30 décembre 2016

Souhait pour Noël et pour l’an neuf.



Ceux qui nous voient chaque année entrer dans nos églises la veille ou le jour de Noël et écouter pour la énième fois des paroles de paix, de joie et de salut doivent se demander si nous ne sommes pas totalement inconscients ou infantilisés.

« Comment peuvent-il y croire encore ? » se demandent-ils, alors que depuis plus de 2000 ans rien n’a changé sur la terre. Les bombes pleuvent sur la Syrie, l’ONU n’en finit pas de voter des résolutions inefficaces, les camions fous fauchent des vies dans les marchés de Noël, des femmes sont enlevées et violées, des enfants assassinés… Comment peuvent-il croire encore en un Sauveur ?

Nous pourrions leur rétorquer : « Pourquoi ceux qui n’y croient pas vont-ils quand même illuminer un sapin, faire un cadeau à leurs proches et dans quelques jours leur souhaiter une bonne année alors que la crise réduit les budgets, que le cancer n’est pas vaincu, que les familles éclatent et que les jeunes désespèrent et se radicalisent. Pourquoi croient-ils qu’il faille encore espérer un lendemain souriant ?

Pourquoi lorsqu’un petit enfant paraît dans une famille, voyons-nous revenir du fond des âges, ces attitudes étranges des jeunes parents en extase devant la dernière merveille du monde et ces contorsions des grands-parents qui se prêtent à toutes les clowneries pour obtenir un babil du bébé ? Pourquoi tout cela alors que cette petite vie est si fragile et que tant de dangers la guettent ?


Pourquoi cet acharnement à espérer un avenir malgré et contre tout, que nous soyons croyants ou non?


Parce que l’annonce d’un salut, de la venue d’un Sauveur correspond à un désir qui est tapi au plus profond de notre être, dans ce qu’on appelle notre âme.

Notre culture nous a habitués à penser les choses en deux parties : le blanc et le noir ; le feu et l’eau ; le corps et l’esprit ou l’âme, car on a confondu souvent les deux par paresse intellectuelle. Notre corps est le condensé de l’univers dont il tire sa substance. Il est ainsi le siège de toutes les sensations, le réceptacle de toutes nos relations avec le cosmos et les autres êtres vivants, avec leurs pesanteurs douloureuses et leurs beautés enivrantes. L’esprit analyse et organise cette communion ; il échafaude en outre un autre monde, le royaume des idées, qui peut transformer notre monde mais aussi le détériorer et l’anéantir. Corps et esprit peuvent s’opposer, se détester comme ils peuvent se compléter et s’harmoniser. Mais ce qui fait l’unité de notre être et ce qui nous fait unique, c’est notre âme.

Ce mot semble sorti de la naphtaline. Il fait allusion à ces « bonnes âmes » qui s’émeuvent pour un rien mais restent comme en suspens, inactives. Il rappelle, pour certains, le vocabulaire désuet du « Je n’ai qu’une âme qu’il faut sauver » comme si elle était seule en cause. Les « beaux esprits » ont eu beau jeu de ridiculiser, hier, les « bonnes âmes ». Mais ce sont les mêmes qui, aujourd’hui, renvoient le corps à sa matière brute pour la manipuler sans précaution. Et puis, on a tant à faire au quotidien pour assurer la santé du corps et la qualité de l’esprit que l’âme peut rester enfermée dans le placard des souvenirs !

Réveillons-nous, comme l’ont fait les bergers en pleine nuit ! Réveillons notre âme. Elle est l’artisan de notre unité et de notre unicité comme le rappelle F. Cheng dans ses  sept admirables lettres sur l’âme. C’est elle aussi qui maintient, sous l’accumulation des ruines matérielles et spirituelles, ce désir fou de salut qui nous relève sans relâche de nos chutes et nous soulève vers un « on ne sait quoi ». Et, si c’était cela, retrouver « une âme d’enfant » ? Non pas un esprit puéril ou infantile qui croit tout ce qu’on lui raconte. Mais cette capacité de se confier sans réserve à la fidèle constance de Celui qui donne la Vie par-delà toutes les morts.

Oui, retrouvons notre âme, cette haleine divine tout droit venue du Souffle primordial. Souvent  comprimée au plus profond de notre intimité, elle ne demande qu’à faire vivre en toute amplitude nos trois composantes (corps, esprit et âme) et à nous rendre ainsi la ressemblance de Celui qui, lui aussi, est trois en Un.


« Bénis le Seigneur ô mon âme ! » psaume 103


Jeancasanave.blogspot.com

23 novembre 2016

Valeurs



A la lecture du récent document des évêques de France intitulé : « Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique » me reviennent en mémoire ces mots de Marc Bloch, que rappelait, il y a quelques temps, Christian Desplat, professeur émérite de l’UPPA. A propos des valeurs de l’Europe, cet historien juif, que Vichy expulsa de la Sorbonne écrivait :« Certaines de ces valeurs, communes à tous, sont le résultat d’un héritage de vingt siècles de Christianisme. Elles ont leur centre dans l’affirmation fondamentale de la dignité infinie de la personne humaine, ce qui entraîne, pour chacun la liberté de croire, de penser, d’écrire, de s’associer et l’égal respect de chaque personne, quelle que soit sa classe ou race » (été 41)


Et Christian Desplat d’ajouter : «Qu’avons-nous fait de notre héritage ? »


En effet, comment se fait-il que les valeurs de la République soient menacées de disparition par l’importation récente dans notre pays de courants religieux étrangers à notre culture ? Certains responsables politiques s’appuyant sur l’opinion publique s’en émeuvent. Une partie de la réponse réside dans l’acharnement mis, depuis quelques décennies, à couper celles-ci de leur source originelle, le Christianisme. L’Egalité et la Liberté ne sont que  chimères sans la Fraternité qui, à son tour, exige une Paternité reconnue par tous (1). C’est ce Père commun (qui a quelque chose à voir avec la Patrie), que les esprits dits libres n’ont plus supporté. Seule une référence transcendante est à même de fonder la « dignité infinie de la personne humaine ». Dans le vide laissé par l’absence de ce Père commun, s’engouffrent tous les faux dieux fabriqués par la violence des hommes. Le laïcisme, affiché ou larvé, prônant au mieux une neutralisation et au pire une éradication du religieux dans notre société, ouvre la porte à tous les fondamentalismes et en devient le complice de fait. Seule une laïcité ouverte et garante de l’exercice des religions, dans le respect du Bien commun, pourra favoriser une identité paisible des citoyens de notre pays.


