25 décembre 2023

Miracle de la crèche

Il pleut depuis un mois. Ce soir, l’averse redouble. Par acquis de conscience, Francette endosse une vieille pèlerine et se dirige vers l’église voisine, une clef dans la main. Faute de visiteurs et de croyants, on a décidé de ne l’ouvrir désormais qu’une fois par semaine, alors que pendant des années, elle avait fait l’objet des soins attentifs d’une fidèle paroissienne. D’ailleurs, lorsqu’on voulait rendre hommage à une maison accueillante, un dicton de la langue béarnaise comparait sa porte à celle de l’église : « toujours ouverte ». 


Dans l’embrasure, une forme noire, dégoulinante, s’appuie sur les pierres usées et attend la fin du déluge. Présentations à distance (on ne sait jamais), il s’agit d’un jeune randonneur parti à l’aventure. Il demande s’il peut passer la nuit dans le porche. Francette hésite puis acquiesce, avec le sourire. Dans ses jeunes années, ses randonnées en montagne surprises par la bourrasque s’achevaient souvent dans le porche accueillant d’une chapelle romane. Ce souvenir, ce soir, éclaire l’épaisse obscurité.

Pendant la nuit, elle se remémore qu’elle avait descendu la caisse qui contenait les personnages de la crèche et qu’elle l’avait abandonnée dans un recoin avant de vérifier leur état de propreté. Mais, faute d’aides volontaires, elle avait décidé de ne pas la déballer ni de l’exposer  à sa place ordinaire : « Puisque personne ne viendrait ! »

Le lendemain, après un lever du jour encore maussade et bien paresseux, elle reprend le chemin du clocher. Personne dans le porche, ni dans l’église. Cependant quelque chose l’intrigue. Sous le modeste autel en bois, le pot de fleurs artificielles a disparu et s’approchant, elle distingue sagement disposés en bon ordre, Marie, Joseph et l’Enfant. Sous le berceau de Jésus, un bout de papier froissé et griffonné : MERCI !

Miracle de la crèche : Un signe de gratitude ! En ce temps d’incivilités, de violences, de migrations meurtrières, de calamités climatiques, de guerres atroces, un jeune homme anonyme avait trouvé une porte ouverte par une inconnue  et un refuge auprès d’un Enfant aux bras ouverts depuis 2000 ans! Merci ! Un éclat d’humanité !

La chronique locale retient que quelques villageois voulurent en avoir le cœur net. Ils entrèrent, ce jour là, dans l’église, en esquissant même un rapide signe de croix ! Miracle collatéral !

A chacune et chacun : Vrai Noël !

06 décembre 2023

« Jusques à quand Seigneur ?…»

 « Jusques à quand Seigneur ?…» demande le psalmiste angoissé.
Ps 89,46
« La bête humaine » ! Quand elle est majoritaire et qu’elle a l’appui des puissants, elle s’étale en écrasant tout ce qui la gêne. Quand elle est minoritaire et suspecte aux yeux de ses voisins, elle baigne dans le ressentiment, puis elle fait sauter le joug trop pesant.
La fin du 20ème siècle a préparé l’explosion de toutes les minorités. A commencer par celles des peuples premiers qui avaient été laminés par la culture des nouveaux arrivants, jusqu’aux minorités grammaticales refusant que le masculin l’emporte sur le féminin.
En effet, quand une majorité de citoyens de par son poids et sa masse impose la norme sociale et culturelle, elle ne se rend même pas compte qu’elle engendre sur ses marges une société parallèle hybride, composée de toutes les minorités qui se sentent, à tort ou à raison, exclues de ce bien commun.
Ne supportant pas l’existence de ces verrues sur sa peau, la société établie parque ces minorités dans des réserves ou les détruit culturellement, si ce n’est physiquement.
Or, il arrive que des individus « hors normes » ne supportent ni l’exclusion, ni l’assimilation, ni la destruction. Pour faire entendre la voix de leur existence ignorée, ils lancent le cri de ralliement de tous les marginaux. Ce cri, devenu celui de tout un peuple, se décline en revendications politiques.
Malgré l’usage d’une langue commune, les imposants et les imposés ont une compréhension opposée des mêmes paroles. 

La « terre » d’une culture industrielle n’a pas la même résonnance que la « terre » nourricière des ancêtres. Dialogue de sourds, dit-on, traversé par le hurlement de douleur ou de rage.
Quand l’incompréhension ajoutée à la surdité dresse un mur de plus en plus infranchissable entre des communautés imbriquées, les revendications orales laissent la place aux actes violents.
Et ceux-ci génèrent des paroles devenues in/sensées pour les uns et les autres : terroriste ou combattant ?
Ajoutez à cela, le récit plus que bimillénaire d’une histoire de frères ennemis issus d’un ancêtre commun, et vous avez tous les ingrédients pour laisser se déposer sur des relations devenues impossibles, la lie d’une haine monstrueuse.
« Esaü prit Jacob en haine » à cause d’une bénédiction usurpée… (Gn 27,41) Quant à Ismaël, il se souviendra toujours que sa mère fut une répudiée.
Hélas ! Un déluge de bombes n’ouvrira ni les oreilles ni les yeux des frères ennemis. Seul, le sang de l’Innocent pourra « faire tomber le mur de la haine » affirme St Paul, l’ancien persécuteur.

09 novembre 2023

Jamais contents

 

 Jusqu’à la fin du siècle dernier, les paysans étaient réputés comme étant les champions du mécontentement. Pas une année sans que la nature ne vienne contrarier leurs espoirs. Le gel, la pluie, le soleil, la grêle, le vent, les oiseaux et pour finir « la limace » conjuguaient leurs efforts pour contrarier le travail des cultivateurs. Il se trouve que cette année ma voisine m’a glissé au creux de l’oreille une nouvelle stupéfiante qui avait quelque chose d’inconvenant : « une récolte de maïs et de foin fantastique » !! Et elle ajoutait : « On n’a pas à se plaindre ! » N’ébruitez pas cette parole. Elle est révolutionnaire, presque contre nature !
 
Il faut croire que beaucoup de Français sont devenus paysans sans le savoir! Pas une frange de la population qui ne se plaigne amèrement et régulièrement de la vie qui est la sienne.
Les patrons surtaxés qui ne trouvent pas de main-d’œuvre ; les syndicats qui s’insurgent contre le report de l’âge des retraites ;
Les jeunes médecins qui refusent une affectation d’office à la campagne ou qui demandent des « motivations supplémentaires » car soigner les gens est sans doute une motivation insuffisante;
Les automobilistes qui reprennent le vélo pour cause de carburant trop coûteux mais qui vilipendent Les chauffeurs imprudents ;
Les piétons qui redoutent les trottinettes ;
Les usagers des trains toujours en retard ;
Les motards accusant de tous les maux ces routes mal entretenues par les pouvoirs publics ;
Les assureurs pris de court par les intempéries ;
Les chasseurs qui veulent pratiquer leur religion le dimanche comme les promeneurs ;
Les ouvriers qui se méfient de la main-d’œuvre étrangère ;
Les locaux qui détestent les résidents secondaires ;
Les industriels qui redoutent la concurrence chinoise ;
Les vacanciers pressés qui insultent les trop lents camping cars !
Quant au gouvernement, il déplore l’irresponsabilité des députés tandis que le parlement vitupère contre la surdité de l’exécutif. Et vous pouvez ajouter à la liste, elle est sans fin… 


On en oublierait presque celles et ceux qui font la queue devant les restaurants du cœur, qui campent sur les trottoirs et sous les ponts, qui comptent à un euro près, qui ne « s’en sortent pas ». Et tous ces invisibles solitaires qui frôlent les murs en gardant l’apparence de la normalité...


