La suite inédite de la trilogie : Après " Le roman inachevé du bœuf de la crèche " puis " Incroyables croyants", voici "L'âne se jette à l'eau".

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01 juin 2023

Chronique

 « L’âne se jette à l’eau »(1) ou le catéchiste des périphéries


Puisque cette notion géographique remise au centre par le pape François, est devenue un lieu commun, un âne célèbre, contemporain de Jésus, ayant reçu le don d’une longévité exceptionnelle et de la parole humaine, va l’emprunter et l’adapter à sa modeste personne.
Passons sur les nouvelles aventures trop longtemps ignorées de ce personnage déjà en partie relatées dans un premier ouvrage (2) et retrouvons notre baudet barbotant au beau milieu de curistes français dans un centre thermal des Pyrénées.
Sa présence ne passant pas inaperçue, il se trouve très vite invité à participer aux débats presque quotidiens d’un café philo post cure.
Lesté d’une expérience bimillénaire d’une humanité qu’il fréquente tous les jours, il n’hésite pas à porter un diagnostic sans concession sur la société contemporaine qu’il côtoie. Le résultat fait plutôt triste mine ! L’homme moderne ne donne pas une image réjouissante de la vie. Cette inquiétude permanente qui se lit sur son visage et qui alimente une violence larvée, traduit-elle un dégoût de la vie ou l’insatisfaction de l’être humain à n’être que lui-même et à passer à côté de sa destinée ?
Après avoir mis à contribution les ressorts de la raison commune, notre âne se permet, au gré de ces discussions vespérales d’ouvrir quelques portes sur un domaine peu exploré par ses camarades de piscine : celui des croyances et des religions. Bien sûr, il y entre sur la pointe des sabots car il sait que chacun a des convictions bien tranchées sur ces sujets surtout depuis la révélation des turpitudes révélées au  sein de l’Eglise. Mais le juif qu’il était et le chrétien qu’il est devenu n’hésite pas à rappeler à son auditoire qu’un homme repeint « à l’image et la ressemblance de Dieu » changerait la face de la terre. En outre il retrouverait le sourire de celui qui se sait sur un chemin d’accomplissement! Tout un programme !
Au terme de ces cures bienfaisantes l’âne ne regrette pas de s’être jeté à l’eau. Son arthrose s’en trouve soulagée et sa foi mieux respectée par ses compères baigneurs. Il nous donne rendez-vous au bord de notre piscine baptismale.

(1) Jan de Bartaloumè « L’âne se jette à l’eau » médiaspaul 2023 vient de paraître
(2) Jan de Bartaloumè « Le roman inachevé du bœuf de la crèche » médiaspaul 2021

04 mai 2023

Diacres

 

La liturgie de dimanche prochain nous offre le récit qui, dans les Actes des Apôtres, relate l’épisode du baptême de l’eunuque de la reine Candace, haut personnage du Royaume d’Ethiopie. Le célébrant de ce baptême réalisé en voyage et en urgence est un certain Philippe. Or celui-ci est nommé dans la liste des « sept » qui furent désignés pour « servir aux tables » et reçurent l’imposition des mains des Apôtres. La tradition y vit, peut être trop rapidement, la première institution des diacres.
Or, curieusement, Etienne, le premier de la liste, s’avèrera un prédicateur de haut vol capable de tenir tête aux sommités du Sanhédrin avant de subir le martyre comme un dangereux déviant. Philippe lui, aux prises avec la persécution qui suivit, fut obligé de quitter les lieux et le ministère des tables pour se faire missionnaire et célébrer le baptême de ce fonctionnaire, certainement un juif de la diaspora, lecteur assidu des Prophètes. On peut donc constater que dès le départ ce ministère est fluctuant et s’adapte aux circonstances.


Luc Forestier, prêtre de l’Oratoire, dans son ouvrage « Diaconat, les promesses d’un ministère » (les éditions médiaspaul) reprend l’histoire de cette ordination remise à l’honneur par le Concile Vatican II et analyse ses diverses interprétations. Longtemps le profil du diacre a hésité entre trois pôles : le service de la liturgie, celui des pauvres et des situations de détresse et celui de la mission, en particulier dans les jeunes Eglises en manque de prêtres pouvant assurer le service de communautés trop dispersées et éloignées.


Tenant compte de ces tensions mais aussi des situations diverses de ces hommes mariés ou non (la place de l’épouse étant primordiale), exerçant une profession ou non, engagés diversement dans la société, Luc Forestier s’appuyant sur la liturgie de l’ordination essaie d’unifier ces divergences à la source  en soulignant le caractère apostolique du diaconat. Ce qui, autrefois était et reste encore aujourd’hui, une étape vers la prêtrise, garde un lien direct avec le sacerdoce de l’évêque, successeur des Apôtres.