« La laïcité de l’Etat est un cadre juridique qui doit permettre à tous, croyants de toutes les religions et incroyants, de vivre ensemble » affirment les évêques.



(1) Voir « Fraternité, Egalité, Liberté »  (14 05 2007)in jeancasanave.blogspot.com

14 novembre 2016

L'Amérique !


A en croire les reportages télévisés qui s’en sont donné à cœur joie, les Etats Unis viennent de se donner un président cow-boy au terme d’une campagne western qui n’a ménagé ni les coups de gueule et ni les coups bas. Des amis ont réagi sur le champ : « Heureusement, nous avons en France des candidats qui ont plus de tenue ! » Je ne partage qu’en partie leur satisfaction. Ne nous y trompons pas ! Ces élections américaines ne sont que l’épiphénomène d’une tendance générale qui rejette des systèmes démocratiques jugés incapables de donner aux citoyens une identité à la fois reconnue et paisible. Cet épisode électoral, qui plonge la planète dans un avenir incontrôlable, signe non seulement l’échec de Mr Obama à se donner un successeur capable de faire aimer « son » Amérique, mais aussi celui de chaque européen que nous sommes par l’Histoire, si ce n’est par la raison. En effet, nous voyons monter de tous les pays d’Europe, pour ne parler que d’elle, des mouvements populistes et extrémistes vomissant une classe politique et des institutions, qui n’ont pour seul objectif que de favoriser le pouvoir de professionnels de la politique.


Depuis des décennies, nous avons cru naïvement,  qu’en dotant nos pays de structures et d’institutions démocratiques, ceux et celles qui en bénéficieraient ne pouvaient que devenir des citoyens conscients et responsables. Tombés dès la naissance dans le chaudron de la démocratie, ils seraient, comme Obélix, immunisés définitivement contre toute tentation totalitaire ou contre un usage pervers de ces institutions. Imprégnés que nous étions d’une vision horizontale de la société humaine, nous avons simplement oublié que rien n’est automatique en matière de gouvernement des hommes et que la collectivité ne pallie jamais l’absence d’un engagement personnel. Le soubassement institutionnel était certes nécessaire. Par contre, le volet éducatif qui permet à chacun de connaître et d’apprécier les raisons d’être de cet état de fait, a, en grande partie, fait défaut. Tout se passe comme si le 11 novembre les autorités municipales rassemblaient le peuple autour du monument aux morts sans en rappeler le sens par le discours d’usage ; ou comme si un rite liturgique était célébré sans qu’une parole ne l’accompagne ; ou encore, comme si des parents se contentaient de faire respecter  par les enfants les règles de la vie en famille, sans les ouvrir aux valeurs de l’unité de cette cellule de base et du respect dû à chacun.


Oui, nous sommes tous coupables (Ecole, Etat, Eglises, Medias, Corps intermédiaires) d’avoir négligé la formation, l’explication, le débat sur ce qui fait le socle de nos sociétés et qui s’avèrent indispensables à provoquer l’assentiment personnel. Ne nous étonnons pas que, dans ces conditions, certains, y compris parmi les responsables politiques, veuillent se débarrasser d’institutions qui, sorties de l’esprit qui les a fait naître, sont, pour eux, devenues des carcans. Ils se disent prêts à essayer d’autres expériences de vie en commun.


Mais, attention ! A trop vouloir un système démocratique qui ne tremble pas, qui ne tâtonne pas, nous risquons de nous réveiller avec un totalitarisme « librement consenti » ! L’édifice de la démocratie repose sur un équilibre toujours instable entre des forces contraires et son exercice exige un doigté et une souplesse qui s’accommodent mal des outrances et des simplismes. On nous dit : « Le peuple a parlé » ! Certes il a parlé, mais il n’a pas tout dit. Nous savons qu’un peuple flatté peut se laisser aller à l’impuissance, tout comme un peuple chauffé à blanc  peut dégénérer dans la horde violente. La démocratie molle comme la démocratie dure sont tentées de diviniser le peuple. Or le peuple n’est pas Dieu. Il lui faut aussi écouter des voix  qui lui rappellent où se trouve le Bien Commun de la nation, de l’humanité et du cosmos tout entier. Il lui faut des accompagnateurs éclairés et pas seulement des suiveurs.


Nos « élites républicaines » seraient bien inspirées de promouvoir une pédagogie nationale dédiée à l’éducation permanente  des citoyens d’un Etat de Droit et… de Devoir, si elles veulent avoir un jour des successeurs à la hauteur des défis qui seront les leurs.






14 octobre 2016

Paysans de « plein champ ».


Les moines pratiquent le « plain-chant », les agriculteurs de mon canton aussi, à deux consonnes et une voyelle près. Baptiste, soixante ans, agriculteur, célibataire a été victime d’un AVC. Au dire de tous, l’homme n’était qu’accueil, disponibilité, jovialité. La foule recueillie s’est pressée à ses obsèques.

