07 juillet 2023

Des catholiques nouveaux


(à avaler avec un verre d’eau fraîche pendant les vacances)


Sylvia  s’inquiète : «  Que pensez-vous de ces jeunes qui se retrouvent dans les églises et qui ont l’air de s’approprier avec un certain bonheur  les rites et  les traditions que nous trouvions désuets et que nous avions abandonnés peut-être sans précaution ? Ne sont-ils pas le reflet de toute une génération qui ne supporte plus de voir une société qui se délite de plus en plus faute de valeurs et de références communes ?  Ne trouvez-vous pas que l’on devrait accorder plus d’attention à ce phénomène même s’il reste marginal par rapport à l’ensemble de la jeunesse du pays ? »

 
« Ces jeunes sont les petits-fils de ma génération. Leurs grands-parents ont vécu leur enfance dans le berceau de ce  qui restait de la chrétienté. La famille, l’école, la mairie, l’Eglise « tiraient » dans le même sens. Nous sortions de la guerre, il fallait reconstruire le pays. On avait besoin de bras et de têtes sur lesquels on pouvait compter. D’où une éducation homogène basée sur les grands principes du décalogue version chrétienne ou laïque selon Jules Ferry mais qui se rejoignaient sur l’essentiel. La malhonnêteté, le mensonge, la diffamation, le non respect de la loi ou des parents, le travail bâclé, le manque de conscience professionnelle, autant de choses bannies et proscrites dont on ne discutait pas du bien ou mal fondé. Malgré les soubresauts de l’histoire et le changement de monde qui accompagna les « trente glorieuses », ce soubassement culturel n’a pas été entamé pour une majorité d’hommes et de femmes de cette génération.
 

Il n’en va pas de même pour les deux générations qui ont suivi. Les quadragénaires d’aujourd’hui sont nés à la fin de cette période de progrès prodigieux et inquiétant à la fois, de paix relative en Europe, d’une certaine aisance acquise qui a largement favorisé l’individualisme et le « chacun pour soi ». L’Etat s’est de plus en plus préoccupé du bien-être des citoyens. Les organisations professionnelles et sociales ont pallié les déficiences de la société.  L’individu, moulé par son origine et la société à laquelle il appartenait, conscient des devoirs à lui rendre, est devenu avant tout un sujet de droits. Il a grandi dans une famille et une école de plus en plus attentives à son épanouissement au point que tout effort, toute contrainte lui ont été épargnés. Ainsi est née une culture générale du « ludique » et du « rentable » devenue les critères exclusifs de son engagement dans un monde où chacun a voulu être sa propre référence en matière de morale, de politique ou de religion. Ces jeunes n’ont connu qu’une seule religion, celle du culte du « sujet ». « Moi je pense que…moi je crois que… ». Ce qui aurait pu être une reconnaissance de la promotion et de la défense de l’individu face aux forces oppressives de la société s’est transformé en un grand bouillon socioculturel confus, sans repères nets entre le vrai et le faux, le juste et l’injuste, le bien et le mal. « Sans pères et sans repères » s’alarmaient les éducateurs que l’on taxait de « ringards » il y a déjà 30 ans. N’ayant jamais fait l’apprentissage de critères de choix solides, ces jeunes sont devenus la proie de tous les marchands d’illusions. Devenus adultes, ils n’ont vu dans la religion qu’un monde déconnecté du réel.

Une minorité d’entre eux, qui a connu l’ambiance d’une famille traditionnelle et le respect de certains cadres, a pu également bénéficier du support d’une pratique religieuse et d’une vie ecclésiale favorisant l’épanouissement de leur personne. L’Eglise leur est apparue comme le prolongement normal de la vie familiale mais ils furent très peu nombreux dans ce cas car il faut compter sur le temps de l’appropriation personnelle de l’héritage familial et cela ne va pas sans crises ni remises en questions.

