Au
nom de ma liberté d’expression :
Durant
les heures tragiques de l’attentat contre le journal Charlie Hebdo, les chaînes
de télévision ont fait défiler les experts les plus compétents qui
s’évertuaient à supposer ce qui se passait dans les zones interdites ;
d’autres témoins étaient invités à dire ce qu’ils n’avaient ni vu ni entendu
mais il fallait bien occuper les oreilles des auditeurs. Enfin, journalistes et
politiques accouraient pour tenir des
propos aussi unanimes qu’indignés autour de tables rondes où chacun essayait de
placer la formule qui serait retenue pour la postérité. De ce déluge de paroles
émergeait comme une bouée salvatrice une expression reprise mille fois : «
La liberté d’expression, fleuron des valeurs de la République outragée ».
Dans cette surenchère verbale et médiatique, j’entendais une petite voix qui
s’élevait de mes fumeux souvenirs de 68, et que n’auraient peut-être pas
désavouée les journalistes assassinés : « Liberté d’expression,
piège à …!» En effet, quand celle-ci est bâillonnée, la démocratie meurt
étouffée ; mais quand elle n’a plus de frein, elle ouvre la porte à la
dictature de ceux qui ont ou prennent les moyens de s’exprimer.
A cette
petite voix insidieuse et provocante s’ajoutait un cri : « Messieurs
les censeurs …bonsoir ! » Qui se souvient encore de cette réflexion
de Maurice Clavel furibard qui, au cours d’un débat télévisé, s’était aperçu
que les journalistes avaient tronqué une partie d’un documentaire le
concernant ? Les organisateurs de la chaîne télévisuelle en étaient restés
pantois car ils n’avaient pas prévu de plan B. Clavel, le converti de 68, qui
ne laissait personne indifférent, avait osé traiter quelques fonctionnaires
serviles de censeurs. Depuis, certains intellectuels, ou supposés tels, se sont
fait une spécialité, bien française dit-on, de dénoncer et de tourner en
dérision tout ce qui leur apparaît être une entrave à la (ou à leur) liberté
d’expression au point de devenir les censeurs encensés de la pensée
universelle.
Comment
cette liberté fondamentale, à laquelle nous sommes férocement attachés et que
nous défendons tous, s’inscrit-elle dans les faits?
La vie en société n’est
possible que dans les limites librement consenties des cultures qui nous
imprègnent ou fermement imposées par la loi qui nous régente. Et ces limites
affectent toutes les réalités sociales sans exception. Or, il existe dans notre
pays un nombre de plus en plus élevé de personnes n’appartenant à aucune
culture, totalement ignorantes de celles des autres et n’acceptant aucune loi.
« Sans Foi, ni Loi » disions-nous autrefois. On appelait, en ce temps- là, les études littéraires du beau nom « d’humanités ». Elles étaient
la mère nourricière auprès de laquelle le petit d’homme pouvait sucer les
compléments alimentaires qui le feraient plus humain. De cet humanisme sans
cesse renaissant, Athènes, Rome, Jérusalem, Constantinople étaient les sources.
Sont-elles à ce point taries ou travesties?
Le
temps est peut-être venu de laisser les slogans faciles à ceux qui ont besoin de flatter l’opinion publique
et de réfléchir à la question que j’énoncerais à la manière d’un sujet
d’examen :
« Sachant
que :
certains
êtres humains expriment leurs idées par la parole, la plume, le feutre, le
pinceau, le clavier ; que d’autres parlent par le geste, le poing, les
pieds, le couteau, la bombe et la kalachnikov ;
Sachant
que :
la parole, le mot, le silence, le dessin, le
geste peuvent élever les êtres humains mais aussi, comme les armes, les
détruire et les tuer ;
Que
vous inspire l’expression : « Toucher la liberté d’expression, c’est
tuer l’identité française ! ».
Quels remèdes préconisez-vous pour éviter ce
meurtre national ? »
Que la
liberté d’émotion et d’expression n’entrave pas notre liberté de
réflexion et le passage à l’action!
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