Même si le mot « diacres » ne figure pas directement dans le texte des Actes, sa lecture nous permet de penser que leur mission est assez souple pour s’adapter aux « signes des temps » et peut encore s’ouvrir aux promesses de l’avenir. Merci à eux!

 

 

27 avril 2023

La boîte à livres

 

Les impatients du volant ralentissent ; ceux qui maudissaient les courbes de ce village tortueux leur trouvent un certain charme ; même les motards qui lâchaient leurs chevaux à cet endroit prennent le temps d’un coup d’œil. Une splendide fresque pastorale orne désormais les murs de la vieille forge qui fonctionnait encore au début du siècle précédent. Nos fières montagnes surplombent un paysage verdoyant, abritent la cabane du berger, ses brebis et son chien. Si ce personnage pouvait parler, il vous relaterait la vie de Grat et d’Etienne qui revenaient chaque automne de leurs hauts pâturages et celle de François, le dernier maître de la forge. 

Grat, le silencieux, une besace sur l’épaule parquait tous les soirs son troupeau dans un enclos voisin pour la traite du soir. Et si vous prêtez bien l’oreille, vous pourrez encore entendre le concert de bêlements, de cloches et de bidons de lait tintinnabulant qui accompagnait ce rituel laitier. Aujourd’hui, les rosiers, de sa petite fille, elle-même bergère, profitent de la vieille fumure.
Il vous ferait certainement partager la bonne humeur d’Etienne en vous relatant les péripéties de la traversée d’Oloron  par ses brebis qui, se mirant dans les devantures des magasins de la ville et croyant avoir à faire à un troupeau concurrent, se préparaient au combat en fonçant dans les vitrines. Des black blocs avant l’heure !
Enfin, il ne manquerait pas de vous camper la silhouette chaloupée de François, qui après une tournée dominicale dans un village voisin qui comptait quelques vignerons, réveillait ses souvenirs vaporeux et entamait le récit de sa grande guerre ainsi: « Quand j’étais Maréchal, à Crève Cœur sur Oise » ! Traduisez : « Quand j’étais maréchal ferrant… » L’ennemi n’avait qu’à bien se tenir !

Les trois compères seraient fort étonnés de savoir que l’artiste qui a créé cette œuvre venait des Landes voisines connues pour les bergers montés sur échasses et que cette nouvelle boite à livres reflétait la diversité démographique désormais inscrite  de nos campagnes. Outre l’ancienne propriétaire qui a cédé le bâtiment et la municipalité qui a conçu et suivi ce projet et qu’il faut remercier, il convient de mentionner que c’est un anglais, un allemand et une nouvelle résidante qui ont prêté leurs talents à sa réalisation. Jasses, terre d’accueil !  Et gageons que les brebis et les vaches du village auront droit à une indulgence plénière quand elles malmèneront notre impatience.

04 avril 2023

Une double passion

 


Nous relirons en ce vendredi saint la passion de Notre Seigneur déjà entendue le dimanche des rameaux. Jamais les chrétiens ne s’habitueront à ce récit à la fois sobre et émouvant qui condense tous les enjeux du salut du monde. Sa reprise par les quatre évangélistes, sa précision dans les détails observés, permettent de penser qu’il faisait partie de la toute première transmission de la Bonne Nouvelle. Il fallait insister, en effet, sur la réalité de cette mort. 


Ce chemin de croix douloureux et poignant paraissait inimaginable et inaudible pour les premiers convertis. Juifs ou grecs d’origine, impossible pour eux d’entendre que Celui qui se disait Fils de Dieu puisse connaître la mort. Un dieu ne pouvait pas mourir de la main des hommes ni des avanies des puissants. L’affirmation de sa résurrection soulèvera moins de questions car, d’une part, on ne savait pas si des personnages illustres comme Elie et Moïse étaient morts  et, d’autre part, on attendait à la suite des martyrs d’Israël une résurrection possible des justes. Il était d’autant plus inconvenant de penser que ce Messie, dont on pressentait la divinité, puisse souffrir et mourir comme un banni, alors que le malheur et la souffrance étaient, à cette époque là, considérés comme la conséquence du péché.
 

Mais pourquoi donc fallait-il que le Christ souffrit et mourut comme l’Ecriture le rappelle à plusieurs reprises ? Certainement pour accomplir la première passion, celle de Dieu pour les êtres humains. Toute la vie de Jésus est la concrétisation de cet amour passionné de Dieu pour cet être qu’Il a voulu à son image et qui s’est fourvoyé dans une voie sans issue : être son propre dieu, comme l’y avait invité Satan dans le récit de la création. En voulant être « comme Dieu » il n’a plus été un Homme ! Alors, celui qui était la Parole, le Verbe « par qui tout a été fait » a épousé cette passion du Père pour ses créatures. Il est venu chez nous, nous a transmis son Esprit, a pardonné nos fautes, guéri nos blessures et a restauré en nous l’image divine.


