25 décembre 2023

Miracle de la crèche

Il pleut depuis un mois. Ce soir, l’averse redouble. Par acquis de conscience, Francette endosse une vieille pèlerine et se dirige vers l’église voisine, une clef dans la main. Faute de visiteurs et de croyants, on a décidé de ne l’ouvrir désormais qu’une fois par semaine, alors que pendant des années, elle avait fait l’objet des soins attentifs d’une fidèle paroissienne. D’ailleurs, lorsqu’on voulait rendre hommage à une maison accueillante, un dicton de la langue béarnaise comparait sa porte à celle de l’église : « toujours ouverte ». 


Dans l’embrasure, une forme noire, dégoulinante, s’appuie sur les pierres usées et attend la fin du déluge. Présentations à distance (on ne sait jamais), il s’agit d’un jeune randonneur parti à l’aventure. Il demande s’il peut passer la nuit dans le porche. Francette hésite puis acquiesce, avec le sourire. Dans ses jeunes années, ses randonnées en montagne surprises par la bourrasque s’achevaient souvent dans le porche accueillant d’une chapelle romane. Ce souvenir, ce soir, éclaire l’épaisse obscurité.

Pendant la nuit, elle se remémore qu’elle avait descendu la caisse qui contenait les personnages de la crèche et qu’elle l’avait abandonnée dans un recoin avant de vérifier leur état de propreté. Mais, faute d’aides volontaires, elle avait décidé de ne pas la déballer ni de l’exposer  à sa place ordinaire : « Puisque personne ne viendrait ! »

Le lendemain, après un lever du jour encore maussade et bien paresseux, elle reprend le chemin du clocher. Personne dans le porche, ni dans l’église. Cependant quelque chose l’intrigue. Sous le modeste autel en bois, le pot de fleurs artificielles a disparu et s’approchant, elle distingue sagement disposés en bon ordre, Marie, Joseph et l’Enfant. Sous le berceau de Jésus, un bout de papier froissé et griffonné : MERCI !

Miracle de la crèche : Un signe de gratitude ! En ce temps d’incivilités, de violences, de migrations meurtrières, de calamités climatiques, de guerres atroces, un jeune homme anonyme avait trouvé une porte ouverte par une inconnue  et un refuge auprès d’un Enfant aux bras ouverts depuis 2000 ans! Merci ! Un éclat d’humanité !

La chronique locale retient que quelques villageois voulurent en avoir le cœur net. Ils entrèrent, ce jour là, dans l’église, en esquissant même un rapide signe de croix ! Miracle collatéral !

A chacune et chacun : Vrai Noël !

06 décembre 2023

« Jusques à quand Seigneur ?…»

 « Jusques à quand Seigneur ?…» demande le psalmiste angoissé.
Ps 89,46
« La bête humaine » ! Quand elle est majoritaire et qu’elle a l’appui des puissants, elle s’étale en écrasant tout ce qui la gêne. Quand elle est minoritaire et suspecte aux yeux de ses voisins, elle baigne dans le ressentiment, puis elle fait sauter le joug trop pesant.
La fin du 20ème siècle a préparé l’explosion de toutes les minorités. A commencer par celles des peuples premiers qui avaient été laminés par la culture des nouveaux arrivants, jusqu’aux minorités grammaticales refusant que le masculin l’emporte sur le féminin.
En effet, quand une majorité de citoyens de par son poids et sa masse impose la norme sociale et culturelle, elle ne se rend même pas compte qu’elle engendre sur ses marges une société parallèle hybride, composée de toutes les minorités qui se sentent, à tort ou à raison, exclues de ce bien commun.
Ne supportant pas l’existence de ces verrues sur sa peau, la société établie parque ces minorités dans des réserves ou les détruit culturellement, si ce n’est physiquement.
Or, il arrive que des individus « hors normes » ne supportent ni l’exclusion, ni l’assimilation, ni la destruction. Pour faire entendre la voix de leur existence ignorée, ils lancent le cri de ralliement de tous les marginaux. Ce cri, devenu celui de tout un peuple, se décline en revendications politiques.
Malgré l’usage d’une langue commune, les imposants et les imposés ont une compréhension opposée des mêmes paroles. 

La « terre » d’une culture industrielle n’a pas la même résonnance que la « terre » nourricière des ancêtres. Dialogue de sourds, dit-on, traversé par le hurlement de douleur ou de rage.
Quand l’incompréhension ajoutée à la surdité dresse un mur de plus en plus infranchissable entre des communautés imbriquées, les revendications orales laissent la place aux actes violents.
Et ceux-ci génèrent des paroles devenues in/sensées pour les uns et les autres : terroriste ou combattant ?
Ajoutez à cela, le récit plus que bimillénaire d’une histoire de frères ennemis issus d’un ancêtre commun, et vous avez tous les ingrédients pour laisser se déposer sur des relations devenues impossibles, la lie d’une haine monstrueuse.
« Esaü prit Jacob en haine » à cause d’une bénédiction usurpée… (Gn 27,41) Quant à Ismaël, il se souviendra toujours que sa mère fut une répudiée.
Hélas ! Un déluge de bombes n’ouvrira ni les oreilles ni les yeux des frères ennemis. Seul, le sang de l’Innocent pourra « faire tomber le mur de la haine » affirme St Paul, l’ancien persécuteur.

"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.