Ce n’était guère la rentabilité de sa ferme qui le motivait, mais la passion du métier, de la terre et des bêtes. Sa mort est le symbole cruel d’une agriculture française qui souffre mais qui s’accroche. Certains prédisent la disparition de ces paysans anachroniques qui ne vivent pas encore sous serre,  qui n’exploitent pas une usine à veaux et qui respectent le rythme des saisons. Si d’aventure  cette agriculture-là  disparaissait, ce n’est  pas seulement  une culture parmi d’autres qui viendrait à manquer mais la racine centrale qui maintient l’Humanité debout. Dans l’Humanité il y a l’humus. Ces agriculteurs n’ont pas pour seule vocation, aussi noble soit-elle, de nourrir leurs frères. Ils sont les garants et les gardiens de la nature même de l’Humanité. Il ne manque pas de théories pour affirmer que l’homme est un animal comme les autres et le mode de vie de certains tend à le confirmer. « Un homme, disent-elles, ça naît, ça travaille pour manger, ça se reproduit, ça meurt. Point ! » Aujourd’hui, d’autres prétendent  le contraire : l’homme bientôt sera capable de se rendre immortel, de se faire Dieu. Les deux affirmations aboutissent au même résultat : le refus de l’Humanité en tant que telle.

 Le  Christianisme maintient que l’homme est à la fois fils de la terre et fils de Dieu. En venant restaurer en nous l’image de Dieu altérée par nos divagations, le Christ lui a rendu la ressemblance  au Père. Mais cela, Il l’a accompli  sans nous affranchir de notre condition mortelle et terrestre. Lui-même, tout Fils de Dieu qu’Il était, ne s’est pas soustrait à la mort. Au contraire, Il a fait de celle-ci une naissance.

En refusant de laisser périr cette alliance essentielle entre la terre et l’Humanité, les paysans de « plein-champ » font œuvre de salut et méritent notre reconnaissance. Leur seule existence nous dit ce qu’est l’homme et ce qu’il doit être.


09 septembre 2016

Mes sœurs

Pendant que les écrans scintillaient sous les ors olympiques et que les athlètes exhibaient muscles et médailles, vous vous êtes donné rendez-vous dans la trouée verdoyante de N D  de Livron à Caylus. 

Toutes d’un âge certain, vous avez quitté vos repères habituels pour vous faufiler sans bruit dans un groupe de retraitants soumis au silence et à un emploi du temps minuté. Dans ces costumes taillés après le Concile, hybrides des longues vêtures et des tenues civiles, vous ne passiez pas inaperçues. Le pas hésitant, le dos courbé, vous trottiniez derrière cannes ou déambulateurs pour vous asseoir bien à l’avance, à vos places, comme de sages élèves, afin de ne déranger personne. 

Toute votre vie, vous avez été ces femmes- fourmis exécutant ces tâches obscures et répétitives dont on n’aperçoit la nécessité que lorsqu’elles font défaut. Petites abeilles ouvrières, à l’obéissance muette et à l’apparence bien terne, vous avez trop longtemps jeté un masque sur vos personnalités contenues dans « la stricte observance » de la règle et des ordres de quelques « mères –bourdons ». Celles-ci, réduites aujourd’hui au même statut que le vôtre, laissent deviner à l’éclat de leur regard, quelques braises encore vives de l’autorité dont elles ont usé. J’ai aperçu la larme discrète qui suivait le sillon de vos rides quand vous me parliez du dernier arrachement qui vous a imposé, une fois de plus, de tout quitter pour vous livrer à une vieillesse sans filet. Mais dès que vous laissiez parler votre passé, des perles d’or coulaient de vos mains.

Mes chères sœurs, n’ayez aucun scrupule à vous laisser servir dans vos maisons de retraite. C’est à genoux que les employés devraient se tenir devant vous. Car, non seulement vous leur permettez de vivre mais encore de se sentir utiles, ce que vous regrettez tant de ne plus éprouver pour vous-mêmes ! A cette condition, vous pourrez peut-être laisser tomber quelques-unes de vos pépites dans leurs mains devenues filiales, déférentes et reconnaissantes.


30 juillet 2016

On meurt même en été…

A Nice, au volant d’un camion, un terroriste fait un carnage, en public, en un lieu mondialement connu. Des dizaines de vies joyeuses, au parfum d’été, catapultées, broyées, déchiquetées par un monstre qu’elles n’ont pas vu venir en face. 
A Saint-Etienne-du-Rouvray, un vieux prêtre égorgé, en huis clos, au couteau, au cours de la messe matinale. 
Point commun : la revendication fait état de « soldats » de l’EI. Vous remarquerez au passage le courage manifesté par ces dits soldats !
Dans les deux cas on parle d’acte de guerre car ce genre de mort est inqualifiable. Dans les deux cas encore on entend dire : « Il faut que la vie reprenne le dessus ! ». De la même façon que lorsqu’une personne âgée ou malade meurt, on répète machinalement ce qui pourrait paraître une incongruité : « C’est la vie ! » Il n’est pas interdit, cependant, de se demander : « Mais quelle vie doit reprendre? Celle qui a engendré ces chevaliers de la mort ? Celle qui n’a d’autre issue que quelques poignées de poussière ?»
Deux jours après le dernier attentat, j’entends dans une émission d’une radio nationale un reportage sur les fêtes de Bayonne, vivantes, s’il en est ! Au journaliste un participant répond: « Personne ne nous empêchera de picoler, de baiser et de danser !... on est Français…» Au vu du niveau atteint par cette réflexion solennelle, je ne peux m’empêcher de penser : « Les terroristes de tout poil ont de beaux jours devant eux ! Si, là, réside le sommet de la résistance du Français « vivant » face à la barbarie, on a quelque souci à se faire. »
Et pourtant ce « festayre » local ne fait que prolonger une autre sentence qui est en passe de devenir la règle d’or de notre société : « Profites- en bien ! Profite de la vie… elle est courte… tu n’en as qu’une ». « Profiter de la vie ! » devient le refrain entonné par tout nouveau retraité lorsqu’il est interrogé sur les projets qui sont les siens.
Ici encore, on peut légitimement poser la question : « De quelle vie s’agit-il exactement? »