Finalement, le mécontentement n’est-il pas une affaire de proportion gardée ? Il suffit parfois de demander  à ceux qui se plaignent de se mettre à la place de ces populations qui, à nos portes, se déplacent sous les bombes avec un baluchon sur la tête, de ces mères qui ne peuvent plus nourrir leur bébé, de ces vieux qui ne savent pas où ils dormiront, pour que l’intensité du mécontentement et de la colère baisse d’un cran ! Malgré cela, certains n’hésiteront pas à se plaindre encore en arguant que la misère des uns ne doit pas discriminer le mal-être des autres ! Et il y a même fort à parier qu’à la lecture de cette page innocente, une avalanche d’insatisfactions et de commentaires désagréables s’abatte sur le dos de ce vieux chroniqueur qui ne sait plus dans quel monde il vit ! Jamais contents ? A défaut d’être toujours contents, les sages savent se contenter…



02 novembre 2023

Sainteté


Cela se passait au siècle dernier. Le curé du village se plaignait (déjà !) de l’abandon du sacrement de pénitence et se désolait surtout de l’absence des hommes à ce rendez-vous annuel. Un vieux berger, un peu facétieux, se permit de lui donner ce conseil. « Monsieur le curé, quand je vais à confesse, je ne sais que dire car je ne pense pas que mes peccadilles valent la peine d’un aveu. Par contre, si vous me demandez de confesser les péchés de mon voisin, je serai intarissable ! Alors si vous voulez attirer du monde au confessionnal, demandez aux paroissiens d’accuser les péchés des autres !». Cinquante ans plus tard, au siècle suivant, le phénomène s’était amplifié au point que le Père Bro, prédicateur à Notre Dame, publiait un ouvrage au titre évocateur : « On demande des pécheurs ».


Quel lien entre la sainteté et le péché ? Les saints, nous dit-on, ont toujours eu plus que les autres le sens de leur péché. En effet, si le berger avait su que, lorsqu’il rabâchait, en latin, le miserere, il affirmait « mon péché, moi je le connais » (Ps 50), il aurait peut-être eu plus de facilité à l’avouer et aurait fait un pas vers la sainteté.


Les  derniers Papes ont insisté sur le fait que l’Eglise avait davantage besoin de saints que de docteurs ou de managers. En rappelant cela, ils ne prenaient pas de risque. En effet, l’histoire du christianisme fourmille d’exemples de ces hommes et de ces femmes qui ont reformé les institutions par le seul rayonnement de leur sainteté.


L’époque contemporaine, marquée à la fois par la dernière guerre mondiale avec ses conséquences économiques et sociales et par le sous développement de continents entiers, a suscité dans notre pays ou à l’étranger de grandes figures de la charité : l’abbé Pierre, les sœurs Theresa et Emmanuelle, le père Laborde à Calcutta (cf. la cité de la joie) et bien d’autres anonymes qui incarnaient le Christ au chevet des malades, des petits et des pauvres. Un large public a reconnu leur sainteté.


Le temps est peut-être venu de nous rappeler que Jésus était aussi reconnu comme un maître de sagesse, un « sage-saint » : « Rabbi, toi qui ne fais pas de différence entre les personnes dis-nous… » En ces jours d’excès et de fureur où toutes les valeurs qui ont fait le trésor de notre humanité sont remises en question et bafouées, où le pronom possessif est devenu l’idole commune des sociétés occidentales (ma vie personnelle, mes loisirs, mon opinion, mon pays, mon argent), n’avons-nous pas un urgent besoin de maîtres de sagesse ? Non seulement une sagesse imposant une limite à la voracité universelle qui sera vouée malheureusement à disparaître sous la pression de l’opinion publique et  la validation des politiques, mais encore, une sainte sagesse, celle du dépassement et du détachement de toutes les idoles. Ces sages saints seraient les bienvenus à tous les niveaux de la vie en société: celui de la vie politique afin d’éviter l’éclatement du monde, celui de la vie sociale pour retrouver les principes d’une vie en commun élémentaire, celui de la vie personnelle pour qu’elle réponde à sa vocation humaine à être image de Dieu. Tout en sachant  bien que cette sainte sagesse restera toujours folie pour le monde, comme le soulignait déjà St Paul!


21 octobre 2023

Du pain, des hommes et de la terre.


  En 1967, Henri Mendras nous avait gratifiés d’une analyse au titre prémonitoire : « La fin des paysans ». Si l’on s’en tient à l’idée traditionnelle attachée à ce mot, la prophétie du sociologue est réalisée.
Tablant sur des constatations chiffrées, Bertrand Hervieu (1) et François Purseigle, dans une récente étude envisagent « Une agriculture sans agriculteurs ». Une tendance lourde apparaît aujourd’hui qui consiste à confier l’exploitation de la terre, clé en main, à des sociétés. Elles prennent tout en charge, du labour à la récolte en passant par l’administration de la ferme et la commercialisation des produits. Il en résultera au moins trois agricultures. La première entièrement contrôlée, robotisée et financiarisée fournira la base d’une alimentation de masse; la deuxième sera encore gérée par l’agriculteur ou l’agricultrice et s’apparentera à l’exploitation familiale classique. La troisième, la moins gourmande en hectares, s’adaptera à des demandes plus locales et plus spécifiques.
Même constat établi par « l’atelier paysan » qui, dans un ouvrage collectif, veut « Reprendre la terre aux machines ». L’analyse est encore plus cruelle que celle de l’ouvrage précédent et ne laisse augurer d’aucune échappatoire au système mis en place.  De l’avis des auteurs, sous l’emprise incontrôlée du machinisme, l’agriculteur indépendant est devenu au mieux un sous-traitant, sinon un agent technique des firmes industrielles et des marchés financiers.

Il y eut un temps, dont certains se souviennent encore, où l’on répétait sentencieusement  que « la terre commandait ». Nous avons cru pendant 60 ans que l’homme lui imposerait, enfin, sa loi. Mais le consommateur calcule, la terre se rebelle et le paysan désespère. Cependant autour de lui, des initiatives porteuses de perspectives nouvelles voient le jour, issues de la réflexion et de l'engagement de jeunes et de moins jeunes agriculteurs, mais aussi d'autres professions. Tous veulent vivre de leur métier, dignement, avec des conditions de travail et de revenu meilleures que celles de leurs prédécesseurs. Et voici l’agriculteur(trice) sommé(e) une fois de plus de se remettre en question. Au fond, l’enjeu n’est-il pas, encore comme toujours, de renouer l’alliance du pain, de l’homme et la terre avec l’aide, s’il le faut, du robot et de l’intelligence artificielle ? Avec le risque récurrent de se laisser séduire par ces nouveaux dieux qui veulent faussement nous libérer. 


NB Voir la lettre de l’Ifocap-Adour et écouter la conférence de B. Hervieu donnée lors des Trente ans de l’Institut des cadres paysans et acteurs de pays des pays de l’Adour.

 

12 octobre 2023

Bien avant « Laudate Deum »(1)


 Un jeune aumônier accueillait un groupe d’étudiants dans le village de Lescun, au lieu dit « la patte d’oie ». Groupés autour du rocher emblématique, ils contemplaient la perle du Béarn dans son écrin de pâturages et de granges posées sur leur damier verdoyant. Toujours soucieux de transmettre, il leur expliquait comment le mode de vie des habitants avec les trois niveaux de résidence, la maison de l’hiver frileusement blottie contre les autres, plus loin la « grange » des travaux de l’été et, enfin, la cabane du berger perchée dans sa montagne, répondait à la configuration  géographique de ce village. Ces jeunes n’imaginaient pas que, près de chez eux, pouvait vivre une population aux contraintes si différentes des leurs et au mode de vie parfaitement adapté à son milieu naturel.
Et voilà qu’au beau milieu de cette leçon de choses, l’aumônier déclara : «  Et dire que des barbares avec leurs bâtisses, leurs chemins et leurs tracteurs  sont venus « dégueulasser » la belle montagne primitive en décimant les arbres, en rasant des rochers, en délogeant les bêtes et en ouvrant des couloirs d’avalanches!! »
Même les jeunes les plus sensibles aux questions environnementales en furent interloqués. Ils ne voyaient pas en quoi cette intrusion des hommes, qui n’avait fait qu’ajouter de la beauté à celle de la nature, pouvait être répréhensible. Et le jeune abbé provocateur d’expliquer que dans des temps lointains une belle forêt primaire couvrait ce versant montagneux, que ours, chevreuils et coqs de bruyère en avaient fait leur royaume et que son accès étant impossible, nul regard humain ne venait polluer la sérénité secrète de ce lieu.
Les jeunes comprirent vite le message de cette intervention surprenante.  Une vision excessive et intégriste de l’écologie n’a pas de sens sauf à éliminer l’homme de la surface de la terre. Partout où il met les pieds et les mains, il transforme le milieu qui le fait vivre.
Quand il le fait avec discernement et modération, quand agri/culture rime avec « culture », elle se développe dans une harmonie réfléchie entre les besoins de l’homme et ceux de la nature. Alors l’empreinte humaine se fond sans dégâts majeurs dans le paysage qui lui est donné pour être cultivé, c’est-à-dire pour entrer lui aussi en « culture ».
Ces jeunes ont peut-être retenu que l’extrémisme des positions ne génère que des simplismes réducteurs alors que la modération, à ne pas confondre avec  faiblesse de conviction ou lâche compromission,  devient une ardente vertu.

