21 février 2024

Contribution avortée au Synode romain…

 

 …retrouvée dans un placard de sacristie. Elle n’est jamais arrivée à destination et pour cause ! « Moi, paroissien lambda, qui comme beaucoup d’autres a été serviable et corvéable à merci, je m’adresse aux évêques, prêtres, diacres, cérémoniaires, chefs de chœur, lecteurs, servantes et servants de messe, lecteurs et lectrices, choristes, sacristains, thuriféraires, acolytes, portiers, organistes, quêteurs… 

A vous, tout d’abord, l’hommage de ma reconnaissance pour votre fidélité sans faille au service du peuple de Dieu. Retiré du service, et peut-être grâce à cela, je me permets de vous faire parvenir quelques remarques au sujet de la liturgie eucharistique, la messe, qui reste pour la plupart de mes contemporains la « marque de fabrique » de l’Eglise.

 Entendons-nous bien ! Loin de moi l’idée de confondre la messe avec l’exercice de l’oraison personnelle ou des dévotions particulières. Il est vrai que j’ai connu dans ma jeunesse des célébrations qui occupaient le célébrant et deux enfants de chœur tournés vers un autel monumental, « charabiant » une langue ancienne, ce qui laissait à chacun le loisir de prier le chapelet ou de feuilleter le « manuel paroissial ».

 Le « Dominus vobiscum » réveillait l’attention de ceux qui plongeaient dans une méditation dominicale ou qui faisaient mentalement les comptes de la semaine écoulée. Dans ce rite là, j’ai déjà donné, merci ! Je n’ai pas besoin de la messe en français ou en latin pour faire oraison.

 Je sais que la liturgie, comme son nom l’indique, est l’action du peuple qui se rassemble pour « faire mémoire de Moi », c’est-à-dire pour s’associer et communier au « mystère de la Foi ».

 Par contre, cette œuvre, cette action ne peuvent se réduire à une mise en scène, a priori dérisoire, de la Cène de Jésus. Le jeu de rôles en ce cas ne peut être que mauvais. L’important c’est « LUI », à la fois présent et absent. Alors permettez-moi de relever quelques détails qui, à mon avis, le rendent encore plus absent.

 Commençons par l’avant-messe. Peut-on plonger dans la Trinité avec le premier signe de croix, sans prendre deux minutes auparavant pour désencombrer notre esprit et pour mesurer tant soit peu l’acte inouï que nous allons poser ?

 Alors, quel que soit ton rôle dans la liturgie, prépare-le à l’avance. Fais en sorte que le chœur de l’église ne devienne pas une scène avec ces allers et venues précipités, ces génuflexions acrobatiques, ces conciliabules de dernière minute, ces mouvements désordonnés. Cette agitation peut se concevoir au théâtre avant le lever de rideau mais, ici, il n’y a pas de rideau ! Les paroissiens ont besoin de calme, de silence, de recueillement. Ne cherche pas à combler le vide. C’est lui qui parle le mieux de l’absent-présent !

 Si tu dois de déplacer, tu n’es pas obligé(e) de mettre, ce jour là, les chaussures à talons les plus bruyants dignes d’une relève de « horse guards »… à moins que tu ne désires réveiller les primo-endormis !

Quand tu es chargé(e) de « l’animation », n’oublie pas que ce mot contient celui d’« âme ». Ne reste pas sans cesse face à l’assemblée. Dis-toi toujours qu’en mode de célébration, la relation n’est jamais binaire. Nous sommes toujours trois. Il y a LUI, le plus important, laisse lui sa place, ne boucle pas le dialogue entre toi et l’assemblée sur lui-même. Et peut-être, pour cela, reste légèrement orienté vers l’autel. Il concentre tous les symboles du Christ. A moins qu’il ne serve de porte-cierges dignes d’un étal de brocante.

 Tu n’es pas un chef d’orchestre, ni un soliste. De temps en temps, éloigne-toi du micro, même si tu as une voix splendide, laisse l’assemblée s’entraîner elle -même à la prière. Vous, les célébrants, quand vous revêtez les habits liturgiques, songez qu’ils sont la copie de ceux du grand prêtre du temple de Jérusalem. Que l’Ancien Testament ait cru bon d’approcher Dieu dans des habits spéciaux, adaptés aux sacrifices sanglants, et rivalisant avec ceux des prêtres idolâtres, c’est son choix.

