23 décembre 2015

Beau Noël malgré un ciel privé d’étoiles !


Dans l’Evangile de Luc, les anges annoncent aux bergers la naissance d’un « Sauveur, Christ et Seigneur ». Autant dire la venue au monde de Celui qui sera reconnu comme Fils de Dieu après la Résurrection. Les Juifs n’en demandaient pas tant, ils se seraient contentés d’un nouveau Gédéon ou d’un super Judas Macchabée pour renvoyer les Romains chez eux et refaire l’unité du Royaume du grand David. Le contexte historique de la nativité n’avait rien à voir avec le décor bucolique de la crèche de St François d’Assise. Violences, massacres de la part des occupants, factions opposées au sein du peuple élu étaient le pain quotidien des pauvres d’Israël. Les Romains, eux, avaient leurs divins Césars et s’en contentaient de gré ou de force. On attendait un puissant guerrier et on leur annonce un bébé : 

 « Vous le reconnaîtrez à ce signe : vous trouverez un nouveau-né couché dans une mangeoire ».

 On pourrait croire à une plaisanterie !

D’ailleurs, comment ce Dieu promis pouvait-il contenir dans une vie humaine même si l’homme était sensé être la créature qui lui ressemblât le plus ? Des éclairs de divinité éclateront dans la vie de Jésus adulte, ils transperceront sa nature humaine et se manifesteront dans ses paroles (« Aucun homme n’a parlé comme lui ») et dans ses actes
 (« Personne ne peut faire ce que tu fais si Dieu n’est pas
 avec lui »). D’où la question : Qui est-il Celui-là à qui les vents et la mer obéissent ou qui pardonne les péchés ?

Or c’est bien un nouveau-né sans autre précision qui est le seul signe donné.
C’est à croire que Dieu n’est à son aise dans l’humanité de Jésus que lorsqu’il est enfant ou… mourant. Pas de paroles chez le bébé de la crèche sinon des cris ou un charmant babillage, pas de signes accomplis par Lui. Le mourant du Golgotha, quant à lui, parle peu. Il pousse un cri. Il ne descend pas de la Croix comme il y est invité. Donc pas de miracle. Et pourtant le soldat s’exclame : « Celui là est Fils de Dieu » !

La stature de Jésus adulte pouvait porter à confusion et laisser croire à ses auditeurs et à ses disciples que son pouvoir émanait de Lui (« Il parlait comme un homme qui a autorité »). Alors les éclats de sa divinité qui traversent sa vie étaient nécessaires pour nous rappeler qu’il était habité tout entier par le Père. Le texte laisse penser que Dieu se manifeste sans effort dans l’enfant et dans le mourant parce que chez l’un comme chez l’autre il n’y a pas d’équivoque : ils sont sans puissance, fragiles, dépendant entièrement de l’amour qui les entoure, aux antipodes de l’idée d’un Dieu tout puissant qui traîne encore dans nos têtes et cela d’autant plus que le contexte de ce Noël 2015 ressemble fort à celui de Bethléem. Comme on aimerait un Dieu qui montre les dents, qui sonne le réveil d’une chrétienté endormie et qui organise la riposte de ses fidèles outragés !

Rien de tout cela. Un simple enfant sans défense à la merci d’un barbare coup d’épée. Mais en même temps le signe de l’irrésistible force de la vie qui germe dans la moindre des anfractuosités, qui se glisse dans les fractures de l’histoire, qui fait jaillir une musique nouvelle après les marches funèbres, qui donne au quotidien répétitif et terni l’éclat du renouveau.
Un Dieu qui entre dans nos limites humaines, qui se soumet à la Loi immémoriale de la lutte pour la survie, la loi de la mort infligée aux autres pour défendre sa vie. Cette loi de la nature, Jésus l’accepte et l’inverse. Avec Lui elle devient « surnaturelle », elle est désormais la loi de la vie et de la mort offertes en témoignage d’une Vie Autre. « Ma vie nul ne la prend… ». Nous avons le choix entre la survie acquise au prix de toutes les terreurs et de toutes les morts et la Vie  en plénitude accueillie dans le don et le pardon.

Dans les combats de ce monde,  le chrétien ne connaîtra jamais le triomphe du combattant victorieux. Jamais les puissants de ce monde ne lui accorderont une place attitrée et une voix reconnue dans les débats importants qui engagent l’Histoire. Celle de Bethléem, elle, se renouvelle. Le disciple du Christ devra se contenter d’une crèche au fond de l’annexe. Malgré cette marginalisation officielle, personne ne pourra lui voler la joie du veilleur qui sous les ruines et les décombres des explosions de cette terre scrutera patiemment le léger fendillement de l’humus qui annonce une nouvelle pousse, le désir enfoui sous des tonnes d’apparences de tant de ceux qui l’entourent et qui n’attendent que la visite d’un ange  pour laisser échapper leur soupir le plus profond, leur soif non étanchée d’une vie nouvelle.

Beau Noël aux veilleurs des nuits privées d’étoiles (1)
                                                          
      

(1) Allusion au titre de Thomas Merton : « La nuit privée d’étoiles »

22 décembre 2015

Dans quel pays sommes-nous ?