    (1) Dernière exhortation du Pape François



13 septembre 2023

La fin de la chrétienté

 


Pas une conversation entre vieux chrétiens qui ne se termine par le constat amer : « ça va mal dans notre Eglise ! » Inutile de dresser la liste des causes de ce malaise ressenti, elle ne ferait qu’augmenter le sentiment d’impuissance de celles et ceux qui ne peuvent que déplorer l’état de fait.
Il est donc nécessaire de se donner au moins le moyen de comprendre ce qui se passe. La lecture de l’ouvrage récent de Chantal Delsol « La fin de la chrétienté »(1) est d’un précieux secours. L’auteure, à travers une analyse philosophique de la longue histoire des civilisations, nous transporte dans des périodes-clés où de grands bouleversements religieux et culturels se sont produits. Elle nous explique comment les changements des systèmes de la pensée et des mœurs se sont toujours appuyés sur un résidu tronqué et parasité des anciennes croyances. Et c’est ce qui se passe aujourd’hui. La religion chrétienne avait fondé une civilisation que l’on appelait la chrétienté. Elle s’est effondrée en laissant une sorte d’humus culturel sur lequel croît une autre morale détachée de la foi qui irriguait l’ancienne. Et Chantal Delsol se montre aussi sévère à l’égard des catholiques qui veulent prendre le train de la modernité en marche au risque de s’y dissoudre qu’à l’égard de ceux qui, dans une sorte de « baroud spirituel », veulent restaurer l’ancien monde. Les uns comme les autres refusent la fin de la chrétienté. Mais celle-ci ne signe pas pour autant la fin du Christianisme. D’ailleurs, ce naufrage n’est-il « pas plutôt  un bienfait qu’une catastrophe ? ». « Il n’est pas sûr que Dieu y ait perdu au change » résume Emile Poulat, fin analyste de l’histoire contemporaine de l’Eglise.
Et la philosophe, qui ne passe pas pour une idolâtre des divinités nouvelles, de plaider pour l’avènement de chrétiens copiés sur le modèle des moines de Tibhirine, sortes d’« agents secrets de Dieu », « héros de la patience, de l’attention, de l’humble amour ».

 

En complément, lire l’ouvrage de Danièle Hervieu Léger et Jean Louis  Schlegel « Vers l’implosion : entretiens sur le présent et l’avenir des catholiques » Le Seuil et écouter la conférence de René Poujol « Catholique en liberté » ce vendredi soir à Pau, église St Paul 20h 

 


    (1) Chantal Delsol « La fin de la chrétienté » éditions du Cerf 2023
 

29 août 2023

Où va-t-on ?


 Le succès du pèlerinage de Chartres et des JMJ, le chantier audacieux du synode romain suffiront-ils pour redonner le sourire aux catholiques accablés par le rapport Sauvé et par les analyses et autres enquêtes qui n’en finissent pas de sonner le glas des obsèques de l’Église? On ne va pas reprocher aux sociologues et aux journalistes d’évaluer la vie ecclésiale selon les seuls critères de la comptabilité des adhérents, de l’ampleur de sa réussite ou de sa capacité à épouser les cultures contemporaines. Mais cette vision des choses n’est-elle pas victime d’une certaine myopie ? Est-il inconvenant d’introduire dans ce funèbre requiem deux petites notes dissonantes?


La première résonne sur la réussite ou non de l’Église catholique, sur son espace conquis ou perdu. Retour aux origines. Quelle a été la réussite de Jésus son fondateur ? N’a-t-il pas lamentablement échoué ? D’abord à Nazareth, chez lui, où Il aurait pu compter sur un capital de sympathie : « Là, il ne put faire aucun miracle ». N’a-t-il pas « douché » tous les espoirs qu’Il avait réveillés ? A part quelques exceptions, Il n’a pas convaincu ses compatriotes attachés à la Loi juive. Que restait-il de l’euphorie de la multiplication des pains et des guérisons quand on le traînait devant Pilate ? Où sont passés ceux qui applaudissaient ce prophète puissant «  en parole et en actes » quand il trébuchait sur le chemin du calvaire. Quant à ses courageux compagnons, n’ont-ils pas laissé poliment les premières places aux femmes au pied de la croix ! « Échec, peut-être, mais lui au moins n’a pas été pris en flagrant délit d’immoralité et de fausseté ! » pourrait-on objecter. Pourtant, n’allait-il pas se compromettre avec les pécheurs et les publicains !


La deuxième note à introduire dans l’annonce nécrologique de l’Église concerne la mesure du temps. Les commentaires lus ou entendus s’appuient sur l’histoire passée et sur la tradition que l’on estime trop figée de la vieille institution. Ils décortiquent aussi et à souhait un présent guère réjouissant. Quant au futur, il reste suspendu à quelques hypothèses basées sur la vitalité ou le degré d’adaptation supposé des communautés éclatées actuelles. Cet usage du temps semble oublier que les écrits de la deuxième Alliance s’achèvent par le livre de « L’Apocalypse ». Le mot, si ce n’est le message, revient à la mode avec la multiplicité des catastrophes climatiques, la pollution de la terre, les  guerres et les terrifiantes conséquences de la suppression des limites à la voracité humaine. Or, l’auteur de ce livre, codé pour une période de persécution, ne nous demande pas de craindre une fin catastrophique de notre monde mais de scruter une naissance bouleversante !  Des modalités de cette « fin » (finalité) des temps, nous n’avons pas les clés, pas plus que nous n’avons celles de ce qui a présidé à la genèse du monde.

Réfléchir à l’avenir de l’Église non plus en termes de réussite mondaine mais selon la fidélité ou non à l’Évangile et sans exclure les « douleurs d’un enfantement qui dure encore »,  pourrait être la tâche des théologiens. Ils  rendraient ainsi un peu de sérénité aux catholiques. En attendant, laissons au maître de la moisson la gestion de la récolte et contentons-nous de semer humblement ces paroles et ces actes qui nous condamnent à la sainteté sans jamais l’atteindre. Quoiqu’il en soit, le Seigneur viendra et le Ressuscité mettra nos doigts sur les plaies que nous lui infligeons!   

07 juillet 2023

Des catholiques nouveaux


(à avaler avec un verre d’eau fraîche pendant les vacances)


Sylvia  s’inquiète : «  Que pensez-vous de ces jeunes qui se retrouvent dans les églises et qui ont l’air de s’approprier avec un certain bonheur  les rites et  les traditions que nous trouvions désuets et que nous avions abandonnés peut-être sans précaution ? Ne sont-ils pas le reflet de toute une génération qui ne supporte plus de voir une société qui se délite de plus en plus faute de valeurs et de références communes ?  Ne trouvez-vous pas que l’on devrait accorder plus d’attention à ce phénomène même s’il reste marginal par rapport à l’ensemble de la jeunesse du pays ? »

 
« Ces jeunes sont les petits-fils de ma génération. Leurs grands-parents ont vécu leur enfance dans le berceau de ce  qui restait de la chrétienté. La famille, l’école, la mairie, l’Eglise « tiraient » dans le même sens. Nous sortions de la guerre, il fallait reconstruire le pays. On avait besoin de bras et de têtes sur lesquels on pouvait compter. D’où une éducation homogène basée sur les grands principes du décalogue version chrétienne ou laïque selon Jules Ferry mais qui se rejoignaient sur l’essentiel. La malhonnêteté, le mensonge, la diffamation, le non respect de la loi ou des parents, le travail bâclé, le manque de conscience professionnelle, autant de choses bannies et proscrites dont on ne discutait pas du bien ou mal fondé. Malgré les soubresauts de l’histoire et le changement de monde qui accompagna les « trente glorieuses », ce soubassement culturel n’a pas été entamé pour une majorité d’hommes et de femmes de cette génération.
 

