28 février 2019

Quarante


Chiffre biblique magique qui compte les années de désert subies par le peuple hébreu. Conduit par Moïse, il y fait le dur apprentissage de la liberté après les années d’esclavage. Ce n’est pas seulement la tutelle du Pharaon qu’il faut quitter mais encore le joug des divinités égyptiennes. 40 jours sera pour Elie, le combattant des idoles, le temps nécessaire pour éprouver « le fin silence » d’un Dieu qui se risque à  laisser la parole à l’homme. Enfin, Jésus conduit par l’Esprit, passera encore 40 jours au désert pour préparer sa vie publique en affrontant et en refusant la tentation démoniaque de se faire le dieu de nos besoins et de nos fantasmes.


De ces expériences fondatrices vient notre carême. 40 jours de préparation à ce qui constitue pour le chrétien le sommet de l’année liturgique et le centre de sa Foi, à savoir la fête de la résurrection du Sauveur et la sienne aussi. Mais il faut d’abord passer par le feu…


Autrefois, c’est-à-dire avant les mises aux normes, à cette époque-ci, la nuit de nos vallées offrait un étrange spectacle.  D’immenses serpents de feu rampaient vers les étoiles à l’assaut d’on ne sait quelle planète. De temps en temps, un brasier se faisait plus scintillant, les étincelles jaillissaient en hauteur, peut-être un « buisson ardent » ?  Et l’on se prenait à imaginer Moïse fasciné par ce feu mystérieux dont l’origine restait obscure. Les bergers, suivant la coutume ancestrale, avaient allumé la flamme au bas de la montagne. Elle nettoyait les pâturages jusqu’à s’épuiser sur le « contre-feu » sagement prévu. De la végétation roussie par les intempéries et par le gel, il ne resterait que cendre grise et squelettes noircis. Quelques jours plus tard, les pentes se recouvriraient d’un duvet vert en attendant d’offrir aux troupeaux une herbe grasse et savoureuse.

Ainsi débute notre carême : raccourci de quarantaine. Une mort symbolique, un retour à la poussière, un feu purificateur de tout ce qui nous encombre, de tout ce qui obscurcit l’essentiel de nos vies. Une cendre qui amende et nourrit une vie pour toujours incandescente! « Convertis-toi ! »

24 février 2019

François,


Qui suis-je pour m’adresser à toi (1) ? Un pécheur comme les autres. Mais si j’ose le faire, c’est parce que j’ai été ordonné prêtre seulement deux années avant toi et que, par conséquent, tu es mon frère dans le sacerdoce. Un frère qui force mon admiration car tu as accepté de conduire l’Eglise au moment où une vague de scandales fait peser sur tout le clergé une chape de soupçons.


François, regarde la France, fille aînée de l’Eglise, disait-on autrefois. Elle est malade. L’Europe l’est aussi. Le système démocratique est devenu si complexe et la société si réglementée que le citoyen s’est vu contraint de déléguer peu à peu tous ses pouvoirs à des représentants chargés de les exercer dans le cadre du bien commun. Aujourd’hui, il se sent oublié et victime d’un système qui lui échappe. Il veut être écouté. Il désire reprendre le pouvoir à son compte et il le fait savoir. La réaction est saine, même si elle paraît contestable en bien des points.


Regarde l’Eglise ! Tu le sais mieux que moi, elle est malade. Notre vieille mère, qui a traversé tant de siècles, a gardé de sa fréquentation de l’histoire des hommes des manières surannées, des titres ridicules, des ornements désuets, un  langage abscons. De ceci on pourrait sourire, comme on le fait des photos jaunies du vieil album de famille que l’on feuillette. Elle a parcouru tant de chemins  boueux que sa peau est souillée de terre. Mais cette souillure là n’est pas malsaine. Elle est la compagne inévitable de son incarnation parmi les hommes. Elle est  cette glaise que le Créateur  du livre de la Genèse a pétri pour faire un être à sa ressemblance quoique terreux. Cette souillure est excusable ; elle est le signe d’une proximité avec les hommes qui s’est parfois brûlé les ailes.


L’Eglise est malade d’un mal bien plus grave. Depuis que le souffle de l’Esprit s’est engouffré dans la chambre haute de la Pentecôte, des hommes d’Eglise, j’allais dire « d’appareil », se sont employés à canaliser ce vent divin dans un labyrinthe tel qu’il en sort exténué et parfois perverti. Ils lui ont donné un vocabulaire spécifique, un code de bonne conduite, un espace sacré dont ils prétendent détenir la clef, définir les frontières et organiser la visite. Et comme l’invasion du sacré est inversement proportionnelle à la perte de la foi au Dieu vivant, ceux qui s’en estiment les propriétaires et les grands- prêtres ont vu leur prestige prendre encore plus d’ampleur.  François, tu as diagnostiqué ce mal. Tu l’as appelé le « cléricalisme ». D’ailleurs, il n’est pas réservé aux clercs et on peut le rencontrer dans bien d’autres institutions humaines. Cet abus de pouvoir est sans commune mesure avec la souillure contractée dans la foulée imprudente des chemins de traverse. C’est un torrent d’ordures qui déferle sur ces ministères pervertis. Et cela est d’autant plus intolérable qu’il touche des personnes vulnérables.


Alors, François, toi qui as confiance dans le « Peuple saint des fidèles de Dieu » demande-lui, si par hasard, il aimerait s’identifier davantage à la communauté des Actes des Apôtres qui partageait « d’un même cœur » l’enseignement, la parole et le pain ; demande-lui si, par hasard, s’appuyant sur les conseils de St Paul, il ne souhaiterait pas repenser les ministères de l’Eglise pour les confier à des hommes et des femmes ayant fait leurs preuves dans la conduite de leur famille et dans leur profession ; demande-lui s’il ne préfèrerait pas être un peu allégé de tous ces accessoires hérités des siècles passés. Ils ont eu, certes, leur utilité mais ils sont devenus étouffants et encombrants. D’ailleurs, ils ont trop souvent empêché le peuple saint de se prendre en main en le maintenant dans un état d’enfance protégée et prolongée.


Tu sais, comme moi, François, que le Maître reprochait à certains d’imposer des fardeaux qu’ils étaient incapables de porter eux-mêmes. Alors, s’il te plaît, après avoir entendu les évêques, écoute les baptisés, ceux qui forment « la classe moyenne de la sainteté ». Tu as dit que le baptême était « notre première et fondamentale consécration » car « nul n’a été baptisé prêtre ou évêque » (2). Convoque donc une conférence des baptisés pour chaque continent. Donne-leur la parole sans intermédiaire, sans le filtre des « autorités qualifiées ». Il te dira, ce peuple encore fidèle, ce qu’il est essentiel de préserver pour que la barque ne chavire pas dans l’ignominie. Il te dira ce qu’il faut balancer par dessus bord pour l’alléger afin qu’elle ne soit pas engloutie sous son propre fardeau.
François, aide-nous à hisser la voile, tiens bon la barre et qu’un vent nouveau nous pousse au large…


(1) Je me permets ce tutoiement car c’est ainsi que  je m’adresse au Christ dans ma prière.
(2) Pape François « Les laïcs messagers de l’Evangile » ed Salvator.2016

"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.