Enfin, ne fallait-il pas que l’énorme gangue de souffrances et de malheurs qui écrase la terre depuis l’origine, que le cri déchirant des innocents torturés, que les larmes inconsolées des mamans accablées montent sur la croix avec le Christ, entrent dans le tombeau avec lui et fécondent une terre nouvelle ?


11 mars 2023

Rencontre improbable


  Il faisait chaud. Il avait soif. Le puits offrait sa fraîcheur. Elle portait un seau. Elle savait que cette eau là  n’apaiserait jamais sa soif de vivre. Ce juif qui lui adresse la parole et lui demande de l’eau l’intrigue. Il pique sa curiosité : «  Si tu savais qui te demande à boire, c’est toi qui l’aurais prié... »
Ainsi débute, dans l’évangile de Jean, un dialogue digne de ceux de Socrate, au terme duquel les deux protagonistes vont « accoucher » de leur véritable identité. 


La samaritaine un peu déstabilisée par l’entrée en matière revient au ras du puits et, un peu ironique, en appelle à l’ancêtre du nord Jacob. Serais-tu plus fort que lui ? Et voilà que par un jeu de questions et réponses, toujours en décalé, l’homme fatigué qui s’avère être un « juif marginal » va se révéler comme plus grand que Jacob, puis comme un prophète et enfin comme le messie attendu. Quant à la femme, grâce à cette conversation en escalier, elle va passer au statut d’une personne en quête d’eau vive, cherchant Dieu (mais sur quelle montagne ?) jusqu’à ce qu’elle découvre la source d’eau vive et qu’elle aille annoncer aux autres la bonne nouvelle. Au fil de ces révélations réciproques, l’eau elle-même se transforme. D’une eau à boire et à laver, elle deviendra « eau jaillissant en vie éternelle » étanchant une soif d’infini inextinguible. 


Mais que vient faire l’histoire des cinq maris que la samaritaine dit avoir eus et qui a souvent transformé ce dialogue hautement théologique en une histoire de femme légère à la recherche d’une autre occasion favorable ? Sachant que le mot mari (baal) est aussi celui qui désignait les dieux païens fréquentés par les samaritains, l’échange entre Jésus et la femme ne change pas de registre. Il s’agit bien de chercher à connaître Celui que nous adorons. Nos conversations les plus quotidiennes atteignent-elles le fond de nos puits ?


Elle et lui auraient pu en rester à la banalité du temps qu’il fait, à la sécheresse annoncée, à la rivalité de leurs temples, à leurs généalogies respectives issues de l’ancêtre commun. Ils ont parlé de tout cela mais c’était d’une autre soif, d’un autre temple, d’un autre Dieu dont il était question.
Quand Jésus sur la croix a crié « j’ai soif », ne s’est-il pas souvenu de cette rencontre improbable avec la femme de Samarie ? Et celle-ci n’était-elle pas cachée parmi ces femmes éplorées qui communiaient à la mort du Sauveur?


21 février 2023

Babel

Ils habitent un pays que le monde entier leur envie.
Ils se réunissent dans une des plus belles capitales d’Europe.
Ils siègent dans l’un des monuments emblématiques de la République.
Ils se disent les représentants du peuple.
Ils parlent la même langue.
Ils se comportent comme des potaches d’une classe de 4ème à qui on demanderait de commenter une réforme de l’académie française. Il faut même espérer que, dans ce cas de figure, quelques uns de ces adolescents auraient le salutaire réflexe de se taire.
Des invectives, des cris, des gesticulations, des injures, des répétitions à n’en plus finir, des suspensions de séances. La tour de Babel creuse ses fondations et restera à ce niveau. Cela se passait à Paris, à l’assemblée nationale, lors du soi-disant examen de la réforme des retraites.


Au même moment, le dernier témoin du massacre d’Oradour sur Glane s’en allait discrètement. Nous avons pu revoir et entendre certains de ses interviews. Une voix posée, une attitude digne, aucune ostentation, seulement le désir de transmettre l’horreur de cette histoire et de ne pas l’oublier. Cet homme, dans ce contexte politico- médiatique prenait toute sa dimension. Il paraissait plus grand encore. Il était le représentant d’une France qui ne se reconnaît plus dans les travées du palais Bourbon.


