N’en déplaise à celles et ceux qui lisent la Bible sans la replacer dans son contexte culturel et qui font une fixation sur « Emplissez la terre et soumettez-la » pour affirmer que tous les malheurs de la planète viennent de ce verset, il n’est pas interdit de penser que l’écologie est une idée religieuse. En effet, il faut reconnaître que d’instinct l’être humain est un accapareur si ce n’est un prédateur. Or la « passation de pouvoirs » entre le Créateur et Adam se fait sous le signe de la limite et du partage, chers aux écologistes.
Quand on relit le livre de la Genèse, il est clair que Dieu est présenté comme le créateur-propriétaire de l’univers et qu’Adam, l’être humain, en est le gérant et le débiteur. Celui-ci, justement, ne peut pas faire ce qu’il veut. Il est soumis, lui-même, à une loi qu’il accepte ou refuse.
Et parmi les plus de 600 « commandements » affichés dans la Torah (loi juive), il en existe un que l’on pourrait mettre en tête d’une écologie radicale et que beaucoup de « fans » d’une terre verte auraient peut-être du mal à pratiquer.
Après avoir demandé au paysan de déposer, devant sa porte, les dîmes de ses récoltes tous les 3 ans au bénéfice des pauvres, la Loi exige une remise des gages tous les 7 ans (Dt 15) ainsi qu’un repos sabbatique pour la terre (Lev 25).
Mais mieux encore : tous les 50 ans, l’année jubilaire exigeait que chacun rentre « dans son patrimoine » ce qui comporte l’affranchissement de tous les habitants et le retour de chacun sur ses terres. Quant aux récoltes annuelles, pas question de revenir sur la moisson ou sur la glanure. Tout ce qui n’est pas récolté est laissé à la disposition du pauvre, de la veuve et de l’orphelin.
La peur d’un dérèglement fatal du climat a remplacé la crainte de désobéir au Créateur. D’où la multiplication des COP qui essaient de limiter le désastre et d’où sortent indemnes, une fois de plus, ceux qui ont les moyens de payer leurs dégâts. Le rappel salutaire que nous n’avons pas tous les droits, que le propriétaire divin a laissé la terre en héritage à tous et non pas à quelques-uns et que nous aurons des comptes à rendre, est peut-être la seule façon d’inquiéter un peu ceux qui se réclament encore de la civilisation judéo-chrétienne.
06 décembre 2024
Ecologie
13 novembre 2024
En novembre, les pierres se mettent à parler
Jasses |
Le vieil homme a longé la rue déserte du village à pas lents et mesurés, aidé de son fidèle bâton. Il pousse maintenant le portail grinçant du cimetière. Il n’a pas besoin d’aller bien loin pour visiter « ses morts ». Ils sont là, allongés sous la pierre, au milieu des vivants. D’un côté de rue, la place dite publique, celle des « survivants » ; de l’autre, celle des absents qui imposent encore leur présence à la fois muette et éloquente à tous les oublieux du premier « devoir de mémoire ».
Irun |
L’ancien remonte l’allée. Il se souvient de l’impression figée et glaciale laissée par les cimetières urbains, alignés au cordeau, bien rangés. Ici, les herbes sauvages et impolies au milieu des dalles disloquées et des inscriptions effacées, manifestent la résilience de la vie. Les croix plantées sur chaque concession ravivent un passé religieux souvent nébuleux. Au fait, concession : qui concède quoi ? Les habitants actuels auraient-ils la prétention de concéder un peu de place à celles et ceux auxquels ils doivent tout ? Le vocabulaire civil manque vraiment de reconnaissance ou, pour le moins, de délicatesse !
Alciette |
L’homme se dirige maintenant sans hésiter vers la tombe familiale. Il égrène, une fois de plus, les prénoms de celles et ceux qui l’ont ici précédé. Il se permet de les interpeller familièrement. Il leur fait part de ses soucis, leur confie ceux de leurs descendants.
Pourquoi se laisse-t-il aller à ce genre d’incongruité ? Parce que l’habitude séculaire des chrétiens a voulu que l’on édifie l’église au centre de « la vie vivante » et que l’on réserve la place des morts autour d’elle. Ceux-ci seront ainsi aux premières loges pour franchir la porte de la Vie lorsqu’elle s’ouvrira pour eux.
