Migrations estivales !
Elles
en avaient rêvé tout l’hiver, confinées dans leurs stabulations sans horizon ;
elles l’avaient espéré, avachies dans leurs grasses prairies du printemps
; l’heure du départ a enfin sonné. Les pyrénéennes marquées au fer rouge sont
en tête du cortège.
Robe claire, cornes effilées, mufle relevé, enivré déjà des
senteurs du serpolet et des rhododendrons, elles défilent au pas cadencé, en
tête de la plus belle manifestation montagnarde de l’année. Invité à partager
la loggia d’Henri et d’Yvonne, j’assiste à la parade des vaches, des brebis,
des chevaux du Haut Ossau qui montent aux estives. Une sorte de frénésie
s’est emparée du peuple des quadrupèdes. Dans l’enfilade de la rue principale,
un puissant tintamarre annonce chaque troupeau. Les lourdes cloches fixées au
collier des chefs de file brinquebalent au rythme de la marche. Elles
aussi avaient rongé leur battant et suspendu leur silence pendant de longs mois
au râtelier d’une grange. Ce soir elles retrouvent leur voix. Chacune, choisie
en fonction de sa forme, de sa place et de sa sonorité, participe au
concert.
La
calme fierté des bergers, solides gaillards, bâton à la main, impose son
autorité à la fougue et à l’indiscipline des plus jeunes génisses. Ils
adressent des saluts sonores à l’ami Simon qui les hèle du haut du
balcon, ils enveloppent d’un coup d’œil l’ensemble de la troupe pour qu’elle
garde sa cohésion. Les petits enfants de la famille n’auraient manqué pour rien
au monde l’honneur de côtoyer les grands. Le torse bombé, le pas assuré, le
regard sérieux, ils assument crânement leur responsabilité. Ils entrevoient
déjà le jour où, devenus à leur tour « chefs de convoi », ils pourront
s’envoler et rejoindre leur royaume sous les nuages. Ce soir, en effet, la montagne
se fait discrète et distante sous son châle de brume. Demain, elle réservera
ses plus beaux atours à ceux qui auront franchi les premiers bivouacs et qui
auront fait allégeance aux autorités du Syndicat de la Vallée. Et il en va
ainsi depuis la nuit des temps…
Les
estivants font cortège et remplissent leurs écrans de photos souvenirs de ce
monde insolite qu’ils croyaient disparu et dont ils perçoivent les racines
solides et l’avenir fragile. Les anciens laissent flotter dans leurs yeux les
images de cimes et les décors somptueux que la montagne leur offrait au temps
où ils pouvaient défier les dents du Pic qui règne sur ce pays rude et
accueillant.
Certains regretteront que les grandes transhumances de notre société soient si souvent dépourvues de guides sûrs, d’accompagnateurs zélés, de trajets balisés, de rites éprouvés et se prennent à rêver que les enfants soient les premiers ! Il me semble qu’il en fut ainsi, un soir, à Bethléem, quand les bergers reconnurent la préséance d’un nouveau né…
Certains regretteront que les grandes transhumances de notre société soient si souvent dépourvues de guides sûrs, d’accompagnateurs zélés, de trajets balisés, de rites éprouvés et se prennent à rêver que les enfants soient les premiers ! Il me semble qu’il en fut ainsi, un soir, à Bethléem, quand les bergers reconnurent la préséance d’un nouveau né…
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