 Mais toi, rappelle-toi que Jésus ressuscité, apparu à Marie-Madeleine, avait l’allure d’un jardinier. Alors, tu pourras accumuler les dorures et les parures, jamais tu n’atteindras la lumière intérieure du Christ. De toutes les façons, tu n’es pas là pour le remplacer, mais pour le signifier. Et sache que plus le signe veut ressembler à la réalité et plus il la cache et la déforme. Une belle simplicité suffit à suggérer sa présence cachée.

 Quand tu lis l’Evangile de Jésus chassant les vendeurs du temple, ne fusille pas les paroissiens du regard. Ils n’y sont pour rien mais pense surtout que cette parole s’adresse aussi à toi, elle ne vient pas de toi, mais de l’Autre.

 Tu n’es donc pas un acteur jouant son rôle le plus convaincant possible devant un public. Non, tu es le serviteur de cette parole, elle ne t’appartient pas. Mets-toi le premier à son écoute. Et par pitié, prépare ta lecture. Lire en public ne s’improvise pas, même si tu as « bac plus 4 » !

 Je sais que le micro-cravate a libéré le prédicateur du fil à la patte et que certains en profitent pour se « balader » devant l’autel et pour faire leur show. Tu n’es pas dans un prétoire pour défendre une cause, ni dans une réunion politique pour tester ta popularité. Tu as lu une Parole qui n’a rien d’évident. Contente-toi de l’expliquer le mieux possible et de la traduire dans l’actualité de notre monde. Laisse ensuite, chacune et chacun, en trouver les applications pour elle ou lui-même. N’obstrue jamais la vue de l’autel.

 J’en vois aussi certains qui, au terme de belles envolées « spirituelles » comme il se doit, s’aident de l’aide mémoire de leur portable et tapotent discrètement sur le clavier pour chercher la citation-choc qui servira de conclusion. En attendant l’heureux dénouement, ils s’ingénient à délayer leur propos dans des redites sans fin. Je rappelle à tous les géniaux improvisateurs le mot que l’on attribue à Shakespeare : « Le génie ? 1% d’inspiration, 99% de transpiration » !

 Toi le prêtre, pourquoi au moment de la Consécration, mets-tu ton nez dans le calice pour prononcer les paroles au plus près des Saintes Espèces ?

 Crains-tu que l’Esprit de Dieu s’échappe juste au moment où il se doit d’être là ? Sans compter qu’en période d’épidémie, tu augmentes les risques de contagion !

 Je comprends que tu veuilles donner toute son importance à ce moment unique. Mais quand tu lances l’avertissement suivant : « Mettez-vous à genoux car Jésus va venir sur l’autel ! », je m’étonne que personne ne te demande : « Mais où était-il jusqu’à présent ? » 

Toi, le diacre qui mets tant de soin et d’ardeur à frotter et à récurer ciboires, calices et autres ustensiles du culte dans un ballet bien réglé où pour un geste unique on fait appel à trois intervenants, sais-tu que pendant ce temps là, les fidèles essaient de se concentrer sur la Communion qu’ils viennent de faire ?

Or, ils voient s’agiter une équipe de servants virevoltant autour de l’autel, alors qu’il existe ce qu’on appelle une crédence pour effectuer cette « sainte vaisselle » dans la discrétion.

 D’ailleurs, te souviens-tu qu’on appelait cela la purification des vases sacrés. Au fait, on les purifiait de quoi ? Du corps et du sang du Christ ? Il semblerait que ce soit eux plutôt qui purifient.

 Toi l’organiste, je comprends que dans la satisfaction d’atteindre sans fausse note la fin de la cérémonie, tu te déchaînes sur le pédalier pour le morceau final. Et le public apprécie ces sorties envolées. Mais, pour le cœur de la liturgie, n’oublie jamais que tu es là pour « accompagner » la prière. Alors, je t’en supplie, économise le souffle des tuyaux et n’écrase pas systématiquement les deux derniers accords pour montrer que tu es là, caché mais ô combien indispensable !

