21 avril 2008

Cabanoule

Un lieu-dit du Gard, perché au dessus d’Anduze. Le « Capelan du curé » surveille ce petit hameau qui bruisse encore des marches nocturnes et des assemblées secrètes des Huguenots pourchassés qui se réfugiaient dans leur « désert » tout proche. Chênes verts et pins sylvestres unissent leurs maigres forces afin de recouvrir les sentiers forestiers de leur bienveillance ombrageuse.
Pour y parvenir et en partant de l’Occident des Pyrénées, il faut changer de correspondance à Toulouse et Montpellier. Immenses gares grouillantes, pleines à craquer et vides à en pleurer. Des centaines de passagers se croisent sans un mot, sans un sourire, le regard fixe, comme si chacun flottait dans le vide, occupé à trouver son chemin parmi les autres humains inexistants. Ceux-ci pourraient être plus nombreux encore, puisqu’ils n’existent pas. Dans la brasserie quelques jeunes parlent. Les uns portent un uniforme de police, les autres celui des petits caïds des halls d’HLM. Le ton monte, la tension est palpable, le silence alentour se fait lourd de réprobations opposées, le groupe quitte les lieux. Le grand vide tourbillonnant s’installe à nouveau.
Cabanoule. Au terme d’un itinéraire aux noms fleuris, une vieille bâtisse transformée en petit monastère de « La paix Dieu » et onze religieuses cisterciennes. Et, tout à coup, la sensation d’une présence, d’un plein…mais léger, d’un silence… mais habité. Des pas feutrés, des portes qui ne claquent pas, des sourires, des regards vivants… des étudiants qui bûchent leurs examens, des sessionistes sérieux. Dès quatre heures et jusqu’à vingt heures les sentinelles silencieuses et priantes de cette combe sauvage veillent, accueillent, n’imposent rien. Seule la cloche rappelle : « Si tu veux chanter les psaumes… »
L’usager de la gare devenu spectateur de ce monde nouveau se pose alors la question : « La vie, la vraie, qui l’a trouvée ? Ces milliers d’automates planant au dessus d’eux-mêmes et des autres ou ces onze orantes dans leur solitude commune ? »
Et cependant, dans ces gares, dans ces métropoles urbaines, chacun cherche une présence et peut être d’abord la sienne. Une présence qui vienne combler le grand vide, rompre sa solitude immense et intime. C’est le moment de recueillir dans le silence léger les mots furtifs du Libre Passant : « Je suis le chemin… Comme je suis présent à mon Père, je puis être présent à toi…mais, seulement, si tu le veux. »