Le 17  décembre 2015, je suis invité par un organisme de presse palois à participer à un débat autour du thème : « Noël marchand ou Noël fervent », avec le directeur d’un hyper marché en vue de l’édition du 19 suivant. Le débat se déroule  de manière correcte. J’affirme, dès le départ, le rôle nécessaire et bienfaisant des fêtes dans le déroulement du temps. La fête enchante le temps ordinaire et lui donne sens. 
Je précise, ensuite, que je ne me situe pas dans le « comment faire la fête » 
mais dans le « pourquoi célébrer Noël » ; tous les mots ayant leur importance.
 Mon interlocuteur me fait remarquer que nous sommes complémentaires mais que lui, se pliant à la règle de la laïcité, n’a pas à « décrypter » le sens de la fête qui est avant tout une fête familiale dédiée à l’échange des cadeaux. Occasion pour moi de rappeler l’histoire des rois mages qui sont à l’origine de la tradition de ces présents. J’en profite également pour ajouter qu’expliquer le sens exact de Noël, à un enfant qui a dépassé l’âge de croire au père barbu n’est pas une prise de position religieuse mais l’affirmation d’une simple vérité historique. La discussion qui suit se déroule sur ce même ton pendant plus d’une heure. Je peux même exprimer que, dans ma foi de chrétien, je considère Noël comme une révolution dans l’histoire des religions et donc dans l’histoire tout court : Dieu vient parmi nous et entre dans nos limites humaines. Evènement inimaginable, et pour ceux qui plaçaient la toute-puissance de Dieu dans sa transcendance absolue (le judaïsme), et pour ceux qui avaient accès au divin par ses incarnations impériales  (je veux parler des romains). Sur ce point, le directeur de magasin, sagement, s’abstient de tout commentaire. Le débat reprend de la couleur quand je lui avoue que je ne suis pas un assidu de son « temple ».
-« Il n’y pas de temple, car il n’y pas de sacré dans mon espace ! »
-« Sauf le client » lui dis-je.
-« Non l’homme qui entre chez nous est libre, il garde son libre arbitre »
-« Ce n’est pas tout à fait ce que j’entends dans les hauts parleurs qui s’intéressent au client potentiel que je suis et auquel on veut faire croire qu’il lui manque le dernier gadget nécessaire pour bien faire la fête » !
Le mot « temple » apparemment n’était pas le bienvenu.

Si je relate cette anecdote, c’est que le compte-rendu de cette discussion ne paraîtra pas dans les journaux locaux. Motif : la direction nationale de la chaîne commerciale, au vu d’une demande de vigilance accrue au moment des fêtes, émanant du ministère de l’intérieur, ne souhaite pas que l’article paraisse. Embarras de la rédaction à quelques heures du tirage et excuses réitérées…

 Dans quel pays sommes-nous pour que la moindre allusion au fait religieux pose un problème ?  
D’une part, je ne savais pas que les hyper marchés étaient des « magasins d’état » soumis à la loi de la laïcité. D’autre part, comment quelques mois après les grands défilés consécutifs aux attentats contre « Charlie Hebdo », la liberté d’expression peut-elle faire peur à ce point aux adorateurs de « Mamon ». A moins que les maniaques de la kalachnikov aient réussi leur projet, celui de parvenir à ce que notre société s’autocensure par crainte de déplaire à quelques fanatiques incultes ou aux serviteurs zélés d’un laïcisme borné.
Il faut croire que le « veau d’or » a les pieds bien fragiles dès qu’il les retire du tiroir -caisse.  En effet, si le client n’est pas sacré,  le chiffre d’affaire, lui, l’est assurément.


Morale de l’histoire : Je constate que dans l’Eglise « intolérante et moyenâgeuse » personne ne m’empêche de  prendre la parole en public alors qu’une grande marque peut toujours user des moyens de pression que l’on sait. Elle ne m’empêchera pas de continuer à privilégier les commerçants locaux qui ont pitié de mon grand âge quand je cherche vainement un produit qui a changé de rayonnage ou que j’oublie le code de ma carte bancaire !

01 décembre 2015

Vendredi 13.

Comment se fait-il que la publicité pour les jeux de hasard désigne le vendredi 13 comme un jour de chance ? J’espère qu’après le vendredi 13 novembre  2015 une  prudente curiosité incitera les amateurs de grattage à chercher l’origine et le sens premier de cette date.
Depuis quelques jours il n’est que fureurs et frayeurs en France, en Belgique, en Tunisie, en Syrie…. L’horreur, les balles et la haine ont frappé. Plus de 400 familles sont touchées. Laissons les commentaires de l’actualité aux journalistes et aux politiques. On entend dire qu’il y aura un « avant » et un « après » cette date. On peut en douter si nous ne changeons pas fondamentalement  la loi de l’histoire.

Il semble que la marche du monde, depuis les origines, réponde à une loi immuable : la loi de la vie gagnée et maintenue par la mort des autres vivants. La vie conservée, gardée, défendue, développée, enrichie, exaltée semble être la loi commune de la nature depuis toujours. C’est en elle que réside le « salut » pour employer un langage religieux. « La vie doit continuer » a-t-on entendu après les massacres parisiens. Mais  quelle vie ? Celle qui suppose la lutte, la défense, la guerre aux dépens des autres vies ? Cette vie-là donne la mort. Celle des autres et la nôtre. Peut-être pas au bout du fusil ou dans l’explosion de la ceinture dynamitée mais dans la réalité quotidienne ; celle-ci postule que la vie « gardée » suppose la mort « donnée ».
Rappelons-nous la sentence évangélique : « Celui qui garde sa vie la perdra… »

