en danger. On peut supposer que celui qui se prétend « libre de disposer de son corps », une fois prononcée cette belle déclaration, va prendre sa voiture et rouler sagement à droite obéissant à une « obligation » du code de la route. Il ne se plaindra même pas de la présence du gendarme rappelant ce même code aux oublieux.


La question n’est pas entre obligation et liberté car la règle commune est nécessaire à la  liberté de chacun. Le problème réside dans le consentement à la loi. En effet, tant que celle-ci se présente comme une contrainte extérieure douloureuse ou injuste, elle sera rejetée. Si  elle est intégrée par l’habitude ou le raisonnement, elle sera respectée.


Il y aura toujours un mouvement de rébellion contre toute atteinte à notre libre arbitre et c’est l’honneur de l’être humain de vouloir être respecté dans sa responsabilité propre. Pourquoi alors ne pas exhumer une expression tombée malheureusement dans les limbes du vocabulaire : « Je vous serai obligé de bien vouloir.. » Nous voilà encore dans l’obligation mais, cette fois-ci, partagée ! 


C’est peut-être de cette manière qu’il faut comprendre ce qui à première vue apparaît comme un contresens : « Ce que je vous commande, c’est de vous aimer ». En régime d’amour l’obligation même douloureuse n’est pas évacuée, au contraire on en redemande !!


Vaccinés, presque ; majeurs, toujours pas !

18 juillet 2021

« Ils étaient comme des brebis sans berger… »

L’image d’Épinal veut que le bon berger marche allégrement en tête du troupeau, bâton en main, béret vissé sur le crâne,  répondant joyeusement aux salutations de ceux qui lui souhaitent un bel été dans les hautes estives. Cette vision du métier correspond à celle du premier de cordée impétueux ouvrant gaillardement la voie de l’ascension. Mais le berger sait que ses chiens jouent les serre-files et qu’en queue du peloton quelqu’un veille à rameuter les distraits. Le premier de cordée trop occupé à baliser les bonnes prises ou à équiper la voie d’escalade risque fort de ne pas entendre celui qui dégringole.
Il serait bien tentant pour le pasteur de se tenir à l’arrière de la troupe pour encourager les faibles et les craintifs mais ne risque-t-il pas de décourager les vaillants et les téméraires qui se lasseront d’attendre le reste du train ?
La bonne position ne serait-elle pas de cheminer sur le côté de la nappe ondulante, embrassant d’un seul coup d’œil l’avant et l’après, encourageant les humbles, ceux qui ne se font pas remarquer mais qui maintiennent la cohérence de l’ensemble ? Ceux qui n’aiment pas la foule bêlante et qui veulent inventer leur propre chemin reprocheront certainement la lourdeur et l’anonymat de cette administration impersonnelle.


Ayant expérimenté les avantages et les inconvénients des trois postures précédentes, le berger zélé ne résistera pas à la tentation de se démener de telle sorte d’être partout à la fois quitte à stresser et à énerver tout ce petit monde. Il s’en repentira vite devant la folle espièglerie qui s’emparera des plus calmes.
Alors, sagement, il ira s’assoupir au pied du grand rocher en laissant les vieilles brebis choisir l’herbe la plus tendre et son chien pastou donner l’alerte en cas danger.


Frère prêtre, comme moi, tu te reconnaîtras sans doute dans ces portraits tirés à gros traits du bon pasteur. Il me reste à te souhaiter un peu de repos à l’ombre de ton rocher préféré.
Quant à vous, frères laïcs, qui avez en charge aussi, d'une autre manière, de guider, de diriger, d’animer, de nourrir, de faire vivre une communauté humaine quelles qu’en soient  sa dimension ou son importance, n’oubliez pas, vous non plus, l'essentiel : « Venez à l’écart dans un endroit désert, et reposez-vous un peu. »  Marc 6,31

 


 

24 juin 2021

Gagnent à être connus

 


 Présentation impeccable, diction parfaite, barbe soignée, une légère intonation de la voix qui ouvre sur l’ailleurs, des explications précises et détaillées données à l’apprenti, tout laisse deviner l’ouvrier qualifié.
Il ne faut pas trop insister pour apprendre qu’il est argentin, qu’il a été professeur d’école, qu’il a vécu en Allemagne, qu’il a travaillé dans la restauration, qu’il est parti aux USA, qu’il est venu à Paris, qu’il parle 4 langues et a déjà fait plusieurs métiers. Et tout cela, raconté avec le sourire, le plus naturellement du monde. Partout chez lui, il a décidé de se fixer en Béarn pour que sa fille prenne racine dans un endroit stable et  il a choisi le métier d’électricien. Jeune et avenant Fernando gagne à être connu.
 

