29 avril 2021

Prier


 « Quand j’étais jeune, j’ai cherché, comme tout chrétien, à prier le mieux possible, en essayant d’être totalement présent à cet acte si important » disait le vieux moine. « J’ai rencontré trois obstacles majeurs sur mon chemin et d’abord l’instabilité des idées. L’esprit est doté du pouvoir extraordinaire  de s’évader de la matérialité en la représentant. Les idées sont légères, elles se détachent du réel, se multiplient à l’infini et se bousculent. La prière n’échappe pas à la règle et la mienne se perdait en de folles farandoles de distractions.


Deuxième obstacle : l’habitude  de « cavaler » sur les versets des psaumes qui rendait encore  plus percutant le sévère rappel du Seigneur : « Ne rabâchez pas comme le font les païens » ! Sans  compter les périodes d’aridité  spirituelle et de vide vertigineux.

Enfin, rédhibitoire question, j’en arrivais à me demander s’il pouvait y avoir une communication possible entre l’Etre Infini et le pauvre terrien éphémère, perdu dans les mondes innombrables du cosmos, égrenant des mots infirmes, incapables de frôler la plénitude !
J’avais beau utiliser tous les subterfuges, changer de méthode, écouter les conseils des grands spirituels, ces champions du prie-Dieu, je n’avançais pas. Mon oraison oscillait entre étrangeté et proximité de Dieu.

Jusqu’au jour où je compris qu’une seule prière pouvait atteindre Dieu : celle de son Fils ; qu’une seule messe était « valable », celle qu’Il célèbre, aujourd’hui, ressuscité, dans l’acte même de s’offrir au monde. De même qu’Il consentait à faire d’un vulgaire morceau de pain la substance de sa vie, Il  acceptait, par son Esprit, d’épouser une Eglise fragile et inconstante pour qu’elle soit son corps mystique, sa prière, sa parole. Je pouvais alors me permettre de balbutier et d’ânonner, de multiplier des débris de méditation,  car il suffisait de Lui demander de prendre ma pauvre prière dans la sienne, de la broyer au creuset de son amour filial, de la mixer avec celle de tous mes frères. Je compris désormais l’importance de la formule finale des oraisons liturgiques : « Par Jésus Christ notre Seigneur… » que je me promis de ne jamais escamoter. »

 

09 avril 2021

Papi has been !


 -« Papi, je trouve que tu ne réagis pas assez fort face à toutes ces restrictions sanitaires, qui petit à petit, rognent nos libertés et qui sacrifient  les jeunes, soi-disant pour préserver les vieux ! »
Papi encaisse le reproche sans broncher et demande un droit de réponse.
-« D’abord, ne crois pas que je sois insensible à ceux et celles qui souffrent réellement de cette pandémie, qui en sont les victimes directes ou collatérales, tant sur le plan physique que psychologique. Moi, qui me croyais le premier de ma lignée  familiale à avoir échappé aux combats meurtriers, je ne m’attendais pas à connaître une telle épidémie. Dans ma jeunesse, l’épidémie comme la guerre faisaient partie de ces fléaux dont on demandait à Dieu d’être préservé car la médecine s’avérait encore impuissante à endiguer ses ravages.
Permets-moi cependant de relativiser un peu ! Quand mon propre grand-père partait  faire la guerre de 14, à 20 ans, on ne s’occupait pas de savoir comment on pouvait le dédommager des années qu’il allait consacrer à « servir » la France ! S’il y a une génération sacrifiée c’est bien celle-là ! Quand mon père était prisonnier de guerre en Pologne, à l’âge que tu as, on ne se demandait pas comment il pouvait poursuivre ses études et on ne lui procurait pas une attestation dérogatoire pour sortir du camp pour « motif impérieux »!

 Je note, entre parenthèses, que, parmi ceux qui réclament de retrouver le monde d’avant, nombreux sont ceux qui n’en étaient pas satisfaits vu le nombre de manifestations, parfois violentes, qui se déroulaient à cette belle époque !