Peut-il y avoir une autre vie, une autre mort ?
Un homme, Paul, n’hésitait pas à dire « Pour moi vivre c’est le Christ et mourir m’est un gain » (Ph1,21) ;  « Je ne veux savoir d’autre chose que Jésus crucifié » (1Co 2,2). De quelle mort fait-il l’apologie celui qui a fait l’expérience d’un total reversement. La folie de Dieu, dit-il, s’oppose à la sagesse des hommes. Et cette folie consiste à lier le salut à la mort d’un crucifié. (1Co 1,23). Mais, ici encore, quelle mort ? Non pas la mort donnée aux autres pour éviter la sienne ou la mort subie comme l’effet du hasard, mais la mort volontairement offerte, acceptée, franchie comme le sommet lumineux d’une vie elle-même livrée, partagée, mangée, rendue à Dieu et aux autres. Le salut est dans cette mort-là.
Une image peut nous aider. St Jean Chrysostome nous donne celle du serpent. Le serpent peut y laisser sa peau, on peut même le trancher, tant qu’il ne perd pas la tête, il ne meurt pas. La tête pour nous, dit le Patriarche de Constantinople, c’est notre Foi. C’est elle qui peut faire de la mort offerte, la source d’une vie autre.
En fait, il y a une loi et une voie.
La loi de la vie volée par la mort infligée. Il n’y a, dans ce cas- là, ni avant ni après ; c’est  le règne de la violence cyclique sans cesse renouvelée et sans cesse alimentée. La loi est sans issue.
Une voie : celle de la vie partagée jusqu’à la mort offerte que personne ne peut nous voler puisqu’elle est déjà donnée. La voie est ouverte sur un au-delà possible.
J.C


13 novembre 2015


A tous ceux qui désirent vivre « La joie de l’Evangile »
 à la suite du Pape François.


Bien des chrétiens catholiques ont du mal, ces temps- ci, à partager cette joie sans réserve car ils souffrent.…

Nombreux sont ceux qui se reprochent de n’avoir pas su transmettre l’héritage de leur Foi aux générations qui les suivent, même s’ils se réjouissent de  constater que leurs enfants ou petits-enfants les rejoignent sur des valeurs et des engagements qui sont les leurs.

Nombreux sont les jeunes qui apprécient la personnalité ouverte et les messages concrets de notre Pape François. Alors les « anciens » se prennent à espérer que son rayonnement  ramènera « les pères vers les fils et les fils vers les pères » selon le vœu du prophète Malachie.

Nombreux également les prêtres et les chrétiens qui, actuellement, se sentent remis en question dans ce qui fait l’engagement de leur vie chrétienne dans le monde. Les uns expriment douloureusement leur désappointement tandis les autres observent un silence amer.

Ceux et celles qui l’ont lue, ont reçu l’exhortation « La joie de l’Evangile » comme une bouffée d’air frais et d’Evangile qui leur a rappelé celle qu’attendait Saint Jean XXIII du Concile. Ils ont été particulièrement réconfortés par ces paroles du Pape : « Vatican II fut une relecture de l’Évangile à la lumière de la culture contemporaine. Il a produit un mouvement de rénovation qui vient simplement de l’Évangile lui-même. Les fruits sont considérables. Il suffit de rappeler la réforme de la liturgie…. La manière de lire l’Evangile en l’actualisant, qui fut propre au Concile, est absolument irréversible.»

 Il n’est pas bon de rester enfermé dans sa souffrance et son amertume ou de s’épuiser dans la contradiction systématique et stérile.
A tous ceux-là, nous proposons de constituer des ateliers : « Joie de l’Evangile » et dont les participants s’engageraient autant que faire se peut et  compte tenu de leurs obligations présentes:

-     à s’approprier l’examen de conscience que nous offre ce texte (N°76 et suivants) et à reconnaître devant la miséricorde du Père, leur déficience et leur péché.

-     à prier à l’intention de l’Eglise tout entière, du Pape, des frères éprouvés dans leur Foi avec l’aide de la prière formulée ci- après.

-     à reprendre pour eux-mêmes ou en groupe constitué, l’étude détaillée de cette exhortation  afin de  l’approfondir davantage et d’en tirer les conséquences qui s’imposent soit dans leur vie personnelle soit dans leurs communautés.

-     à prendre l’exhortation comme référence à leur mission commune d’évangélisation en s’attachant à rejoindre tous leurs frères dans les « périphéries existentielles » de notre monde.

-     à se rassembler  au moins une fois l’an dans une Eucharistie joyeuse et fervente qui unirait à l’offrande du Christ et de son corps mystique total, les initiatives suscitées par la vie de ces ateliers et des communautés qui voudront s’associer à eux.

Nous confions ce projet à Marie, mère de l’Eglise et à votre prière.



Père,

Il T'a plu de te faire aimer de chacun et de tous,
Dans la mort résurrection de Jésus
Par le don largement répandu de l'Esprit.
Tu as formé un peuple où Amour et Vérité se rencontrent,
Justice et paix s'embrassent.
Donne-nous un cœur comme le tien,
Qui sache discerner le vrai
Et aimer la bonté.
 Que le choix inlassable de la fraternité
Fortifie en tous le besoin de t’aimer
Quand les défis paraissent des obstacles,
Que la joie de ton évangile nous transforme
En témoins et artisans de paix.
Quand la stérilité, le doute, la division frappent,
Que tes œuvres de miséricorde
Soient source pour le monde
De lumière et de fécondité.

Ô Père,
Que ta loi d'amour gravée dans nos cœurs
Fasse de nous des compagnons de route.
AMEN



Si ce projet vous intéresse :

1- Diffuser largement le texte dans vos réseaux auprès des personnes susceptibles de l’accueillir favorablement.

2- Provoquer selon les réponses obtenues et chacun dans son secteur géographique ou entourage  une rencontre pour redonner le but des ateliers et recueillir les idées et désidérata de chacun.

3- Renvoyer un écho de ce qui s’est passé, si vous le souhaitez, à bernard.maestri@wanadoo.fr afin de centraliser les réactions  pour que nous puissions faire le point la prochaine fois.


