19 octobre 2022

A quoi bon !

 


 Les Français n’ont pas le moral. Ils ont le sourire en berne. Comment voulez-vous qu’il en soit autrement ! Chaque jour, matin, midi et soir, leur est servi la potion amère des informations qui s’inscrivent en négatif sur leurs écrans et qui ont pour titres principaux : pouvoir d’achat, inflation, pénurie, guerre, famines, migrations, naufrages, inondations, épuisement de la planète, réchauffement climatique, déboisement de l’Amazonie, saccage de la biodiversité, sans oublier le Covid…Ajoutez à cela, la violence qui flambe au coin de la rue, les insultes qui fusent à la moindre contrariété, l’obstruction bruyante des gamins qui siègent au palais Bourbon, les agressions sexuelles, l’inconscience des fortunés, le gaspillage éhonté de l’alimentation, l’égoïsme assumé comme seule référence et pour couronner le tout : les fausses nouvelles  parallèles qui jettent le soupçon sur toutes les autres. Etonnez-vous si les citoyens de notre pays avouent déprimer dès le matin en se  levant et « tirent la gueule » le reste de la journée.
 

Désabusés, ils vont en maugréant:
« - A quoi bon aller voter : « ils » parlent et ne font rien.
-        A quoi bon l’Europe, l’OTAN, l’ONU, la guerre gronde à nos portes.
-        A quoi bon faire bien, il y a toujours un idiot ou un jaloux pour détruire ce que l’on a bâti
-        A quoi bon travailler pour vivre mieux et plus longtemps, alors qu’un virus incontrôlé remet tout en question.
-         A quoi bon produire quand tout se soldera par l’épuisement des ressources de la planète.
-        A quoi bon avoir des enfants pour leur offrir un monde invivable.
-        A quoi bon croire quand les croyants ne sont pas mieux que les autres et parfois pires. »


Français, après cette joyeuse avalanche, s’il vous reste un soupçon d’espérance ou un brin d’optimisme, lisez un livre de la Bible appelé l’Ecclésiaste. Son auteur se nomme Qohélet. Il n’hésite pas à s’identifier à Salomon et prétend partager sa sagesse renommée dans tout l’Orient. Qohélet, donc, se chargera en quelques chapitres d’envoyer ce qui reste de votre « moral » au fond du trou et de dissoudre dans l’acide de son analyse du monde le peu d’envie qui vous restait de remonter la pente. Les biblistes se demandent encore comment un texte aussi corrosif a pu entrer dans la liste des livres canoniques. A suivre son raisonnement, rien ne distingue l’homme de la bête, le but de toute l’activité humaine consistant à vouloir tromper la mort en la repoussant le plus loin possible. Hélas, elle aura le dernier mot. Alors tout n’est que « buée », vanité, rien ne tient, tout s’évapore, à quoi bon vivre. Le bon a le même sort que le méchant, il se fatigue pour rien. La mort est à l’œuvre dès le berceau; bienheureux l’enfant  mort-né ! « Je félicite les morts qui sont déjà morts, plutôt que les vivants qui sont encore vivants ! » (Qo 4, 2) A croire qu’il entame une véritable entreprise de démolition du poème de la création  inaugurant le livre de la Genèse répétant à l’envi que tout était bon et béni. Pour l’Ecclésiaste, rien ou presque n’est bon. Même la sagesse en prend pour son grade : « A quoi bon ma sagesse ? Tout cela est aussi vanité. » (Qo 2,15) Il ne reste plus qu’à refermer le livre pour aller boire et manger. «  Mange ton pain dans la joie et bois de bon cœur ton vin » (Qo 9,7). On se serait attendu à sursaut salutaire plus élevé!


Ce livre est peut-être entré dans la Bible à titre d’outil pédagogique. Il n’est pas un appendice fortuit. Il est le porche d'entrée indispensable de ce temple des Ecritures car il faut aller jusqu'au bout de l'absurdité du monde clos sur lui-même pour chercher, ailleurs, la clé de sa vérité. On peut se demander si  cette cure de lucidité désespérée ne nous était pas prescrite comme un préalable nécessaire pour prendre au sérieux la folie de l’homme qui ne se résout pas à sa disparition ? Contre toute logique, au creux des catastrophes abyssales, en face de la bêtise pure, devant l’inanité de toutes ses conquêtes et les revers de tous les progrès obtenus, après un temps d’accablement et de paralysie, le « roseau pensant » s’acharne à recommencer, à rebâtir, à relever (1). D’où lui vient donc cette force vitale qui refuse de se mettre à genoux devant la mort ? A quel appel originel répond-t-il ? Quel est le secret ressort qui bande les dernières énergies pour remonter le rocher de Sisyphe ? Qui a inscrit en nous cet élan forcené qui défie l’inexorable destin du mortel ? Peut-être faut-il passer par les affres de « l’à quoi bon » pour se poser ces questions et pour que nos yeux perçoivent à travers la buée cette source intarissable dont nous cherchons toujours l’origine,  cette empreinte d’un infini  qui ne dit son nom qu’à voix basse.


(1)   Noter que ce verbe est celui employé pour la résurrection du Christ ; Il fait également écho au « Lève toi prend ton grabat et marche ».

13 octobre 2022

Missionnaires et desservants.


 Quel dommage d’avoir déposé le mot « desservant »  dans le cercueil d’une langue morte ! Il se disait d’un prêtre chargé du service d’une paroisse. Il se glissait encore sous la plume de Daudet et sur les lèvres de Don Camillo. Il magnifiait le verbe « servir » sans le compromettre par le voisinage plus prestigieux du curé ou du doyen qui lui aurait fait oublier son modeste rang.


Un congrès de la mission s’est tenu récemment à Paris. Le qualificatif « missionnaire » s’emploie souvent pour désigner des équipes de croyants convaincus, souvent jeunes, qui abordent les gens dans la rue, sur les plages, au cours des festivités, en les interrogeant sur leurs croyances et en leur présentant Jésus comme notre sauveur. La surprise peut se traduire par un sourire étonné devant la fraîche spontanéité de ces jeunes ou par un refus courroucé face à ce qui peut paraître une intrusion sans précaution dans la conscience de chacun. La méthode est celle de l’interpellation. Elle est adaptée à notre temps qui voit grossir de plus en plus la masse de celles et ceux qui sont les orphelins de toute tradition religieuse ou les rejetons de l’athéisme officiel du 20ème siècle. En revanche, les « post chrétiens », qui ont encore quelques relents d’un catéchisme mal digéré, accueillent ces nouveaux missionnaires avec un regard soupçonneux. Cette méthode importée des grandes métropoles cosmopolites mériterait une fine connaissance des mentalités locales.


L’interpellation directe, forcément rapide, court également le risque de présenter le croyant comme un individu bardé de certitudes pratiquant un prosélytisme sans retenue. Or, on « n’a » pas la foi  comme un paquet de convictions acquises une fois pour toutes et que l’on ne remet jamais en question. Etre croyant ou essayer de l’être est une autre histoire car c’est effectivement l’histoire d’une longue fréquentation de Dieu et d’un combat intérieur à l’image de celui de Jacob avec l’ange.


Missionnaires et desservants, si les deux se donnaient la main ! Des missionnaires respectueux de leurs interlocuteurs sont indispensables car « comment croire si personne ne parle » rappelle St Paul. Il faut ensuite des desservants qui nourrissent et maintiennent vivante la foi en essayant de ne pas trop la « desservir » dans le sens négatif du terme. La formule « disciples-missionnaires » voudrait y parvenir.

 
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.