Il y a deux façons de répondre à la loi universelle de la mort pour la vie. Partant du principe que toutes les espèces vivantes se nourrissent de la vie des autres espèces, et que la mort est nécessaire à toute vie, on peut envisager l’existence humaine comme une lutte pour la vie. D’ailleurs, l’expression courante « gagner sa vie » suppose bien une perte quelque part. La logique de cette lutte veut que le plus fort gagne et comme chacun est en droit de gagner, il en résulterait, si nous n’étions pas dans des Etats de droit, une élimination chronique d’une partie de la société ou de l’humanité et l’épuisement général de la planète. Consciemment ou non, nous baignons dans cette « culture de mort » faite de concurrence, de performance et de constante compétition et finalement de violence. Les salaires indécents de certains dirigeants, les sommes faramineuses versées lors des transferts des joueurs de foot, comme l’affligeante réponse citée plus haut, ne sont que les symptômes, aux deux extrêmes, de cette même culture mortifère.
Il y a une autre façon de considérer sa vie. Elle consiste à la recevoir comme un cadeau que nous avons à rendre et à partager. Il ne s’agit pas de nier la loi universelle de la mort pour la vie mais d’en opérer un radical changement de sens. Regardons comment Jésus a assumé sa vie humaine.  Constatons d’abord qu’Il n’a pas volé sa divinité au Père au terme d’un combat, comme on volait le feu des dieux dans les mythologies anciennes. Il l’a reçue et il s’est efforcé d’accueillir la volonté du Père dans un cœur à cœur avec Lui.  Quand ses adversaires ont voulu l’éliminer, lui ôter la vie, Il ne l’a pas défendue. Pour autant, la mort ne lui a pas volé la vie. Elle était déjà donnée et même par-donnée, donnée par delà le refus. Sa vie n’a été qu’Eucharistie, c’est-à-dire offrande au Père et à ses frères. Vie rendue pour que nous soyons nous-mêmes « eucharistie »…
Ceux qui font de la mort d’autrui, sous toutes ses formes, leur seule raison d’être pourront-ils accéder à ce renversement sans une lumière venue d’en haut ? Raison de plus pour prier aussi pour eux.


11 juillet 2016

Migrations estivales !

Elles en avaient rêvé tout l’hiver, confinées dans leurs stabulations sans horizon ; elles l’avaient espéré,  avachies dans leurs grasses prairies du printemps ; l’heure du départ a enfin sonné. Les pyrénéennes marquées au fer rouge sont en tête du cortège.



 Robe claire, cornes effilées, mufle relevé, enivré déjà des senteurs du serpolet et des rhododendrons, elles défilent au pas cadencé, en tête de la plus belle manifestation montagnarde de l’année. Invité à partager la loggia d’Henri et d’Yvonne, j’assiste à la parade des vaches, des brebis, des chevaux du Haut Ossau qui montent aux estives.  Une sorte de frénésie s’est emparée du peuple des quadrupèdes. Dans l’enfilade de la rue principale, un puissant tintamarre annonce chaque troupeau. Les lourdes cloches fixées au collier des chefs de file  brinquebalent au rythme de la marche. Elles aussi avaient rongé leur battant et suspendu leur silence pendant de longs mois au râtelier d’une grange. Ce soir elles retrouvent leur voix. Chacune, choisie en fonction de sa forme, de sa place et de sa sonorité,  participe au concert.
La calme fierté des bergers, solides gaillards, bâton à la main, impose son autorité à la fougue et à l’indiscipline des plus jeunes génisses. Ils adressent des saluts sonores à l’ami Simon qui  les hèle du haut du balcon, ils enveloppent d’un coup d’œil l’ensemble de la troupe pour qu’elle garde sa cohésion. Les petits enfants de la famille n’auraient manqué pour rien au monde l’honneur de côtoyer les grands. Le torse bombé, le pas assuré, le regard sérieux, ils assument crânement leur responsabilité. Ils entrevoient déjà le jour  où, devenus à leur tour « chefs de convoi », ils pourront s’envoler et rejoindre leur royaume sous les nuages. Ce soir, en effet, la montagne se fait discrète et distante sous son châle de brume.Résultat de recherche d'images pour "" Demain, elle réservera ses plus beaux atours à ceux qui auront franchi les premiers bivouacs et qui auront fait allégeance aux autorités du Syndicat de la Vallée. Et il en va ainsi depuis la nuit des temps…                                                
                                         
                                            

Les estivants font cortège et remplissent leurs écrans de photos souvenirs de ce monde insolite qu’ils croyaient disparu et dont ils perçoivent les racines solides et l’avenir fragile. Les anciens laissent flotter dans leurs yeux les images de cimes et les décors somptueux que la montagne leur offrait au temps où ils pouvaient défier les dents du Pic qui règne sur ce pays rude et accueillant.            
Certains regretteront que les grandes transhumances de notre société soient si souvent dépourvues de guides sûrs, d’accompagnateurs zélés, de trajets balisés, de rites éprouvés et se prennent à rêver que les enfants soient les premiers ! Il me semble qu’il en fut ainsi, un soir, à Bethléem, quand les bergers reconnurent la préséance d’un nouveau né…

                            
                                                           

13 juin 2016

C’était  la fête de Dieu!