L’on peut sourire de cette théologie trop imagée et imaginée. Mais l’essentiel est dit et inscrit sur la carte des symboles : la mort n’est pas l’exil définitif d’une vie enterrée, enfermée dans un cube de béton ou une urne bien scellée. Elle est passage entre les mains du divin obstétricien qui nous accouchera d’un être nouveau à « son image et à sa ressemblance ». « Il te faut naître d’en haut Nicodème ! »
Bascassan |
03 novembre 2024
Un chemin de sainteté. Les trois V : Va, Vends, Viens. (Marc 10,21).
Par une belle matinée d’automne, réchauffée par l’haleine du foehn africain qui s’attarde sur les montagnes, nous nous installons dans notre église « habituelle », avec les fidèles « habituels », pour participer à la messe dominicale « habituelle ». La Toussaint profile ses béatitudes. Et voilà que, sans crier gare, le texte de l’évangile du jour nous percute et nous fouette : « Va, vends ce que as, donne-le aux pauvres…viens, suis-moi ». St Paul avait pourtant pris la peine de nous avertir : « Elle est vivante la parole de Dieu, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants ». Et la voilà, aujourd’hui, qui fouille et fore jusqu’aux « jointures et moelles » de l’âme (Hb 4,12). Au fait, existe-t-il une messe « habituelle » ?
Les pêcheurs du lac, témoins de la réponse de Jésus à l’homme qui aspirait à la vie éternelle franchiront le pas : « Nous qui avons tout laissé pour te suivre … ». Ils recevront tout et la persécution en prime ! L’autre, reculant devant les trois V aura en partage la tristesse du monde.
Une figure s’impose : celle de François d’Assise, fils d’un riche marchand, promis à une succession confortable. Il vend tout et part sur les chemins. Il se fait le frère universel sachant que les plus pauvres partageront avec lui le gîte et le couvert.
Comme lui, nos frères moines se délestent de tout ce qu’ils ont en propre pour servir Dieu et leurs frères en communauté de biens et de vie. Mais nous n’avons pas tous vocation aux trois vœux.
Nous ne sommes ni en Judée, ni à l’époque de François, ni au couvent.
Notre vie est engluée, prise en étau dans une société asservie par la loi du marché. Ceux qui n’ont pas d’argent font tout pour en avoir ; ceux qui en ont, font tout pour le garder ! Sans carte bleue, carte vitale et caisse d’épargne, impossible d’avancer dans cette jungle!
Alors que faire ? Repartir tout tristes comme l’interlocuteur de Jésus ?
Nous pouvons pour le moins :
• Refuser de mettre l’intérêt et la rentabilité au centre de notre vie.
• Restreindre au minimum le gaspillage éhonté de notre société de consommation.
• Participer selon nos moyens aux œuvres sociales ou caritatives.
• Enfin, prier avec la Parole de Dieu, même si elle nous dérange et nous excuser de n’être pas déjà sur les talons de Jésus.
« Sainteté au rabais ! » diront certains. « La sainteté est toujours en chemin et au futur » répondront les autres.
Toussaint- Kandisky 1911 |
11 octobre 2024
Jolie messe ?
-« Quelle jolie messe ! » s’exclame Germaine.
-« Quand on entend ces chants et ces voix, on se sent transporté ! » ajoute Philippe.
- « Oui, la cérémonie était belle, on écrira même dans la gazette paroissiale qu’elle était « rehaussée » par la chorale, « animée » par les enfants du catéchisme et dirigée de main de maître par le curé.
- Oui, belle cérémonie, insiste Bertrand dubitatif, mais l’as-tu vécue en union avec le Christ? »
Toute liturgie est une action collective qui exige des règles et un décorum censé nous introduire dans le mystère divin. Elle utilise des cantiques, des acclamations, des rites symboliques, des ornements qui touchent la sensibilité, le sens de la beauté ou de la majesté. Mais la première question que l’on devrait se poser lorsqu’on célèbre une messe (et c’est un comble pour Celui qui en est l’Unique célébrant) est la suivante: « Est-ce que Jésus pourrait y participer ? Que dirait-il à la sortie de l’église ? Bénirait-il notre prière comme il l’a fait pour celle du publicain ou prendrait-il le fouet pour renverser tous les artifices accumulés au fil des siècles qui obscurcissent davantage qu’ils n’éclairent ? Rappellerait-il, comme il le fit avec la Samaritaine, que le vrai culte se célèbre « en esprit et en vérité » ? N’a-t-il pas dit : « Vous ferez cela en mémoire de moi » ? Jésus reconnaîtrait-il son « cela » dans cette cérémonie ?
