11 juillet 2008

St Benoît à Belloc.

Le père Abbé a pris des risques en m’invitant à prendre la parole car il ne m’a pas précisé le genre littéraire à adopter. Homélie ou sermon ? Certainement ni l’un, ni l’autre…plutôt une action de grâces. Je connais mal votre fondateur. Je l’avoue. Alors, pour rafraîchir un peu ma mémoire, j’ai cliqué sur Google et j’ai demandé : Règle de St Benoît. Surprise ou signe du ciel : que vois-je apparaître sur l’écran en première position, une présentation de la Règle proposée par les moines… de Belloc avec, s’il vous plaît, illustrations à l’appui. Le site débute même par une interview passionnante entre Benoît et notre ancien prieur. Ils se bombardent de citations latines et Benoît un peu déstabilisé a parfois du mal à se remettre des questions percutantes de son lointain disciple. Refusant par politesse et surtout par prudence d’entrer dans ces querelles familiales, j’ai ouvert un autre site qui m’a offert ce que je cherchais : les motifs pour lesquels St Benoît avait été en 1972 proclamé patron de l’Europe. Je vous cite le Pape Paul VI :
« C’est lui principalement et ses fils qui, avec la croix, le livre et la charrue, apporteront le progrès chrétien aux populations s’étendant de la Méditerranée à la Scandinavie, de l’Irlande aux plaines de Pologne.
Avec la croix…il cimenta cette unité spirituelle de l’Europe grâce à laquelle des peuples de langues, de races et de cultures diverses prirent conscience de constituer l’insigne peuple de Dieu…
Avec le livre…c’est à dire avec la culture…Saint Benoît a sauvé la tradition classique des anciens en la transmettant intacte à la postérité et en restaurant le culte du savoir…
Avec la charrue, c'est-à-dire avec l’agriculture et d’autres initiatives analogues, il réussit à transformer des terres désertiques et incultes en champs très fertiles et en gracieux jardins. En unissant la prière au travail matériel, selon son mot fameux « Ora et Labora » il ennoblit et éleva le travail de l’homme. »

Frères et sœurs, ici, à Belloc, St Benoît s’est fait laboureur et éleveur au point qu’il était devenu, pour une génération d’agriculteurs de ce département, le type du paysan ancré dans ses traditions et ouvert sur la modernité. Aujourd’hui, il a transmis son savoir faire et peut se contenter de vanter et de commercialiser son produit vedette. Mais Benoît travaille toujours. Il affine et sale son fromage, il calligraphie, il tisse, il soigne et soulage ses frères, il défriche, il plante, il offre même une vitrine forestière.
Ici, à une certaine époque, le Patriarche des moines s’est fait prédicateur de paroisses à la manière des missions des campagnes. Actuellement, son zèle missionnaire plus recentré ne s’est cependant pas refroidi. Il continue de méditer et de transmettre la Parole de Dieu aux groupes qui montent jusqu’à lui.
Depuis sa fondation le monastère avait ouvert l’ancêtre du « gîte rural ». Hôtelier attentionné il gratifiait ses invités de plusieurs couverts tandis que ses moines se contentaient d’un plat en étain. De nos jours, c’est l’Europe qui se donne rendez-vous autour de sa table et retrouve, ainsi, sa mémoire chrétienne.
Ici, encore, l’ermite de Subiaco a beaucoup étudié, il a dirigé une école, il a classé d’innombrables documents, ouvert sa bibliothèque aux savants comme aux novices. Le voilà, à présent, libraire et organisateur de conférences, grâce aux grands témoins auxquels il donne rendez-vous périodiquement.
Ici, surtout, comme il l’a toujours fait, l’Abbé du Mont Cassin prie et célèbre. Il prie en plusieurs langues. Ces langues ne se revendiquent pas, ne s’excluent pas, ne s’imposent pas. Elles se posent naturellement sur la Parole parce qu’elles sont prière et beauté. Benoît chante, il chante avec sa soeur Scholastique en mélodies simples et variées. C’est la création toute entière qu’il associe à sa louange par la propagation des ondes de sa cloche, les couleurs chatoyantes des fleurs délicatement disposées et par la clarté de la verrière ouverte sur le ciel.