Le matin, une maigre assemblée dans une église trop grande. Je remplace le curé et me présente comme roue de secours usagée. « Mais heureusement que vous êtes là, qu’aurions nous fait ? » J’abandonne mon homélie rédigée et j’improvise : « Que vous aurait répondu Jésus qui aujourd’hui n’hésite pas à demander aux apôtres de nourrir 5 000 hommes avec cinq pains et deux poissons ? Il vous aurait peut-être dit : « Débrouillez-vous !  Je vois parmi vous des volontaires qui ont parfaitement préparé et animé cette messe, pourquoi n’en trouveriez-vous pas pour être diacre et prêtre ? Relisez donc les actes des Apôtres. La première communauté s’est bien organisée pour être mon Saint Sacrement, mon signe visible et efficace pour le monde! ».
Eglise inquiète, en proie au doute.

L’après-midi, une communauté franciscaine se réunit chez l’un d’entre eux. Mon vieil ami affaibli va prononcer ses vœux d’entrée dans la famille de Saint François. Son épouse et ses filles l’entourent. Il se lève et nous fait la relecture de l’histoire de sa vie qui l’amène à s’engager à suivre l’Evangile dans l’humilité, la pauvreté et la prière. A la fin de son témoignage, on aurait pu proclamer : « Parole de Dieu ! ». Un testament en forme de projet. Larmes discrètes, communion intense, célébration simple et joyeuse présidée par un frère franciscain, buffet partagé et discussions d’actualité. 
Eglise rayonnante malgré l’épreuve.

Le soir, visite surprise chez un couple ami. C’est la fête des mères. Les grands enfants sont là avec conjoints. Bébé Chloé fait les yeux doux à l’arrière grand-mère et focalise l’attention de tous. Moment de grâce et de bonheur. Le lendemain, je reçois un mot de son adorable maman : « Je peux te dire que depuis un an, je remercie très souvent ton Patron. Nous sommes très chanceux ! ». 
Eglise bariolée, aux appartenances diverses mais aimante.

Notre Pape exhorte les familles à être des « églises domestiques » et l’Eglise à être « la famille des familles ». Il nous appelle à la Joie de l’amour malgré et avec la paralysie  du doute, le poids de l’épreuve, le risque des tensions et la fugacité du bonheur.


12 mai 2016

Dieu n’aime pas la pensée unique.

Influencés par la contemplation des superbes Ziggourats de Mésopotamie, les auteurs du livre de la Genèse nous racontent que nos ancêtres, lassés de nomadiser en ordre dispersé sur la terre, s’étaient mis en tête de bâtir une ville et une  tour dont le sommet atteindrait le ciel. Le projet était réalisable car ils parlaient la même langue. Dieu vit la chose d’un mauvais œil. Et avant que les hommes n’envahissent le ciel, Il brouilla leur langage et laissa libre cours à la diversité des dialectes, ce qui ruina leur initiative.

La tentative de Babel s’est maintes fois répétée dans l’histoire de l’humanité. Tous les grands empires ont essayé d’imposer à des peuples divers une pensée commune et ont, jusqu’à nos jours, connu le même échec. 

L’informatique mondialisée offre aujourd’hui l’opportunité d’une langue commune universelle et certains chercheurs lancent un nouveau défi : celui de construire un homme immortel. Seul obstacle techniquement non résolu : les « attardés » qui refuseront ce genre de vie immortelle en vertu du principe que l’homme est encore un animal capable de dire « non » au bonheur imposé!

La fête de la Pentecôte renverse le mythe de Babel. Il ne s’agit plus d’accéder à l’éternité ou au ciel par l’œuvre de nos mains et de nos cerveaux mais de les recevoir de Celui qui veut nous les offrir. 

Afficher l'image d'origineEt la réception de cet Esprit Divin unique, n’exige ni l’uniformisation de la pensée ni celle du langage. Au contraire, chacun est respecté dans son unicité et dans sa particularité. 
« Juifs, Grecs, Romains, Crétois, Arabes, chacun entendait les paroles des Apôtres dans sa propre langue… ». L’unité du genre humain n’est pas affaire de compétence et de puissance mais d’amour. La famille, cellule type de la société, a appris depuis longtemps à conjuguer en son sein à la fois l’unité de l’ensemble et la diversité de chacun des membres.

 Le schéma de la société, nous dit le pape François, n’est pas le cercle à la circonférence lisse et fermée mais le polyèdre qui respecte les aspérités de la réalité.


15 avril 2016

Justice d’abord, miséricorde en option ! 

« Il commence à me fatiguer notre Pape avec sa miséricorde et son accueil des réfugiés ! » me lance un ami, non sans quelque malicieuse provocation.
« Miséricorde par-ci, miséricorde par- là, mais d’abord la justice ! » ajoute un autre, en citant la parabole des ouvriers de la dernière heure qui bénéficient des largesses du maître de la vigne. 
« Celui-ci , me fait-il remarquer,  a pris soin  de régler d’abord le salaire convenu avec les autres en toute justice, avant de manifester sa généreuse prodigalité ».
Allons-y pour une joute de paraboles ! A mon tour, je cite celle dite du Père Prodigue qui ne demande pas au fils cadet de rembourser d’abord sa dette (ce qui ne lui aurait pas rendu pour autant son identité filiale), mais court au-devant de lui et lui ouvre ses bras. Il ne prend pas d’abord sa calculette pour évaluer la perte subie en ajoutant, comme il se doit, les intérêts, mais il embrasse longuement celui qui vient avouer son regret et son remords. Il sait, le Père, que justice suivra, d’autant plus et d’autant mieux qu’elle sera le fait non d’un serviteur réembauché mais celle d’un fils retrouvé.