19 octobre 2015

Un adolescent d’aujourd’hui. (1)

Ayant connu les soubresauts juvéniles de 68, lors de mes années estudiantines vécues dans l’Université « rouge » de Toulouse, j’avais oublié que chaque génération avait besoin de faire sa crise d’adolescence.
La nouvelle génération d’adultes, parvenue « aux commandes » de notre société et de nos institutions, a grandi dans un monde qui avait perdu sa boussole morale et religieuse mais qui, par contre, s’était donné un dieu aussi séduisant qu’implacable : le progrès. Un progrès divinisé qui, par définition, n’admettait aucune limite et dont la domination technocratique a provoqué une bonne part des désastres écologiques actuels, comme le fait remarquer l’encyclique 
« Laudato Si.» (N° 108).
Conséquence de ce bouleversement sans précédent: le Dieu des commencements à l’origine de la création et le Dieu de la fin, celui du « ciel », avaient perdu toute utilité et cela d’autant plus que le paradis devait advenir sans eux, « ici et  maintenant ».
Or la génération actuelle a appris, à ses dépens, que le fameux progrès est en train d’épuiser la planète et que les dérèglements climatiques n’attendront pas des milliers d’années pour peindre en noir la planète bleue. La « maison commune » brûle et les dégâts sont déjà irréparables ! Quant au vide moral et social qui accompagne les avancées de notre société, il ne peut qu’accentuer le vertige qui saisit nos jeunes contemporains.
Il faut se rendre à l’évidence : le progrès n’est pas un dieu qui procure nécessairement le bonheur des hommes. Et ces jeunes constatent, que dans un monde où tout est marchandisé et financiarisé, ce progrès n’est pas entre les mains des sages mais dans celles du marché et des marchands. Et même si les sages  en avaient la maîtrise, ceux-ci n’en resteraient pas moins des hommes faillibles.
Pour une majorité d’entre eux, il n’y a plus d’issue à ce monde, ni avant, ni après ; ils savent désormais, que le paradis sur terre n’existera plus. Aussi, quand ils pensent à la vie, à la mort, au bonheur,  ils sont complètement perdus et ne peuvent se fier qu’au scintillement fugitif de leurs idoles éphémères.
Alors, de façon paradoxale et inattendue, une partie d’entre eux appelle Dieu au secours. 
Et Dieu revient un peu partout dans le monde, malheureusement sous les formes les plus archaïques, les plus primaires, les plus dangereuses. Nous voyons des jeunes diplômés, des garçons et des filles sains de corps et d’esprit se jeter dans les filets  de mouvements extrémistes qui rejettent violemment tout ce que l’époque contemporaine nous a apporté, pour se réfugier dans des idées et des comportements qui sont censés être vrais, parce qu’ils sont anciens. 
Bien entendu, quelques arrière-boutiques politiques profitent de l’aubaine pour leur laisser croire qu’il  y a eu un âge d’or où société et religion conjuguaient leurs efforts pour bâtir la cité idéale.
Ceux qui réfléchissent encore sont désarçonnés par le choix tragique qui se présente à eux : le vide ou la violence. « Rien avant, rien après, pas grand-chose pendant la vie » : c’est la tentation du vide. 
« Détruisons ce monde pervers et perdu, établissons une loi divine impitoyable et universelle » et  c’est la fascination de la violence sacrée. Ce discours se propage en clair chez les fanatiques musulmans mais par une sorte de rivalité mimétique, il trouve des oreilles attentives dans les autres religions. « Bannissons la modernité, revenons aux fondements » est le mot d’ordre, même si l’on fait un tri bien sélectif dans ces dits fondements.
Chez certains jeunes catholiques, ce rejet d’un monde moderne perverti jette la suspicion sur l’ensemble de la génération précédente (celle du Concile Vatican II) accusée d’avoir vidé les églises par des compromissions excessives avec l’air du temps et d’avoir dangereusement
 « flirté » avec les valeurs séculières. Ils exhument avec une délicieuse frénésie tout ce qui porte le cachet de l’ancien, le confondant avec l’authentique, et baptisent le tout au nom de la tradition vivante de l’Eglise. Sans le vouloir, ils prennent rang dans la longue liste de tous ceux qui inventent les choses pour la deuxième fois. Assistons-nous à une nouvelle crise d’adolescence ? L’expression semble mal appropriée pour être appliquée à une Eglise qui a défié les siècles. A moins qu’elle ne soit le gage de son éternelle jeunesse !
Le principe de réalité, cher au Pape François, rappellera peut- être un jour à nos jeunes successeurs que, lorsqu’on a quatorze ans, le père n’a jamais raison et s’est trompé sur toute la ligne. Lorsqu’on atteint l’âge de trente ans, il arrive que l’on reconnaisse que « papa avait quelquefois raison ». Il ne faudrait pas qu’ils attendent trop pour se dire : « Et si l’on demandait à papa ce qu’il en pense » !

(1) François Mauriac, en son temps, avait intitulé un de ses ouvrages " Un adolescent d’autrefois"

23 mai 2015

Transhumances musicales.

Décidément rien ne se passe comme ailleurs dans le petit village de Laas niché au cœur du Béarn. Le parc de son splendide château accueille depuis 20 ans, lors du week-end de l’Ascension, un festival de musiques populaires
qui répond au nom « vachement » évocateur de transhumances musicales.

Le grand ordonnateur en est le maire de la commune, par ailleurs nouveau conseiller départemental. Jacques Pédehontaa est son nom et il tient, depuis le début de l’aventure, à ce qu’une messe soit célébrée, le dimanche matin, sous le chapiteau qui abrite les manifestations programmées. Lui-même n’hésite pas à prêter main forte à sa vaillante équipe de bénévoles pour transformer le podium en chœur de cathédrale de toile.

