Mes sœurs
Pendant que les écrans scintillaient sous les ors olympiques
et que les athlètes exhibaient muscles et médailles, vous vous êtes donné
rendez-vous dans la trouée verdoyante de N D
de Livron à Caylus.
Toutes d’un âge certain, vous avez quitté vos
repères habituels pour vous faufiler sans bruit dans un groupe de retraitants
soumis au silence et à un emploi du temps minuté. Dans ces costumes taillés
après le Concile, hybrides des longues vêtures et des tenues civiles, vous ne
passiez pas inaperçues. Le pas hésitant, le dos courbé, vous trottiniez
derrière cannes ou déambulateurs pour vous asseoir bien à l’avance, à vos
places, comme de sages élèves, afin de ne déranger personne.
Toute votre vie,
vous avez été ces femmes- fourmis exécutant ces tâches obscures et répétitives
dont on n’aperçoit la nécessité que lorsqu’elles font défaut. Petites abeilles
ouvrières, à l’obéissance muette et à l’apparence bien terne, vous avez trop
longtemps jeté un masque sur vos personnalités contenues dans « la stricte
observance » de la règle et des ordres de quelques « mères
–bourdons ». Celles-ci, réduites aujourd’hui au même statut que le vôtre,
laissent deviner à l’éclat de leur regard, quelques braises encore vives de
l’autorité dont elles ont usé. J’ai aperçu la larme discrète qui suivait le
sillon de vos rides quand vous me parliez du dernier arrachement qui vous a
imposé, une fois de plus, de tout quitter pour vous livrer à une vieillesse
sans filet. Mais dès que vous laissiez parler votre passé, des perles d’or
coulaient de vos mains.
Mes chères sœurs, n’ayez aucun scrupule à vous laisser
servir dans vos maisons de retraite. C’est à genoux que les employés devraient
se tenir devant vous. Car, non seulement vous leur permettez de vivre mais
encore de se sentir utiles, ce que vous regrettez tant de ne plus éprouver pour
vous-mêmes ! A cette condition, vous pourrez peut-être laisser tomber
quelques-unes de vos pépites dans leurs mains devenues filiales, déférentes et
reconnaissantes.
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