21 octobre 2023

Du pain, des hommes et de la terre.


  En 1967, Henri Mendras nous avait gratifiés d’une analyse au titre prémonitoire : « La fin des paysans ». Si l’on s’en tient à l’idée traditionnelle attachée à ce mot, la prophétie du sociologue est réalisée.
Tablant sur des constatations chiffrées, Bertrand Hervieu (1) et François Purseigle, dans une récente étude envisagent « Une agriculture sans agriculteurs ». Une tendance lourde apparaît aujourd’hui qui consiste à confier l’exploitation de la terre, clé en main, à des sociétés. Elles prennent tout en charge, du labour à la récolte en passant par l’administration de la ferme et la commercialisation des produits. Il en résultera au moins trois agricultures. La première entièrement contrôlée, robotisée et financiarisée fournira la base d’une alimentation de masse; la deuxième sera encore gérée par l’agriculteur ou l’agricultrice et s’apparentera à l’exploitation familiale classique. La troisième, la moins gourmande en hectares, s’adaptera à des demandes plus locales et plus spécifiques.
Même constat établi par « l’atelier paysan » qui, dans un ouvrage collectif, veut « Reprendre la terre aux machines ». L’analyse est encore plus cruelle que celle de l’ouvrage précédent et ne laisse augurer d’aucune échappatoire au système mis en place.  De l’avis des auteurs, sous l’emprise incontrôlée du machinisme, l’agriculteur indépendant est devenu au mieux un sous-traitant, sinon un agent technique des firmes industrielles et des marchés financiers.

Il y eut un temps, dont certains se souviennent encore, où l’on répétait sentencieusement  que « la terre commandait ». Nous avons cru pendant 60 ans que l’homme lui imposerait, enfin, sa loi. Mais le consommateur calcule, la terre se rebelle et le paysan désespère. Cependant autour de lui, des initiatives porteuses de perspectives nouvelles voient le jour, issues de la réflexion et de l'engagement de jeunes et de moins jeunes agriculteurs, mais aussi d'autres professions. Tous veulent vivre de leur métier, dignement, avec des conditions de travail et de revenu meilleures que celles de leurs prédécesseurs. Et voici l’agriculteur(trice) sommé(e) une fois de plus de se remettre en question. Au fond, l’enjeu n’est-il pas, encore comme toujours, de renouer l’alliance du pain, de l’homme et la terre avec l’aide, s’il le faut, du robot et de l’intelligence artificielle ? Avec le risque récurrent de se laisser séduire par ces nouveaux dieux qui veulent faussement nous libérer. 


NB Voir la lettre de l’Ifocap-Adour et écouter la conférence de B. Hervieu donnée lors des Trente ans de l’Institut des cadres paysans et acteurs de pays des pays de l’Adour.

 

12 octobre 2023

Bien avant « Laudate Deum »(1)


 Un jeune aumônier accueillait un groupe d’étudiants dans le village de Lescun, au lieu dit « la patte d’oie ». Groupés autour du rocher emblématique, ils contemplaient la perle du Béarn dans son écrin de pâturages et de granges posées sur leur damier verdoyant. Toujours soucieux de transmettre, il leur expliquait comment le mode de vie des habitants avec les trois niveaux de résidence, la maison de l’hiver frileusement blottie contre les autres, plus loin la « grange » des travaux de l’été et, enfin, la cabane du berger perchée dans sa montagne, répondait à la configuration  géographique de ce village. Ces jeunes n’imaginaient pas que, près de chez eux, pouvait vivre une population aux contraintes si différentes des leurs et au mode de vie parfaitement adapté à son milieu naturel.
Et voilà qu’au beau milieu de cette leçon de choses, l’aumônier déclara : «  Et dire que des barbares avec leurs bâtisses, leurs chemins et leurs tracteurs  sont venus « dégueulasser » la belle montagne primitive en décimant les arbres, en rasant des rochers, en délogeant les bêtes et en ouvrant des couloirs d’avalanches!! »
Même les jeunes les plus sensibles aux questions environnementales en furent interloqués. Ils ne voyaient pas en quoi cette intrusion des hommes, qui n’avait fait qu’ajouter de la beauté à celle de la nature, pouvait être répréhensible. Et le jeune abbé provocateur d’expliquer que dans des temps lointains une belle forêt primaire couvrait ce versant montagneux, que ours, chevreuils et coqs de bruyère en avaient fait leur royaume et que son accès étant impossible, nul regard humain ne venait polluer la sérénité secrète de ce lieu.
Les jeunes comprirent vite le message de cette intervention surprenante.  Une vision excessive et intégriste de l’écologie n’a pas de sens sauf à éliminer l’homme de la surface de la terre. Partout où il met les pieds et les mains, il transforme le milieu qui le fait vivre.
Quand il le fait avec discernement et modération, quand agri/culture rime avec « culture », elle se développe dans une harmonie réfléchie entre les besoins de l’homme et ceux de la nature. Alors l’empreinte humaine se fond sans dégâts majeurs dans le paysage qui lui est donné pour être cultivé, c’est-à-dire pour entrer lui aussi en « culture ».
Ces jeunes ont peut-être retenu que l’extrémisme des positions ne génère que des simplismes réducteurs alors que la modération, à ne pas confondre avec  faiblesse de conviction ou lâche compromission,  devient une ardente vertu.

    (1) Dernière exhortation du Pape François



"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.