11 février 2023

La liturgie, un art impossible ?


Prenons l’exemple de la messe. Le Christ, la veille de sa mort c’est-à-dire avant d’offrir sa vie sur la croix prend du pain et du vin, invite ses disciples à manger et à boire en disant : Ceci est ma vie donnée, livrée. Et voilà que, peu après, Il ressuscite dans l’acte même de son offrande totale à Dieu son Père et aux hommes ses frères. Ainsi Il institue et célèbre La Messe, l’offrande, l’action de grâces, la sienne, unique et éternelle. Il n’y a donc qu’un célébrant : Lui. Un temple et un autel : Lui. Aussi « nos » messes n’ajoutent rien à celle là, elles actualisent, mettent à notre portée dans notre temps et dans notre espace, sa messe, toujours présente et sans cesse célébrée par Lui, dans sa résurrection.


Certaines Eglises en ont conclu qu’il fallait donc, avant tout, imiter la liturgie du ciel. Les orthodoxes excellent dans le genre. Tout y est prévu pour susciter la louange à l’unisson de celle des anges.
C’était encore le cas de notre ancienne messe solennelle, réglée comme une chorégraphie parfaite. Elle se déroulait dans un espace sacré et hiérarchisé, au plus près de la voûte étoilée du chœur. On l’appelait encore le « Saint Sacrifice » d’agréable odeur diffusée par l’encens. Elle retrouve un regain d’actualité avec un retour aux espaces réservés, aux gestes et à sa langue sacrés. Une « liturgie grand-écran », aérienne, qui s’épuise à vouloir mimer l’œuvre de Dieu « copiée-collée ».

 D’autres communautés, se souvenant du   repas de l’auberge d’Emmaüs, considérant que la messe était aussi célébrée sur la terre par et pour des terriens, usent leur imagination à rendre le repas attirant et savoureux par des innovations tape à l’œil, des explications bavardes, en oubliant qu’Il les quitta subitement en les laissant sur leur faim. On est ici dans le registre de l’animation à l’instar des émissions de télévision qui cherchent à faire de l’audience. On veut se souvenir que la liturgie est une « action du peuple » corrélative à la contemplation. Malheureusement, elle dévie, elle aussi, vers une « liturgie écran », dans le sens où ses acteurs trop présents finissent par obstruer la Voie et couvrent la Voix.
En fait, les deux liturgies en restent au niveau de la représentation. Et comme dans tous les jeux de rôle l’art de représenter -ici,  le divin- est non seulement difficile mais en l’occurrence impossible. Dans les deux cas, le rôle des représentants et la performance des signes prennent le pas sur la « présentation », la mise en présence de l’Unique célébrant et de l’Eucharistie éternelle. Le rite par sa répétition et sa symbolique devrait y aider mais il peut s’engluer dans une morne habitude s’il n’est pas habité par l’Esprit!
 
La critique est aisée mais l’art est difficile ! En effet, comment célébrer pour qu’une assemblée liturgique entre dans l’Eucharistie du Christ si ce n’est en faisant en sorte, et ceci vaut pour tous les acteurs clercs ou laïcs, que ceux-ci s’effacent devant sa Présence, en n’approchant du mystère qu’à pas feutrés, qu’à mots comptés, en Lui laissant la préséance, en se mettant humblement en retrait. Bref, la qualité première d’une liturgie chrétienne ne serait-elle pas celle d’inviter à la prière et au souci du prochain ? Seul un climat de prière peut remettre à sa place le serviteur de la liturgie sans supprimer sa personnalité et laisser à la sienne, c’est-à-dire la première, le Célébrant Unique.  Pour obtenir cette qualité, une seule chose est nécessaire : que le célébrant et tous les acteurs soient eux-mêmes en état de prière, tout le reste y compris le rituel, étant ordonné à ce seul objectif. Un art moins difficile qu’il n’y paraît…mais qui pourrait bousculer bien des routines et des faux plis acquis !  


09 février 2023

Pénibilité

Qui donc aurait cru que les fabuleuses performances de la technique, de l’informatique et de la robotique se seraient soldées par un accroissement de pénibilité ? La mémoire réveille ces temps, pas si lointains, où l’instituteur commentait la finale de la fable du laboureur : « Prenez de la peine c’est le fond qui manque le moins ». Quant au curé, reprenant le récit de la création du livre de la Genèse, il ne manquait pas de rappeler aux enfants du catéchisme qu’après le péché de l’homme et de la femme, le sol fut maudit et « c’est à force de peine que tu en tireras subsistance » Gn 3, 17). Curieusement, on parlait moins de pénibilité quand vivre au quotidien demandait un effort soutenu.


