21 février 2023

Babel

Ils habitent un pays que le monde entier leur envie.
Ils se réunissent dans une des plus belles capitales d’Europe.
Ils siègent dans l’un des monuments emblématiques de la République.
Ils se disent les représentants du peuple.
Ils parlent la même langue.
Ils se comportent comme des potaches d’une classe de 4ème à qui on demanderait de commenter une réforme de l’académie française. Il faut même espérer que, dans ce cas de figure, quelques uns de ces adolescents auraient le salutaire réflexe de se taire.
Des invectives, des cris, des gesticulations, des injures, des répétitions à n’en plus finir, des suspensions de séances. La tour de Babel creuse ses fondations et restera à ce niveau. Cela se passait à Paris, à l’assemblée nationale, lors du soi-disant examen de la réforme des retraites.


Au même moment, le dernier témoin du massacre d’Oradour sur Glane s’en allait discrètement. Nous avons pu revoir et entendre certains de ses interviews. Une voix posée, une attitude digne, aucune ostentation, seulement le désir de transmettre l’horreur de cette histoire et de ne pas l’oublier. Cet homme, dans ce contexte politico- médiatique prenait toute sa dimension. Il paraissait plus grand encore. Il était le représentant d’une France qui ne se reconnaît plus dans les travées du palais Bourbon.


Il est temps de proposer une réforme de l’Assemblée Nationale qui commencerait par interdire de se présenter à la députation sans avoir au moins exercé une profession pendant 15 ans, le temps d’apprendre le « courage de la nuance » cher à Jean Birnbaum qui dénonce la « brutalisation » du débat public. Quant à une réduction de la moitié de ces bavards inopérants, elle ferait gagner du temps et de l’argent à tout le monde. Mais qui la votera ?
Le monde politique n’est pas seul en cause. Il semble aujourd’hui que toutes les institutions civiles ou religieuses soient victimes du syndrome de Babel : Tous parlent, personne ne comprend, rien ne se fait.
Quelques uns rêvent encore… le rêve a ceci de bon : il ne fait pas de bruit et ne coûte pas cher !
Jan dé Bartaloumè   


11 février 2023

La liturgie, un art impossible ?


Prenons l’exemple de la messe. Le Christ, la veille de sa mort c’est-à-dire avant d’offrir sa vie sur la croix prend du pain et du vin, invite ses disciples à manger et à boire en disant : Ceci est ma vie donnée, livrée. Et voilà que, peu après, Il ressuscite dans l’acte même de son offrande totale à Dieu son Père et aux hommes ses frères. Ainsi Il institue et célèbre La Messe, l’offrande, l’action de grâces, la sienne, unique et éternelle. Il n’y a donc qu’un célébrant : Lui. Un temple et un autel : Lui. Aussi « nos » messes n’ajoutent rien à celle là, elles actualisent, mettent à notre portée dans notre temps et dans notre espace, sa messe, toujours présente et sans cesse célébrée par Lui, dans sa résurrection.


Certaines Eglises en ont conclu qu’il fallait donc, avant tout, imiter la liturgie du ciel. Les orthodoxes excellent dans le genre. Tout y est prévu pour susciter la louange à l’unisson de celle des anges.
C’était encore le cas de notre ancienne messe solennelle, réglée comme une chorégraphie parfaite. Elle se déroulait dans un espace sacré et hiérarchisé, au plus près de la voûte étoilée du chœur. On l’appelait encore le « Saint Sacrifice » d’agréable odeur diffusée par l’encens. Elle retrouve un regain d’actualité avec un retour aux espaces réservés, aux gestes et à sa langue sacrés. Une « liturgie grand-écran », aérienne, qui s’épuise à vouloir mimer l’œuvre de Dieu « copiée-collée ».