Trois jours après l’intervention du technicien venu de la pampa, visite de Maurice. Avec lui, c’est l’Inde, le Rwanda, l’Afrique du sud, le Tchad, la Grèce, le camp des réfugiés de Moria, et enfin Dunkerque, qui se donnent rendez-vous dans ce trou de nulle part entre gave et coteaux.
Il a passé sa vie à côtoyer la misère et à répercuter la voix des réfugiés qui ont tout perdu sauf l’espoir enfoui de retrouver leur dignité. Il suffit que quelqu’un veuille bien les écouter et leur adresser la parole comme à des êtres humains qui vivent une aventure terrible et exceptionnelle pour que leurs yeux délavés brillent de nouveau. Maurice Joyeux n’est fixé nulle part sinon dans la compagnie du Christ : il est jésuite. Il gagne à être connu.
 

L’électricien et le jésuite font mentir le proverbe : « Boule qui roule, n’amasse pas mousse ». Pourquoi ? Parce qu’ils sont des hommes de « trajet » plus que de projet comme le souligne Raphaël Buyse en présentant le message de Madeleine Delbrêl (1), cette intellectuelle devenue assistante sociale dans une banlieue anonyme de la région parisienne, au début du siècle dernier. Elle n’a pas parcouru le monde. Sans bouger, elle a compris qu’en allant au plus profond d’elle-même, elle rejoignait chacun dans ce qu’il a de plus essentiel, cette part d’humanité qui reflète le désir que Dieu projette sur lui.
 

A sa façon, l’argentin voyageur a trouvé son port d’attache comme le jésuite nomade son puits sans fond. Eux et Madeleine gagnent à être connus et c’est nous qui sommes gagnants.

(1)    Raphaël Buyse « Toute cette foule dans notre  cœur » Bayard


28 mai 2021

Le vent souffle où il veut

Il caresse quand il se fait légère brise du soir.
Il siffle quand il se faufile dans la ruelle étroite.
Il chante à midi quand il annonce la pluie.
Il tourbillonne avec les feuilles mortes quand la bourrasque s’annonce.
Il décoiffe brusquement quand il rase le sommet d’un col.
Il hurle quand il s’engouffre dans la forêt nue.
Il enrage quand la vieille bâtisse paisible lui résiste.

« Tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit » répondait Jésus à Nicodème (Jn 3, 8).

Oui, ainsi en est-il de la religieuse cloîtrée qui, toute habitée de ses frères humains, s’enfonce un peu plus chaque jour dans le silence de Dieu pour capter son souffle créateur et lui ouvrir les portes des emmurés.
Ainsi en est-il de la jeune maman qui chantonne le soir au creux de l’oreille de son enfant. L’orage peut tonner, il ne bouchera pas la flûte des anges.
Ainsi en va-t-il des besogneux de tous les jours, de ces hommes et femmes du devoir répété et au mieux accompli qui soutiennent et fortifient la vie de leurs frères.
Ainsi en va-t-il du cœur blessé par l’injustice et le mépris, qui hurle sa douleur à la face de la terre et au visage du crucifié planté au carrefour des chemins.
Ainsi de celui ou de celle qui peine sur les sentiers escarpés, qui renverse les murs et contourne les ruines et qui découvre au bout du chemin  qu’un autre sommet l’attend.
Ainsi en ira-t-il du prophète qui aura passé nos idées reçues au fil de sa parole acérée mais qui sera transpercé par les flèches de notre suffisance arrogante.
Ainsi en sera-t-il du sage, assis devant sa porte, dans la ruelle étroite, qui restera aux aguets pour écouter, ne serait-ce qu’un instant, le son insaisissable du sens qui passe.
 Ainsi de celui ou de celle qui se croyait chrétien et qui n’en finit pas de le devenir en sachant qu’il n’y parviendra jamais…
Tous, je vous le dis, sont nés de l’Esprit parce qu’ils ne cessent jamais de naître et de renaître…

08 mai 2021

Sacrifice

 



A l’époque bien lointaine de la « croisade eucharistique », les enfants du catéchisme étaient invités à cocher tous les jours le sacrifice qu’ils offraient au Seigneur et qui se traduisait souvent par telle ou telle privation de friandise ou de « gros mots». Cette habitude avait l’avantage d’apprendre, très jeune, qu’un choix exige toujours un renoncement. Notion bien désuète, bannie de l’éducation actuelle, tant « avoir tout et tout de suite » est devenu la norme commune. Il convient de souligner cependant, qu’à l’occasion de l’acte héroïque du Colonel Beltrame ou de l’assassinat de membres du maintien de l’ordre, le mot  a repris quelques couleurs.