 
Les autres, ceux et celles qui erraient dans le désert du super marché des valeurs « liquides » et plastiques, adaptables aux opportunités variables et à l’ego instantané, ont eu connaissance de la foi chrétienne par des voies qui sortaient du cadre classique et qui empruntaient des chemins nouveaux, allant de la lente maturation à l’illumination subite en passant par la rencontre fortuite.
Ils sont entrés dans une église, ils y ont trouvé un lieu étrange, vieillot mais apaisant. L’antithèse de leur monde. Ils sont tombés sur une page d’évangile pour eux d’une totale nouveauté et qui leur paraissait attirante (une bonne nouvelle). Dans cette institution frileuse et moutonnière  ou peut-être en dehors, ils ont fait connaissance de groupes plus jeunes, plus « attestataires »  où l’on savait distinguer encore le vrai du faux, le bien du mal, le permis du défendu, le sacré du profane. Ces communautés bien identifiées leur ont fait l’effet d’une barque dans la tempête et comme des naufragés, ils ont sauté dedans. Devenue leur  planche de salut, elle est l’objet de tous leurs soins ; ils s’attachent à colmater ses brèches, à remettre en valeur les outils de navigation, à repeindre les planches ; ils rehaussent le mât, donnent à la voile des couleurs voyantes et chatoyantes afin que l’embarcation soit bien visible et identifiée. Processions, bannières, autels bien flamboyants, signes ostensibles de piété, ornements scintillants, chandeliers allumés sont l’expression du sacré. Ils sont tellement occupés à rendre ses beaux atours à l’esquif qu’ils en oublient l’essentiel : connaître et comprendre cet océan plus que « chahuté » sur lequel ils naviguent, le monde d’aujourd’hui. Au mieux, celui-ci reste extérieur à leurs préoccupations, au pire il est considéré comme opposé à l’Eglise et mauvais pour le chrétien. De toutes les façons, il faut le changer et infiltrer en son sein, par le biais d’actions caritatives et de propositions éducatives affichées, des cellules qui, par contamination, créeront une contre- société. Un anticorps social et politique sensé être à l’image du Royaume de Dieu.

Il est en effet un peu étonnant de voir resurgir ce goût pour un mode d’Eglise que ces jeunes générations n’ont pas connue.  Mais il ne faut pas croire qu’il s’agit d’une génération spontanée. Dès la fin du concile Vatican II, l’évêque Marcel Lefebvre avait manifesté son refus de l’aggiornamento et créé un schisme. D’autres plus rusés, n’osant pas franchir le Rubicon, ont sapé consciencieusement de l’intérieur les propositions conciliaires en les accusant d’avoir cédé à la modernité, par nature mauvaise, alors que l’effort des théologiens de l’époque consistait justement à revenir à la tradition la plus antique. Ni dehors ni dedans, ils se sont plutôt installés sur une lisière liturgique qui fait appel à une tradition déclarée authentique et séculaire.   
Il ne faudrait cependant pas réduire le mouvement traditionnaliste à un ripolinage de la liturgie. Il a trouvé dans les cales de la barque une théologie néo thomiste qui lui a fourni une vision du monde où le naturel et le surnaturel sont bien différenciés, où la raison est soumise à la foi et ne peut rien lui apporter à priori, contrairement à St Thomas qui avait emprunté le bagage philosophique d’Aristote. Cette théologie a envahi les séminaires et a fourni le vocabulaire nécessaire à un catéchisme qui se veut universel. Oubliés les Congar, les de Lubac, les Teilhard, les Durwell, les Guardini, les Chenu. Il suffit d’asséner et de répéter des formules sensées traduire la « foi de toujours » et de rejeter dans les ténèbres extérieures toutes les théories qui ont amené le monde à l’état de délabrement que l’on sait. En confondant la tradition vivante remontant aux pères de l’Eglise avec la chrétienté qui avait installé, du moins en Europe, une sorte d’alliance entre le civil et le religieux, on jette ainsi le discrédit sur le Concile jugé plus pastoral que dogmatique. Certes son application avait donné lieu à des expériences parfois contestables mais l’ensemble des catholiques avait accepté les  réformes conciliaires. Ironie de l’histoire : ceux qui vouaient  «  ces prêtres de gauche » à la géhenne, les accusant de « faire de la politique » il y a 50 ans, font exactement la même chose aujourd’hui dans le sens opposé.
Revenir à la chrétienté implique donc une action sur la société qui désigne des adversaires et recherche des alliés. L’apport d’appuis idéologiques se fait de plus en plus voyant de la part de certains partis politiques ainsi qu’un soutien financier à peine masqué de grandes firmes pour les institutions mises en place par ce mouvement en matière d’écoles, de moyens de communication, de constructions…A y regarder de près, on peut constater comme un mimétisme qui s’établit entre certains partis politiques en quête de normalisation et ces groupes identitaires catholiques qui enveloppent du manteau de la vraie tradition une véritable stratégie de reconquête et de restauration de la cité des hommes. Et comme l’opinion publique façonnée par les médias a horreur des nuances, le mouvement traditionnaliste, avec ses options claires et souvent sans nuance, bénéficie de titres accrocheurs et finit par être identifié à l’Eglise tout entière.