 Au-delà de ces images et de ces arguments, qui sommes-nous pour enfermer Dieu dans le concept humain d’une justice qui met tant de temps à peser le pour et le contre et qui laisse souvent les parties insatisfaites ? Qui sommes-nous pour appliquer à Dieu notre idée de la miséricorde toujours limitée, pas toujours gratuite et jamais garantie ? 
« Il faut misère pour avoir cœur…Que peuvent savoir de la miséricorde des matins, ceux dont les nuits ne furent jamais de tempêtes et d’angoisses ? » nous dit le Père Paul Baudiquey dans son admirable commentaire du tableau de Rembrandt. 
En effet, pour être soi-même en capacité d’accueillir la miséricorde, il n’y a pas d’autre chemin que celui de reconnaître sa propre misère.  François, notre Pape n’hésite pas à se dire pécheur en public. 
« Heureux les miséricordieux, ils obtiendront miséricorde ! »



24 mars 2016

A qui profite le gavage médiatique ?


Le Dimanche des Rameaux une radio nationale distillait en boucle un florilège de chansons qui avaient pour objet la pédophilie des curés, le tout était agrémenté d’un commentaire perfide laissant la paternité des mots à quelques chanteurs de renom dont l’intouchable Trenet !

Quelques jours auparavant, la meute des média descendue à Lourdes guettait le Cardinal Barbarin accusé d’avoir « couvert » un prêtre  coupable et jugé. Suite aux déclarations de l’Archevêque de Lyon, la ministre de l’Education Nationale rappelait comme par hasard, le soir même, la radiation de quelques uns de ces administrés pédophiles.
 Le Premier Ministre achevait la tâche en demandant au citoyen Barbarin de prendre ses responsabilités. Dans la même semaine, les trois journaux locaux faisaient un titre sur les agissements répréhensibles d’un professeur sur des enfants en taisant son nom mais en soulignant que lui-même avait été victime, quelques années auparavant, d’un prêtre dont on rappelait complaisamment le patronyme. 

Enfin, la Télévision nous présentait une séquence sur les Orphelins Apprentis d’Auteuil dont l’Institution fêtait ses 150 ans et, certainement au nom de la laïcité mais au détriment de l’équité, se gardait bien de révéler qu’un prêtre était à l’origine de cette œuvre.
Entendons nous bien. Si faute il y a, quel que soit l’auteur, elle exige jugement et sanction. Ce que je veux dénoncer c’est l’effet instrumentalisation, accumulation, insinuation des commentaires. D’ailleurs, depuis l’arrestation du terroriste du Bataclan, sans parler de la tragédie actuelle de Bruxelles, les curés pédophiles ont disparu par enchantement des écrans. Pire, les victimes  sont muettes. Silence radio provisoire!

Faut-il renoncer à son abonnement ou à sa redevance en regrettant que l’information se réduise de plus en plus à une communication réussie et le beau métier de journaliste à celui des éboueurs (tout aussi utile par ailleurs)? 

Ne nous y trompons pas, ce n’est pas en accablant une institution particulière et en chargeant l’Eglise du rôle du bouc émissaire que l’on va sortir notre pays du sentiment trop répandu du  « tous pourris ». Qui sème l’accusation au conditionnel pourrait récolter la violence au présent!

Faut-il entrer dans le Samedi noir et se taire  devant le tombeau définitivement scellé de l’Eglise ?

Que l’on me permette simplement de rappeler que les chrétiens se sont toujours considérés comme un peuple de pécheurs . Ont-ils besoin que les nouveaux inquisiteurs le leur rappellent avec autant d’acharnement, alors qu’ils commencent toutes leurs assemblées dominicales par reconnaître leur péché devant le crucifié ? 

J’attends que le conseil des ministres, les séances du parlement, les sessions des tribunaux de France et autres instances de décision débutent  par un confiteor…A suggérer aux nombreux candidats à la « Présidentielle » qui battent allègrement la coulpe… des autres.


19 mars 2016

                                         Palmes


    Curieux équipage que celui de ce prophète juché sur un âne, acclamé par la foule.

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 Rien à voir avec le « triomphe » des généraux romains qui, de retour de la guerre, exhibaient leurs trophées et  traînaient la horde bigarrée des prisonniers promis au marché des esclaves. Vae victis ! 

D’après Zacharie, l’un des derniers prophètes, le messie devait se montrer sur une telle monture pour inaugurer un règne de paix. Chars et chevaux de guerre devenaient alors inutiles.

 Un autre détail signalé par trois évangiles a pris postérieurement une grande importance : les branchages agités au passage de Jésus. Jean précise même qu’il s’agit de rameaux d’oliviers.
 Ils ont donné du fil à retordre à bien des exégètes qui se sont étonnés de cette incongruité. On ne coupe pas des branches fructifères au printemps si, du moins, l’entrée à Jérusalem précédait de peu la date de la célébration de la Pâque. 

Il a fallu étudier de plus près les calendriers évangéliques pour comprendre que cette datation était une présentation raccourcie de la condamnation de Jésus, résumée en une semaine, à l’usage des premiers chrétiens qui venaient en pèlerinage à Jérusalem. Cette allusion aux branchages correspondrait plutôt à une pratique juive de la fête des tentes où l’on construisait des cabanes en palmes au moment des récoltes d’automne. 

Quoi qu’il en soit, la fête des rameaux a survécu à toutes les exégèses. Elle nous prépare à accueillir la Résurrection avant d’entrer dans la Passion du Christ.

Les uns y verront le symbole de l’irrésistible force du printemps  qui triomphe de tous les hivers ; les autres s’attacheront au signe de la bénédiction qu’ils répandront dans les maisons ; d’autres encore accrocheront le brin vert au crucifix familial pour se souvenir de ceci : si la croix est potence de mort, elle est aussi arbre de vie du jardin de la création nouvelle. « Puérilités entretenues par les religions », « derniers relents d’une mentalité magique » protesteront les censeurs éclairés. 

