24 juin 2021

Gagnent à être connus

 


 Présentation impeccable, diction parfaite, barbe soignée, une légère intonation de la voix qui ouvre sur l’ailleurs, des explications précises et détaillées données à l’apprenti, tout laisse deviner l’ouvrier qualifié.
Il ne faut pas trop insister pour apprendre qu’il est argentin, qu’il a été professeur d’école, qu’il a vécu en Allemagne, qu’il a travaillé dans la restauration, qu’il est parti aux USA, qu’il est venu à Paris, qu’il parle 4 langues et a déjà fait plusieurs métiers. Et tout cela, raconté avec le sourire, le plus naturellement du monde. Partout chez lui, il a décidé de se fixer en Béarn pour que sa fille prenne racine dans un endroit stable et  il a choisi le métier d’électricien. Jeune et avenant Fernando gagne à être connu.
 

Trois jours après l’intervention du technicien venu de la pampa, visite de Maurice. Avec lui, c’est l’Inde, le Rwanda, l’Afrique du sud, le Tchad, la Grèce, le camp des réfugiés de Moria, et enfin Dunkerque, qui se donnent rendez-vous dans ce trou de nulle part entre gave et coteaux.
Il a passé sa vie à côtoyer la misère et à répercuter la voix des réfugiés qui ont tout perdu sauf l’espoir enfoui de retrouver leur dignité. Il suffit que quelqu’un veuille bien les écouter et leur adresser la parole comme à des êtres humains qui vivent une aventure terrible et exceptionnelle pour que leurs yeux délavés brillent de nouveau. Maurice Joyeux n’est fixé nulle part sinon dans la compagnie du Christ : il est jésuite. Il gagne à être connu.
 

L’électricien et le jésuite font mentir le proverbe : « Boule qui roule, n’amasse pas mousse ». Pourquoi ? Parce qu’ils sont des hommes de « trajet » plus que de projet comme le souligne Raphaël Buyse en présentant le message de Madeleine Delbrêl (1), cette intellectuelle devenue assistante sociale dans une banlieue anonyme de la région parisienne, au début du siècle dernier. Elle n’a pas parcouru le monde. Sans bouger, elle a compris qu’en allant au plus profond d’elle-même, elle rejoignait chacun dans ce qu’il a de plus essentiel, cette part d’humanité qui reflète le désir que Dieu projette sur lui.
 

A sa façon, l’argentin voyageur a trouvé son port d’attache comme le jésuite nomade son puits sans fond. Eux et Madeleine gagnent à être connus et c’est nous qui sommes gagnants.

(1)    Raphaël Buyse « Toute cette foule dans notre  cœur » Bayard


"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.