Il est temps de proposer une réforme de l’Assemblée Nationale qui commencerait par interdire de se présenter à la députation sans avoir au moins exercé une profession pendant 15 ans, le temps d’apprendre le « courage de la nuance » cher à Jean Birnbaum qui dénonce la « brutalisation » du débat public. Quant à une réduction de la moitié de ces bavards inopérants, elle ferait gagner du temps et de l’argent à tout le monde. Mais qui la votera ?
Le monde politique n’est pas seul en cause. Il semble aujourd’hui que toutes les institutions civiles ou religieuses soient victimes du syndrome de Babel : Tous parlent, personne ne comprend, rien ne se fait.
Quelques uns rêvent encore… le rêve a ceci de bon : il ne fait pas de bruit et ne coûte pas cher !
Jan dé Bartaloumè   


11 février 2023

La liturgie, un art impossible ?


Prenons l’exemple de la messe. Le Christ, la veille de sa mort c’est-à-dire avant d’offrir sa vie sur la croix prend du pain et du vin, invite ses disciples à manger et à boire en disant : Ceci est ma vie donnée, livrée. Et voilà que, peu après, Il ressuscite dans l’acte même de son offrande totale à Dieu son Père et aux hommes ses frères. Ainsi Il institue et célèbre La Messe, l’offrande, l’action de grâces, la sienne, unique et éternelle. Il n’y a donc qu’un célébrant : Lui. Un temple et un autel : Lui. Aussi « nos » messes n’ajoutent rien à celle là, elles actualisent, mettent à notre portée dans notre temps et dans notre espace, sa messe, toujours présente et sans cesse célébrée par Lui, dans sa résurrection.


Certaines Eglises en ont conclu qu’il fallait donc, avant tout, imiter la liturgie du ciel. Les orthodoxes excellent dans le genre. Tout y est prévu pour susciter la louange à l’unisson de celle des anges.
C’était encore le cas de notre ancienne messe solennelle, réglée comme une chorégraphie parfaite. Elle se déroulait dans un espace sacré et hiérarchisé, au plus près de la voûte étoilée du chœur. On l’appelait encore le « Saint Sacrifice » d’agréable odeur diffusée par l’encens. Elle retrouve un regain d’actualité avec un retour aux espaces réservés, aux gestes et à sa langue sacrés. Une « liturgie grand-écran », aérienne, qui s’épuise à vouloir mimer l’œuvre de Dieu « copiée-collée ».

 D’autres communautés, se souvenant du   repas de l’auberge d’Emmaüs, considérant que la messe était aussi célébrée sur la terre par et pour des terriens, usent leur imagination à rendre le repas attirant et savoureux par des innovations tape à l’œil, des explications bavardes, en oubliant qu’Il les quitta subitement en les laissant sur leur faim. On est ici dans le registre de l’animation à l’instar des émissions de télévision qui cherchent à faire de l’audience. On veut se souvenir que la liturgie est une « action du peuple » corrélative à la contemplation. Malheureusement, elle dévie, elle aussi, vers une « liturgie écran », dans le sens où ses acteurs trop présents finissent par obstruer la Voie et couvrent la Voix.
En fait, les deux liturgies en restent au niveau de la représentation. Et comme dans tous les jeux de rôle l’art de représenter -ici,  le divin- est non seulement difficile mais en l’occurrence impossible. Dans les deux cas, le rôle des représentants et la performance des signes prennent le pas sur la « présentation », la mise en présence de l’Unique célébrant et de l’Eucharistie éternelle. Le rite par sa répétition et sa symbolique devrait y aider mais il peut s’engluer dans une morne habitude s’il n’est pas habité par l’Esprit!
 
La critique est aisée mais l’art est difficile ! En effet, comment célébrer pour qu’une assemblée liturgique entre dans l’Eucharistie du Christ si ce n’est en faisant en sorte, et ceci vaut pour tous les acteurs clercs ou laïcs, que ceux-ci s’effacent devant sa Présence, en n’approchant du mystère qu’à pas feutrés, qu’à mots comptés, en Lui laissant la préséance, en se mettant humblement en retrait. Bref, la qualité première d’une liturgie chrétienne ne serait-elle pas celle d’inviter à la prière et au souci du prochain ? Seul un climat de prière peut remettre à sa place le serviteur de la liturgie sans supprimer sa personnalité et laisser à la sienne, c’est-à-dire la première, le Célébrant Unique.  Pour obtenir cette qualité, une seule chose est nécessaire : que le célébrant et tous les acteurs soient eux-mêmes en état de prière, tout le reste y compris le rituel, étant ordonné à ce seul objectif. Un art moins difficile qu’il n’y paraît…mais qui pourrait bousculer bien des routines et des faux plis acquis !