11 mars 2023

Rencontre improbable


  Il faisait chaud. Il avait soif. Le puits offrait sa fraîcheur. Elle portait un seau. Elle savait que cette eau là  n’apaiserait jamais sa soif de vivre. Ce juif qui lui adresse la parole et lui demande de l’eau l’intrigue. Il pique sa curiosité : «  Si tu savais qui te demande à boire, c’est toi qui l’aurais prié... »
Ainsi débute, dans l’évangile de Jean, un dialogue digne de ceux de Socrate, au terme duquel les deux protagonistes vont « accoucher » de leur véritable identité. 


La samaritaine un peu déstabilisée par l’entrée en matière revient au ras du puits et, un peu ironique, en appelle à l’ancêtre du nord Jacob. Serais-tu plus fort que lui ? Et voilà que par un jeu de questions et réponses, toujours en décalé, l’homme fatigué qui s’avère être un « juif marginal » va se révéler comme plus grand que Jacob, puis comme un prophète et enfin comme le messie attendu. Quant à la femme, grâce à cette conversation en escalier, elle va passer au statut d’une personne en quête d’eau vive, cherchant Dieu (mais sur quelle montagne ?) jusqu’à ce qu’elle découvre la source d’eau vive et qu’elle aille annoncer aux autres la bonne nouvelle. Au fil de ces révélations réciproques, l’eau elle-même se transforme. D’une eau à boire et à laver, elle deviendra « eau jaillissant en vie éternelle » étanchant une soif d’infini inextinguible. 


Mais que vient faire l’histoire des cinq maris que la samaritaine dit avoir eus et qui a souvent transformé ce dialogue hautement théologique en une histoire de femme légère à la recherche d’une autre occasion favorable ? Sachant que le mot mari (baal) est aussi celui qui désignait les dieux païens fréquentés par les samaritains, l’échange entre Jésus et la femme ne change pas de registre. Il s’agit bien de chercher à connaître Celui que nous adorons. Nos conversations les plus quotidiennes atteignent-elles le fond de nos puits ?


Elle et lui auraient pu en rester à la banalité du temps qu’il fait, à la sécheresse annoncée, à la rivalité de leurs temples, à leurs généalogies respectives issues de l’ancêtre commun. Ils ont parlé de tout cela mais c’était d’une autre soif, d’un autre temple, d’un autre Dieu dont il était question.
Quand Jésus sur la croix a crié « j’ai soif », ne s’est-il pas souvenu de cette rencontre improbable avec la femme de Samarie ? Et celle-ci n’était-elle pas cachée parmi ces femmes éplorées qui communiaient à la mort du Sauveur?


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"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.