Il n’en va pas de même pour les deux générations qui ont suivi. Les quadragénaires d’aujourd’hui sont nés à la fin de cette période de progrès prodigieux et inquiétant à la fois, de paix relative en Europe, d’une certaine aisance acquise qui a largement favorisé l’individualisme et le « chacun pour soi ». L’Etat s’est de plus en plus préoccupé du bien-être des citoyens. Les organisations professionnelles et sociales ont pallié les déficiences de la société.  L’individu, moulé par son origine et la société à laquelle il appartenait, conscient des devoirs à lui rendre, est devenu avant tout un sujet de droits. Il a grandi dans une famille et une école de plus en plus attentives à son épanouissement au point que tout effort, toute contrainte lui ont été épargnés. Ainsi est née une culture générale du « ludique » et du « rentable » devenue les critères exclusifs de son engagement dans un monde où chacun a voulu être sa propre référence en matière de morale, de politique ou de religion. Ces jeunes n’ont connu qu’une seule religion, celle du culte du « sujet ». « Moi je pense que…moi je crois que… ». Ce qui aurait pu être une reconnaissance de la promotion et de la défense de l’individu face aux forces oppressives de la société s’est transformé en un grand bouillon socioculturel confus, sans repères nets entre le vrai et le faux, le juste et l’injuste, le bien et le mal. « Sans pères et sans repères » s’alarmaient les éducateurs que l’on taxait de « ringards » il y a déjà 30 ans. N’ayant jamais fait l’apprentissage de critères de choix solides, ces jeunes sont devenus la proie de tous les marchands d’illusions. Devenus adultes, ils n’ont vu dans la religion qu’un monde déconnecté du réel.

Une minorité d’entre eux, qui a connu l’ambiance d’une famille traditionnelle et le respect de certains cadres, a pu également bénéficier du support d’une pratique religieuse et d’une vie ecclésiale favorisant l’épanouissement de leur personne. L’Eglise leur est apparue comme le prolongement normal de la vie familiale mais ils furent très peu nombreux dans ce cas car il faut compter sur le temps de l’appropriation personnelle de l’héritage familial et cela ne va pas sans crises ni remises en questions.

 
Les autres, ceux et celles qui erraient dans le désert du super marché des valeurs « liquides » et plastiques, adaptables aux opportunités variables et à l’ego instantané, ont eu connaissance de la foi chrétienne par des voies qui sortaient du cadre classique et qui empruntaient des chemins nouveaux, allant de la lente maturation à l’illumination subite en passant par la rencontre fortuite.
Ils sont entrés dans une église, ils y ont trouvé un lieu étrange, vieillot mais apaisant. L’antithèse de leur monde. Ils sont tombés sur une page d’évangile pour eux d’une totale nouveauté et qui leur paraissait attirante (une bonne nouvelle). Dans cette institution frileuse et moutonnière  ou peut-être en dehors, ils ont fait connaissance de groupes plus jeunes, plus « attestataires »  où l’on savait distinguer encore le vrai du faux, le bien du mal, le permis du défendu, le sacré du profane. Ces communautés bien identifiées leur ont fait l’effet d’une barque dans la tempête et comme des naufragés, ils ont sauté dedans. Devenue leur  planche de salut, elle est l’objet de tous leurs soins ; ils s’attachent à colmater ses brèches, à remettre en valeur les outils de navigation, à repeindre les planches ; ils rehaussent le mât, donnent à la voile des couleurs voyantes et chatoyantes afin que l’embarcation soit bien visible et identifiée. Processions, bannières, autels bien flamboyants, signes ostensibles de piété, ornements scintillants, chandeliers allumés sont l’expression du sacré. Ils sont tellement occupés à rendre ses beaux atours à l’esquif qu’ils en oublient l’essentiel : connaître et comprendre cet océan plus que « chahuté » sur lequel ils naviguent, le monde d’aujourd’hui. Au mieux, celui-ci reste extérieur à leurs préoccupations, au pire il est considéré comme opposé à l’Eglise et mauvais pour le chrétien. De toutes les façons, il faut le changer et infiltrer en son sein, par le biais d’actions caritatives et de propositions éducatives affichées, des cellules qui, par contamination, créeront une contre- société. Un anticorps social et politique sensé être à l’image du Royaume de Dieu.

Il est en effet un peu étonnant de voir resurgir ce goût pour un mode d’Eglise que ces jeunes générations n’ont pas connue.  Mais il ne faut pas croire qu’il s’agit d’une génération spontanée. Dès la fin du concile Vatican II, l’évêque Marcel Lefebvre avait manifesté son refus de l’aggiornamento et créé un schisme. D’autres plus rusés, n’osant pas franchir le Rubicon, ont sapé consciencieusement de l’intérieur les propositions conciliaires en les accusant d’avoir cédé à la modernité, par nature mauvaise, alors que l’effort des théologiens de l’époque consistait justement à revenir à la tradition la plus antique. Ni dehors ni dedans, ils se sont plutôt installés sur une lisière liturgique qui fait appel à une tradition déclarée authentique et séculaire.   
Il ne faudrait cependant pas réduire le mouvement traditionnaliste à un ripolinage de la liturgie. Il a trouvé dans les cales de la barque une théologie néo thomiste qui lui a fourni une vision du monde où le naturel et le surnaturel sont bien différenciés, où la raison est soumise à la foi et ne peut rien lui apporter à priori, contrairement à St Thomas qui avait emprunté le bagage philosophique d’Aristote. Cette théologie a envahi les séminaires et a fourni le vocabulaire nécessaire à un catéchisme qui se veut universel. Oubliés les Congar, les de Lubac, les Teilhard, les Durwell, les Guardini, les Chenu. Il suffit d’asséner et de répéter des formules sensées traduire la « foi de toujours » et de rejeter dans les ténèbres extérieures toutes les théories qui ont amené le monde à l’état de délabrement que l’on sait. En confondant la tradition vivante remontant aux pères de l’Eglise avec la chrétienté qui avait installé, du moins en Europe, une sorte d’alliance entre le civil et le religieux, on jette ainsi le discrédit sur le Concile jugé plus pastoral que dogmatique. Certes son application avait donné lieu à des expériences parfois contestables mais l’ensemble des catholiques avait accepté les  réformes conciliaires. Ironie de l’histoire : ceux qui vouaient  «  ces prêtres de gauche » à la géhenne, les accusant de « faire de la politique » il y a 50 ans, font exactement la même chose aujourd’hui dans le sens opposé.
Revenir à la chrétienté implique donc une action sur la société qui désigne des adversaires et recherche des alliés. L’apport d’appuis idéologiques se fait de plus en plus voyant de la part de certains partis politiques ainsi qu’un soutien financier à peine masqué de grandes firmes pour les institutions mises en place par ce mouvement en matière d’écoles, de moyens de communication, de constructions…A y regarder de près, on peut constater comme un mimétisme qui s’établit entre certains partis politiques en quête de normalisation et ces groupes identitaires catholiques qui enveloppent du manteau de la vraie tradition une véritable stratégie de reconquête et de restauration de la cité des hommes. Et comme l’opinion publique façonnée par les médias a horreur des nuances, le mouvement traditionnaliste, avec ses options claires et souvent sans nuance, bénéficie de titres accrocheurs et finit par être identifié à l’Eglise tout entière.

L’enthousiasme, la sincérité, la générosité, la droiture de ces jeunes ne sont pas contestables. Cette « reconquête » de la société fourmille d’initiatives nouvelles les engageant dans des actions sociales et caritatives mobilisant leurs compétences dans l’aide aux plus démunis et aux marginaux de la société. Il faut espérer, seulement, que ces initiatives découlent d’une charité désintéressée et non d’un désir de récupération calqué sur celui des partis politiques. En prenant de l’âge et en convoquant l’expérience de l’histoire, ils s’apercevront qu’on ne construit rien de durable en s’appuyant seulement sur un « contre » systématique à ce qui s’oppose ou qui est différent.