Le sacrifice est dans les gènes de toutes les religions. Dieu créateur assimilé au propriétaire de la terre doit recevoir sa part de récoltes, de bétail, de vie symbolisée par le sang, ne serait-ce que pour maintenir le « circuit vital » entre l’Etre et les êtres. Et quand on estime que la relation entre les créatures et l’Auteur de toutes choses se détériore (tempêtes, orages, tremblements de terre, inondations, guerres en étant les signes les plus évidents), il est recommandé d’augmenter le quota des offrandes pour apaiser sa colère. Cette coutume, à tendance inflationniste, exige tout un appareillage de temples, de lieux sacrés, d’autels ainsi que l’organisation de fonctions et d’un personnel dédiés à ces tâches liturgiques. Selon la plus ou moins grande proximité avec la ou les divinités, une hiérarchie se met en place ainsi que des seuils ou des clôtures de séparation et de distanciation. Le livre des Lévites (Lévitique) dans la Bible fourmille de détails quant au rôle, à l’habillement, aux coiffures, aux purifications, aux droits et devoirs exigés pour chacune de ces spécialités. Le sacerdoce chrétien a largement puisé dans cet héritage.

Cependant la première Alliance, elle-même, soupçonnait déjà que le pardon n’était pas lié à la valeur de l’animal ou à la quantité de viande qui brûlait sur l’autel mais à l’infinie miséricorde de Dieu. Et lorsque l’exil à Babylone priva le peuple de temple, il fallut bien convenir que le sacrifice des lèvres (la prière et la louange) associé à l’aumône était le culte le plus efficace à rendre à ce Dieu qui, lui aussi, avait pris le chemin de la captivité. Nos ancêtres dans la Foi avaient déjà bien compris que la communion à Dieu ne dépendait ni de la quantité des offrandes consumées, ni du degré de souffrance consenti, ni de l’exploit de la performance ascétique réussi mais plutôt de la qualité d’un cœur « brisé et broyé » par l’amour (Psaume 50). Mais les schémas mentaux ont la vie dure !

Les disciples de Jésus n’ont pas eu grand effort à faire pour insérer sa passion et sa mort dans cette culture sacrificielle latente. Certains spécialistes pointent du doigt la « lettre aux Hébreux » qui fait clairement un amalgame entre la Croix du Christ et le « Yom Kippour », le jour du grand pardon juif,  quand, après avoir offert le sacrifice rituel, le grand-prêtre entrait pour la seule fois de l’année dans le Saint des saints du Temple. L’auteur de cette lettre indique cependant que le sacrifice du Christ et son sacerdoce dépassent infiniment celui de la première Alliance. Jésus, mieux que ne le faisait le grand-prêtre, se serait donc offert lui-même en sacrifice afin  d’obtenir de son Père le pardon des péchés du monde. De là à dire que le Père avait exigé la mort de son Fils en compensation de nos fautes ou en remboursement de la dette contractée, le pas était vite franchi. Et ce pas nous amenait tout droit à penser que Jésus envisageait sa mort  en sacrifice de réparation pour apaiser le courroux divin.
Il faut croire que les premiers disciples n’ont pas tous eu la même perception des choses sinon, au lieu d’accabler les juifs, les romains et blâmer le traître Judas, ils auraient dû les féliciter d’avoir été les premiers célébrants de cette oblation sanglante et  d’avoir facilité le salut de l’humanité !