Qui anime la messe ? Qui lui donne une âme (anima) si ce n’est Lui ! Qui a l’outrecuidance de croire qu’il peut « rehausser » la présence du Christ parmi nous ? Combien de liturgies célébrées à « l’occasion de … » comme si l’Eucharistie ne se suffisait pas à elle-même, comme si elle avait besoin de « l’occasion » d’un anniversaire pour exprimer sa plénitude!
« L’Eucharistie, source et sommet de la vie chrétienne » répète-t-on à satiété après le concile Vatican II. Sauf lorsqu’elle devient le théâtre dérisoire de nos options religieuses ou politiques ou le reflet d’une vaine satisfaction personnelle.
Qu’est-ce qui importe ? La mise en scène ou la Cène ? L’impuissant effort de nos traductions humaines ou l’infinie profondeur du don d’une vie, de la Vie, dans la simple beauté d’un repas d’à-Dieu partagé ? »
13 septembre 2024
La grâce de l’inutilité
Toi mon frère, ma sœur, le ou la super actif(ve), doté(e) comme il se doit d’un Haut Potentiel Intellectuel, tu n’aurais jamais cru que le dernier mot de ce titre oserait un jour entrer comme un voleur dans ton vocabulaire et encore moins, que tu pourrais l’associer à une grâce ! Et pourtant, combien de fois te surprends-tu à songer, au détour d’une défaillance vite camouflée : « Que restera-t-il de mes capacités, de mon savoir-faire ? Pour quoi, pour qui serais-je encore utile ? »
Et voilà que les ombres de tous ces anciens que tu as connus, viennent te rendre visite. Tu les revois assis au coin d’une table de cuisine, équeutant de leurs doigts gourds et déformés par le travail, une récolte de haricots verts ou un tas de petits pois. Tu les entends encore maugréer : « Je ne suis plus bon à rien ! ».
Tu revois encore la vieille maman « remisée » dans une maison de retraite comptant les heures d’un après-midi qui suinte l’ennui. Elle murmure comme en s’excusant : « Je ne sers plus à rien ».
En fait, lorsque tu sens la vieillesse grignoter sournoisement tes capacités, tu as trois solutions.
-Maintenir coûte que coûte, ta forme olympique qui excitera les jaloux ou te fera regretter amèrement d’avoir lâché tes occupations officielles.
-Pester à n’en plus finir sur la fréquence de tes déficiences et surtout sur celles des autres.
-Enfin, prendre acte lucidement de ta disparition des écrans et te demander si cette nouvelle situation n’est pas une opportunité offerte (une grâce !) pour te poser cette douloureuse et essentielle question : « Suis-je encore moi quand je ne peux plus jouer les indispensables? »
Un être humain dépouillé, tombé dans l’inutilité, peut-il encore intéresser quelqu’un ? Et pourquoi pas Celui que l’on a affublé de toutes les utilités idolâtres (1). On l’appelait le « L’Omnipotent ». N’est-ce pas le moment de découvrir qu’Il s’est offert à nous, dépouillé de tout, sauf de l’amour gratuit, celui qui ne sert à rien, sinon à aimer ce qui reste de nous quand nous avons renoncé à être des petits dieux. Heureux les pauvres de soi !
(1) Lire à ce sujet le décapant petit livre de Marion Muller- Collard « L’Autre Dieu » labor et fides.
01 septembre 2024
Retour de balancier ?
Lucienne se désole : « On n’entend plus, dans nos paroisses, la voix du Concile (Vatican II) » !
« Lucienne, regardons la réalité en face ! L’Eglise, comme toutes les institutions humaines, subit les « va-et-vient » de son histoire. Le concile s’est achevé il y a 50 ans ! Autrement dit, pour les responsables actuels de paroisses, laïcs ou prêtres, il représente une histoire déjà ancienne. Les orientations qu’il a imprimées ont marqué, certes très profondément, les deux générations précédentes.
Mais, comme l’Eglise n’en finira jamais de se réformer, une nouvelle vague chrétienne veut apporter sa pierre à l’ouvrage et c’est dans la liturgie que le changement de cap est le plus visible, comme cela avait été le cas pour le Concile.
La nouvelle génération estime que le dialogue avec le monde, souhaité par Paul VI, a plutôt perverti l’Eglise que converti la société. Elle doit maintenant, pense-t-elle, se recentrer sur ses bases et afficher sa différence.
Ainsi, le balancier revient sur une liturgie plus soucieuse de l’exactitude du rite, de la solennité du décorum, du respect scrupuleux de la règle, de l’affichage d’un certain sacré.
De même, la prédication fait plus souvent appel au « ressenti », au possible miracle espéré et insiste de plus en plus sur le péché et sa confession.