 Résultat positif : il y a encore des jeunes dans la barque et elle flotte encore ! Les JMJ vont-elles succomber au charme des « gardiens de la tradition » comme l’a fait le pèlerinage de Chartres ? « Ces jeunes cherchent à se former » nous dit l’enquête du journal La Croix du 25 mai 2023. Espérons qu’ils assimileront, entre autre, l’immense travail théologique qui a précédé et suivi le Concile et qu’ils regarderont avec un regard bienveillant l’expérience des baptisés qui l’ont vécu et incarné dans le monde du 20ème siècle. Auront-ils l’audace de poser un regard neuf et sans à priori sur les questions ouvertes par le document de travail mis en œuvre par le synode actuel ?


Résultat négatif : Il faudra attendre peut-être la troisième génération pour que se dissipent les malentendus bien orchestrés et les jugements sans appels qui clouent la génération conciliaire au pilori : « Elle a vidé les églises !!! » répète-t-on sans chercher à comprendre que ce n’était pas tant l’Eglise qui avait changé mais le monde qui l’entourait. Dans la foulée des « trente glorieuses » l’homme de la deuxième moitié du 20 ème siècle n’avait plus besoin, pensait-il, d’un Dieu créateur de la nature et réparateur de l’humanité. Il se suffirait désormais à la tâche ! D’où une désaffection grandissante pour l’Eglise considérée, à l’instar d’un musée, témoin d’un passé révolu. Il ne faudrait pas que le retour des grandes peurs occasionnées par le changement climatique, l’épuisement de la planète, le risque de guerre nucléaire, le monstre de l’intelligence artificielle échappant à la vigilance de son créateur, réveille la religion d’un Dieu vengeur et justicier qui rétablira son autorité sur les décombres de l’humanité. Le monde y perdrait le cœur de l’Eglise du Christ, son message originel, la Bonne Nouvelle de Jésus.


Une espérance et peut-être une heureuse surprise: Que cette fracture qui s’élargit chez les catholiques déclenche une réaction saine et claire de tous ceux et celles qui se refusent à réduire, à inféoder ou à confondre la Bonne Nouvelle du Christ  avec une restauration partisane, quelle qu’elle soit, de la cité des hommes. Dieu et César sont montés dans la même barque. César peut transformer celle-ci en paquebot de croisière mais Dieu peut calmer les flots ! Plus qu’une nuance ! « N’ayez pas peur », malgré les échecs apparents Christ a vaincu le monde et toutes les aberrations que celui-ci s’ingénie à inventer !!

Jan de Bartaloumè,  suite de « L’âne se jette à l’eau » médiaspaul 2023

29 juin 2023

Sacré

 « Une génération en quête de sacré » titre le journal La Croix daté du 27 05 2023
Où se situe le sacré ?
Jésus n’a pas échappé à la question : les vendeurs du Temple se souviennent de sa rude mise au point (aux poings ?) et Il s’est vu dans l’obligation de remettre les choses à leur place à propos de la sacralité de l’autel (Mt 23).
Sacré et profane répondent à une géométrie variable selon la proximité supposée de Dieu. Mais où arrêter le curseur ? Chaque époque a dû poser les bornes qui étaient les siennes pour en tracer les limites afin de définir des temps, des espaces, des objets, des postures, des personnes sacrés.
On voit comment l’affectation des églises à des usages profanes requiert quelques précautions préalables. Et les moines qui chantaient « l’office divin » calligraphié  sur des parchemins n’auraient jamais imaginé, en leur temps, que l’on puisse le faire sur un vulgaire papier imprimé. Par contre, les jeunes générations « en quête de sacré » lisent sans problème l’office divin ou les textes de la messe sur des smartphones, ces engins les plus profanes qui soient, tabernacles du tout et du n’importe quoi. De même ceux qui ne peuvent entendre la messe que dans une langue dite traditionnelle supportent de la suivre sur un média qui n’a rien de catholique ni de romain. Il arrive même de voir ces écrans posés discrètement sur l’autel « au cas où ». Existe-t-il quelque part une prière de consécration des portables ?
Il ne s’agit pas d’allumer un autodafé avec ces outils utilisés aussi par les vieilles générations, mais une quête trop matérialiste du sacré ne peut que  s’embourber dans ce genre d’incohérences et de contradictions. Faut-il rappeler que le bon vieux « bréviaire », sans pour autant être sacré, était, lui, réservé uniquement à la prière !
Notre ami, l’âne qui porta Jésus le jour des palmes, nous évitera peut-être de déclencher une nouvelle querelle du sacré. N’a-t-on pas étendu un manteau sur son dos poussiéreux et pouilleux par respect pour son cavalier ? Mais il n’est pas dit que depuis ce jour-là son dos fut consacré. Donc pas de querelles inutiles ! Tel un bel arc-en-ciel, le sacré déploiera encore le spectre nuancé de ses rayons en signe d’alliance entre ciel et terre!  


Hymne à Saint Jean-Baptiste

01 juin 2023

Chronique

 « L’âne se jette à l’eau »(1) ou le catéchiste des périphéries


Puisque cette notion géographique remise au centre par le pape François, est devenue un lieu commun, un âne célèbre, contemporain de Jésus, ayant reçu le don d’une longévité exceptionnelle et de la parole humaine, va l’emprunter et l’adapter à sa modeste personne.
Passons sur les nouvelles aventures trop longtemps ignorées de ce personnage déjà en partie relatées dans un premier ouvrage (2) et retrouvons notre baudet barbotant au beau milieu de curistes français dans un centre thermal des Pyrénées.
Sa présence ne passant pas inaperçue, il se trouve très vite invité à participer aux débats presque quotidiens d’un café philo post cure.
Lesté d’une expérience bimillénaire d’une humanité qu’il fréquente tous les jours, il n’hésite pas à porter un diagnostic sans concession sur la société contemporaine qu’il côtoie. Le résultat fait plutôt triste mine ! L’homme moderne ne donne pas une image réjouissante de la vie. Cette inquiétude permanente qui se lit sur son visage et qui alimente une violence larvée, traduit-elle un dégoût de la vie ou l’insatisfaction de l’être humain à n’être que lui-même et à passer à côté de sa destinée ?
Après avoir mis à contribution les ressorts de la raison commune, notre âne se permet, au gré de ces discussions vespérales d’ouvrir quelques portes sur un domaine peu exploré par ses camarades de piscine : celui des croyances et des religions. Bien sûr, il y entre sur la pointe des sabots car il sait que chacun a des convictions bien tranchées sur ces sujets surtout depuis la révélation des turpitudes révélées au  sein de l’Eglise. Mais le juif qu’il était et le chrétien qu’il est devenu n’hésite pas à rappeler à son auditoire qu’un homme repeint « à l’image et la ressemblance de Dieu » changerait la face de la terre. En outre il retrouverait le sourire de celui qui se sait sur un chemin d’accomplissement! Tout un programme !
Au terme de ces cures bienfaisantes l’âne ne regrette pas de s’être jeté à l’eau. Son arthrose s’en trouve soulagée et sa foi mieux respectée par ses compères baigneurs. Il nous donne rendez-vous au bord de notre piscine baptismale.

(1) Jan de Bartaloumè « L’âne se jette à l’eau » médiaspaul 2023 vient de paraître
(2) Jan de Bartaloumè « Le roman inachevé du bœuf de la crèche » médiaspaul 2021

04 mai 2023

Diacres

 

La liturgie de dimanche prochain nous offre le récit qui, dans les Actes des Apôtres, relate l’épisode du baptême de l’eunuque de la reine Candace, haut personnage du Royaume d’Ethiopie. Le célébrant de ce baptême réalisé en voyage et en urgence est un certain Philippe. Or celui-ci est nommé dans la liste des « sept » qui furent désignés pour « servir aux tables » et reçurent l’imposition des mains des Apôtres. La tradition y vit, peut être trop rapidement, la première institution des diacres.
Or, curieusement, Etienne, le premier de la liste, s’avèrera un prédicateur de haut vol capable de tenir tête aux sommités du Sanhédrin avant de subir le martyre comme un dangereux déviant. Philippe lui, aux prises avec la persécution qui suivit, fut obligé de quitter les lieux et le ministère des tables pour se faire missionnaire et célébrer le baptême de ce fonctionnaire, certainement un juif de la diaspora, lecteur assidu des Prophètes. On peut donc constater que dès le départ ce ministère est fluctuant et s’adapte aux circonstances.


