26 avril 2010

La Foi à la recherche de « cultures porteuses ».




Entendu ce matin : « Le vendredi, c’est le jour du poisson ». « Reviendrez-vous l’année prochaine ? S’il plaît à Dieu ! » répond une personne d’un certain âge. « Inch Allah » ajoute une plus jeune d’origine portugaise. Et ceci, dans une bonne petite ville du Béarn profond qui hier comptait deux paroisses catholiques, et, avant-hier, s’honorait d’être un fief protestant. C’est dire l’ancienneté de l’imprégnation de la tradition chrétienne.

Cette petite anecdote ne fait que réactiver une question qui me taraude. L’Eglise doit-elle faire le deuil ou non de ce qu’on appelait la culture chrétienne ?

Une culture chrétienne encombrante ?

Mes origines rurales accrochées aux clochers des villages et aux croix des chemins, ma tournure d’esprit qui a toujours voulu privilégier une certaine unité de pensée, la façon dont j’ai exercé le ministère presbytéral, tout en moi s’insurge devant une telle hypothèse. Je suis, cependant, le premier à déplorer la survivance d’une sorte de christianisme de rites domestiques, naturels ou sociaux qui tournent essentiellement autour d’un dieu protecteur et sécurisant et qui réduisent la liturgie à une « gestion » du religieux latent en tout homme. Je vois tous les jours les limites de ce qui pourrait être une évangélisation de ce même religieux. Si toutes nos célébrations d’obsèques étaient catéchétiques, comme on le dit, il y aurait belle lurette que tous les habitants de mon canton seraient des chrétiens affirmés, confirmés et contagieux !!

Cela dit, je ne peux me résoudre à passer pour pertes et profits les 600 personnes d’une paroisse qui, encore ces dernières années, venaient demander le pardon de Dieu sous la forme d’une absolution collective et qui, après sa suppression amplement expliquée, se sont retrouvées moins d’une centaine. A-t-on bien mesuré qu’au nom du respect du rite de l’aveu personnel, nous privons ceux et celles qui ont tant de mal à s’exprimer sur ces sujets délicats de la seule occasion de l’année où ils faisaient une démarche visible, coûteuse et sérieuse de repentir ? Le rite a été « sauvé » mais les pécheurs, eux, le sont-ils ? Que je sache, tous ceux qui ont crié « Fils de David, aie pitié de nous ! » sur les chemins de Palestine, ne se sont pas cachés avec Jésus derrière un sycomore pour lui susurrer à l’oreille la liste de leurs fautes.

J’entends bien que ce « religieux » de nos campagnes françaises, habillé des dorures chrétiennes, sera peut-être le plus allergique à une vraie « évangélisation des profondeurs » selon l’expression de Simone Pacot. Faut-il, pour autant, l’abandonner entre les mains de ceux qui le laisseront régresser vers les formes les plus contestables d’une déshumanisation aliénante ? Faut-il faire fi de certaines coutumes locales qui font du maire des petites communes rurales, quelles que soient ses convictions, le collaborateur incontournable du curé et des chrétiens actifs moyennant quelques dérogations au droit canon et à une laïcité sourcilleuse ?

De fait l’Eglise semble avoir choisi.

De par le fait minoritaire de la population catholique, la pluralité des cultures, l’échec d’une transmission généralisée de la Foi et des sources de la pensée chrétienne, le raidissement de certaines prises de position des responsables, le désir d’afficher une différence signifiante, l’Eglise catholique prend acte du décès d’une certaine tradition chrétienne. Ou plutôt, elle pense que son incarnation a que trop bien réussi au point qu’elle s’est laissée engluer et polluer par la sécularisation. En effet, dans bien des cas, la Foi s’est coagulée dans des gestes ou des expressions qui ne font plus sens pour une vie. Alors, l’Eglise appelle à un sursaut, comme si elle avait à sauver son âme trop compromise par la société actuelle. Elle parle d’une nouvelle évangélisation à grands frais, affiche le message en direct, annonce à contre-temps et contre-lieux, refuse l’immersion, se réfugie sur son île culturelle, retrouve sa langue codée, sa musique « sacrée », et ses œuvres privées. Les communautés urbaines contrastent avec les rurales. Celles-ci ne font l’objet d’aucune stratégie pastorale d’avenir. Tout se passe comme si, faute de plan d’irrigation, on consentait à laisser s’élargir un vaste désert spirituel autour de quelques oasis qui s’exténuent à lutter contre l’ensablement.

Mais quel choix ?

Le Christianisme refusant de devenir une crypto-culture, veut se présenter comme une «contre-culture» (1). Ses ministres, jusqu’ici issus du peuple chrétien local, proviennent de plus en plus de communautés exogènes. Cette posture de « contre culture » si elle était notre réponse unique serait-elle chrétienne ? Ne sommes-nous pas appelés à régénérer les cultures qui nous traversent, à les purifier, à les soulever dans le grand élan de la résurrection ? Pour cela il ne s’agit pas de se positionner seulement «contre» mais « dans » : pas de régénérescence de la société sans incarnation dans sa culture et sans consécration de la vérité.

