LES MOTS DE LA MISERICORDE.
« L’Eglise ne pourrait-elle pas
avoir une parole plus incisive quand il s’agit de défendre les pauvres, de
dénoncer les injustices ? Isaïe ne se gênait pas quand il appelait Dieu à la
rescousse pour casser les dents des arrogants et pulvériser les puissants !
Sous prétexte de Jubilé de la miséricorde, on nous abreuve de discours mielleux
et insipides alors que 1% de la population mondiale accapare 50,1% du
patrimoine mondial! » C’est à peu près dans ces termes que j’ai reçu la réaction
d’un participant lors d’une soirée de formation que j’animais.
On s’étonnera toujours du grand
écart qu’il faut effectuer quand on passe de la lecture des textes de la
première Alliance à celle de la deuxième. Mais la surprise n’est pas moins grande
lorsqu’on lit que « Jésus promena sur eux un regard de colère » ou qu’il traita certains de ses contradicteurs de « sépulcres blanchis » !
Le « doux Jésus » ne prenait pas de gants !
Trois rappels.
* La tentation est grande
d’opposer le Dieu de l’Ancien Testament à celui du Nouveau. Dans les débuts de
l’Eglise les tenants de cette thèse ont été condamnés pour hérésie. La lecture
des textes bibliques ne peut être signifiante que replacée dans son histoire et
dans sa totalité. On s’aperçoit à ce moment- là que la Foi de nos ancêtres croyants a
évolué et, avec elle, l’image qu’ils se faisaient de Dieu. L’épisode du jeune
David qui abat le géant Goliath d’un coup de fronde nous laisse clairement
entrevoir un Dieu des armées qui prend la tête des guerriers de son peuple tel
un chef de bataillon. Est-ce ce même Dieu qui convoque Elie sur le mont Carmel
et qui se révèle à lui dans le frémissement d’un silence furtif ? On pourrait
se poser la question tellement le contraste est éclatant. Certains repèrent dans
cette longue histoire du dialogue de Dieu avec son peuple des seuils qui
marquent de façon décisive la Foi mais qui n’empêcheront pas
des retours en arrière. On a même pu déceler dans cette littérature biblique
une sorte de pédagogie de Dieu qui se révèlerait au fur et à mesure de la
capacité des hommes à accepter son message. Tout se passe comme si Dieu
élargissait petit à petit les dimensions de la
Foi du croyant au mystère qui est le Sien.
*A ce regard d’ensemble et
évolutif, indispensable pour effectuer une juste lecture de ces textes anciens,
il faut ajouter un principe de fond. Aucun langage humain ne peut dire Dieu.
Notre parole est adaptée aux réalités qui sont à portée humaine. Or ces
réalités sont finies, limitées et même
datées. La parole qui essaie de les traduire l’est aussi.
Et d’ailleurs, lorsqu’elle s’avère impuissante à expliquer une situation trop
complexe, elle emploie des images ou des symboles. Notre langage est impuissant
pour appréhender la Vérité
de Dieu. On butera toujours sur l’infirmité des mots à décrire Dieu et son
projet sur le monde.
St Léon fait remarquer « que la grandeur de l’œuvre divine
excède de beaucoup le pouvoir du langage humain ; de là vient la difficulté de
parler comme le motif de ne pas se taire… ». Non seulement nos mots sont trop
étroits quand ils désignent le divin mais dès que l’on dit quelque chose de
Dieu, il faut se contredire. Car, Il est juste
mais aussi miséricordieux. Il est puissant mais si faible en même temps. Sa
justice n’hésite pas à prendre des moyens violents. Mais n’oublions pas que le
fait même qu’Il s’occupe des humains, qu’Il se penche sur leur misère (Ex 3,7),
contrairement aux divinités païennes, est un signe de sa miséricorde. Et quand
il agit en Père, il le fait à la manière du père de famille qui dans ces temps-
là prouvait son amour envers son fils en lui donnant du bâton (Sir 30,1) ;
cependant, cela ne l’empêchera pas de rester fidèle à son alliance malgré
les infidélités renouvelées de son
peuple (Ez 16). La miséricorde, comme le mot
l’indique, rapproche le cœur de la misère.
C’est tout un programme et qui dépasse largement le discours lénifiant et
désincarné.
* Dernier rappel :
Au-delà des mots, ce qui compte,
ce sont les actes. Or il faut beaucoup plus de force pour être et rester
miséricordieux que pour pousser un coup de gueule. Celui-ci peut être
nécessaire pour attirer l’attention sur une situation anormale mais s’il fait
du bien à celui qui crie plus fort que les autres, il ne résout pas forcément
le problème. Le Fils, expression vivante de la miséricorde du Père, en a payé
le prix dans son ultime combat. Si les sept dernières paroles courtes
prononcées sur la Croix nous offrent son testament, alors nous sommes
définitivement prémunis contre tous les propos doucereux et mielleux qui
voudraient édulcorer la force de subversion de la miséricorde. Le Pape
François, dans son dernier ouvrage, nous offre
quelques tranches de vies remuées, bouleversées, labourées et
ensemencées par le péché pardonné (1). Les
initiateurs des cercles de silence ont bien compris que le cri peut être
silencieux. Roger Schutz, le premier prieur de Taizé, n’osait-il pas parler de
la « violence des pacifiques » ?
« Encore faut-il avoir appris
ce que tomber veut dire,
Comme une pierre tombe dans la
nuit de l’eau ;
Ce que veut dire craquer,
Comme un arbre s’éclate aux feux
ardents du gel…
Que peuvent savoir de la
miséricorde des matins,
Ceux dont les nuits ne furent
jamais de tempêtes et d’angoisses » Paul Baudiquey
(1) Pape François
« Le nom de Dieu est miséricorde » R. Laffont 2016
1 commentaire:
Comme toujours une réflexion si juste et incisive....
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