Luc Forestier, prêtre de l’Oratoire, dans son ouvrage « Diaconat, les promesses d’un ministère » (les éditions médiaspaul) reprend l’histoire de cette ordination remise à l’honneur par le Concile Vatican II et analyse ses diverses interprétations. Longtemps le profil du diacre a hésité entre trois pôles : le service de la liturgie, celui des pauvres et des situations de détresse et celui de la mission, en particulier dans les jeunes Eglises en manque de prêtres pouvant assurer le service de communautés trop dispersées et éloignées.


Tenant compte de ces tensions mais aussi des situations diverses de ces hommes mariés ou non (la place de l’épouse étant primordiale), exerçant une profession ou non, engagés diversement dans la société, Luc Forestier s’appuyant sur la liturgie de l’ordination essaie d’unifier ces divergences à la source  en soulignant le caractère apostolique du diaconat. Ce qui, autrefois était et reste encore aujourd’hui, une étape vers la prêtrise, garde un lien direct avec le sacerdoce de l’évêque, successeur des Apôtres.


Même si le mot « diacres » ne figure pas directement dans le texte des Actes, sa lecture nous permet de penser que leur mission est assez souple pour s’adapter aux « signes des temps » et peut encore s’ouvrir aux promesses de l’avenir. Merci à eux!

 

 

27 avril 2023

La boîte à livres

 

Les impatients du volant ralentissent ; ceux qui maudissaient les courbes de ce village tortueux leur trouvent un certain charme ; même les motards qui lâchaient leurs chevaux à cet endroit prennent le temps d’un coup d’œil. Une splendide fresque pastorale orne désormais les murs de la vieille forge qui fonctionnait encore au début du siècle précédent. Nos fières montagnes surplombent un paysage verdoyant, abritent la cabane du berger, ses brebis et son chien. Si ce personnage pouvait parler, il vous relaterait la vie de Grat et d’Etienne qui revenaient chaque automne de leurs hauts pâturages et celle de François, le dernier maître de la forge. 

Grat, le silencieux, une besace sur l’épaule parquait tous les soirs son troupeau dans un enclos voisin pour la traite du soir. Et si vous prêtez bien l’oreille, vous pourrez encore entendre le concert de bêlements, de cloches et de bidons de lait tintinnabulant qui accompagnait ce rituel laitier. Aujourd’hui, les rosiers, de sa petite fille, elle-même bergère, profitent de la vieille fumure.
Il vous ferait certainement partager la bonne humeur d’Etienne en vous relatant les péripéties de la traversée d’Oloron  par ses brebis qui, se mirant dans les devantures des magasins de la ville et croyant avoir à faire à un troupeau concurrent, se préparaient au combat en fonçant dans les vitrines. Des black blocs avant l’heure !
Enfin, il ne manquerait pas de vous camper la silhouette chaloupée de François, qui après une tournée dominicale dans un village voisin qui comptait quelques vignerons, réveillait ses souvenirs vaporeux et entamait le récit de sa grande guerre ainsi: « Quand j’étais Maréchal, à Crève Cœur sur Oise » ! Traduisez : « Quand j’étais maréchal ferrant… » L’ennemi n’avait qu’à bien se tenir !

Les trois compères seraient fort étonnés de savoir que l’artiste qui a créé cette œuvre venait des Landes voisines connues pour les bergers montés sur échasses et que cette nouvelle boite à livres reflétait la diversité démographique désormais inscrite  de nos campagnes. Outre l’ancienne propriétaire qui a cédé le bâtiment et la municipalité qui a conçu et suivi ce projet et qu’il faut remercier, il convient de mentionner que c’est un anglais, un allemand et une nouvelle résidante qui ont prêté leurs talents à sa réalisation. Jasses, terre d’accueil !  Et gageons que les brebis et les vaches du village auront droit à une indulgence plénière quand elles malmèneront notre impatience.

04 avril 2023

Une double passion

 


Nous relirons en ce vendredi saint la passion de Notre Seigneur déjà entendue le dimanche des rameaux. Jamais les chrétiens ne s’habitueront à ce récit à la fois sobre et émouvant qui condense tous les enjeux du salut du monde. Sa reprise par les quatre évangélistes, sa précision dans les détails observés, permettent de penser qu’il faisait partie de la toute première transmission de la Bonne Nouvelle. Il fallait insister, en effet, sur la réalité de cette mort. 


Ce chemin de croix douloureux et poignant paraissait inimaginable et inaudible pour les premiers convertis. Juifs ou grecs d’origine, impossible pour eux d’entendre que Celui qui se disait Fils de Dieu puisse connaître la mort. Un dieu ne pouvait pas mourir de la main des hommes ni des avanies des puissants. L’affirmation de sa résurrection soulèvera moins de questions car, d’une part, on ne savait pas si des personnages illustres comme Elie et Moïse étaient morts  et, d’autre part, on attendait à la suite des martyrs d’Israël une résurrection possible des justes. Il était d’autant plus inconvenant de penser que ce Messie, dont on pressentait la divinité, puisse souffrir et mourir comme un banni, alors que le malheur et la souffrance étaient, à cette époque là, considérés comme la conséquence du péché.
 

Mais pourquoi donc fallait-il que le Christ souffrit et mourut comme l’Ecriture le rappelle à plusieurs reprises ? Certainement pour accomplir la première passion, celle de Dieu pour les êtres humains. Toute la vie de Jésus est la concrétisation de cet amour passionné de Dieu pour cet être qu’Il a voulu à son image et qui s’est fourvoyé dans une voie sans issue : être son propre dieu, comme l’y avait invité Satan dans le récit de la création. En voulant être « comme Dieu » il n’a plus été un Homme ! Alors, celui qui était la Parole, le Verbe « par qui tout a été fait » a épousé cette passion du Père pour ses créatures. Il est venu chez nous, nous a transmis son Esprit, a pardonné nos fautes, guéri nos blessures et a restauré en nous l’image divine.


Enfin, ne fallait-il pas que l’énorme gangue de souffrances et de malheurs qui écrase la terre depuis l’origine, que le cri déchirant des innocents torturés, que les larmes inconsolées des mamans accablées montent sur la croix avec le Christ, entrent dans le tombeau avec lui et fécondent une terre nouvelle ?


11 mars 2023

Rencontre improbable


  Il faisait chaud. Il avait soif. Le puits offrait sa fraîcheur. Elle portait un seau. Elle savait que cette eau là  n’apaiserait jamais sa soif de vivre. Ce juif qui lui adresse la parole et lui demande de l’eau l’intrigue. Il pique sa curiosité : «  Si tu savais qui te demande à boire, c’est toi qui l’aurais prié... »
Ainsi débute, dans l’évangile de Jean, un dialogue digne de ceux de Socrate, au terme duquel les deux protagonistes vont « accoucher » de leur véritable identité. 


La samaritaine un peu déstabilisée par l’entrée en matière revient au ras du puits et, un peu ironique, en appelle à l’ancêtre du nord Jacob. Serais-tu plus fort que lui ? Et voilà que par un jeu de questions et réponses, toujours en décalé, l’homme fatigué qui s’avère être un « juif marginal » va se révéler comme plus grand que Jacob, puis comme un prophète et enfin comme le messie attendu. Quant à la femme, grâce à cette conversation en escalier, elle va passer au statut d’une personne en quête d’eau vive, cherchant Dieu (mais sur quelle montagne ?) jusqu’à ce qu’elle découvre la source d’eau vive et qu’elle aille annoncer aux autres la bonne nouvelle. Au fil de ces révélations réciproques, l’eau elle-même se transforme. D’une eau à boire et à laver, elle deviendra « eau jaillissant en vie éternelle » étanchant une soif d’infini inextinguible. 


