02 janvier 2025

« Les temps sont accomplis »


 La longue plainte des anciens n’en finit pas de s’étirer « Ce temps (météo) est fou et ce monde aussi ! La chambre des députés est devenue la cour de récréation de jeunes gens mal élevés et prétentieux! Les viols ne se comptent plus! Des guerres s’invitent à chaque repas! De jeunes adolescents n’oublient pas leur couteau avant de sortir! La question du genre s’invite au cours élémentaire ! Les milliardaires plastronnent pendant que les autres vivent à crédit ! Les cadeaux de Noël se multiplient sans compter, qu’il faudra revendre sans regrets! Mais quand donc retrouverons-nous un peu de bon sens! »  

Cette longue plainte prend des accents apocalyptiques : « N’assistons-nous pas à la fin du monde ? Nous, nous avons vécu les plus belles années mais qu’en sera-t-il pour nos enfants ?»
Cette lamentation n’est peut-être qu’un lancinant refrain qui revient en boucle régulièrement lorsque nous regardons dans le rétroviseur de nos ans car, chaque fois, nous pensons qu’il n’y a pas pire période que la nôtre. 

Reste cependant une constatation: jamais les hommes n’ont eu entre les mains autant de moyens d’anéantir la terre et d’abaisser le niveau de l’humanité !
Environné par ces ténèbres gluantes qui barrent son horizon, le croyant se souvient de la formule évangélique: « Les temps sont accomplis » (Mc 1,15).
Ils le sont, effectivement, depuis le premier Noël, depuis le jour où l’éternité de Dieu est venue rejoindre le temps des hommes pour tout bouleverser. Alors, faut-il attendre que les étoiles tombent du ciel (Mc13, 25), que la terre tremble, et que la mer se déchaîne pour croire arrivée la fin du monde ?
En fait, pour le croyant « les temps sont accomplis » chaque fois que l’Esprit de Dieu entre dans son histoire car c’est, pour lui, chaque jour un Noël s’il le veut bien. Et s’il se lamente de voir que ce qu’il vit sur le plan individuel est démenti sur le plan collectif et planétaire, qu’il se souvienne qu’à Bethléem, seuls quelques bergers, un jeune couple et un enfant concentraient l’espérance du monde !  Alors veillons à ne pas l’éteindre !

Que cette année qui s’annonce « accomplisse » notre temps !

13 décembre 2024

Une Foi populaire ?

 Notre Pape, s’apprête à venir en Corse, plutôt qu’à Paris, au grand dam de ceux qui s’attendaient à le voir rétrogradé par Donald Trump sur le tableau d’honneur de la popularité. Pas de chance ! François ira sur l’île de beauté pour encourager les simples, les gens ordinaires qui ont besoin de gestes, d’images, de pèlerinages, de cierges, de sources pour exprimer leurs croyances. Ceux qui préfèrent la marche à pied à la gymnastique des grandes idées.


L’Eglise n’a jamais pu empêcher l’éclosion de rites particuliers qui offraient à chacun des espaces où pouvait se déployer telle ou telle dévotion ou tradition locale. Certaines, d’ailleurs, plongeaient leurs racines dans des rites païens qui furent christianisés parfois difficilement. Le Pape argentin qui a fréquenté des cultures métissées a voulu redonner leurs lettres de noblesse à ces « piétés populaires ».
Encore faut-il s’entendre sur le terme « populaire ». Une religion peut-elle atteindre un bon niveau de  popularité ? Peut-elle devenir « culte » pour redonner ses droits à cette expression usurpée ? Si oui, il faut impérativement se demander de quel Dieu elle se réclame ? Il y a de fortes chances que ce Dieu rassemble sous sa bannière toute une série de pouvoirs auxquels un être humain peut aspirer. Si le Dieu de Jésus Christ avait libéré son peuple du joug des romains, il aurait certainement gagné des points au palmarès de l’opinion publique ! Il ne l’a pas fait.