Cette année, au début de la cérémonie, le célébrant a remercié de leur concours les deux groupes qui l’ accompagnaient : une fanfare locale et deux marins du fameux Bagad de Lann Bihoué. Il leur a fait remarquer, ainsi qu’aux autres participants, que toute musique était religieuse dans la mesure où elle reliait (origine du mot religion) des générations, des cultures, des personnes différentes dans une même communion artistique. Sans éluder toutefois l’existence de musiques qui droguent, qui saoulent, qui réveillent les plus bas instincts de l’homme. Mais peut- on encore les assimiler à de l’art ?

La cérémonie s’est déroulée convenablement devant une assistance nombreuse et attentive, ce qui n’est pas toujours le cas dans ces ambiances festives. Le souci le plus manifeste des acteurs de la liturgie consistant avant tout à ne pas se prendre les pieds dans les innombrables fils qui entouraient l’autel improvisé et à contourner les baffles imposants qui trônaient sur la scène.

 Mais la cerise sur le gâteau ou la surprise du jour a eu lieu pendant l’homélie. L’évangile rappelait la sentence du Christ : « Vous êtes dans le monde sans être du monde ». Et voilà que le prédicateur « s’est payé le luxe » de lire à l’assemblée un extrait de la lettre à Diognète qui au début du 3ème siècle donnait déjà les grands principes de la situation des chrétiens dans le monde.
« Ils sont des étrangers domiciliés » ; ils vivent comme tout le monde mais cependant ils se distinguent car ils ne peuvent pas adopter certains comportements qui éliminent l’autre parce qu’il gêne ; ils ne peuvent pas, sauf cas exceptionnel, prendre partie pour la violence sous toutes ses formes et c’est pour cela qu’ils sont incompris, raillés, détestés. « On les insulte, et ils bénissent ! »

Diognète invité aux transhumances musicales de Laas aux côtés du « Le Soldat Louis » : il fallait oser ! A en croire la réaction de certains paroissiens du jour qui, à la fin de l’office, demandaient le texte entendu, le pari n’était pas aussi risqué qu’il paraissait.

Morale de l’histoire : 
-Ne pas négliger ces moments de « piété populaire » comme le demande le Pape François dans son encyclique. Une dame se disait « bouleversée » à l’issue de cette liturgie qui ne présentait pourtant pas tous les critères requis à cet effet.

-Parier sur le désir des chrétiens d’aujourd’hui d’être formés et informés.

-Ouvrir les yeux sur le prosélytisme des « nouveaux magistères » selon l’expression du Père Valadier, qui profitent du climat actuel pour promouvoir une laïcité identitaire et offensive. Cette sorte de neutralisation officielle des religions alerte et inquiète ceux qui demandent à César un simple respect démocratique des convictions de chacun. Malgré un contexte totalement différent de celui du 3ème siècle persécuteur des chrétiens, la question des relations entre les croyants et la société civile devient de plus en plus sensible. La lettre à Diognète que l’on extrait du fond des siècles à usage des études sérieuses et des ouvrages spécialisés s’est faufilée malgré la gravité de son propos entre deux airs de cornemuse et quelques assauts de clairons sans indisposer outre mesure l’auditoire. Preuve de son actualité !
Puisse-t-elle s’intercaler dans quelques dossiers ministériels et inspirer les responsables religieux de toute confession et de toute obédience ?


17 mai 2015

                   

        Mea culpa. Maladies cléricales mais pas seulement…


        Il y a quelque temps le pape François, dans un de ses discours aux Cardinaux, livrait un diagnostic inquiétant mais réaliste des 15 maladies qui frappent la curie romaine. Mais chacun de nous a compris qu’il faisait partie pour la circonstance du Sacré Collège et  n’était en rien épargné. Les vieux clercs, catégorie dont je fais partie, n’ont pas été étonnés. Ils savent, tout en le déplorant, que le clergé, comme tout corps social, est infecté par trois virus à nocivité variable qui sont les sous-produits de vertus indispensables à sa mission.

Le premier pourrait se nommer « incurable légèreté ». On a tellement caricaturé ces « curés » à la triste figure ne parlant que de péché et de pénitence que certains ont voulu donner à leur personnage un abord sympathique à souhait, éternellement gai et joyeux, gentil et sautillant. A tel point que, quel que soit le sujet abordé, on esquive la question qui fâche par des plaisanteries faciles, un éclat de rire, de pieuses échappatoires, du style « Dieu y pourvoira ! L’Esprit Saint se débrouillera ! » Tout se passe comme si le divin dont nous sommes  « accablés » était bien trop lourd à porter ou comme s’il fallait se délester du « sentiment tragique de la vie » pour se contenter de l’inoffensif clapotis mondain.
« Nos dirigeants sont des gamins » s’étonnait déjà Isaïe.
 « Quand il me parle, il fait comme mon député : il regarde déjà à qui il va serrer la main après moi» s’étranglait une paroissienne. Notre désir de proximité fraternelle, vertu hautement louable, est parfois devenu contact inconsistant.  Pardon pour notre légèreté, elle n’est peut-être que le cache- misère de la situation actuelle de nos communautés chrétiennes à l’agonie, dans nos contrées rurales en particulier.

Deuxième virus : l’aigreur. Au départ, le zèle pour l’Evangile nous anime, mais les premières déconvenues viennent déposer une couche d’amertume dans les tréfonds de notre inconscient. Et pour peu que le « Jaloux » en ajoute une couche, l’aigreur vire en jalousie puérile. Celle-ci s’ingénie à dénigrer le succès ou les initiatives du confrère voisin, devenu concurrent malgré lui, afin de justifier nos propres échecs. Les Actes des Apôtres notent que les Juifs étaient « jaloux » du succès de Paul et de Barnabé. (Ac 13,44)
Force est de constater que les croyants ne sont pas exempts de cette maladie pernicieuse qui s’infiltre sournoisement chez les personnes qui devraient en être préservées. Elle est ancienne et elle n’a pas été éradiquée. On disait qu’autrefois les paroisses rivalisaient entre elles en bâtissant un clocher si possible plus élevé que le voisin. Heureuse époque où l’on pouvait évaluer l’émulation entre les communautés des croyants à l’aulne de la hauteur des cloches.
 « Plus chrétien que moi, tu meurs ! »
Seigneur, délivre-nous de l’aigreur et de la jalousie, rends-nous sincèrement heureux du succès de l’autre.