Tout ceci ne serait que saine diversité d’approches pastorales dans une Eglise plurielle si les circonstances faisaient que nous ne pouvons pas nous payer le luxe de tout faire. Or, aujourd’hui dans nos régions rurales, la situation des forces vives de l’Eglise est telle, que celle-ci est dans l’obligation de changer de cap.

Nous serons la dernière génération de ces curés qui étaient un peu « les curés de tout le monde» et il faudra bien délaisser une fois pour toutes « l’inscription chrétienne dans la société » (2) sous la forme où nous l’avons connue, pour devenir les pasteurs de communautés de base attestantes, attirantes et réduites.

Quel baptême ?

Mais, si c’est le cas, il faut en tirer toutes les conséquences à commencer par le début, je veux parler de la réception du baptême, sacrement de la Foi. Finis les baptêmes par «complaisance », « parce que ça se fait dans la famille » « parce qu’on ne sait jamais… » « parce que c’est dans notre patrimoine… » même s’ils sont accompagnés d’une démarche préparatoire à sa célébration. Que l’on ait le courage de ne donner le baptême que conditionné à un engagement personnel dans l’Eglise ou dans la société puisqu’il ne peut plus compter sur une « culture porteuse »! Les choses seront claires; l’Eglise y perdra en notoriété -bien relative- peut être même en incarnation mais elle y gagnera en crédibilité. Elle n’aura nul besoin de recruter ses serviteurs à coup de « pub » car des communautés vivantes sauront se donner les ministres dont elles auront besoin.

Il restera, peut-être, « si Dieu le veut », quelques «tièdes» qui mangeront du poisson « parce que c’est vendredi », que l’ange de l’Apocalypse n’aura pas encore vomi et quelques vieux prêtres décalés pour leur signifier la bienveillance infinie du Père !



(1) Expression employée par Benoît XVI à Malte dans un contexte spécial. Journal « La Croix » du 19 04 10

(2) selon le titre d’un ouvrage de Guy Coq.

01 avril 2010

Jeudi Saint




Jésus n’a célébré qu’une seule messe mais il faut croire que se fut la bonne ! C’est la réflexion qui s’impose à moi à chaque commémoration de la Cène. Or, depuis, un prêtre de campagne célèbre au bas mot 400 Eucharisties par an !! Il n’en a pas toujours été ainsi, puisque sous l’Ancien Régime, on lui prescrivait de célébrer « quelques fois » les Saints Mystères ! Que signifie cette inflation du rite, cette boulimie du corps du Christ, cet appétit immodéré du pain venu du ciel, cette soif inassouvie du sang du Seigneur ?

On peut arguer que notre condition pécheresse nous oblige à réitérer sans cesse notre conversion ; qu’à l’instar du repas quotidien, il nous faut alimenter régulièrement notre être spirituel ; que les saints, tellement amoureux du Christ, ne peuvent rester longtemps sans exprimer leur élan…

Ne sommes-nous pas un peu victimes de nos lectures de la première Alliance qui faisait obligation aux prêtres du Temple de Salomon de ne pas interrompre l’offrande qui montait de Jérusalem afin que Dieu soit favorable à son peuple ? Il serait bon, non seulement de relire la lettre aux Hébreux, comme nous le faisons en ce moment dans l’Office des Heures, mais de la mettre en pratique. Le Christ est bien notre grand prêtre mais contrairement à ceux du Temple, Il s’est offert une fois pour toutes….

On comprend bien que ni le prêtre ni les fidèles ne sont le Christ et que comparaison n’est pas raison. Mais si nous avions davantage conscience, les uns et les autres, que l’Eucharistie engage le DON total et sans réserve de notre vie, que son horizon s’ouvre sur la Croix, que la messe n’est « dite » que lorsqu’elle consacre aussi le monde qui nous entoure afin qu’il devienne « offrande spirituelle agréable à Dieu », ne serions-nous pas plus précautionneux dans l’usage du Sacrement ? N’est ce pas là « chose » trop grave pour en faire une simple réponse à un besoin personnel ou occasionnel? « Pourtant j’avais bien commandé une messe pour aujourd’hui ! » Il y a bien des façons de « blesser » la liturgie !

Certes, le Signe est dit visible dans la définition du catéchisme, mais il doit également être efficace. Ne l’a-t-on pas rétréci aux dimensions de quelques intentions particulières alors que sa portée est universelle ? N’avons-nous pas confondu efficacité et quantité ? N’y a-t-il pas d’autres rendez- vous avec le Seigneur ? La méditation de la Parole, la prière, l’accompagnement fraternel ne sont-ils pas signes véritables de Sa présence ? « Quand deux ou trois sont réunis en mon Nom… »

Bref, je vais dire une énormité, mais ne faudrait-il pas de temps en temps « re-évangéliser » la messe ?

Chacun sait que trop de rites tue le rite ou du moins amoindrit sa puissance d’évocation.

Oui, évangélisons la messe, retrempons la dans son bain originel, dans la vie et la mort de Celui qui la célébra le premier. Alors avec Lui, nous dirons en tremblant : « Mon âme est bouleversée. Que dirais-je ? Mon Père sauve moi de cette heure ! Mais c’est pour cela que je suis arrivé à cette heure. » Jn 12, 27
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.