Encore faut-il s’entendre sur la signification de la peine. Chez le fabuliste, elle était synonyme de sueur et de fatigue car la « terre était basse » disait-on. La Bible y ajoutait une notion de punition. Ses auteurs n’étaient pas naïfs au point de croire que l’on pouvait cultiver le jardin d’Eden sans avoir mal au dos. Mais la peine pour eux était liée au péché c’est-à-dire à la perte du sens originel. Quand le travail n’est plus qu’une tâche répétitive sans cesse accélérée par la cadence de la machine, au profit exclusif d’une économie de marché illisible, il devient peine insupportable. 

Les pancartes qui accompagnent les cortèges des manifestants en disent long  sur la dégradation du sens du travail. Elles affichent à bout de bras le vulgaire « boulot » pour mieux souligner le manque d’intérêt du travail accompli, faute d’une juste considération et d’une simple reconnaissance. 


Suffira-t-il d’augmenter les salaires ou de diminuer la durée de la vie professionnelle pour retrouver goût au travail? Il semble que le mal soit plus profond et qu’il faille retourner au texte biblique pour considérer que si le travail est devenu le « boulot » c’est peut-être parce que nous l’avons détaché de son but premier qui était de participer librement à l’œuvre de la création et au bien commun de l’humanité. Le lien rompu avec la nature, la déshumanisation de la relation à l’autre et l’absence de relation avec le Créateur ne pouvaient qu’aboutir à ce piètre résultat. Celui ou celle qui sait pourquoi il travaille ne peut pas considérer sa tâche comme une punition même si elle demande toujours un effort.

21 janvier 2023

Service et pouvoir


 Heureux les serviteurs attentifs et ponctuels, proclame l’évangile lorsque le maître tarde à rentrer de la fête. « Grand serviteur de l’Etat » titre la presse quand elle présente un personnage qui a accumulé des fonctions administratives. Cette expression est encore synonyme de compétence, de probité et souvent d’abnégation. Le service de l’Etat, en effet, ne supporte pas l’amateurisme, les passe-droits, la recherche de la promotion personnelle ou de la vaine gloire. Il ne s’agit pas uniquement de représenter l’Etat mais d’en  partager le pouvoir, garant du Bien commun au-delà des intérêts particuliers. Alors, comment conjuguer service et pouvoir ? Le baptisé ne peut pas échapper à cette question.
Quelle a été l’attitude de Jésus vis-à-vis de ceux qui commandaient, le civil et le religieux étant confondus dans la société de son époque ?


 Rappelons-nous  la rencontre avec Jaïre, notable juif dont le thaumaturge de Nazareth  relève la fille du sommeil de la mort. Avant de partir, Jésus fait une recommandation : silence et discrétion. Le vrai service ne claironne pas. 


Souvenons-nous  aussi du centurion, l’étranger, l’occupant : « Dis seulement une parole et mon serviteur sera guéri…Je n’ai pas trouvé une telle foi en Israël ». Avec Jésus pas de discrimination : ami ou ennemi, celui qui souffre a droit à notre compassion et à notre aide. Le soldat romain était déclaré impur, à tous points de vue infréquentable. Rien que la loi, toute la loi, dit-on. Il y a cependant  des occasions où il faut la surpasser et prendre des risques. 


Risques qu’encourut ce prophète itinérant qui osa traiter Hérode de renard. La fréquentation des arcanes du pouvoir  a dû mettre le « grand serviteur de l’Etat »  aux prises avec de nombreux rusés. Sa lucidité et son indépendance d’esprit l’ont peut-être préservé des morsures carnassières des renards tapis dans les sous-sols de la politique !


Regardons Zachée, le collaborateur, sur son sycomore. « Je viens manger chez toi ». Partager le pain, communier, avec un pécheur notoire mais, capable de se convertir au risque là aussi de provoquer un scandale. Distinguer la loi qui s’impose, du citoyen ou de la collectivité pris en faute, demande un regard distancié.


Enfin, son dialogue avec Pilate : « Tu n’aurais aucun pouvoir s’il ne t’avait pas été donné d’en haut…» Jésus remet le puissant à sa place, à genoux devant la Vérité d’en haut  toujours inaccessible. Et le représentant de César fera bien de ne jamais confondre son pouvoir avec celui de Dieu : « Rendez à César ce qui lui appartient et à Dieu ce qui est à Dieu». L’insigne ou la tenue officielle de la fonction rappelle,  s’il le faut encore, que le pouvoir  nous dépasse, il vient d’ailleurs, il ne nous appartient pas.