 Toi, l’enfant de chœur que tu sois garçon ou fille, on t’a demandé de garder les mains bien jointes. N’oublie pas que c’est le signe que tu pries. Et sache surtout que ta foi et ta prière sont vivantes, tu ne les enfermeras jamais dans un rite, un geste, une parole. Il faudra que tu apprennes à prier en marchant, en chantant, en lisant et même en conduisant ta voiture, ce qui n’est pas très recommandé !

 Enfin, une règle générale. Si tu veux aider les autres à entrer dans le mystère de la Foi, commence toi-même à vivre la messe dans la mémoire vivante de LUI, avec l’aide de tous ses disciples présents et absents. Mes frères chrétiens, chers lecteurs, la moutarde vous monte au nez ! « Qui est-il celui-là pour nous donner des leçons ? » Je suis celui qui est passé de l’autre côté de la barrière et qui voudrait participer à l’Eucharistie de son Seigneur sans être enchaîné à un rituel robotisé, agressé par des improvisations intempestives, gêné par des commentaires inutiles ou distrait par des mouvements incessants. Je ne demande, au minimum, qu’une chose : que le déroulement de la liturgie ne m’empêche pas de rencontrer l’Inconnu du chemin d’Emmaüs. On ne peut souhaiter moins !

 En espérant que les acteurs du Synode pardonneront mon franc-parler ! Qu’ils prient pour moi pauvre pécheur ! » Vous comprenez maintenant pourquoi ce texte est resté au fond d’un placard !

04 février 2024

Le « nous » l’emporte

 

 Grand-mère est ravie. Son petit fils qui vient d’obtenir son permis de conduire a accepté de l’emmener rendre visite à son vieil ami, l’ermite de l’arribere. Elle compte bien profiter de l’occasion pour raviver quelques notions de vie religieuse qu’elle avait essayé de lui inculquer dans son jeune âge et qui n’encombrent plus guère ses neurones. Arrivés chez le vieil homme, un peu hors d’âge et hors monde, ils jettent un coup d’œil sur sa minuscule chapelle. Louis  remarque aussitôt un certain nombre d’images et d’objets inusités qui donnent à ce lieu l’apparence d’une église orthodoxe en réduction, en plus sobre et moins rutilante. L’ermite, encouragé par la curiosité du jeune homme, ne se fait pas prier pour détailler l’origine de chaque statue et de chaque tableau en lui faisant remarquer que lorsqu’il prie, il n’est ainsi jamais seul : « Cette coupelle posée dans le trou du tabernacle vient du malheureux Rwanda et se souvient de toute l’Afrique. Ce tissu, cadeau d’une rescapée des camps du Cambodge, convoque l’Asie et tous les persécutés du monde. Cette icône qui a échappé à la tyrannie destructrice d’un despote roumain tend la main au monde orthodoxe. Ce pupitre avec ses arabesques soutient la Bible et n’oublie pas le monde musulman à la fois si proche et si lointain ! Cette étole aux franges taillées dans le cuir du caribou provient du Canada et des Amériques lointaines. Ce banc de cheminée qui soulageait, le soir venu, la fatigue de mes ancêtres rappelle le travail de ces hommes de la terre qui ont façonné ce pays. Saints Pierre et Paul se donnant l’accolade embrassent l’Église déchirée. Et enfin, ce « Dieu soutenant le monde », sculpté par un ami, historien de renom, rassemble l’univers entier autour de cette pierre d’autel. »
Et le vieux moine insiste : « Vois-tu, quand je célèbre seul l’Eucharistie, je murmure la prière à la première personne du pluriel. Le « je » sonnerai faux, hormis le « je confesse », car la messe n’est jamais un acte solitaire, même en l’absence de convives. La prière chrétienne ne peut jamais être autocentrée. Il ne s’agit pas d’un « nous » de majesté dont usaient autrefois les personnages publics mais plutôt un « nous » à la fois de représentation et de réelle communion ». Grand- mère jubile, le dialogue du retour sera fort animé !

"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.