Ici, enfin, Benoît, en frère des hommes, souffre en son humanité et meurt entre les bras de ses frères et de Marie sa Mère. Seul, son nom, gravé sous les grands chênes retient la trace son passage sur cette terre. Détrompons nous, il n’est jamais bien loin. Il est toujours là dans le chœur, mais comme en surplomb.
Chers frères, gardez une âme paysanne taillée en grands éclats dans le tronc du silence et doucement polie par la suavité des collines arrondies. Si les citadins, qui se mêlent largement aux voisins de l’abbaye accourent chez vous, c’est pour y trouver cette authenticité de l’homme ami de la terre et des humains, et qui s’est risqué à côtoyer les rives du ciel.
Si par malheur, un jour, le messager de mauvaise augure venait m’annoncer que l’Eglise de Bayonne, Lescar et Oloron avait disparu, je lui demanderais : Qui réside encore à Belloc ? S’il me répondait que deux ou trois moines, deux ou trois sœurs, s’accrochaient encore à la Croix, au livre ou la charrue, alors, rien ne serait perdu.

Au nom de tous les prêtres et de tous les chrétiens qui en ce beau lieu cherchent souffle et sens, retrouvent solitude du cœur et simplicité de vie, bénéficient du pardon et de la paix, entendent la Parole, s’approchent de la Présence… Loués soient Benoît de Nurcie et tous ses fils, nos frères.
Signe religieux ostentatoire
Vous avez pu remarquer ces jours ci un objet non identifié sur toutes les chaînes de TV et dans les reportages de tous les journaux. Une sorte de bracelet informe, une guirlande de boutons dépareillés tressée de bouts de ficelle réunis par un débris de croix, et le tout, entourant le poignet d’une femme. Tout ce que la République compte de prestigieuses autorités de droite comme de gauche se pressait pour serrer la main qui prolongeait ce poignet. Je m’étonne que pas un président de chaîne de télévision publique, pas un permanent patenté de ligue de-défense-des-vertus-bafouées-de la République n’ait rappelé à Ingrid Bétancourt que cet objet pouvait traumatiser une partie des citoyens de notre pays. Car cet objet, elle l’avait clairement identifié, c’était un chapelet. Mais ne rabaissons pas le débat au niveau des indispositions passagères dont nous, les français, avons le secret.
Cette femme pendant six années a été totalement dépouillée de tout ce qui faisait sa personnalité. Sénatrice, militante politique, belle femme pétillante d’énergie, bonne famille, diplômée, deux fois mère, deux fois épouse, deux nationalités, tout la conduisait vers un brillant avenir.
Au bout de six ans, abandonnée à la jungle et à des brutes, il ne restait d’elle qu’une ombre blanchâtre, affiche pantelante battue par les vents. Il lui a fallu déchirer tous ses titres, tous ses atouts, toutes les peaux qui exprimaient sa personnalité pour n’être plus qu’un objet d’échange, de dérision, de mépris, à peine identifié. Il lui a fallu renoncer à tout y compris le respect d’elle-même, de sa féminité.
Au terme de cette dépossession de soi, elle aurait pu découvrir l’animal tapi en chacun de nous. L’animal encore hargneux, blessé à mort qui se cache et qui attend la fin. Elle aurait pu - et elle l’a certainement fait- découvrir la force de l’esprit humain qui dans sa capacité de mise à distance lui permet de garder ce que nul ne saurait lui ravir, sa liberté intérieure. Elle aurait pu se murer dans un soliloque distant, se draper dans les habits de l’héroïne stoïcienne et vouer désormais un culte à sa propre effigie.
Rien de tout cela. Sa déchéance humaine lui a mieux révélé une présence qui déjà l’habitait et qui désormais la possède entièrement. Ce n’est ni la bestialité, ni la déification qui donnent à l’être humain sa marque propre. C’est sa capacité à se laisser saisir par l’Esprit. C’est dans sa relation à Dieu, pierre angulaire de sa liberté intérieure qu’Ingrid Bétancourt a trouvé la source inviolable de sa résistance au mal. Même si elle n’avait pas survécu à leurs sévices, ses bourreaux n’auraient pu se prévaloir de l’avoir anéantie.
Je comprends pourquoi elle ne se sépare pas de ce chapelet. Il lui ressemble. Aux yeux de tous, c’est un objet de pacotille, dérisoire comme l’était sa vie dans la forêt perdue. Il est devenu un signe indéfectible, incassable, comme l’est aujourd’hui la Foi qui l’anime, sans nulle ostentation.
Je comprends mieux aussi la parole de Jésus qui débutait l’évangile du dimanche suivant sa libération : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que Tu as caché aux sages et aux savants, Tu l’as révélé aux touts petits. » Il y a des petits qui le sont toujours restés et d’autres qui le deviennent. Quand les circonstances de la vie nous enlèvent les masques et les rôles, nous arrachent les peaux imperméables qui nous protégent des autres et du monde, quand la vie se dérobe, quand l’humiliation nous écorche, quand notre propre identité s’effrite, alors Dieu seul s’approche…. Et ces touts petits deviennent grands, grands vivants. Merci Madame Bétancourt.
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.