Quelle que soit notre position sociale, nous exerçons tous un certain pouvoir. Et comme les frères Zébédée, Jacques et Jean, nous sommes tous tentés de le mettre à notre service : « Celui qui voudra être le premier, leur répond Jésus, se fera l’esclave de tous » Or, justement, nous baignons dans une culture du pouvoir immédiat et quasi absolu. L’époque contemporaine, grâce aux fabuleuses possibilités du numérique, nous laisse croire que tout est à notre portée. Elle nous a donné de tels moyens que nous croyons avoir atteint le piédestal de Dieu. Malheureusement, chacun veut y accéder, or, il n’y a de place, à ce niveau là, que pour un Seul. D’où cette rivalité et cette violence larvée qui s’infiltrent partout et éclatent au moindre motif. L’abandon généralisé de la reconnaissance d’un seul Dieu a favorisé l’émergence de petits dieux (c’est à dire chacun de nous) qui veulent faire la loi et ravir les meilleures places. Sous nos yeux, notre société se fracture entre ceux qui auront les clefs de la connaissance informatique quasi-infinie et ceux qui resteront, de plus en plus nombreux sur le bas-côté, faute de pouvoir ou de savoir s’adapter. 


Le terrain du pouvoir est miné. Est-ce une raison pour que le chrétien se tienne frileusement à l’écart de ses risques et de ses pièges? Certainement pas ! Mais s’il s’engage, il le fera en gardant fermement un seul critère : retrouver la finalité première de la Loi et de toute gouvernance : protéger le petit et le faible des violences multiples qu’ils subissent.
Heureux sera-t-il d’avoir été ce serviteur « fidèle à veiller ! ».

12 janvier 2023

Foi et raison

 


 Lors des obsèques du Pape émérite ont refleuri, inévitablement,  les « ismes »  dans lesquels certains l’avaient définitivement encadré : conservatisme, rigorisme, traditionalisme. Ils  avaient tout simplement oublié ces propos de Joseph Ratzinger datés de 1969, extraits d’une émission d’une radio allemande, que rappelait récemment René Poujol dans son blog : « …Ce sera une Eglise plus spirituelle qui ne s’arrogera pas un mandat politique (…) mais après l’épreuve de ses divisions, d’une Eglise intériorisée et simplifiée sortira une grande force...  Il me semble certain que des temps très difficiles sont en train de se préparer pour l’Eglise. Mais je suis aussi tout à fait sûr de ce qui restera à la fin : non l’Eglise du culte politique mais l’Eglise de la foi… C’est sûr qu’elle ne sera plus la force sociale dominante dans la mesure où elle l’était jusqu’à il y a peu de temps. Mais l’Eglise connaîtra une nouvelle floraison et apparaîtra comme la maison de l’homme, où trouver vie et espérance au-delà de la mort. » 


N’ayant pas eu la force de mettre en musique cette Eglise nouvelle pour laquelle il souhaitait des ministères différents, il a posé, lors de sa « sortie » l’acte le plus audacieux de son pontificat laissant abasourdis ses détracteurs comme ses admirateurs. La raison est venue au secours de la foi. Réduire une personne, quelle qu’elle soit, à un seul qualificatif est toujours imprudent et dangereux. Au fait, Jésus, était-il progressiste ou traditionaliste ?


« Je ne suis pas venu abolir mais accomplir » nous a-t-il dit en parlant de la Loi Juive. Certes il l’a accomplie et même surpassée ! Alors, pourquoi  aurait-il  déclenché chez les tenants de « la tradition des pères » une opposition telle qu’elle lui valut une mort en croix, s’il n’avait pas profondément déstabilisé les croyances de ses contemporains ? Prétendre, comme il le fit, se placer au-dessus de Moïse était blasphématoire : « Moïse vous a dit… moi je vous dis… »
Enfermer l’expression de la foi dans une tradition figée par une langue, des rites ou des dogmes est indigne du « sujet » de notre foi et de notre amour : Dieu lui-même. Vouloir, à l’inverse, la présenter sous les couleurs de la modernité contemporaine sans les passer au feu de l’évangile l’est tout autant. Laissons à Dieu le soin de nous déconcerter encore par une révélation de son identité qui n’en finira jamais de nous bousculer.



01 janvier 2023

A un moment donné

 


 « Une année de plus » se réjouit le petit garçon qui rêve de devenir grand et de rattraper le statut de son frère aîné. « Une année de moins » soupire le grand-père qui fait le décompte de celles qui lui restent  à vivre. Mais quelles que soit les réactions qu’il suscite, le rouleau compresseur des jours, des nuits, des semaines, des mois et des années poursuit son travail de broyage inlassable. Il n’a que faire de nos émois et de nos commentaires qui souvent se contredisent et s’annulent. Le temps paraîtra bien trop long pour le condamné à la solitude mais, le même, se plaindra amèrement  du rythme trop rapide des années qui s’accumulent. Le temps, lui, n’en a cure, il passe par-dessus tout…
Il nous reste à le vivre mais comment ?