Troisième virus : la défiance. Celui-ci est apparu plus récemment, à la faveur de clivages de plus en plus nets au sein du clergé et des communautés chrétiennes. Rien non plus de bien nouveau sous le soleil. « Je suis pour Paul, moi pour Apollos ! » disait-on chez les premiers convertis. De jeunes générations de catholiques redécouvrent avec ferveur un langage théologique et un certain nombre de postures idéologiques ou liturgiques qu’ils assimilent à la véritable tradition ecclésiale. Et ceci, en partant du principe que leur abandon, à la suite d’un Concile mal interprété selon eux, a causé l’affaiblissement et la quasi-disparition de l’Eglise dans l’espace public français. (1)
 Il se crée alors des réseaux et des coteries bien organisés et bien ciblés qui deviennent de plus en plus étanches les uns aux autres. C’est ainsi que s’installent la défiance, la suspicion, sous couvert d’une vertueuse retenue destinée à ne pas indisposer l’autre, à se faire cataloguer trop vite ou à ne pas engager une polémique stérile. Notre évêque, et il n’est peut-être pas le seul, a récemment éprouvé le besoin d’exhorter très sérieusement ses prêtres à la fraternité sacerdotale. Signe des temps …

A trois virus, trois remèdes.

D’abord la correction fraternelle. La jonction de ces deux mots indique déjà la complexité de l’exercice. Cette correction entre frères doit prendre appui sur le désir d’une conversion sans cesse renouvelée, elle-même alimentée par une prière assidue.
Prière, correction, conversion et j’ajouterai, un peu humour envers soi-même : quatre anti virus qui ne nous empêcheront pas, cependant, de nous reconnaître encore pécheurs comme le fait notre Pape quand il demande de prier pour lui. Les maladies laissent parfois de lourdes séquelles ! Que le Divin Médecin nous prenne en pitié !
 1) Il serait intéressant qu’ils renversent la question et qu’ils se demandent si la déchristianisation n’avait pas commencé bien avant les changements qu’ils réprouvent. Ils seraient alors amenés à relativiser les tuyaux qui servent à transmettre le message de l’Evangile et à accorder un peu plus d’importance à son contenu lui-même. Mais chaque génération doit faire l’expérience de la radicale inaptitude de tous les moyens humains pour dire Dieu.


08 avril 2015

Merci Thomas !

« Donne-nous un  signe venant du ciel… »


Eternelle réclamation des croyants hésitants que nous sommes. Comme en matière de Foi nous ne pouvons pas compter sur l’évidence, nous cherchons des signes. D’ailleurs, dans le domaine économique ou politique, nous procédons de la même façon : nous attendons les « signes de la reprise » ou les « frémissements de l’opinion publique. »

Jésus a été tenté d’exploiter le filon du sensationnel ( Jette-toi du temple ), de l’utilitaire ( Fais du pain avec les pierres ) et du pouvoir (Tous les royaumes, je te les donne.) Bref, des signes qui parlent à ceux qui n’entendent pas ou qui n’attendent rien.

Dans ce genre de tentations, l’Eglise n’a pas été en reste. Elle a souvent étendu son pouvoir, au cours de l’histoire, en palliant les déficiences de l’autorité civile. Elle a brillé par les lettres et les arts et par  la transmission du savoir. Elle a usé de son influence en croyant servir : l’évangélisation adoptait les moyens et les mœurs de l’époque sans trop y regarder de près… Mais seuls ceux qui n’ont pas de mains les ont pures !

En ces temps de contestation de toutes les religions, je me surprends à me réjouir lorsqu’un de ces « bien pensants » qui n’a de savoir que sa suffisance se fait « clouer le bec » par un historien croyant et compétent. Il en existe ! Et lorsqu’on se plaît à dénigrer l’action des chrétiens, j’évoque quelques grands noms, plébiscités par l’opinion publique, et officiellement reconnus sur les champs d’honneur de notre République.  Et si cela ne suffit pas, je cite la lettre cinglante que Mauriac écrivit à Gide pour lui rappeler que cracher sur l’Eglise consistait aussi  à insulter la petite religieuse soignante qui viendrait veiller sur son agonie, car à cette époque-là, les religieuses faisaient partie du personnel hospitalier.

Mais ces concours de « biendisance » ou de bienfaisance me laissent un arrière-goût d’inadéquat. Alors le Thomas qui sommeille en moi se réveille et me dit :

 « Te souviens-tu quand je cherchais un signe indubitable de croire en Lui ? Il est venu à moi et m’a donné à voir et à toucher ses cicatrices de crucifié, les blessures de son Amour.   Ne cherche pas, poursuit Thomas, à convaincre l’autre par tes diplômes, ta compétence, ton autorité, par tes décorations ou tes démonstrations. Tout cela n’est que miroir de toi-même et fait écran à l’Autre. Ton cœur blessé et ouvert par l’Amour du Père, tes mains clouées à celles de tes frères, tes pieds liés à la condition humaine, suffiront à ceux dont tu seras assez proche pour qu’ils puissent  Le voir et Le toucher. Seules ta fragilité et ta vulnérabilité sont perméables à Dieu et seules tes blessures le laissent transparaître. »

30 mars 2015

Vers Pâques…Mourir et renaître.

