09 novembre 2023

Jamais contents

 

 Jusqu’à la fin du siècle dernier, les paysans étaient réputés comme étant les champions du mécontentement. Pas une année sans que la nature ne vienne contrarier leurs espoirs. Le gel, la pluie, le soleil, la grêle, le vent, les oiseaux et pour finir « la limace » conjuguaient leurs efforts pour contrarier le travail des cultivateurs. Il se trouve que cette année ma voisine m’a glissé au creux de l’oreille une nouvelle stupéfiante qui avait quelque chose d’inconvenant : « une récolte de maïs et de foin fantastique » !! Et elle ajoutait : « On n’a pas à se plaindre ! » N’ébruitez pas cette parole. Elle est révolutionnaire, presque contre nature !
 
Il faut croire que beaucoup de Français sont devenus paysans sans le savoir! Pas une frange de la population qui ne se plaigne amèrement et régulièrement de la vie qui est la sienne.
Les patrons surtaxés qui ne trouvent pas de main-d’œuvre ; les syndicats qui s’insurgent contre le report de l’âge des retraites ;
Les jeunes médecins qui refusent une affectation d’office à la campagne ou qui demandent des « motivations supplémentaires » car soigner les gens est sans doute une motivation insuffisante;
Les automobilistes qui reprennent le vélo pour cause de carburant trop coûteux mais qui vilipendent Les chauffeurs imprudents ;
Les piétons qui redoutent les trottinettes ;
Les usagers des trains toujours en retard ;
Les motards accusant de tous les maux ces routes mal entretenues par les pouvoirs publics ;
Les assureurs pris de court par les intempéries ;
Les chasseurs qui veulent pratiquer leur religion le dimanche comme les promeneurs ;
Les ouvriers qui se méfient de la main-d’œuvre étrangère ;
Les locaux qui détestent les résidents secondaires ;
Les industriels qui redoutent la concurrence chinoise ;
Les vacanciers pressés qui insultent les trop lents camping cars !
Quant au gouvernement, il déplore l’irresponsabilité des députés tandis que le parlement vitupère contre la surdité de l’exécutif. Et vous pouvez ajouter à la liste, elle est sans fin… 


On en oublierait presque celles et ceux qui font la queue devant les restaurants du cœur, qui campent sur les trottoirs et sous les ponts, qui comptent à un euro près, qui ne « s’en sortent pas ». Et tous ces invisibles solitaires qui frôlent les murs en gardant l’apparence de la normalité...


Finalement, le mécontentement n’est-il pas une affaire de proportion gardée ? Il suffit parfois de demander  à ceux qui se plaignent de se mettre à la place de ces populations qui, à nos portes, se déplacent sous les bombes avec un baluchon sur la tête, de ces mères qui ne peuvent plus nourrir leur bébé, de ces vieux qui ne savent pas où ils dormiront, pour que l’intensité du mécontentement et de la colère baisse d’un cran ! Malgré cela, certains n’hésiteront pas à se plaindre encore en arguant que la misère des uns ne doit pas discriminer le mal-être des autres ! Et il y a même fort à parier qu’à la lecture de cette page innocente, une avalanche d’insatisfactions et de commentaires désagréables s’abatte sur le dos de ce vieux chroniqueur qui ne sait plus dans quel monde il vit ! Jamais contents ? A défaut d’être toujours contents, les sages savent se contenter…



02 novembre 2023

Sainteté


Cela se passait au siècle dernier. Le curé du village se plaignait (déjà !) de l’abandon du sacrement de pénitence et se désolait surtout de l’absence des hommes à ce rendez-vous annuel. Un vieux berger, un peu facétieux, se permit de lui donner ce conseil. « Monsieur le curé, quand je vais à confesse, je ne sais que dire car je ne pense pas que mes peccadilles valent la peine d’un aveu. Par contre, si vous me demandez de confesser les péchés de mon voisin, je serai intarissable ! Alors si vous voulez attirer du monde au confessionnal, demandez aux paroissiens d’accuser les péchés des autres !». Cinquante ans plus tard, au siècle suivant, le phénomène s’était amplifié au point que le Père Bro, prédicateur à Notre Dame, publiait un ouvrage au titre évocateur : « On demande des pécheurs ».


Quel lien entre la sainteté et le péché ? Les saints, nous dit-on, ont toujours eu plus que les autres le sens de leur péché. En effet, si le berger avait su que, lorsqu’il rabâchait, en latin, le miserere, il affirmait « mon péché, moi je le connais » (Ps 50), il aurait peut-être eu plus de facilité à l’avouer et aurait fait un pas vers la sainteté.


Les  derniers Papes ont insisté sur le fait que l’Eglise avait davantage besoin de saints que de docteurs ou de managers. En rappelant cela, ils ne prenaient pas de risque. En effet, l’histoire du christianisme fourmille d’exemples de ces hommes et de ces femmes qui ont reformé les institutions par le seul rayonnement de leur sainteté.


L’époque contemporaine, marquée à la fois par la dernière guerre mondiale avec ses conséquences économiques et sociales et par le sous développement de continents entiers, a suscité dans notre pays ou à l’étranger de grandes figures de la charité : l’abbé Pierre, les sœurs Theresa et Emmanuelle, le père Laborde à Calcutta (cf. la cité de la joie) et bien d’autres anonymes qui incarnaient le Christ au chevet des malades, des petits et des pauvres. Un large public a reconnu leur sainteté.


Le temps est peut-être venu de nous rappeler que Jésus était aussi reconnu comme un maître de sagesse, un « sage-saint » : « Rabbi, toi qui ne fais pas de différence entre les personnes dis-nous… » En ces jours d’excès et de fureur où toutes les valeurs qui ont fait le trésor de notre humanité sont remises en question et bafouées, où le pronom possessif est devenu l’idole commune des sociétés occidentales (ma vie personnelle, mes loisirs, mon opinion, mon pays, mon argent), n’avons-nous pas un urgent besoin de maîtres de sagesse ? Non seulement une sagesse imposant une limite à la voracité universelle qui sera vouée malheureusement à disparaître sous la pression de l’opinion publique et  la validation des politiques, mais encore, une sainte sagesse, celle du dépassement et du détachement de toutes les idoles. Ces sages saints seraient les bienvenus à tous les niveaux de la vie en société: celui de la vie politique afin d’éviter l’éclatement du monde, celui de la vie sociale pour retrouver les principes d’une vie en commun élémentaire, celui de la vie personnelle pour qu’elle réponde à sa vocation humaine à être image de Dieu. Tout en sachant  bien que cette sainte sagesse restera toujours folie pour le monde, comme le soulignait déjà St Paul!


"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.