10 avril 2008

Vingt-Trois :
C’est le nom du cardinal de Paris. Il pose un diagnostic clair de l’Eglise de France. Elle est fatiguée, constate-il. « Mais plus que la lassitude quotidienne qui ne nous effraie pas (il parle des prêtres diocésains), ce qui pèse le plus lourd, c’est le sentiment, plus ou moins fort, d’être entraînés comme dans un tourbillon dont ni le sens ni le but ne sont clairs et de ne pas voir encore se lever la génération de nos successeurs. » Il a raison. Ce qui est lassant et encore plus énervant, ce sont encore ces propos sempiternellement rassurants qui incitent à rester dans le tourbillon et à s’étourdir suffisamment pour se donner au moins bonne conscience : « J’ai fait tout ce que j’ai pu, j’ai ramé comme un forçat sans changer de direction, sans remise en question de la navigation, Dieu s’y retrouvera… »
L’un des ces discours est particulièrement subtil. « De quoi vous plaignez vous les chrétiens ? La société civile, du moins en Occident, a fait siens les principes essentiels de votre religion. On se soucie des malades, on ne laisse pas les chômeurs sans allocations, on aide les mères célibataires, on éduque les enfants, on assiste les vieillards, on muselle les violents, on respecte les opposants. Bref, les droits humains sont une des préoccupations essentielles des citoyens et des gouvernants. L’Eglise a réussi puisque le message évangélique est passé dans les mœurs. Il est donc normal qu’elle se sente moins utile, qu’elle fasse moins recette. Ce qu’elle offrait autrefois sur les autels en exclusivité se retrouve sur tous les étals en sécularisé. ! » Ce genre de raisonnement rappelle l’espoir que faisaient naître les progrès de la science à la fin du 19ème siècle et que certains esprits éclairés formulaient ainsi: « Plus la civilisation se développera, plus vite la religion disparaîtra ! »
C’est oublier qu’une civilisation coupée de ses racines tombe très vite en barbarie. Ce sont bien des jeunes hommes d’un pays civilisé qui ont déployé une banderole insultante dans des tribunes d’un stade. Ce sont, certainement, des gens scolarisés dans l’école de la République qui ont saccagé le carré musulman d’un cimetière militaire. Sans fouiller dans le registre raciste ou haineux, ce sont bien des enfants de gentils parents qui ont continué leurs tours de manège tout près des médecins et pompiers qui s’affairaient à soigner d’autres enfants blessés par un de ces engins emballé : « Vous comprenez ils auraient été traumatisés et... ils avaient payé leur ticket ! » Ce sont même des personnes d’un certain âge qui n’arrêtent plus leur voiture lorsqu’un cortège conduit un frère humain au cimetière ; et encore moins lorsque le monument aux morts a la mauvaise idée de se situer au bord de la route, et que, le 11 novembre, quelques attardés égrènent les « morts pour la France » en souvenir de ceux grâce auxquels nous sommes là. Et que dire encore de ces dates de fêtes religieuses qui n’évoquent plus que départs en vacances, bouchons de la circulation, ripailles des enfants de Dieu. De quoi nous plaignons nous puisque Emmaüs évoquera pour quelques initiés un Abbé coiffé d’un béret et pour les autres le bric à brac du dimanche après midi.
Oui, il est plus que temps Monsieur le cardinal, de prendre au sérieux vos propos. Les prêtres sont lassés, mais les fidèles aussi, de tenir à bout de bras un paquebot surchargé de ravitaillement spirituel dont de trop nombreux passagers n’ont plus le goût. Il est temps de mouiller le bateau dans une crique abritée, de poser les rames, de prendre le temps nécessaire pour nous demander non pas comment perpétuer notre belle civilisation, mais comment l’évangéliser. Alors, « nous et l’Esprit Saint » nous allégerons la barque et, enfin, nous nous occuperons de jeter le filet…et tous les pêcheurs savent qu’il est moins fatiguant de tirer un filet plein à craquer que de passer le temps à laver le pont !

01 avril 2008

L’aronde légère
Les trois petites fusées venues en reconnaissance rapprochée à l’heure du printemps se sont transformées en escadrilles de chasse. Garez vous mouches, moustiques et moucherons, alerte à toute la gent ailée. Par temps d’orage vous n’échapperez pas à leur rase motte périlleux ; les jours de grand soleil évitez les balades sur les ondes azurées. Quand les Spitfires sont de sortie tout objectif visé par leur radar se transforme en cible gustative de choix. Virages sur l’aile, vrilles, piqués, vols planés, c’est un festival de l’acrobatie aérienne la plus sophistiquée, dans la catégorie des figures libres et improvisées.
Les inventeurs du futur nous prédisent un avion à ailes modulables qui pourrait rivaliser avec les prouesses de l’oiseau. Icare s’en lèche les plumes de plaisir.
Je lance un défi à tous les « Latécoère » du monde. Qu’ils fabriquent un avion aussi reproductible, aussi peu polluant et aussi gazouillant qu’une hirondelle de printemps et je me fais parachutiste !
Emplissez le ciel joyeuses commères et racontez- nous sans fin vos voyages au long cours dans ces pays chauds qui vous accueillent, sans papiers et sans formalités, pour le seul plaisir de nous faire rêver…
« Le passereau même a trouvé une maison,
et l’hirondelle un nid pour elle
où elle pose ses petits :
tes autels, Seigneur,
mon Roi et mon Dieu… »Psaume 84
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.