Quand tes performances physiques faiblissent,
Quand tes facilités intellectuelles diminuent,
Quand le temps de récupération s’allonge,
Tu prends de l’âge et tu le sens.
Les « tu ne changes pas » de tes amis ne font que les rassurer sur leur sort,
Mais à bien les regarder, tu t’inquiètes pour le tien.

Quand dans l’euphorie d’un bon repas, tu fais encore des projets
Qui n’éveillent chez tes successeurs qu’un sourire sans suite;
Quand ces projets, à la réflexion, relèvent du rêve
Et s’effritent sur tes capacités réelles,
Tu vieillis et tu le sais, mais tu peux encore rêver…

Quand on te fait comprendre que l’on n’a plus besoin de toi,
Quand on ne sollicite plus ton avis,
Quand ton inutilité te rend transparent aux yeux de ton entourage,
Ou que le mal broie ta chair et brise ton esprit,
Tu commences à mourir, tu le vois et tu ne peux plus rêver.

Te reste, alors, à revisiter ton monde à toi,
A entrebâiller les portes du ciel,
A prier pour qu’elles s’ouvrent plus grand;
Tu nais à nouveau, tu le crois et tu espères…


27 février 2015

«Tiens ta lampe allumée… » 


Mon adolescence a connu le premier « curé chantant » qui monta sur les planches une guitare en  bandoulière. Il s’appelait Aimé Duval, jésuite de son état devant l’Eternel. 
La « Compagnie » possédait une maison dans un village de mon canton et nous apprîmes qu’un soir, le Père en vacances dans ce coin reculé du Béarn, allait nous offrir un récital. Juchés sur des bicyclettes souvent empruntées et nullement certifiées aux normes minimales de l’éclairage ou du freinage, nous avalâmes les kilomètres qui nous séparaient de la scène champêtre. Quatre planches sur des tréteaux plantés au milieu d’un pré, un projecteur auquel un machiniste improvisé ajoutait de temps à autre un verre de couleur pour « faire de l’effet, » et voilà le Père Duval entamant la soirée.
 « Tiens ta lampe allumée ! » Il ne fallut pas longtemps au troubadour pour faire comprendre à la centaine de jeunes ados assis devant lui sur l’herbe fraîche que le titre de sa chanson faisait allusion au passage de l’Evangile qui donne en exemple des jeunes filles prévoyantes. Elles avaient emporté une provision d’huile assez importante pour alimenter leurs lampes afin d’attendre patiemment le retour d’une noce. Nous avions tous reçu un minimum d’enseignement religieux pour saisir l’actualisation de ce récit auquel le Père allait  donner du rythme, des notes et des couleurs.
Je suis toujours étonné de voir avec quelle spontanéité des personnes de tous âges et de toutes cultures viennent déposer une bougie sur des lieux symboliques souvent liés à quelque évènement tragique. Savent-elles qu’elles accomplissent un rite aussi vieux que l’humanité et entièrement empreint de divin ? L’homme a toujours été fasciné par ce feu qui descendait du ciel les jours d’orage et qu’il fallait voler aux dieux pour entretenir la vie sur la terre. Quelle que soit sa forme, laïque ou religieuse,  ce geste revêt encore un caractère sacré. Tout se passe comme si nous prenions un peu de notre âme, cette part divine de notre vie, volée ou reçue, pour la laisser briller en signe d’un brûlant souvenir.
Au risque de passer pour  un moralisateur périmé ou pour un ridicule pédant, j’aimerais murmurer à l’oreille des plus jeunes qui font silence devant leur bougie et dont certains sont les enfants de mes amis, les paroles suivantes :
 « Tiens ta lampe allumée ! »
« Sois persuadé que ton existence est lumière et qu’elle a une place unique sur le lampadaire de la terre. Ta venue au monde avait déjà illuminé le cercle familial. Enfant, ton rire clair, tes yeux pétillants, tes réparties ingénues, nous éclaboussaient de joie. Quand il t’arrive, aujourd’hui, de mettre ton sourire sous le boisseau, tu assombris notre ciel.
Cependant, ne cherche pas à briller : le vernis n’attrape que les moucherons inconscients et inconsistants. Reflète plutôt cette clarté que tu as captée ailleurs et tu attireras les chercheurs de soleils. 
Tiens tes yeux ouverts et contemplatifs. Ils sont la «lampe de notre corps. » Nos écrans rivent nos regards sur les plus sublimes paysages du monde et pendant ce temps, le rouge-gorge familier nous épie sur le rebord de la fenêtre. Jette-lui un coup d’œil, tu seras ébloui par cette boule vibrante de vie.
Tu as peut-être fait la cruelle expérience d’être dévisagé par le regard scrutateur ou inquisiteur d’autrui. Toi, au contraire, envisage-le de sorte que ton regard le rende plus rayonnant encore.
Tiens sans cesse ton esprit en éveil. Garde-toi des évidences officielles, des expressions recuites et des idées reçues. Passe-les  au tamis de la réflexion pour en extraire le meilleur et pour en rejeter le médiocre avant de t’en servir. Ne te laisse pas abuser par le jargon des professionnels. Ils y ont souvent recours pour masquer leur incapacité à transmettre ce qu’ils n’ont pas bien compris eux-mêmes.
Marcher à contre-idées courantes est la seule façon de tracer ton chemin sur les flots fuyants des opinions communes bien souvent orientées par la main invisible des maîtres du mensonge et de la flatterie.
Tiens ta Foi en attente. Notre société farouchement allergique à tous les dieux ne cesse d’enfanter des idoles. Traque-les sans pitié. Tu les reconnaîtras : elles sont
 « très tendances, » elles dansent et se prosternent devant l’Homme tout-puissant créateur de lui-même au détriment de l’autre et du futur. 
Ne méprise pas ce qui a enchanté tes premières années. Garde ta faculté d’émerveillement, méfie-toi des emballements.  Ne rejette pas ce que l’on t’a transmis et ce à quoi tu as cru, sans lui accorder de nouveau un certain crédit. Et si après examen approfondi, il ne reste qu’un point d’interrogation planté dans ton cœur, n’apaise pas la brûlure par des anesthésiants faciles. Laisse la plaie grand ‘ouverte.
Après le massacre des idoles et la marche à l’aveugle, tu te retrouveras épuisé et exténué.  Rentre dans une église, regarde le visage du Crucifié penché au-dessus de la pâle lueur des cierges et demande-Lui : « Pourquoi seul le silence coule- t-il de ton cœur transpercé par l’Amour ? »
Enfin, pour garder ta lampe allumée, reste fidèle à tous ceux et celles qui t’ont transmis la lampe, la mèche  et l’huile. Garde une amitié sans faille envers ceux et celles qui t’ont offert leur feu. Et quand à son tour il vacillera, ils auront besoin d’approcher du tien pour ne pas désespérer de demain.
« Tiens ta lampe allumée » : ni la lampe, ni la flamme ne viennent de toi mais c’est TA lumière. Protège-la, nourris pour elle une belle ambition, elle est indispensable pour éclairer le monde noirci. »