Mais que vient faire l’histoire des cinq maris que la samaritaine dit avoir eus et qui a souvent transformé ce dialogue hautement théologique en une histoire de femme légère à la recherche d’une autre occasion favorable ? Sachant que le mot mari (baal) est aussi celui qui désignait les dieux païens fréquentés par les samaritains, l’échange entre Jésus et la femme ne change pas de registre. Il s’agit bien de chercher à connaître Celui que nous adorons. Nos conversations les plus quotidiennes atteignent-elles le fond de nos puits ?


Elle et lui auraient pu en rester à la banalité du temps qu’il fait, à la sécheresse annoncée, à la rivalité de leurs temples, à leurs généalogies respectives issues de l’ancêtre commun. Ils ont parlé de tout cela mais c’était d’une autre soif, d’un autre temple, d’un autre Dieu dont il était question.
Quand Jésus sur la croix a crié « j’ai soif », ne s’est-il pas souvenu de cette rencontre improbable avec la femme de Samarie ? Et celle-ci n’était-elle pas cachée parmi ces femmes éplorées qui communiaient à la mort du Sauveur?


21 février 2023

Babel

Ils habitent un pays que le monde entier leur envie.
Ils se réunissent dans une des plus belles capitales d’Europe.
Ils siègent dans l’un des monuments emblématiques de la République.
Ils se disent les représentants du peuple.
Ils parlent la même langue.
Ils se comportent comme des potaches d’une classe de 4ème à qui on demanderait de commenter une réforme de l’académie française. Il faut même espérer que, dans ce cas de figure, quelques uns de ces adolescents auraient le salutaire réflexe de se taire.
Des invectives, des cris, des gesticulations, des injures, des répétitions à n’en plus finir, des suspensions de séances. La tour de Babel creuse ses fondations et restera à ce niveau. Cela se passait à Paris, à l’assemblée nationale, lors du soi-disant examen de la réforme des retraites.


Au même moment, le dernier témoin du massacre d’Oradour sur Glane s’en allait discrètement. Nous avons pu revoir et entendre certains de ses interviews. Une voix posée, une attitude digne, aucune ostentation, seulement le désir de transmettre l’horreur de cette histoire et de ne pas l’oublier. Cet homme, dans ce contexte politico- médiatique prenait toute sa dimension. Il paraissait plus grand encore. Il était le représentant d’une France qui ne se reconnaît plus dans les travées du palais Bourbon.


Il est temps de proposer une réforme de l’Assemblée Nationale qui commencerait par interdire de se présenter à la députation sans avoir au moins exercé une profession pendant 15 ans, le temps d’apprendre le « courage de la nuance » cher à Jean Birnbaum qui dénonce la « brutalisation » du débat public. Quant à une réduction de la moitié de ces bavards inopérants, elle ferait gagner du temps et de l’argent à tout le monde. Mais qui la votera ?
Le monde politique n’est pas seul en cause. Il semble aujourd’hui que toutes les institutions civiles ou religieuses soient victimes du syndrome de Babel : Tous parlent, personne ne comprend, rien ne se fait.
Quelques uns rêvent encore… le rêve a ceci de bon : il ne fait pas de bruit et ne coûte pas cher !
Jan dé Bartaloumè   


11 février 2023

La liturgie, un art impossible ?


Prenons l’exemple de la messe. Le Christ, la veille de sa mort c’est-à-dire avant d’offrir sa vie sur la croix prend du pain et du vin, invite ses disciples à manger et à boire en disant : Ceci est ma vie donnée, livrée. Et voilà que, peu après, Il ressuscite dans l’acte même de son offrande totale à Dieu son Père et aux hommes ses frères. Ainsi Il institue et célèbre La Messe, l’offrande, l’action de grâces, la sienne, unique et éternelle. Il n’y a donc qu’un célébrant : Lui. Un temple et un autel : Lui. Aussi « nos » messes n’ajoutent rien à celle là, elles actualisent, mettent à notre portée dans notre temps et dans notre espace, sa messe, toujours présente et sans cesse célébrée par Lui, dans sa résurrection.


Certaines Eglises en ont conclu qu’il fallait donc, avant tout, imiter la liturgie du ciel. Les orthodoxes excellent dans le genre. Tout y est prévu pour susciter la louange à l’unisson de celle des anges.
C’était encore le cas de notre ancienne messe solennelle, réglée comme une chorégraphie parfaite. Elle se déroulait dans un espace sacré et hiérarchisé, au plus près de la voûte étoilée du chœur. On l’appelait encore le « Saint Sacrifice » d’agréable odeur diffusée par l’encens. Elle retrouve un regain d’actualité avec un retour aux espaces réservés, aux gestes et à sa langue sacrés. Une « liturgie grand-écran », aérienne, qui s’épuise à vouloir mimer l’œuvre de Dieu « copiée-collée ».

 D’autres communautés, se souvenant du   repas de l’auberge d’Emmaüs, considérant que la messe était aussi célébrée sur la terre par et pour des terriens, usent leur imagination à rendre le repas attirant et savoureux par des innovations tape à l’œil, des explications bavardes, en oubliant qu’Il les quitta subitement en les laissant sur leur faim. On est ici dans le registre de l’animation à l’instar des émissions de télévision qui cherchent à faire de l’audience. On veut se souvenir que la liturgie est une « action du peuple » corrélative à la contemplation. Malheureusement, elle dévie, elle aussi, vers une « liturgie écran », dans le sens où ses acteurs trop présents finissent par obstruer la Voie et couvrent la Voix.
En fait, les deux liturgies en restent au niveau de la représentation. Et comme dans tous les jeux de rôle l’art de représenter -ici,  le divin- est non seulement difficile mais en l’occurrence impossible. Dans les deux cas, le rôle des représentants et la performance des signes prennent le pas sur la « présentation », la mise en présence de l’Unique célébrant et de l’Eucharistie éternelle. Le rite par sa répétition et sa symbolique devrait y aider mais il peut s’engluer dans une morne habitude s’il n’est pas habité par l’Esprit!
 
La critique est aisée mais l’art est difficile ! En effet, comment célébrer pour qu’une assemblée liturgique entre dans l’Eucharistie du Christ si ce n’est en faisant en sorte, et ceci vaut pour tous les acteurs clercs ou laïcs, que ceux-ci s’effacent devant sa Présence, en n’approchant du mystère qu’à pas feutrés, qu’à mots comptés, en Lui laissant la préséance, en se mettant humblement en retrait. Bref, la qualité première d’une liturgie chrétienne ne serait-elle pas celle d’inviter à la prière et au souci du prochain ? Seul un climat de prière peut remettre à sa place le serviteur de la liturgie sans supprimer sa personnalité et laisser à la sienne, c’est-à-dire la première, le Célébrant Unique.  Pour obtenir cette qualité, une seule chose est nécessaire : que le célébrant et tous les acteurs soient eux-mêmes en état de prière, tout le reste y compris le rituel, étant ordonné à ce seul objectif. Un art moins difficile qu’il n’y paraît…mais qui pourrait bousculer bien des routines et des faux plis acquis !  


09 février 2023

Pénibilité

Qui donc aurait cru que les fabuleuses performances de la technique, de l’informatique et de la robotique se seraient soldées par un accroissement de pénibilité ? La mémoire réveille ces temps, pas si lointains, où l’instituteur commentait la finale de la fable du laboureur : « Prenez de la peine c’est le fond qui manque le moins ». Quant au curé, reprenant le récit de la création du livre de la Genèse, il ne manquait pas de rappeler aux enfants du catéchisme qu’après le péché de l’homme et de la femme, le sol fut maudit et « c’est à force de peine que tu en tireras subsistance » Gn 3, 17). Curieusement, on parlait moins de pénibilité quand vivre au quotidien demandait un effort soutenu.


Encore faut-il s’entendre sur la signification de la peine. Chez le fabuliste, elle était synonyme de sueur et de fatigue car la « terre était basse » disait-on. La Bible y ajoutait une notion de punition. Ses auteurs n’étaient pas naïfs au point de croire que l’on pouvait cultiver le jardin d’Eden sans avoir mal au dos. Mais la peine pour eux était liée au péché c’est-à-dire à la perte du sens originel. Quand le travail n’est plus qu’une tâche répétitive sans cesse accélérée par la cadence de la machine, au profit exclusif d’une économie de marché illisible, il devient peine insupportable. 