Si par « populaire » on entend la religion du « bas peuple » par rapport à celle des théologiens ou des mystiques, avec une pointe de condescendance pour la foi du charbonnier, alors il faut entrer dans un maquis des us et coutumes qui se sont agrégés aux cultes officiels au long des siècles et qui perdurent sous des formes les plus inattendues. Il en va du signe de la croix du footballeur avant le match, du « je croise les doigts » ou « je touche du bois », du lumignon allumé, jusqu’au pèlerinage au long cours, en passant par le cierge déposé  au pied d’une statue, les ostensions de reliquaires, les processions en tout genre etc…La foi a toujours eu besoin de s’exprimer par le biais de paroles et d’actes qui en sont la traduction concrète. Elle ne s’adresse pas qu’aux idées mais aussi à notre être corporel, elle engage toute notre personne.
Mais ces dévotions populaires ne risquent-elles pas, de basculer dans un folklore sympathique et désuet ?  Redisons-le : Jésus a été populaire tant qu’il rassasiait les foules ou qu’il guérissait les malades. Il l’était moins quand Il exigeait de mettre les actes en conformité avec les paroles ! En tous cas, aucune manifestation « populaire », n’est venu s’opposer sa mise à mort !


06 décembre 2024

Ecologie


 N’en déplaise à celles et ceux qui lisent la Bible sans la replacer dans son contexte culturel et qui font une fixation sur « Emplissez la terre et soumettez-la » pour affirmer que tous les malheurs de la planète viennent de ce verset, il n’est pas interdit de penser que l’écologie est une idée religieuse. En effet, il faut reconnaître que d’instinct l’être humain est un accapareur si ce n’est un prédateur. Or la « passation de pouvoirs » entre le Créateur et Adam se fait sous le signe de la limite et du partage, chers aux écologistes.

Quand on relit le livre de la Genèse, il est clair que Dieu est présenté comme le créateur-propriétaire de l’univers et qu’Adam, l’être humain, en est le gérant et le débiteur.  Celui-ci, justement, ne peut pas faire ce qu’il veut. Il est soumis, lui-même, à une loi qu’il accepte ou refuse.
Et parmi les plus de 600 « commandements » affichés dans la Torah (loi juive), il en existe un que l’on pourrait mettre en tête d’une écologie radicale et que beaucoup de « fans » d’une terre verte auraient peut-être du mal à pratiquer.

Après avoir demandé au paysan de déposer, devant sa porte, les dîmes de ses récoltes tous les 3 ans au bénéfice des pauvres, la Loi exige une remise des gages tous les 7 ans (Dt 15) ainsi qu’un repos sabbatique pour la terre (Lev 25).

Mais mieux encore : tous les 50 ans, l’année jubilaire exigeait que chacun rentre « dans son patrimoine »  ce qui comporte l’affranchissement de tous les habitants et le retour de chacun sur ses terres. Quant aux récoltes annuelles, pas question de revenir sur la moisson ou sur la glanure. Tout ce qui n’est pas récolté est laissé à la disposition du pauvre, de la veuve et de l’orphelin.

La peur d’un dérèglement fatal du climat a remplacé la crainte de désobéir au Créateur. D’où la multiplication des COP qui essaient de limiter le désastre et d’où sortent indemnes, une fois de plus, ceux qui ont les moyens de payer leurs dégâts. Le rappel salutaire que nous n’avons pas tous les droits, que le propriétaire divin a laissé la terre en héritage à tous et non pas à quelques-uns et que nous aurons des comptes à rendre, est peut-être la seule façon d’inquiéter un peu ceux qui se réclament encore de la civilisation judéo-chrétienne.   

13 novembre 2024

En novembre, les pierres se mettent à parler

Jasses 

Le vieil homme a longé la rue déserte du village à pas lents et mesurés, aidé de son fidèle bâton. Il pousse maintenant le portail grinçant du cimetière. Il n’a pas besoin d’aller bien loin pour visiter « ses morts ». Ils sont là, allongés sous la pierre, au milieu des vivants. D’un côté de rue, la place dite publique, celle des « survivants » ; de l’autre, celle des absents qui imposent encore leur présence à la fois muette et éloquente à tous les oublieux du premier « devoir de mémoire ».

Irun

L’ancien remonte l’allée. Il se souvient de l’impression figée et glaciale laissée par les cimetières urbains, alignés au cordeau, bien rangés. Ici, les herbes sauvages et impolies au milieu des dalles disloquées et des inscriptions effacées, manifestent la résilience de la vie. Les croix plantées sur chaque concession ravivent un passé religieux souvent nébuleux. Au fait, concession : qui concède quoi ?  Les habitants actuels auraient-ils la prétention de concéder un peu de place à celles et ceux auxquels ils doivent tout ? Le vocabulaire civil manque vraiment de reconnaissance ou, pour le moins, de délicatesse !