Le christianisme a beaucoup insisté sur cette pédagogie du sacrifice comme si la puissance divine ne pouvait s’exercer et se développer que sur la renonciation du pouvoir humain. Ou pire, comme s’il fallait acheter le pardon du Père en le monnayant à la valeur de nos offrandes ! Ainsi la messe qui actualisait le don de la vie du Christ pour l’humanité, devenait le sacrifice idoine à multiplier au maximum pour que Dieu consente à ouvrir les portes de son Royaume.
N’avait-on pas simplement oublié l’essentiel du message du Christ qui peut se résumer  en ce mot du prophète Osée et qu’Il a lui-même rappelé à deux reprises: « C’est l’amour que je veux et non les sacrifices » ? (Os 6,6 ; Mt 12,7 ; 9,13).   

Comment comprendre cette expression « sacrifice du Christ » souvent utilisée dans la liturgie ?

 « Je suis très satisfaite d’avoir offert à mes parents, presque centenaires, la possibilité d’avoir terminé leur vie chez moi » ne cesse de répéter Maryreine, heureuse octogénaire. Elle aurait pu se plaindre d’avoir « sacrifié » voyages, sorties, loisirs que pouvait lui procurer sa retraite. Eh bien non ! Ce lourd « sacrifice»  aux yeux des autres et qui a duré des années, n’en était pas un pour elle. Quand la maman reste auprès de son enfant malade pendant que le père amène les autres à la plage, il y a fort à parier qu’à leur retour, elle ne se plaindra pas d’avoir « sacrifié » sa journée. Au contraire, elle sera heureuse d’avoir pu consacrer son temps à cet enfant et lui prouver ainsi qu’il est aimé de façon unique !
Si nous replongeons les renoncements inhérents à nos choix de vie dans la source originelle de l’Amour, l’aspect négatif du sacrifice disparaît même si la souffrance de la perte de nos satisfactions  demeure. Lorsque la mort de Jésus est envisagée comme l’aboutissement d’une vie donnée dès son incarnation, la Croix, quelles qu’en soient les causes, devient le signe ultime du don et du pardon. Oui, le Christ a demandé de renoncer à soi-même pour le suivre ; oui, Il a promis que celui qui perdra sa vie pour lui la sauvera ; oui, le disciple devra se faire le dernier de tous ; mais tout ceci n’a d’autre sens et d’autre but que de « demeurer » en Lui comme Il « demeure » dans le Père ( Jn 15,10). 


29 avril 2021

Prier


 « Quand j’étais jeune, j’ai cherché, comme tout chrétien, à prier le mieux possible, en essayant d’être totalement présent à cet acte si important » disait le vieux moine. « J’ai rencontré trois obstacles majeurs sur mon chemin et d’abord l’instabilité des idées. L’esprit est doté du pouvoir extraordinaire  de s’évader de la matérialité en la représentant. Les idées sont légères, elles se détachent du réel, se multiplient à l’infini et se bousculent. La prière n’échappe pas à la règle et la mienne se perdait en de folles farandoles de distractions.


Deuxième obstacle : l’habitude  de « cavaler » sur les versets des psaumes qui rendait encore  plus percutant le sévère rappel du Seigneur : « Ne rabâchez pas comme le font les païens » ! Sans  compter les périodes d’aridité  spirituelle et de vide vertigineux.

Enfin, rédhibitoire question, j’en arrivais à me demander s’il pouvait y avoir une communication possible entre l’Etre Infini et le pauvre terrien éphémère, perdu dans les mondes innombrables du cosmos, égrenant des mots infirmes, incapables de frôler la plénitude !
J’avais beau utiliser tous les subterfuges, changer de méthode, écouter les conseils des grands spirituels, ces champions du prie-Dieu, je n’avançais pas. Mon oraison oscillait entre étrangeté et proximité de Dieu.

Jusqu’au jour où je compris qu’une seule prière pouvait atteindre Dieu : celle de son Fils ; qu’une seule messe était « valable », celle qu’Il célèbre, aujourd’hui, ressuscité, dans l’acte même de s’offrir au monde. De même qu’Il consentait à faire d’un vulgaire morceau de pain la substance de sa vie, Il  acceptait, par son Esprit, d’épouser une Eglise fragile et inconstante pour qu’elle soit son corps mystique, sa prière, sa parole. Je pouvais alors me permettre de balbutier et d’ânonner, de multiplier des débris de méditation,  car il suffisait de Lui demander de prendre ma pauvre prière dans la sienne, de la broyer au creuset de son amour filial, de la mixer avec celle de tous mes frères. Je compris désormais l’importance de la formule finale des oraisons liturgiques : « Par Jésus Christ notre Seigneur… » que je me promis de ne jamais escamoter. »

 

09 avril 2021

Papi has been !