 D’autres communautés, se souvenant du   repas de l’auberge d’Emmaüs, considérant que la messe était aussi célébrée sur la terre par et pour des terriens, usent leur imagination à rendre le repas attirant et savoureux par des innovations tape à l’œil, des explications bavardes, en oubliant qu’Il les quitta subitement en les laissant sur leur faim. On est ici dans le registre de l’animation à l’instar des émissions de télévision qui cherchent à faire de l’audience. On veut se souvenir que la liturgie est une « action du peuple » corrélative à la contemplation. Malheureusement, elle dévie, elle aussi, vers une « liturgie écran », dans le sens où ses acteurs trop présents finissent par obstruer la Voie et couvrent la Voix.
En fait, les deux liturgies en restent au niveau de la représentation. Et comme dans tous les jeux de rôle l’art de représenter -ici,  le divin- est non seulement difficile mais en l’occurrence impossible. Dans les deux cas, le rôle des représentants et la performance des signes prennent le pas sur la « présentation », la mise en présence de l’Unique célébrant et de l’Eucharistie éternelle. Le rite par sa répétition et sa symbolique devrait y aider mais il peut s’engluer dans une morne habitude s’il n’est pas habité par l’Esprit!
 
La critique est aisée mais l’art est difficile ! En effet, comment célébrer pour qu’une assemblée liturgique entre dans l’Eucharistie du Christ si ce n’est en faisant en sorte, et ceci vaut pour tous les acteurs clercs ou laïcs, que ceux-ci s’effacent devant sa Présence, en n’approchant du mystère qu’à pas feutrés, qu’à mots comptés, en Lui laissant la préséance, en se mettant humblement en retrait. Bref, la qualité première d’une liturgie chrétienne ne serait-elle pas celle d’inviter à la prière et au souci du prochain ? Seul un climat de prière peut remettre à sa place le serviteur de la liturgie sans supprimer sa personnalité et laisser à la sienne, c’est-à-dire la première, le Célébrant Unique.  Pour obtenir cette qualité, une seule chose est nécessaire : que le célébrant et tous les acteurs soient eux-mêmes en état de prière, tout le reste y compris le rituel, étant ordonné à ce seul objectif. Un art moins difficile qu’il n’y paraît…mais qui pourrait bousculer bien des routines et des faux plis acquis !  


09 février 2023

Pénibilité

Qui donc aurait cru que les fabuleuses performances de la technique, de l’informatique et de la robotique se seraient soldées par un accroissement de pénibilité ? La mémoire réveille ces temps, pas si lointains, où l’instituteur commentait la finale de la fable du laboureur : « Prenez de la peine c’est le fond qui manque le moins ». Quant au curé, reprenant le récit de la création du livre de la Genèse, il ne manquait pas de rappeler aux enfants du catéchisme qu’après le péché de l’homme et de la femme, le sol fut maudit et « c’est à force de peine que tu en tireras subsistance » Gn 3, 17). Curieusement, on parlait moins de pénibilité quand vivre au quotidien demandait un effort soutenu.


Encore faut-il s’entendre sur la signification de la peine. Chez le fabuliste, elle était synonyme de sueur et de fatigue car la « terre était basse » disait-on. La Bible y ajoutait une notion de punition. Ses auteurs n’étaient pas naïfs au point de croire que l’on pouvait cultiver le jardin d’Eden sans avoir mal au dos. Mais la peine pour eux était liée au péché c’est-à-dire à la perte du sens originel. Quand le travail n’est plus qu’une tâche répétitive sans cesse accélérée par la cadence de la machine, au profit exclusif d’une économie de marché illisible, il devient peine insupportable. 

Les pancartes qui accompagnent les cortèges des manifestants en disent long  sur la dégradation du sens du travail. Elles affichent à bout de bras le vulgaire « boulot » pour mieux souligner le manque d’intérêt du travail accompli, faute d’une juste considération et d’une simple reconnaissance. 


Suffira-t-il d’augmenter les salaires ou de diminuer la durée de la vie professionnelle pour retrouver goût au travail? Il semble que le mal soit plus profond et qu’il faille retourner au texte biblique pour considérer que si le travail est devenu le « boulot » c’est peut-être parce que nous l’avons détaché de son but premier qui était de participer librement à l’œuvre de la création et au bien commun de l’humanité. Le lien rompu avec la nature, la déshumanisation de la relation à l’autre et l’absence de relation avec le Créateur ne pouvaient qu’aboutir à ce piètre résultat. Celui ou celle qui sait pourquoi il travaille ne peut pas considérer sa tâche comme une punition même si elle demande toujours un effort.

"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.