15 janvier 2015

Au nom de ma liberté d’expression :

Durant les heures tragiques de l’attentat contre le journal Charlie Hebdo, les chaînes de télévision ont fait défiler les experts les plus compétents qui s’évertuaient à supposer ce qui se passait dans les zones interdites ; d’autres témoins étaient invités à dire ce qu’ils n’avaient ni vu ni entendu mais il fallait bien occuper les oreilles des auditeurs. Enfin, journalistes et politiques accouraient  pour tenir des propos aussi unanimes qu’indignés autour de tables rondes où chacun essayait de placer la formule qui serait retenue pour la postérité. De ce déluge de paroles émergeait comme une bouée salvatrice une expression reprise mille fois : « La liberté d’expression, fleuron des valeurs de la République outragée ». Dans cette surenchère verbale et médiatique, j’entendais une petite voix qui s’élevait de mes fumeux souvenirs de 68, et que n’auraient peut-être pas désavouée les journalistes assassinés : « Liberté d’expression, piège à …!» En effet, quand celle-ci est bâillonnée, la démocratie meurt étouffée ; mais quand elle n’a plus de frein, elle ouvre la porte à la dictature de ceux qui ont ou prennent les moyens de s’exprimer.

A cette petite voix insidieuse et provocante s’ajoutait un cri : « Messieurs les censeurs …bonsoir ! » Qui se souvient encore de cette réflexion de Maurice Clavel furibard qui, au cours d’un débat télévisé, s’était aperçu que les journalistes avaient tronqué une partie d’un documentaire le concernant ? Les organisateurs de la chaîne télévisuelle en étaient restés pantois car ils n’avaient pas prévu de plan B. Clavel, le converti de 68, qui ne laissait personne indifférent, avait osé traiter quelques fonctionnaires serviles de censeurs. Depuis, certains intellectuels, ou supposés tels, se sont fait une spécialité, bien française dit-on, de dénoncer et de tourner en dérision tout ce qui leur apparaît être une entrave à la (ou à leur) liberté d’expression au point de devenir les censeurs encensés de la pensée universelle.
Comment cette liberté fondamentale, à laquelle nous sommes férocement attachés et que nous défendons tous, s’inscrit-elle dans les faits?

La vie en société n’est possible que dans les limites librement consenties des cultures qui nous imprègnent ou fermement imposées par la loi qui nous régente. Et ces limites affectent toutes les réalités sociales sans exception. Or, il existe dans notre pays un nombre de plus en plus élevé de personnes n’appartenant à aucune culture, totalement ignorantes de celles des autres et n’acceptant aucune loi. « Sans Foi, ni Loi » disions-nous autrefois. On appelait, en ce temps- là, les études littéraires du beau nom « d’humanités ». Elles étaient la mère nourricière auprès de laquelle le petit d’homme pouvait sucer les compléments alimentaires qui le feraient plus humain. De cet humanisme sans cesse renaissant, Athènes, Rome, Jérusalem, Constantinople étaient les sources. Sont-elles à ce point taries ou travesties?

Le temps est peut-être venu de laisser les slogans faciles à ceux  qui ont besoin de flatter l’opinion publique et de réfléchir à la question que j’énoncerais à la manière d’un sujet d’examen :
« Sachant que :
certains êtres humains expriment leurs idées par la parole, la plume, le feutre, le pinceau, le clavier ; que d’autres parlent par le geste, le poing, les pieds, le couteau, la bombe et la kalachnikov ;
Sachant que :
 la parole, le mot, le silence, le dessin, le geste peuvent élever les êtres humains mais aussi, comme les armes, les détruire et les tuer ;
Que vous inspire l’expression : « Toucher la liberté d’expression, c’est tuer l’identité française ! ».
 Quels remèdes préconisez-vous pour éviter ce meurtre national ? »

Que la liberté d’émotion et d’expression n’entrave pas notre liberté de réflexion et le passage à l’action! 

07 janvier 2015

2014-2015

Tu as compté les années écoulées,
                        les liens tissés et les fils dénoués,

Tu as senti les gerçures des gelées
                        et les brûlures de l’été,

Tu t’es réjoui(e) des épis engrangés
et du vin partagé,

Tu as pleuré sur la jarre cassée
                        et la tombe scellée.

Te restera-t- il assez d’espérance pour griffer l’hiver de semailles nouvelles 
et voir percer le bourgeon velouté d’une année pleine et belle?

                                                                                        
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.