 -« Papi, je trouve que tu ne réagis pas assez fort face à toutes ces restrictions sanitaires, qui petit à petit, rognent nos libertés et qui sacrifient  les jeunes, soi-disant pour préserver les vieux ! »
Papi encaisse le reproche sans broncher et demande un droit de réponse.
-« D’abord, ne crois pas que je sois insensible à ceux et celles qui souffrent réellement de cette pandémie, qui en sont les victimes directes ou collatérales, tant sur le plan physique que psychologique. Moi, qui me croyais le premier de ma lignée  familiale à avoir échappé aux combats meurtriers, je ne m’attendais pas à connaître une telle épidémie. Dans ma jeunesse, l’épidémie comme la guerre faisaient partie de ces fléaux dont on demandait à Dieu d’être préservé car la médecine s’avérait encore impuissante à endiguer ses ravages.
Permets-moi cependant de relativiser un peu ! Quand mon propre grand-père partait  faire la guerre de 14, à 20 ans, on ne s’occupait pas de savoir comment on pouvait le dédommager des années qu’il allait consacrer à « servir » la France ! S’il y a une génération sacrifiée c’est bien celle-là ! Quand mon père était prisonnier de guerre en Pologne, à l’âge que tu as, on ne se demandait pas comment il pouvait poursuivre ses études et on ne lui procurait pas une attestation dérogatoire pour sortir du camp pour « motif impérieux »!

 Je note, entre parenthèses, que, parmi ceux qui réclament de retrouver le monde d’avant, nombreux sont ceux qui n’en étaient pas satisfaits vu le nombre de manifestations, parfois violentes, qui se déroulaient à cette belle époque !

Ce qui me permet d’accepter certaines contraintes, vois-tu, c’est avant tout ceci. Dans ma petite enfance passée à la maison, j’entendais souvent un verbe : obéir. Être obéissant était même un compliment qui faisait rosir les joues d’un enfant. Quand je suis entré à l’école communale, j’ai appris qu’il y avait des règles comme celle de trois et même un règlement nécessaire à toute vie de communauté. Et je puis te dire qu’il « rognait » passablement nos libertés de jeunes garçons turbulents. En même temps dans les séances de catéchisme, j’ai appris par cœur des commandements, ceux de Dieu et ceux de l’Église ! Arrivé au collège en internat,  le règlement était agrémenté de « colles » et nous avions même droit à une note dite de « discipline » dans le bulletin hebdomadaire ! Enfin, je fais mon service militaire  et là j’apprends à recevoir et à donner des ordres et on m’explique qu’il existe même des situations (rares, je l’espère) où il vaut mieux exécuter des ordres déficients que de laisser dégénérer une panique meurtrière  générale.

Tu comprends peut-être que ce bagage nourrit ma mémoire et m’oblige à garder quelque distance avec le vocabulaire victimaire employé par les commentateurs de tout poil qui poussent des cris d’orfraie quand on touche à ce qui, à mes yeux, n’est que « avantages acquis » sur les générations précédentes.
Je regrette bien sûr que tu ne puisses pas suivre tes études convenablement bien que tu puisses bénéficier d’outils extraordinaires pour parfaire ta culture. Peut-être, toi et tes copains, pourriez-vous profiter de cette expérience pour prendre conscience  que beaucoup de choses que l’on croyait indispensables ne le sont pas. Encore faut-il cultiver ce que l’on appelait « une vie intérieure » faite de réflexions souvent silencieuses, de lectures des grands auteurs et de dialogues féconds  pour meubler autrement le temps vacant.
Je te laisse conclure par toi-même mais je préfère ne pas entendre le qualificatif  dont tu vas me gratifier !! »  




01 avril 2021

Près du tombeau.



  J’imagine, en ce premier jour de la semaine, Satan arcbouté derrière la pierre, maintenant close la fermeture du tombeau où gît le « Prince de la Vie ». Ce gêneur, cet imposteur, celui qui étalait au grand jour par sa seule présence les œuvres obscures des puissances du mal est enfermé définitivement dans les entrailles de la terre, dans ce shéol visqueux des êtres sans consistance. Et pour être sûr de maintenir étanche le couvercle de pierre pendant les trois jours requis pour bien  valider la mort, il appelle à l’aide les foules imbéciles qui, pour quelques deniers, se laissent séduire.