Et pourquoi pas, simplement, humbles passerelles vers le Divin...

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10 février 2016



Sébastien Ihidoy.

Dans chaque Basque sommeille un rêve d’Amérique. En fait, c’est en Sibérie que partit Sébastien quand, jeune prêtre, il rejoignit une équipe de volontaires de la mission de France. La Sibérie, c’est ainsi que les prêtres en attente de nomination désignaient, en plaisantant, le Vic Bilh béarnais, redouté comme réfractaire à l’évangile et tellement éloigné de Bayonne. C’était l’époque où les paysans essayaient d’implanter le fameux maïs américain plus généreux mais plus gourmand en eau et en systèmes d’irrigation que les autres productions. Il fallait pour cela opérer une véritable révolution des esprits et les militants de l’action catholique, accompagnés par ces prêtres, y participèrent et prirent amplement leurs responsabilités. Pour relever le défi de l’évangélisation de cet âge nouveau qui s’ouvrait pour les campagnes, ces prêtres s’investirent sans compter y compris dans l’aide au travail journalier où la sueur et la peine partagée prolongeaient l’homélie et la catéchèse. Encore récemment, lors d’obsèques que je célébrais dans cette région, on me rappelait la place prise par l’abbé Ihidoy dans cette proximité recherchée avec ceux qui s’étaient éloignés de l’Eglise. Pas d’évangélisation sans proximité et solidarité éprouvées. La nouvelle évangélisation actuelle n’échappera pas à ce temps de l’incarnation nécessaire.
Quittons les coteaux ondulés de Lembeye où a pris naissance la légende Ihidoyenne pour affronter la cité des remparts.

C’est à Navarrenx que l’Europe est venue à lui. Après avoir patiemment labouré les six villages de sa paroisse, établi une relation personnelle avec beaucoup de ses paroissiens, étonné bien des jeunes par ses exploits sur le fronton, animé une rubrique sur une radio cantonale, notre curé pensait peut-être récolter paisiblement le fruit de ses multiples contacts personnels dans lesquels il excellait. « Moi, je te rassemble des jeunes ruraux, me dit-il un jour; toi tu te charges de les accompagner dans la réflexion » ainsi est née grâce à lui, l’Ifocap-Adour qui a aidé à l’éclosion d’acteurs et responsables actuels de cette petite région.
Oui, c’est bien l’Europe qui est venue frapper à sa porte sous la forme de ces cohortes de pèlerins de St Jacques qui trouvèrent chez lui, tous les soirs, gîte, soupe et cœur ouvert.  Son presbytère, qui était loin d’être conforme aux normes d’hébergement en vigueur,  est devenu au fil des ans la référence spirituelle que l’on sait. Cet accueil sans visa lui valut quelques surprises désagréables mais n’altéra jamais sa capacité extraordinaire de toujours mettre en valeur l’hôte du moment. Laurence Lacour et d’autres après elle, en ont largement témoigné. Chacun ressortait de chez lui avec le sentiment d’être unique et de compter réellement dans l’histoire des hommes. Pas d’évangélisation sans un respect immodéré pour tout homme et pour toute femme.

La vie paroissiale, la priorité donnée au laïcat, le partage des joies et des peines familiales, la réponse aux innombrables mails des anciens pèlerins ont été le quotidien du curé de Mauléon et de la Soule qui était encore pour lui une terre nouvelle, inconnue mais très vite adoptée. « C’était le type même du prêtre diocésain, sans ignorer toutefois son côté franc-tireur par rapport aux institutions qu’il jugeait trop cléricales. » me disait l’un de ses confrères.

Terme du voyage, retour au pays : Cambo. Le souci de répondre aux attentes de nos contemporains l’ont amené dans ses dernières missions à creuser et à travailler l’apport de certains penseurs actuels et de faire profiter de sa réflexion et de sa sagesse ses paroissiens ainsi que les auditeurs de la radio Lapourdi qui attendaient ses chroniques. « As-tu lu tel article de M. Serres, de J. Cl Guillebaud ? J’ai envie de les résumer à la radio : qu’est-ce-que tu en penses ? » Et nous philosophions un moment au téléphone. Sa parole n’était pas un simple écho répétitif de ses lectures  ou de ses recherches. Elle s’enracinait dans la riche expérience de ces rencontres chaleureuses qui avaient allumé dans l’existence de chacun une sorte de buisson ardent où Dieu se rendait présent. « La vie de tous les jours suffit comme support à ma prière » disait-il. Pas d’évangélisation sans analyse lucide des idées dominantes d’une société. Pas d’évangélisation sans ce cœur à cœur  brûlant avec Dieu et avec nos frères.

Un Basque ne plie pas, il rompt. C’était la devise de son confrère Bernardin Dunate, c’était secrètement la sienne. Sa mort brutale alimentera encore le souvenir de son regard ouvert et de son sourire heureux. Permettez-moi de formuler un souhait à l’adresse au moins de mes compatriotes de Navarrenx : Vous savez combien sont nombreux dans notre canton ceux qui tressent des couronnes sur les têtes de Sébastien et de Bernardin, et ils le méritent bien. Mais ne serait-ce pas mieux de resserrer aussi les liens avec Celui qui était la source de leur Foi et de leur passion ? J’ai envie de leur dire : « Ne leur volez pas leur sacerdoce en admirant l’homme qu’ils étaient et en négligeant Dieu qu’ils adoraient! » 

Sébastien, tu ne nous serreras plus la main en broyant nos phalanges sensibles. Maintenant, serre-nous plutôt sur ton cœur qui bat de nouveau, branché pour toujours sur celui du Père. Comme tu le disais souvent : « Voilà l’homme ! »Jendia, Jendé !!  