Alciette

L’homme se dirige maintenant sans hésiter vers la tombe familiale. Il égrène, une fois de plus, les prénoms de celles et ceux qui l’ont ici précédé. Il se permet de les interpeller familièrement. Il leur fait part de ses soucis, leur confie ceux de leurs descendants.

Pourquoi se laisse-t-il aller à ce genre d’incongruité ? Parce que l’habitude séculaire des chrétiens a voulu que l’on édifie l’église au centre de « la vie vivante » et que l’on réserve la place des morts autour d’elle. Ceux-ci seront ainsi aux premières loges pour franchir la porte de la Vie lorsqu’elle s’ouvrira pour eux.
L’on peut sourire de cette théologie trop imagée et imaginée. Mais l’essentiel est dit et inscrit sur la carte des symboles : la mort n’est pas l’exil définitif d’une vie enterrée, enfermée dans un cube de béton ou une urne bien scellée. Elle est passage entre les mains du divin obstétricien qui nous accouchera d’un être nouveau à « son image et à sa ressemblance ». « Il te faut naître d’en haut Nicodème ! »

Bascassan


03 novembre 2024

Un chemin de sainteté. Les trois V : Va, Vends, Viens. (Marc 10,21).

 

Par une belle matinée d’automne, réchauffée par l’haleine du foehn africain qui s’attarde sur les montagnes, nous nous installons dans notre église « habituelle », avec les fidèles « habituels », pour participer à la messe dominicale « habituelle ». La Toussaint profile ses béatitudes. Et voilà que, sans crier gare, le texte de l’évangile du jour nous percute et nous fouette : « Va, vends ce que as, donne-le aux pauvres…viens, suis-moi ». St Paul avait pourtant pris la peine de nous avertir : « Elle est vivante la parole de Dieu, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants ». Et la voilà, aujourd’hui, qui fouille et fore jusqu’aux « jointures et moelles » de l’âme (Hb 4,12). Au fait, existe-t-il une messe « habituelle » ?

Les pêcheurs du lac, témoins de la réponse de Jésus à l’homme qui aspirait à la vie éternelle franchiront le pas : « Nous qui avons tout laissé pour te suivre … ». Ils recevront tout et la persécution en prime ! L’autre, reculant devant les trois V aura en partage la tristesse du monde.
Une figure s’impose : celle de François d’Assise, fils d’un riche marchand, promis à une succession confortable. Il vend tout et part sur les chemins. Il se fait le frère universel sachant que les plus pauvres partageront avec lui le gîte et le couvert.
Comme lui, nos frères moines se délestent de tout ce qu’ils ont en propre pour servir Dieu et leurs frères en communauté de biens et de vie. Mais nous n’avons pas tous vocation aux trois vœux.

Nous ne sommes ni en Judée, ni à l’époque de François, ni au couvent.
Notre vie est engluée, prise en étau dans une société asservie par la loi du marché. Ceux qui n’ont pas d’argent font tout pour en avoir ; ceux qui en ont, font tout pour le garder ! Sans carte bleue, carte vitale et caisse d’épargne, impossible d’avancer dans cette jungle!
Alors que faire ? Repartir tout tristes comme l’interlocuteur de Jésus ?
Nous pouvons pour le moins :
    • Refuser de mettre l’intérêt et la rentabilité au centre de notre vie.
    • Restreindre au minimum le gaspillage éhonté de notre société de consommation.
    • Participer selon nos moyens aux œuvres sociales ou caritatives.
    • Enfin, prier avec la Parole de Dieu, même si elle nous dérange et nous excuser de n’être pas déjà sur les talons de Jésus.
« Sainteté au rabais ! » diront certains. « La sainteté est toujours en chemin et au futur » répondront les autres.

Toussaint- Kandisky 1911

11 octobre 2024

Jolie messe ?