Or voici que l’aube lève. La nuit de la vie ne résistera pas à la clarté et à la chaleur renaissantes. Quelques femmes en pleurs s’approchent et la sécheresse du rocher se fissurera sous l’ondée bienfaisante des larmes ; le silence mortel laissera  filtrer le murmure d’une espérance inouïe.
Qu’adviendra-t-il du tombeau de notre monde ? Comment ne pas être effrayé par le pouvoir du mal qui étend son empire et s’infiltre jusque dans l’âme d’enfants ou d’adolescents qui battent, qui noient, qui tuent celle qu’ils appelaient « copine » ? Comment après des siècles de civilisation et de culture en vient-on à violer femmes et enfants ? à égorger un vieux prêtre, un enseignant ? à empoisonner un opposant ? à asphyxier un simple récalcitrant ? à laisser la mer engloutir une partie de nos enfants qui cherchaient un pays accueillant ?


Il faut croire que les feux de l’aube n’éclairent  pas assez, que les pleurs glissent sur la pierre lisse et que l’homme résiste encore à l’injonction  divine: « Arrière Satan ! ». Car il y a en chacun de nous un Simon Pierre, ardent à suivre le Christ, et un Satan, prêt à l’abandonner.
Mais confiance ! Les « portes de l’enfer » ne sont pas scellées à jamais.  Le Christ est ressuscité, la pierre est roulée, l’Esprit s’est répandu dans le jardin d’une nouvelle genèse. Déjà un brin de vie verdoyant s’est incrusté dans l’entaille de la dalle. Les larmes et le sang du pressoir de la Croix l’arroseront  et la lourde chape du mal se fendra et basculera dans son néant…




04 mars 2021

Qui a les clefs ?

 


 « Vivement que l’on revienne au monde d’avant le virus que nous puissions travailler, transformer, produire, nous amuser, voyager, consommer, nous embrasser, nous serrer la main, nous démasquer ! » Malheureusement « avant » ne reviendra pas tel qu’il a été. Avant a fait son temps. Avant est passé. Fini le temps de la démesure et du profit permanents. Nous savons désormais qu’ils sont l’antichambre d’un suicide collectif. « Le monde d’après » sera le monde de la limite consentie et du soin attentif, les deux étant liés.  


En ce qui concerne les limites, il faudra certainement rédiger une charte universelle des droits de la terre équilibrant celle des droits de l’homme. Et pourquoi ne pas ajouter une « charte des droits de Dieu »,  signée par toutes les religions, formulée dans une nouvelle traduction du décalogue qui ciblera clairement les impasses culturelles, économiques, génétiques ou numériques dans lesquelles nous sommes tentés de nous engouffrer. Le premier de ces commandements pourrait être celui-ci: « Tu ne joueras pas au Dieu qui sait tout, qui veut tout et qui peut tout ». 


 Contrairement à une interprétation simpliste de la sentence de Platon, l’homme seul n’est pas « la mesure de toutes choses ». L’homme est un sujet de l’humanité ; l’humanité est tributaire du cosmos. Qui a les clefs de leurs destinées ? 


Quant au soin, il faudra le prodiguer d’abord aux êtres humains pour que de loups masqués et solitaires ils deviennent des frères, à la terre afin qu’elle soit  nourricière et non cimetière, à  Dieu lui-même pour que notre tombe s’ouvre en berceau, à l’Eglise pour qu’elle soit  son « image et sa ressemblance » et non son visage profané ou son portrait fané. Un soin particulier sera réservé aux enfants et aux jeunes qui exigera une refonte totale du système éducatif  car rien de durable ne s’élabore sans l’appui d’une culture commune.


Mesure enfin, car on soigne mieux une personne connue qu’un couloir bondé d’urgences, un jardin clôturé  qu’un océan d’hectares.  Soyons soigneux en toute chose !