24 janvier 2016

LES MOTS DE LA MISERICORDE.


« L’Eglise ne pourrait-elle pas avoir une parole plus incisive quand il s’agit de défendre les pauvres, de dénoncer les injustices ? Isaïe ne se gênait pas quand il appelait Dieu à la rescousse pour casser les dents des arrogants et pulvériser les puissants ! Sous prétexte de Jubilé de la miséricorde, on nous abreuve de discours mielleux et insipides alors que 1% de la population mondiale accapare 50,1% du patrimoine mondial! » C’est à peu près dans ces termes que j’ai reçu la réaction d’un participant lors d’une soirée de formation que j’animais.

On s’étonnera toujours du grand écart qu’il faut effectuer quand on passe de la lecture des textes de la première Alliance à celle de la deuxième. Mais la surprise n’est pas moins grande lorsqu’on lit que « Jésus promena sur eux un regard de colère » ou qu’il traita certains de ses contradicteurs de « sépulcres blanchis » ! Le « doux Jésus » ne prenait pas de gants !

Trois rappels.

* La tentation est grande d’opposer le Dieu de l’Ancien Testament à celui du Nouveau. Dans les débuts de l’Eglise les tenants de cette thèse ont été condamnés pour hérésie. La lecture des textes bibliques ne peut être signifiante que replacée dans son histoire et dans sa totalité. On s’aperçoit à ce moment- là que la Foi de nos ancêtres croyants a évolué et, avec elle, l’image qu’ils se faisaient de Dieu. L’épisode du jeune David qui abat le géant Goliath d’un coup de fronde nous laisse clairement entrevoir un Dieu des armées qui prend la tête des guerriers de son peuple tel un chef de bataillon. Est-ce ce même Dieu qui convoque Elie sur le mont Carmel et qui se révèle à lui dans le frémissement d’un silence furtif ? On pourrait se poser la question tellement le contraste est éclatant. Certains repèrent dans cette longue histoire du dialogue de Dieu avec son peuple des seuils qui marquent de façon décisive  la Foi mais qui n’empêcheront pas des retours en arrière. On a même pu déceler dans cette littérature biblique une sorte de pédagogie de Dieu qui se révèlerait au fur et à mesure de la capacité des hommes à accepter son message. Tout se passe comme si Dieu élargissait petit à petit les dimensions  de la Foi du croyant au mystère qui est le Sien.

*A ce regard d’ensemble et évolutif, indispensable pour effectuer une juste lecture de ces textes anciens, il faut ajouter un principe de fond. Aucun langage humain ne peut dire Dieu. Notre parole est adaptée aux réalités qui sont à portée humaine. Or ces réalités sont finies, limitées et même datées. La parole qui essaie de les traduire l’est aussi. Et d’ailleurs, lorsqu’elle s’avère impuissante à expliquer une situation trop complexe, elle emploie des images ou des symboles. Notre langage est impuissant pour appréhender la Vérité de Dieu. On butera toujours sur l’infirmité des mots à décrire Dieu et son projet sur le monde.
 St Léon fait remarquer « que la grandeur de l’œuvre divine excède de beaucoup le pouvoir du langage humain ; de là vient la difficulté de parler comme le motif de ne pas se taire… ». Non seulement nos mots sont trop étroits quand ils désignent le divin mais dès que l’on dit quelque chose de Dieu, il faut se contredire. Car, Il est juste mais aussi miséricordieux. Il est puissant mais si faible en même temps. Sa justice n’hésite pas à prendre des moyens violents. Mais n’oublions pas que le fait même qu’Il s’occupe des humains, qu’Il se penche sur leur misère (Ex 3,7), contrairement aux divinités païennes, est un signe de sa miséricorde. Et quand il agit en Père, il le fait à la manière du père de famille qui dans ces temps- là prouvait son amour envers son fils en lui donnant du bâton (Sir 30,1) ; cependant, cela ne l’empêchera pas de rester fidèle à son alliance malgré les  infidélités renouvelées de son peuple (Ez 16). La miséricorde, comme le mot l’indique, rapproche le cœur de la misère. C’est tout un programme et qui dépasse largement le discours lénifiant et désincarné.

* Dernier rappel :
Au-delà des mots, ce qui compte, ce sont les actes. Or il faut beaucoup plus de force pour être et rester miséricordieux que pour pousser un coup de gueule. Celui-ci peut être nécessaire pour attirer l’attention sur une situation anormale mais s’il fait du bien à celui qui crie plus fort que les autres, il ne résout pas forcément le problème. Le Fils, expression vivante de la miséricorde du Père, en a payé le prix dans son ultime combat. Si les sept dernières paroles courtes prononcées sur la Croix nous offrent son testament, alors nous sommes définitivement prémunis contre tous les propos doucereux et mielleux qui voudraient édulcorer la force de subversion de la miséricorde. Le Pape François, dans son dernier ouvrage, nous offre  quelques tranches de vies remuées, bouleversées, labourées et ensemencées  par le péché pardonné (1). Les initiateurs des cercles de silence ont bien compris que le cri peut être silencieux. Roger Schutz, le premier prieur de Taizé, n’osait-il pas parler de la « violence des pacifiques » ? 

« Encore faut-il avoir appris ce que tomber veut dire,
Comme une pierre tombe dans la nuit de l’eau ;
Ce que veut dire craquer,
Comme un arbre s’éclate aux feux ardents du gel…
Que peuvent savoir de la miséricorde des matins,
Ceux dont les nuits ne furent jamais de tempêtes et d’angoisses » Paul Baudiquey

(1) Pape François « Le nom de Dieu est miséricorde » R. Laffont 2016


"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.