La mission consiste davantage à ramener les brebis perdues à la maison qu’à évangéliser leurs conditions de vie et leur propre culture. Enfin, la prière se fait ostensible et parfois bruyante.
Ainsi est en train de naître une Eglise « affinitaire » dans laquelle « on est bien ensemble avec des prêtres qui nous ressemblent et que nous suivons, quel que soit notre lieu de résidence ».
La paroisse territoriale disparaît et, avec elle, les chrétiens « autochtones ». Lucienne, faut-il désespérer ?
Non ! Quand le balancier aura touché les limites et les contradictions de ces nouvelles options, il reviendra sur les positions ouvertes par le Concile et un équilibre, bien que toujours provisoire, s’établira. En tous cas, le balancier n’empêche jamais l’heure d’avancer, au contraire !
Deux rappels nécessaires :
1-Le monde d’aujourd’hui n’est plus celui du Concile.
2- Le mystère de Dieu déborde toutes les formes que l’Eglise a pu prendre au cours des âges, des cultures et des continents traversés.
A l’époque du Concile, l’athée comme le croyant avaient à peu près les mêmes repères et parlaient la même langue. Un dialogue était possible.
Aujourd’hui, il faut nous trouver une nouvelle langue, souvent au-delà des mots. Quant à l’Eglise, ses différentes expressions se multiplient et parfois s’ignorent. Par contre, certains jeunes n’ont aucune difficulté à passer de la messe en latin à celle du « Jour du Seigneur ». Il faudra peut-être s’habituer à une coexistence d’Eglises différentes. Chacune mettra l’accent sur un des visages du Christ à condition de ne pas s’exclure des autres.
Veiller à l’unité sera plus que jamais le rôle des évêques et du Pape, signes et acteurs efficaces de la communion et le mode synodal de la vie ecclésiale restera le fruit d’un Concile qui n’a pas dit son dernier mot. Espérons, Lucienne !
01 août 2024
JO 2024
Pas moyen d’échapper à la JO-mania ! Attention, pénurie de superlatifs en vue !! Le vieux « français moyen » (très moyen en sport et en art moderne), ayant vécu une grande partie de sa vie dans le siècle précédent et donc dans un autre monde, a voulu s’offrir la féérie télévisée de la soirée inaugurale des jeux olympiques. Il a amplement apprécié ce voyage dans Paris sublimé et illuminé, s’est esbaudi des prouesses pyrotechniques réalisées et de l’agencement sans faille du spectacle fluvial.
Avec un peu de recul, il ne parvient pas cependant à chasser sa première impression. Tout d’abord, l’envahissement d’un pseudo art africain qui veut refléter les tendances de notre culture contemporaine au point que la timide bourrée auvergnate paraissait, sur la marge, totalement exotique. Oui, la France conjugue, aujourd’hui, les contorsions des divas dorées et la rigueur de la garde républicaine qui essayait malgré tout d’emprunter le rythme imposé. L’écran donnait à voir une France devenue un éclatant bouillon de cultures. Encore faut-il qu’il soit buvable et nourrissant, se demandait l’ancien ébahi! Il ne pouvait pas s’empêcher, encore, de constater que ce broyage intentionnel des codes habituels était, en fait, très « parisien » et devait laisser indifférente une majorité de Français, si tant est que ceux-ci aient pu saisir tous les subtils messages distillés le long du fleuve. Un tableau a semble-t-il suscité l’ire d’une partie de l’opinion : le plagiat de la Cène du Christ, œuvre de Léonard de Vinci. Qui, dans son canton, peuplé encore de Français, (bien que moyens), a saisi sur le moment l’allusion christique et s’est offusqué de ce blasphème ? « Ignares indécrottables » persiffleront les amis des arts crus, « intellos-bobos parisiens » répondront les crottés! Par contre, le vieux bougon est certain que tous garderont en mémoire ce défilé joyeux des bateaux, cette Marseillaise lancée de la margelle du pont, ce cheval et cette cavalière galopant sur les eaux (que, bizarrement, personne n’a confondu avec Jésus marchant sur le lac), cette flamme olympique s’élevant au-dessus de la capitale et cette ferveur des privilégiés quoique bien mouillés d’une soirée inoubliable !
Quant à la suite, elle nous dira s’il reste encore des « français moyens » tant ces athlètes hors normes, ces artistes vibrionnants et ce public en délire qui nous sont donnés tous les jours en spectacle planent au-dessus de la plèbe médusée. Peut-être s’en trouvera-t-il un dans le nombre qui se contentera de glaner la médaille de l’hôtel Matignon!!