Ce qui me permet d’accepter certaines contraintes, vois-tu, c’est avant tout ceci. Dans ma petite enfance passée à la maison, j’entendais souvent un verbe : obéir. Être obéissant était même un compliment qui faisait rosir les joues d’un enfant. Quand je suis entré à l’école communale, j’ai appris qu’il y avait des règles comme celle de trois et même un règlement nécessaire à toute vie de communauté. Et je puis te dire qu’il « rognait » passablement nos libertés de jeunes garçons turbulents. En même temps dans les séances de catéchisme, j’ai appris par cœur des commandements, ceux de Dieu et ceux de l’Église ! Arrivé au collège en internat,  le règlement était agrémenté de « colles » et nous avions même droit à une note dite de « discipline » dans le bulletin hebdomadaire ! Enfin, je fais mon service militaire  et là j’apprends à recevoir et à donner des ordres et on m’explique qu’il existe même des situations (rares, je l’espère) où il vaut mieux exécuter des ordres déficients que de laisser dégénérer une panique meurtrière  générale.

Tu comprends peut-être que ce bagage nourrit ma mémoire et m’oblige à garder quelque distance avec le vocabulaire victimaire employé par les commentateurs de tout poil qui poussent des cris d’orfraie quand on touche à ce qui, à mes yeux, n’est que « avantages acquis » sur les générations précédentes.
Je regrette bien sûr que tu ne puisses pas suivre tes études convenablement bien que tu puisses bénéficier d’outils extraordinaires pour parfaire ta culture. Peut-être, toi et tes copains, pourriez-vous profiter de cette expérience pour prendre conscience  que beaucoup de choses que l’on croyait indispensables ne le sont pas. Encore faut-il cultiver ce que l’on appelait « une vie intérieure » faite de réflexions souvent silencieuses, de lectures des grands auteurs et de dialogues féconds  pour meubler autrement le temps vacant.
Je te laisse conclure par toi-même mais je préfère ne pas entendre le qualificatif  dont tu vas me gratifier !! »  




01 avril 2021

Près du tombeau.



  J’imagine, en ce premier jour de la semaine, Satan arcbouté derrière la pierre, maintenant close la fermeture du tombeau où gît le « Prince de la Vie ». Ce gêneur, cet imposteur, celui qui étalait au grand jour par sa seule présence les œuvres obscures des puissances du mal est enfermé définitivement dans les entrailles de la terre, dans ce shéol visqueux des êtres sans consistance. Et pour être sûr de maintenir étanche le couvercle de pierre pendant les trois jours requis pour bien  valider la mort, il appelle à l’aide les foules imbéciles qui, pour quelques deniers, se laissent séduire.


Or voici que l’aube lève. La nuit de la vie ne résistera pas à la clarté et à la chaleur renaissantes. Quelques femmes en pleurs s’approchent et la sécheresse du rocher se fissurera sous l’ondée bienfaisante des larmes ; le silence mortel laissera  filtrer le murmure d’une espérance inouïe.
Qu’adviendra-t-il du tombeau de notre monde ? Comment ne pas être effrayé par le pouvoir du mal qui étend son empire et s’infiltre jusque dans l’âme d’enfants ou d’adolescents qui battent, qui noient, qui tuent celle qu’ils appelaient « copine » ? Comment après des siècles de civilisation et de culture en vient-on à violer femmes et enfants ? à égorger un vieux prêtre, un enseignant ? à empoisonner un opposant ? à asphyxier un simple récalcitrant ? à laisser la mer engloutir une partie de nos enfants qui cherchaient un pays accueillant ?


Il faut croire que les feux de l’aube n’éclairent  pas assez, que les pleurs glissent sur la pierre lisse et que l’homme résiste encore à l’injonction  divine: « Arrière Satan ! ». Car il y a en chacun de nous un Simon Pierre, ardent à suivre le Christ, et un Satan, prêt à l’abandonner.
Mais confiance ! Les « portes de l’enfer » ne sont pas scellées à jamais.  Le Christ est ressuscité, la pierre est roulée, l’Esprit s’est répandu dans le jardin d’une nouvelle genèse. Déjà un brin de vie verdoyant s’est incrusté dans l’entaille de la dalle. Les larmes et le sang du pressoir de la Croix l’arroseront  et la lourde chape du mal se fendra et basculera dans son néant…




"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.