Beau Noël malgré un ciel privé
d’étoiles !
Dans
l’Evangile de Luc, les anges annoncent aux bergers la naissance d’un « Sauveur,
Christ et Seigneur ». Autant dire la venue au monde de Celui qui sera reconnu
comme Fils de Dieu après la Résurrection. Les Juifs n’en demandaient pas tant,
ils se seraient contentés d’un nouveau Gédéon ou d’un super Judas Macchabée
pour renvoyer les Romains chez eux et refaire l’unité du Royaume du grand
David. Le contexte historique de la nativité n’avait rien à voir avec le décor
bucolique de la crèche de St François d’Assise. Violences, massacres de la part
des occupants, factions opposées au sein du peuple élu étaient le pain
quotidien des pauvres d’Israël. Les Romains, eux, avaient leurs divins Césars
et s’en contentaient de gré ou de force. On attendait un puissant guerrier et
on leur annonce un bébé :
« Vous le reconnaîtrez à ce signe : vous
trouverez un nouveau-né couché dans une mangeoire ».
On pourrait croire à une
plaisanterie !
D’ailleurs,
comment ce Dieu promis pouvait-il contenir dans une vie humaine même si l’homme
était sensé être la créature qui lui ressemblât le plus ? Des éclairs de
divinité éclateront dans la vie de Jésus adulte, ils transperceront sa nature
humaine et se manifesteront dans ses paroles (« Aucun homme n’a parlé comme lui
») et dans ses actes
(« Personne ne peut faire ce que tu fais si Dieu n’est pas
avec lui »). D’où la question : Qui est-il Celui-là à qui les vents et la mer
obéissent ou qui pardonne les péchés ?
Or
c’est bien un nouveau-né sans autre précision qui est le seul signe donné.
C’est
à croire que Dieu n’est à son aise dans l’humanité de Jésus que lorsqu’il est
enfant ou… mourant. Pas de paroles chez le bébé de la crèche sinon des cris ou
un charmant babillage, pas de signes accomplis par Lui. Le mourant du Golgotha,
quant à lui, parle peu. Il pousse un cri. Il ne descend pas de la Croix comme
il y est invité. Donc pas de miracle. Et pourtant le soldat s’exclame : « Celui
là est Fils de Dieu » !
La
stature de Jésus adulte pouvait porter à confusion et laisser croire à ses
auditeurs et à ses disciples que son pouvoir émanait de Lui (« Il parlait comme
un homme qui a autorité »). Alors les éclats de sa divinité qui traversent sa
vie étaient nécessaires pour nous rappeler qu’il était habité tout entier par
le Père. Le texte laisse penser que Dieu se manifeste sans effort dans l’enfant
et dans le mourant parce que chez l’un comme chez l’autre il n’y a pas
d’équivoque : ils sont sans puissance, fragiles, dépendant entièrement de
l’amour qui les entoure, aux antipodes de l’idée d’un Dieu tout puissant qui
traîne encore dans nos têtes et cela d’autant plus que le contexte de ce Noël
2015 ressemble fort à celui de Bethléem. Comme on aimerait un Dieu qui montre
les dents, qui sonne le réveil d’une chrétienté endormie et qui organise la
riposte de ses fidèles outragés !
Rien
de tout cela. Un simple enfant sans défense à la merci d’un barbare coup
d’épée. Mais en même temps le signe de l’irrésistible force de la vie qui germe
dans la moindre des anfractuosités, qui se glisse dans les fractures de
l’histoire, qui fait jaillir une musique nouvelle après les marches funèbres,
qui donne au quotidien répétitif et terni l’éclat du renouveau.
Un
Dieu qui entre dans nos limites humaines, qui se soumet à la Loi immémoriale de
la lutte pour la survie, la loi de la mort infligée aux autres pour défendre sa
vie. Cette loi de la nature, Jésus l’accepte et l’inverse. Avec Lui elle
devient « surnaturelle », elle est désormais la loi de la vie et de
la mort offertes en témoignage d’une Vie Autre. « Ma vie nul ne la
prend… ». Nous avons le choix entre la survie acquise au prix de toutes
les terreurs et de toutes les morts et la Vie
en plénitude accueillie dans le don et le pardon.
Dans
les combats de ce monde, le chrétien ne connaîtra jamais le triomphe du
combattant victorieux. Jamais les puissants de ce monde ne lui accorderont une
place attitrée et une voix reconnue dans les débats importants qui engagent
l’Histoire. Celle de Bethléem, elle, se renouvelle. Le disciple du Christ devra
se contenter d’une crèche au fond de l’annexe. Malgré cette marginalisation
officielle, personne ne pourra lui voler la joie du veilleur qui sous les
ruines et les décombres des explosions de cette terre scrutera patiemment le
léger fendillement de l’humus qui annonce une nouvelle pousse, le désir enfoui
sous des tonnes d’apparences de tant de ceux qui l’entourent et qui n’attendent
que la visite d’un ange pour laisser échapper leur soupir le plus
profond, leur soif non étanchée d’une vie nouvelle.
Beau
Noël aux veilleurs des nuits privées d’étoiles (1)
(1) Allusion au titre de Thomas Merton : « La
nuit privée d’étoiles »
1 commentaire:
Texte superbe et comme toujours nous sommes interpellés par cette nuit sans étoiles mais non sans espoir ......
Merci à Jean
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