 

05 février 2021

Liberté chérie


Ceux qui avaient le plus de doutes sur la fabrication accélérée du vaccin piaffent devant la lenteur de la campagne de vaccination. Les mêmes qui déploraient le manque d’anticipation des provisions de masques trouvent exagérées les mesures de restriction prises face à la pandémie. C’est « compliqué » !!
Ce mot est en passe de devenir le terme le plus usité du vocabulaire français. Pas une interview du passant sur la rue, pas un débat avec de « hautes pointures » qui ne se terminent par ce constat : « C’est compliqué » ! Mais les choses le deviennent de plus en plus lorsque les directives se font obligatoires et empiètent sur « ma » liberté. Alors le grand frisson révolutionnaire traverse les consciences de droite comme de gauche. Ceux qui n’hésitaient pas à exiger une sévérité exemplaire à l’égard des casseurs de vitrines s’insurgent contre le couvre-feu. Ceux qui réclamaient des peines sévères pour  les ennemis de la laïcité  républicaine redoutent qu’une tyrannie rampante bâillonne nos opinions. « C’est compliqué » !!

Il faut le reconnaître, cette période de restrictions est vécue douloureusement par bien des catégories de concitoyens et aura de fâcheuses répercussions sur l’avenir immédiat. Mais il reste, semble-t-il,  à tout un chacun la liberté d’appeler par téléphone une vieille parente que l’on sait chagrine, d’écrire plus longuement un courriel au neveu coincé dans sa cité U, de déposer dans la boîte à lettres de la voisine une revue  que l’on a lue, de commander un repas tout préparé au restaurant fermé et mille autres gestes que l’on considérait comme  superflus mais qui prennent tant de valeur en ce temps-ci. Et la liberté de culte !! Les églises sont ouvertes, personne  n’empêche les croyants de s’y succéder par petits groupes dans une prière incessante. Ce serait peut-être une manière  d’honorer le « culte spirituel »  recommandé par St Paul (Rm 12,1).  Les deux nonagénaires qui prient ensemble le chapelet par téléphone  depuis plusieurs années n’ont demandé l’autorisation ni au curé ni au préfet !
Et puis, par dessus tout, il nous reste la liberté de critiquer le gouvernement ! Et, pour l’instant, peu de français quittent ce pays liberticide  pour aller  vivre  leur retraite, libre et heureuse, dans la Sainte Russie du Tsar Vladimir!


01 janvier 2021

A me répéter chaque matin

 Tu vieillis mon ami. Tu le sais, tu le sens ! Tu rétrécis… comme la souplesse de tes membres, comme la précision de ta mémoire, comme le champ de ton influence, comme l’envie de longs voyages, comme tes performances et tes prétentions. Ton univers se restreint. Alors tu  t’accroches comme un malheureux à ce qui est encore à portée de ta main crispée. Tout ce que tu considérais jusqu’ici comme broutilles  insignifiantes prend l’importance d’un mât auquel tu t’agrippes avançant vers un large qui se fait inconnu et menaçant. Tu rétrécis et tu durcis.


 Tout, autour de toi, comme toi, se réduit aussi. Pourtant,  cela ne te chagrine point. En fait, tout se simplifie et ta vie se condense. L’occasion t’est offerte de transformer ce retrait forcé en élimination du futile et du superflu. Enfin tu peux te regarder nu, débarrassé de ton « moi de représentation », de ce personnage  que tu as taillé avec tant de soin et de labeur dans le costume que les autres et ton Dieu, du moins le croyais-tu, te prêtaient. Cependant tu hésites, car tu pressens qu’au terme de cette épuration, tu risques d’être déçu de n’être « que toi» plutôt que de te réjouir d’être « enfin toi ».


Appuyé sur les prothèses physiques qui soulagent ton quotidien mais, débarrassé de toutes les carapaces sociales que tu t’imposais, tu peux aller à pas lents mais sûrs vers l’Essentiel. L’Essentiel de ta vie, de ton être, de cette humanité qui a fait ce que tu es et du monde qui t’a nourri et façonné. Voilà que tu prends ton temps et que tu fais silence. Ce qui te paraissait évident s’obscurcit au fur et à mesure que tu sondes les raisons d’être de toute vie et que tu n’en finis plus d’en creuser les profondeurs de son avant et de son après.


 Tu vieillis mon ami et, cependant, tu vois plus loin, plus large, au-delà de tous les écrans. Finalement, tout se réduit mais en même temps tout se cristallise autour d’une seule et immense interrogation, celle qui te poursuivait dans le plein de tes jours et qui te rattrape dans le vide d’aujourd’hui: Dieu est-Il ou n’est-Il pas et s’Il est qui est-Il? Toutes les autres questions ne sont que contours, détours, accessoires ou échappatoires. Un  an de plus, un an de moins…Belle année à sa recherche !


"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.