Les pancartes qui accompagnent les cortèges des manifestants en disent long  sur la dégradation du sens du travail. Elles affichent à bout de bras le vulgaire « boulot » pour mieux souligner le manque d’intérêt du travail accompli, faute d’une juste considération et d’une simple reconnaissance. 


Suffira-t-il d’augmenter les salaires ou de diminuer la durée de la vie professionnelle pour retrouver goût au travail? Il semble que le mal soit plus profond et qu’il faille retourner au texte biblique pour considérer que si le travail est devenu le « boulot » c’est peut-être parce que nous l’avons détaché de son but premier qui était de participer librement à l’œuvre de la création et au bien commun de l’humanité. Le lien rompu avec la nature, la déshumanisation de la relation à l’autre et l’absence de relation avec le Créateur ne pouvaient qu’aboutir à ce piètre résultat. Celui ou celle qui sait pourquoi il travaille ne peut pas considérer sa tâche comme une punition même si elle demande toujours un effort.

21 janvier 2023

Service et pouvoir


 Heureux les serviteurs attentifs et ponctuels, proclame l’évangile lorsque le maître tarde à rentrer de la fête. « Grand serviteur de l’Etat » titre la presse quand elle présente un personnage qui a accumulé des fonctions administratives. Cette expression est encore synonyme de compétence, de probité et souvent d’abnégation. Le service de l’Etat, en effet, ne supporte pas l’amateurisme, les passe-droits, la recherche de la promotion personnelle ou de la vaine gloire. Il ne s’agit pas uniquement de représenter l’Etat mais d’en  partager le pouvoir, garant du Bien commun au-delà des intérêts particuliers. Alors, comment conjuguer service et pouvoir ? Le baptisé ne peut pas échapper à cette question.
Quelle a été l’attitude de Jésus vis-à-vis de ceux qui commandaient, le civil et le religieux étant confondus dans la société de son époque ?


 Rappelons-nous  la rencontre avec Jaïre, notable juif dont le thaumaturge de Nazareth  relève la fille du sommeil de la mort. Avant de partir, Jésus fait une recommandation : silence et discrétion. Le vrai service ne claironne pas. 


Souvenons-nous  aussi du centurion, l’étranger, l’occupant : « Dis seulement une parole et mon serviteur sera guéri…Je n’ai pas trouvé une telle foi en Israël ». Avec Jésus pas de discrimination : ami ou ennemi, celui qui souffre a droit à notre compassion et à notre aide. Le soldat romain était déclaré impur, à tous points de vue infréquentable. Rien que la loi, toute la loi, dit-on. Il y a cependant  des occasions où il faut la surpasser et prendre des risques. 


Risques qu’encourut ce prophète itinérant qui osa traiter Hérode de renard. La fréquentation des arcanes du pouvoir  a dû mettre le « grand serviteur de l’Etat »  aux prises avec de nombreux rusés. Sa lucidité et son indépendance d’esprit l’ont peut-être préservé des morsures carnassières des renards tapis dans les sous-sols de la politique !


Regardons Zachée, le collaborateur, sur son sycomore. « Je viens manger chez toi ». Partager le pain, communier, avec un pécheur notoire mais, capable de se convertir au risque là aussi de provoquer un scandale. Distinguer la loi qui s’impose, du citoyen ou de la collectivité pris en faute, demande un regard distancié.


Enfin, son dialogue avec Pilate : « Tu n’aurais aucun pouvoir s’il ne t’avait pas été donné d’en haut…» Jésus remet le puissant à sa place, à genoux devant la Vérité d’en haut  toujours inaccessible. Et le représentant de César fera bien de ne jamais confondre son pouvoir avec celui de Dieu : « Rendez à César ce qui lui appartient et à Dieu ce qui est à Dieu». L’insigne ou la tenue officielle de la fonction rappelle,  s’il le faut encore, que le pouvoir  nous dépasse, il vient d’ailleurs, il ne nous appartient pas.


Quelle que soit notre position sociale, nous exerçons tous un certain pouvoir. Et comme les frères Zébédée, Jacques et Jean, nous sommes tous tentés de le mettre à notre service : « Celui qui voudra être le premier, leur répond Jésus, se fera l’esclave de tous » Or, justement, nous baignons dans une culture du pouvoir immédiat et quasi absolu. L’époque contemporaine, grâce aux fabuleuses possibilités du numérique, nous laisse croire que tout est à notre portée. Elle nous a donné de tels moyens que nous croyons avoir atteint le piédestal de Dieu. Malheureusement, chacun veut y accéder, or, il n’y a de place, à ce niveau là, que pour un Seul. D’où cette rivalité et cette violence larvée qui s’infiltrent partout et éclatent au moindre motif. L’abandon généralisé de la reconnaissance d’un seul Dieu a favorisé l’émergence de petits dieux (c’est à dire chacun de nous) qui veulent faire la loi et ravir les meilleures places. Sous nos yeux, notre société se fracture entre ceux qui auront les clefs de la connaissance informatique quasi-infinie et ceux qui resteront, de plus en plus nombreux sur le bas-côté, faute de pouvoir ou de savoir s’adapter. 


Le terrain du pouvoir est miné. Est-ce une raison pour que le chrétien se tienne frileusement à l’écart de ses risques et de ses pièges? Certainement pas ! Mais s’il s’engage, il le fera en gardant fermement un seul critère : retrouver la finalité première de la Loi et de toute gouvernance : protéger le petit et le faible des violences multiples qu’ils subissent.
Heureux sera-t-il d’avoir été ce serviteur « fidèle à veiller ! ».

12 janvier 2023

Foi et raison

 


 Lors des obsèques du Pape émérite ont refleuri, inévitablement,  les « ismes »  dans lesquels certains l’avaient définitivement encadré : conservatisme, rigorisme, traditionalisme. Ils  avaient tout simplement oublié ces propos de Joseph Ratzinger datés de 1969, extraits d’une émission d’une radio allemande, que rappelait récemment René Poujol dans son blog : « …Ce sera une Eglise plus spirituelle qui ne s’arrogera pas un mandat politique (…) mais après l’épreuve de ses divisions, d’une Eglise intériorisée et simplifiée sortira une grande force...  Il me semble certain que des temps très difficiles sont en train de se préparer pour l’Eglise. Mais je suis aussi tout à fait sûr de ce qui restera à la fin : non l’Eglise du culte politique mais l’Eglise de la foi… C’est sûr qu’elle ne sera plus la force sociale dominante dans la mesure où elle l’était jusqu’à il y a peu de temps. Mais l’Eglise connaîtra une nouvelle floraison et apparaîtra comme la maison de l’homme, où trouver vie et espérance au-delà de la mort. » 


N’ayant pas eu la force de mettre en musique cette Eglise nouvelle pour laquelle il souhaitait des ministères différents, il a posé, lors de sa « sortie » l’acte le plus audacieux de son pontificat laissant abasourdis ses détracteurs comme ses admirateurs. La raison est venue au secours de la foi. Réduire une personne, quelle qu’elle soit, à un seul qualificatif est toujours imprudent et dangereux. Au fait, Jésus, était-il progressiste ou traditionaliste ?


« Je ne suis pas venu abolir mais accomplir » nous a-t-il dit en parlant de la Loi Juive. Certes il l’a accomplie et même surpassée ! Alors, pourquoi  aurait-il  déclenché chez les tenants de « la tradition des pères » une opposition telle qu’elle lui valut une mort en croix, s’il n’avait pas profondément déstabilisé les croyances de ses contemporains ? Prétendre, comme il le fit, se placer au-dessus de Moïse était blasphématoire : « Moïse vous a dit… moi je vous dis… »
Enfermer l’expression de la foi dans une tradition figée par une langue, des rites ou des dogmes est indigne du « sujet » de notre foi et de notre amour : Dieu lui-même. Vouloir, à l’inverse, la présenter sous les couleurs de la modernité contemporaine sans les passer au feu de l’évangile l’est tout autant. Laissons à Dieu le soin de nous déconcerter encore par une révélation de son identité qui n’en finira jamais de nous bousculer.



"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.