L’enthousiasme, la sincérité, la générosité, la droiture de ces jeunes ne sont pas contestables. Cette « reconquête » de la société fourmille d’initiatives nouvelles les engageant dans des actions sociales et caritatives mobilisant leurs compétences dans l’aide aux plus démunis et aux marginaux de la société. Il faut espérer, seulement, que ces initiatives découlent d’une charité désintéressée et non d’un désir de récupération calqué sur celui des partis politiques. En prenant de l’âge et en convoquant l’expérience de l’histoire, ils s’apercevront qu’on ne construit rien de durable en s’appuyant seulement sur un « contre » systématique à ce qui s’oppose ou qui est différent.

 Résultat positif : il y a encore des jeunes dans la barque et elle flotte encore ! Les JMJ vont-elles succomber au charme des « gardiens de la tradition » comme l’a fait le pèlerinage de Chartres ? « Ces jeunes cherchent à se former » nous dit l’enquête du journal La Croix du 25 mai 2023. Espérons qu’ils assimileront, entre autre, l’immense travail théologique qui a précédé et suivi le Concile et qu’ils regarderont avec un regard bienveillant l’expérience des baptisés qui l’ont vécu et incarné dans le monde du 20ème siècle. Auront-ils l’audace de poser un regard neuf et sans à priori sur les questions ouvertes par le document de travail mis en œuvre par le synode actuel ?


Résultat négatif : Il faudra attendre peut-être la troisième génération pour que se dissipent les malentendus bien orchestrés et les jugements sans appels qui clouent la génération conciliaire au pilori : « Elle a vidé les églises !!! » répète-t-on sans chercher à comprendre que ce n’était pas tant l’Eglise qui avait changé mais le monde qui l’entourait. Dans la foulée des « trente glorieuses » l’homme de la deuxième moitié du 20 ème siècle n’avait plus besoin, pensait-il, d’un Dieu créateur de la nature et réparateur de l’humanité. Il se suffirait désormais à la tâche ! D’où une désaffection grandissante pour l’Eglise considérée, à l’instar d’un musée, témoin d’un passé révolu. Il ne faudrait pas que le retour des grandes peurs occasionnées par le changement climatique, l’épuisement de la planète, le risque de guerre nucléaire, le monstre de l’intelligence artificielle échappant à la vigilance de son créateur, réveille la religion d’un Dieu vengeur et justicier qui rétablira son autorité sur les décombres de l’humanité. Le monde y perdrait le cœur de l’Eglise du Christ, son message originel, la Bonne Nouvelle de Jésus.


Une espérance et peut-être une heureuse surprise: Que cette fracture qui s’élargit chez les catholiques déclenche une réaction saine et claire de tous ceux et celles qui se refusent à réduire, à inféoder ou à confondre la Bonne Nouvelle du Christ  avec une restauration partisane, quelle qu’elle soit, de la cité des hommes. Dieu et César sont montés dans la même barque. César peut transformer celle-ci en paquebot de croisière mais Dieu peut calmer les flots ! Plus qu’une nuance ! « N’ayez pas peur », malgré les échecs apparents Christ a vaincu le monde et toutes les aberrations que celui-ci s’ingénie à inventer !!

Jan de Bartaloumè,  suite de « L’âne se jette à l’eau » médiaspaul 2023

"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.