22 mai 2020

Merci qui ?





On nous a demandé sur tous les tons de profiter du ralentissement général de nos activités pour retrouver le temps de savourer les choses simples de la vie. Nombreux sont ceux qui en ont profité pour franchir le pas du remerciement. « Merci » est bien l’un des premiers mots que nous avons appris mais dont l’usage spontané a toujours demandé un certain entraînement. Les citadins l’ont réinventé magnifiquement et collectivement tous les soirs à 20h.
 Un merci individuel, oral ou mental, n’est-il pas le bienvenu, tous les matins en nous levant, pour ce sommeil réparateur et pour le prodigieux mécanisme vivant de notre corps qui continue son travail nocturne sans l’accord de notre volonté consciente ?
Merci pour cette journée nouvelle qui nous est accordée, pour la compagnie indispensable de nos proches qui nous oblige à rester des « humains ». Merci pour ce monde de lumière et de couleurs : ces bleus de l’ancolie et du myosotis des fossés, cette palette de verts qui revêt prés et forêts, ce festival flamboyant des premières roses qui éclatent au soleil.  Merci pour la pie jacassière et le clapotis discret du ruisseau. Merci pour cet air à respirer exhalant les fragrances printanières. Merci pour ces gestes d’attention et de solidarité qui embaument la monotonie des jours. Liste inépuisable et renouvelable de mercis, simples et variés, adaptés à toutes les situations et proférés à volonté !
Merci qui ?
A la vie avec un grand V disent certains, aux forces cosmiques, à la nature, au grand Tout pour d’autres. Merci au donateur inconnu pour ne pas faire de jaloux !
Suzon, la maraîchère, redressait son dos cassé par le binage d’un long sillon. La splendeur des Pyrénées lui sautait aux yeux, lui arrachant un « Merci mon Dieu !» .
Tous les matins, Danièle, pensive, laisse défiler les visages des êtres chers, présents et absents, et ajoute un « Merci à toi, notre Père ».
Ce « Dieu Père » restera pour une part le grand donateur inconnu car inconnaissable à portée humaine. Mais Celui dont on nous dit qu’Il reflétait son Image a condensé sa vie en un suprême merci appelé Eucharistie. Alors, en l’absence du rite et unis à Lui, faisons de nos mercis le pain quotidien de la messe la plus simple et la plus gratuite qui soit.



01 mai 2020

Des prêtres et du virus



Surpris par le vide qui s’ouvrait sous leurs pieds, terrifiés par un emploi du temps vierge de réunions, d’offices, de préparations, de permanences et de rendez-vous, certains confrères se sont jetés avec une sorte de frénésie sur les réseaux sociaux qui avalent tout ce qu’on leur donne, de bon ou de mauvais goût. Le retraité du ministère ne peut qu’être admiratif de la débauche d’initiatives et de la créativité débordante qui se sont emparées des presbytères durant cette période de retrait forcé. L’illettré du jargon informatique et l’analphabète des applications diverses applaudit à l’agilité digitale de tous ceux qui, en un tour de main, transforment l’autel de la messe en studio TV et le site paroissial en église portative. Il se souvient néanmoins du verdict sans appel de son professeur de français qui notait en marge de ses rédactions en panne d’inspiration, un cruel : « remplissage ! »
La fête des Rameaux 2020 restera dans les annales des innovations liturgiques. En matière de bénédiction en drive ou à domicile, à coups de goupillon ou de pistolet à eau, on a à peu près tout vu. Dans cette surenchère de scoops, il est curieux que personne n’ait songé à employer un drone cracheur d’eau bénite survolant les balcons verdoyants au son d’un superbe Hosanna! Les pasteurs américains y auraient pensé s’ils avaient été confinés.

Beaucoup d’autres prêtres et peut-être, aussi, les mêmes, souhaitons-le, ont essayé de se rendre utiles en manifestant de bien des manières leur solidarité et leur attention à ceux et celles qui étaient les plus exposés et les plus démunis. Ils ont alimenté des partages de textes, de méditations, d’intentions de prière. Ils ont profité de ces jours calmes pour eux-mêmes mieux prier et pour dégager l’essentiel de l’accessoire. Qu’ils en soient loués ! Cet essentiel, notre Pape l’avait rappelé dans sa première lettre : « Le temps est supérieur à l’espace ». N’allons-nous pas trop vite en besogne en occupant le terrain, en inondant les réseaux sociaux sans prendre suffisamment la peine  de nous inscrire dans l’histoire et la culture du peuple auquel nous sommes envoyés, de humer et de nous imprégner des changements de mentalité  que cette crise a déjà provoqués en profondeur dans notre société ?        
   
Mais ce qui a le plus intrigué le chroniqueur qui fait toujours partie de la confrérie, c’est cette sorte de volupté  qui émanait des acteurs de ces mises en scène. Il faut croire que la mode des selfies a créé une sorte d’addiction dans les membres du clergé. Rien de plus normal que de se servir des moyens de communications pour laisser retentir la Bonne Nouvelle, mais l’omniprésence du prêtre et l’absence des représentants de la communauté chrétienne laisse songeur !

Autre sujet d’étonnement, cette précipitation à vouloir à tout crin recommencer  « comme avant » au point d’interpeler le gouvernement sur cette situation d’urgence spirituelle. Oui, cette période nous a appris que les signes quels qu’ils soient sont indispensables à la vie. Oui, le confinement total est mortifère. Oui, on peut déplorer la suppression des offices centraux de la Semaine Pascale. Non, le signe virtuel interchangeable et modelable à souhait ne saurait remplacer l’affrontement de la réalité des personnes vivantes car dans ce corps à corps,  il en va de l’Incarnation elle-même ! 
Mais a-t-on vraiment pris le temps d’écouter l’appel que nous lancent nos églises vides ? Allons-nous encore continuer à piaffer d’impatience ou inventer d’autres ersatz du culte dominical ?
Pourquoi, plutôt, ne pas mettre à profit ces quelques jours qui nous séparent de la « reprise » pour lancer un sondage parmi les paroissiens : « Qu’est-ce qui vous a le plus manqué pendant ce confinement ?
En l’absence d’Eucharistie, avez-vous été le plus privé de la dimension fraternelle de la communauté ? Du partage de la Parole de Dieu ? De la Communion ? Et quelques autres questions de ce type…
Nous aurions certainement bien des surprises et les conseils paroissiaux auraient matière à réfléchir et à réagir !

Un théologien tchèque, Tomas Halik résume la situation en ces termes : « Nous pouvons, bien sûr, accepter ces églises vides et silencieuses comme une simple mesure temporaire bientôt oubliée. Mais nous pouvons aussi l’accueillir comme un kairos – un moment opportun « pour aller en eau plus profonde » dans un monde qui se transforme radicalement sous nos yeux. Ne cherchons pas le Vivant parmi les morts. Cherchons-le avec audace et ténacité, et ne soyons pas surpris s’il nous apparaît comme un étranger. Nous le reconnaîtrons à ses plaies, à sa voix quand il nous parle dans l’intime, à l’Esprit qui apporte la paix et bannit la peur. » (1)
Merci aux prêtres qui soigneront patiemment les racines au lieu de gratter  fébrilement la surface !

(1) Site Hebdomadaire La Vie 24 04 2020

"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.