21 décembre 2020

Pourquoi je préfère le Christ à tous les autres messies

 
-    Parce qu’il n’a rien écrit et qu’il n’a pas rédigé un corpus de doctrines bien charpenté réservé aux lettrés et aux érudits. Il n’a laissé  que son « corps », sa personne à aimer, mise à portée de tous.
-    Parce qu’il n’a pas prévu un panthéon ou une pyramide où honorer sa présence momifiée. Nous n’avons de lui qu’un portrait-robot accroché à une croix, les bras ouverts.
-    Parce qu’il n’a pas fondé un système politique assis sur le socle d’une constitution intangible. Il a remis son message et son œuvre entre les mains fragiles d’hommes simples dont il avait fait ses frères.
-    Parce qu’il n’a pas passé  son temps à compter ses adeptes et à convoquer les médias ; parce qu’il n’a même pas eu l’honneur de mourir comme un prophète et qu’il est allé jusqu’au bout de la dérision, de la souffrance  et de l’oubli du tombeau.
-    Parce qu’il ne nous demande pas d’être des combattants d’élite, des sages reconnus, des orateurs écoutés mais  simplement des hommes ouverts, à portée de cœur, aimant et espérant envers et contre tout.
-    Parce que le Dieu de Jésus Christ est toujours un exilé. Exilé de toutes les images qu’on a voulu lui coller : le Dieu paysan maître des pluies et des moissons; le Dieu royal détenteur de toutes les puissances ; le Dieu justicier faisant loi ; le Dieu soldat et victorieux de l’ennemi ; le Dieu conceptualisé des théologies bien ficelées et le Dieu miraculeux des spiritualités avides de signes. Bref, un Dieu à notre « image et ressemblance ». On se souvient de la réflexion de Voltaire : « Dieu a fait l’homme à son image et l’homme le lui bien rendu ! »

Je préfère le Christ parce qu’il est le seul à me présenter un Dieu qui ne s’impose ni à mon intelligence ni à mes performances, qui ne répond pas à tous mes besoins, qui s’échappe de tous les  temples et de tous les cadres prévus pour lui ;  un Dieu qui prend le risque de se laisser aimer ou ignorer. Un Dieu « léger » et discret et non pesant et omnipotent. Un Dieu au-delà de toutes les images et de tous les fantasmes et cependant si « humain » et si proche…Ce Dieu-là n’a pas besoin de « faire le Dieu » pour l’être vraiment.
Avec ce Dieu-enfant, bon Noël malgré tout !


03 décembre 2020

Nous sommes cette Eglise…


 …qui patiemment et parfois brutalement a étendu sur les peuples de la terre son blanc manteau protecteur, alourdi au fil des temps de pierreries étincelantes, brodé d’écussons et d’armoiries chatoyantes glanés au cours de sa très longue histoire. Partout les cloches tintaient à l’heure de la prière, partout les humbles clochers et les fières cathédrales pointaient leurs flèches vers le ciel, partout la croix rappelait le Chemin, la Vérité et la Vie. Au point que notre Eglise s’était prise à rêver d’un monastère planétaire réglé au rythme minimum des angélus qui répandaient trois fois par jour un peu de ciel sur la terre des labours et des moissons.


Trop occupée à étaler son voile blanc jusqu’aux extrémités de la terre et trop assurée de la puissance de la grâce, notre Eglise a également recouvert d’un jute de silence immondices et turpitudes répugnantes. Elle a cédé elle-même à l’impunité du sacré et le voile blanc en a été gravement souillé. Il a fallu le courage de quelques-uns pour le soulever et mettre au grand jour ses complicités et son péché. Désormais, un châle de soupçon pèse sur ses épaules et brouille ses paroles.


A l’occasion du retour des grandes peurs pandémiques et de la suspicion généralisée qui sont venus « alimenter » un jeûne eucharistique imposé, l’heure est venue pour elle de retirer sa robe de noce fanée et salie, de quitter ses tenues d’apparat, de se glisser sous la bure grossière des anonymes, le sac et la cendre des pénitents. Sans toutefois souffler la flamme qui la fait vivre et laisser rassir le pain qui la nourrit. Après le temps du deuil et des larmes viendra celui de l’eau vive et rafraîchissante d’un  baptême renouvelé. Elle pourra, alors, enfiler l’aube légère d’une renaissance attendue.


Nous sommes cette Eglise hors les murs qui se retrouve en une multitude de cellules vivantes et priantes, qui laisse ses cris et sa sourde rumeur se répandre sur les pages de l’internet, qui clame son désir de revêtir « l’homme nouveau », qui demande à l’Esprit un souffle neuf. Sera-t-elle entendue ? Nous sommes cette Eglise qui ne désespère jamais car Il est venu et Il viendra…




Attendre

 


 « Je n’attends plus rien de la vie » constate le vieillard lucide qui en a tant vu. « Je ne sers plus à rien » se désole la vieille maman qui attend le plateau repas de l’EHPAD. Elle sait d’expérience  que la vie est mouvement, action ; que ruminer le passé ou rêver le futur ne font pas avancer les choses. « Je n’ai pas le temps d’attendre» halète le poly-actif agité.
La Bible, qui elle aussi « en a tant vu », connaît le temps sans fin, sans but,  qui  semble s’enrouler sur lui-même dans une monotone répétition des jours, des nuits, des saisons, des guerres cruelles et des paix éphémères. Emporté par les rouleaux de l’histoire, balloté entre déportations, oppressions et occupations, le peuple des croyants n’en finissait pas de subir le temps et n’attendait plus rien des lendemains. « Rien de nouveau sous le soleil » concluait le sage Qohelet désabusé.   
Face à cet horizon fermé par l’éternel retour de l’insignifiant ou du mal, un prophète un peu fou relève la tête : « Ne vous souvenez plus du passé, je vais faire du nouveau » fait-il dire à Dieu et le voilà qui annonce des « cieux nouveaux et une terre nouvelle». Ne ruminez plus les splendeurs d’autrefois, ne rêvez plus à l’impossible victoire, visez l’impossible répétait Isaïe.
 Qu’est-ce qui lui permettait d’entonner ce refrain alors que les épaules des prisonniers ployaient toujours sous le joug du vainqueur ? Une foi inébranlable en Dieu. Un Dieu qui ne supprimera pas les rouleaux incessants de l’éternel retour des choses de la vie et de la mort mais  qui nous rendra capables de transformer le futur  en avenir, ouvrant  ce temps répétitif sur l’éternité.
Comme les captifs de Babylone,  ne sommes-nous pas acculés à subir les éternels errements de l’histoire, qui n’ont d’autre issue que de butter sur l’épuisement de l’univers et la mort individuelle? La période de l’Avent semble entrer, elle aussi, dans cette impression de déjà vu. Or cette attente de Noël vient greffer sur les troncs noueux de nos rêves déçus, un rameau  qui fleurira en « cieux nouveaux et terre nouvelle ». Non, notre radicale pauvreté n’ouvre pas les mains de notre prière sur une chimère, notre attente n’est pas vaine. Nous savons qu’Il est déjà venu et qu’Il vient encore… 




"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.