 -« Quelle jolie messe ! » s’exclame Germaine.
-« Quand on entend ces chants et ces voix, on se sent transporté ! » ajoute Philippe.
-  « Oui, la cérémonie était belle, on écrira même dans la gazette paroissiale qu’elle était « rehaussée » par la chorale, « animée » par les enfants du catéchisme et dirigée de main de maître par le curé.
- Oui, belle cérémonie, insiste Bertrand dubitatif, mais l’as-tu vécue en union avec le Christ? »
 

Toute liturgie est une action collective qui exige des règles et un décorum censé nous introduire dans le mystère divin. Elle utilise des cantiques, des acclamations, des rites symboliques, des ornements qui touchent la sensibilité, le sens de la beauté ou de la majesté. Mais la première question que l’on devrait se poser lorsqu’on célèbre une messe (et c’est un comble pour Celui qui en est l’Unique célébrant) est la suivante: « Est-ce que Jésus pourrait y participer ? Que dirait-il à la sortie de l’église ? Bénirait-il notre prière comme il l’a fait pour celle du publicain ou prendrait-il le fouet pour renverser tous les artifices accumulés au fil des siècles qui obscurcissent davantage qu’ils n’éclairent ? Rappellerait-il, comme il le fit avec la Samaritaine, que le vrai culte se célèbre « en esprit et en vérité » ?  N’a-t-il pas dit : « Vous ferez cela en mémoire de moi » ? Jésus reconnaîtrait-il son « cela » dans cette cérémonie ?
 

Qui anime la messe ? Qui lui donne une âme (anima) si ce n’est Lui ! Qui a l’outrecuidance de croire qu’il peut « rehausser » la présence du Christ parmi nous ? Combien de liturgies célébrées à « l’occasion de … »  comme si l’Eucharistie ne se suffisait pas à elle-même, comme si elle avait besoin de « l’occasion » d’un anniversaire pour exprimer sa plénitude!
 

« L’Eucharistie, source et sommet de la vie chrétienne » répète-t-on à satiété après le concile Vatican II. Sauf lorsqu’elle devient le théâtre dérisoire de nos options religieuses ou politiques ou le reflet d’une vaine satisfaction personnelle.
 

Qu’est-ce qui importe ? La mise en scène ou la Cène ? L’impuissant effort de nos traductions humaines ou l’infinie profondeur du don d’une vie, de la Vie, dans la simple beauté d’un repas d’à-Dieu partagé ? »

 

13 septembre 2024

La grâce de l’inutilité



 Toi mon frère, ma sœur, le ou la super actif(ve), doté(e) comme il se doit d’un Haut Potentiel Intellectuel, tu n’aurais jamais cru que le dernier mot de ce titre oserait un jour entrer comme un voleur dans ton vocabulaire et encore moins, que tu pourrais l’associer à une grâce ! Et pourtant, combien de fois te surprends-tu à songer,  au détour d’une défaillance vite camouflée : « Que restera-t-il de mes capacités, de mon savoir-faire ? Pour quoi, pour qui serais-je encore utile ? »

 Et voilà que les ombres de tous ces anciens que tu as connus, viennent te rendre visite. Tu les revois assis au coin d’une table de cuisine, équeutant de leurs doigts gourds et déformés par le travail, une récolte de haricots verts ou un tas de petits pois. Tu les entends encore maugréer : « Je ne suis plus bon à rien ! ».
Tu revois encore la vieille maman « remisée » dans une maison de retraite comptant les heures d’un après-midi qui suinte l’ennui. Elle murmure comme en s’excusant : « Je ne sers plus à rien ».

En fait, lorsque tu sens la vieillesse grignoter sournoisement tes capacités,  tu as trois solutions.
-Maintenir coûte que coûte, ta forme olympique qui excitera les jaloux ou te fera regretter amèrement d’avoir lâché tes occupations officielles.
-Pester à n’en plus finir sur la fréquence de tes déficiences et surtout sur celles des autres.
-Enfin, prendre acte lucidement de ta disparition des écrans et te demander si cette nouvelle situation n’est pas une opportunité offerte (une grâce !) pour te poser cette douloureuse et essentielle question : « Suis-je encore moi quand je ne peux plus jouer les indispensables? »
 Un être humain dépouillé, tombé dans l’inutilité, peut-il encore intéresser quelqu’un ? Et pourquoi pas Celui que l’on a affublé de toutes les utilités idolâtres (1). On l’appelait le « L’Omnipotent ». N’est-ce pas le moment de découvrir qu’Il s’est offert à nous, dépouillé  de tout, sauf de l’amour gratuit, celui qui ne sert à rien, sinon à aimer ce qui reste de nous quand nous avons renoncé à être des petits dieux. Heureux les pauvres de soi !
   

 (1) Lire à ce sujet le décapant petit livre de Marion Muller- Collard « L’Autre Dieu » labor et fides.