Malgré la cruelle évidence…
Les
prêtres qui ont eu la chance d’être ordonnés dans l’esprit de renouvellement du
Concile Vatican II et qui n’ont pas sombré dans les remous de la tempête de 68
ont essayé vaille que vaille de pratiquer ce que l’on appelle un apostolat de
proximité. « Je me suis fait tout à tous » disait déjà l’Apôtre, mais
n’est pas St Paul qui veut ! Certains d’entre eux comme le bon pasteur ont
mis leur point d’honneur à « connaître toutes les brebis » et se sont
faits les champions de la disponibilité et de l’adaptation à toutes les
circonstances. D’autres ont utilisé leur tempérament de feu et leur verbe
fracassant pour galvaniser les foules et réveiller les consciences. D’autres
encore ont voulu répondre sans faillir à toutes les demandes même les plus
« périphériques ». Ils n’avaient peut-être pas une foi à déplacer les
montagnes mais assez d’espérance pour affronter les déserts les plus arides.
Ces prêtres- là ont pris de l’âge. Ils ne sont pas en fin de carrière mais au terme de leur ministère. Ils ont la « consolation » d’avoir noué avec des familles entières et de nombreuses personnes rencontrées sur leur route des liens très forts d’amitié et d’affection qui résistent au temps et à la distance. Mais si un bilan de vie sacerdotale n’emprunte pas les critères comptables habituels, ces prêtres ne peuvent pas ne pas être insensibles au fait qu’une immense majorité de ceux et celles qu’ils ont accompagnés ou croisés, hormis les paroissiens habituels, ne manifestent pas, du moins visiblement et régulièrement, un lien quelconque avec le Christ.
« A qui ai-je attaché les gens qui m’ont été confiés ? A moi ou au Christ ? ».
C’est la question à laquelle ils ne peuvent échapper et qui leur donne parfois le vertige. Celle-ci se pose tout autant pour les baptisés appelés eux aussi à témoigner.
Comment se fait-il qu’au delà de
l’homme disponible, généreux ou assidu à son service, les relations, les amis,
les proches n’aient pas perçu la présence de Celui qui l’habitait et n’aient
pas engagé une approche de la Foi?
Cette constatation est d’autant plus douloureuse qu’une
nouvelle génération de prêtres et de chrétiens se lève que l’on dit plus
« attestatrice » ou plus
« identitaire » ou encore plus
« traditionnelle ».
Elle revendique haut et fort une autre approche
pastorale, plus visible, plus centrée sur les rites et la doctrine, plus
respectueuse des règles séculaires.
Et déjà elle affiche ses succès en termes
de vocations suscitées, de communautés fondées et d’influence retrouvée. Elle fait bien comprendre aux
anciens que nous ne sommes plus dans le temps de l’accompagnement, pas
même dans celui de la proposition mais dans celui de la provocation
prophétique.
Un jour viendra où cette génération- là n’évitera pas cette même
interrogation : « A qui, à quoi se sont-ils attachés ? A
des valeurs ? A des principes ? ou au Christ Vivant ? »
Cette question a traversé toute l’histoire de l’Eglise. Elle
a été l’ « épine dans sa chair », une croix invisible mais bien
réelle, le coup de fouet qui a provoqué bien des déceptions mais aussi toutes
les « nouvelles
évangélisations » successives et l’éclosion des saints rénovateurs.
Impossible de s’évader dans des réponses lénifiantes du style : « Il
en restera toujours quelque chose ! »
« Les voies du Seigneur
sont impénétrables ! » Si la lucidité fait du mal, la bêtise
l’aggrave.
Il nous faut revenir à Jésus. N’a-t-il pas lui aussi connu
cette douloureuse inquiétude ? Ne s’est-il pas plaint amèrement de cette
génération incrédule qui lui demandait des signes évidents. Il a passé son
temps à expliquer qu’Il ne parlait et qu’il n’agissait que par référence au
Père. Il a donné tous les signes possibles de sa filiation divine. A-t-il pour
autant convaincu les foules ? Non ! « Il n’est que le fils du
charpentier » disaient ses voisins ; un rabbi plus éloquent que
les autres ; un prophète nouveau mais éphémère comme ceux qui l’ont
précédé…
Quelques- uns seulement lui ont accordé crédit. Il a fallu pour cela
qu’il se dépouille de tous les titres qu’il aurait pu revendiquer et qu’il
meure nu. Il a fallu que son flanc béant laisse entrevoir le cœur de Dieu en
laissant couler le sang et l’eau et en répandant l’Esprit. C’est à ce moment-
là que Celui qui ne cessait de s’effacer devant Dieu s’est totalement confondu
avec Lui : « Quand je serai élevé de terre, j’attirerai le monde
à moi ! » C’est à l’heure du don total que ceux qui, jusque- là,
n’avaient vu en Jésus que l’homme de Nazareth, l’enseignant éclairé, le
prophète fulgurant, le guérisseur apprécié, ont entendu le soldat s’exclamer :
« Cet homme était le Fils de Dieu ! » et ont peut-être enfin
compris.
Courage, le dépouillement n’est jamais terminé…le flanc
n’est pas encore percé…le cœur n’est pas à nu…l’Esprit peut encore ouvrir les
yeux aveuglés…