« Je n’ai pas le temps…Il faut prendre le temps de…Puis-je te voler quelques minutes… J’ai gagné deux heures…Vous perdez votre temps… »  autant d’expressions quotidiennes qui dénotent d’un rapport au temps  de l’ordre de la possession, de la maîtrise, du découpage parcimonieux. La culture numérique l’accélère toujours plus et pourtant, elle est, dit-on, chronophage ? Le temps est pensé comme un bien à défendre, à rentabiliser, à produire; le temps c’est de l’argent, répétions-nous en apprenant l’Anglais. Nous savons aussi qu’il y a un « maître des horloges », qu’il réside au palais de l’Elysée et qu’il est chargé de « remettre les pendules à l’heure »! Et voilà Chronos devenu dieu de la République !

Bref, nous n’avons pas le choix. Ou bien nous entretenons l’illusion de maîtriser notre temps au risque de manquer les rendez-vous avec des imprévus prometteurs ou bien nous nous condamnons à courir éperdument après lui jusqu’à l’asphyxie fatale. Une expression banale pourrait nous ouvrir un passage pour sortir de ce dilemme : « A un moment donné ». Elle est souvent employée pour mettre en valeur la surprise d’un évènement : « à un moment donné le cheval se cabra et le cavalier tomba… ». Elle souligne également la dimension gratuite du temps : « donné ». Or l’imprévu ne peut se vivre qu’au présent et le temps, malgré tous nos efforts pour le programmer et l’anticiper reste un cadeau de chaque instant. Les sages grecs avaient inventé le « temps opportun » celui de la coïncidence entre l’action humaine et le vouloir divin dans un acte ajusté au moment donné. Au début d’une année nouvelle, à défaut de maîtriser notre temps, souhaitons-nous de répondre avec discernement à l’appel de l’instant présent et de savoir le partager en toute gratuité comme notre plus grand bien.



20 décembre 2022

Noël ou le salut de notre planète à la portée d’un enfant.


Plus que jamais les citoyens du monde œuvrent au chevet de la terre qui s’épuise et de la vie qui souffre. Dans sa course en avant effrénée, l’histoire contemporaine a tout simplement occulté l’expérience des populations qui vivaient exclusivement des ressources de la nature et qui savaient préserver son avenir. Le mot d’ordre, aujourd’hui, est au « salut » de la maison commune, rien de moins. « Sauvegarde » aurait fait moins prétentieux ! A grand renfort de colloques, de G20, de G15 et de G5, les rapports s’accumulent et les recommandations s’empilent. Experts, économistes, prévisionnistes rivalisent de préconisations pour offrir une vie digne et décente aux presque 8 milliards d’habitants de la terre. En vain ! Le combat est perdu d’avance. Tout au plus, l’échéance fatale sera retardée mais un jour le bateau coulera inexorablement. Les jeunes générations en sont conscientes qui traînent leur désarroi entre attente passive, actions prophétiques et colère sporadique.
 


Depuis trois millénaires, c’est-à-dire hier dans l’échelle du temps, il en va ainsi. Babylone raconte le déluge de Gilgamesh et construit les Ziggourats, l’Egypte renforce ses pyramides, la Grèce ordonne la cité à l’idéal de ses sagesses, Rome perce l’Empire de ses voies pavées gardées par ses légions et administre. Le temps et l’espace sont ainsi maîtrisés.


Et voilà que quelques illuminés, rôdant du côté du Jourdain, prétendent que Dieu va s’occuper de notre salut et pour ce faire Il va confier cette tâche impossible aux puissants à un enfant, fruit de son désir. Un enfant endormi dans un couffin de chiffons, comble de la fragilité, de la faiblesse, de l’innocence. Un petit sans parole, sans calcul, sans appuis des grands de ce monde, sans adresse reconnue. Un sourire, quelques balbutiements. Puis, deux mots, les premiers appris : papa pour dire Dieu ; maman pour dire l’humanité éclairant les yeux de sa mère, Marie. 


Les malades, les éclopés, les laissés pour compte, ceux qui croient aux chimères, ceux ne connaissent rien à l’économie ou aux armes, qui ne comprennent rien aux statistiques et aux courbes de pourcentages se mettent à espérer. A espérer quoi ? Un salut, une vraie libération de toute oppression.
 « Vous appelez ça un salut ? » ricane Hérode, le ministre de Rome. Comment Dieu peut-il à ce point se moquer de sa création et surtout de celui qu’Il a voulu à son image pour lui envoyer un enfant comme sauveur ? Décidément, ce Dieu invisible et sans nom n’est pas à la hauteur ! Aurait-il inventé cette histoire à dormir debout pour nous faire oublier que le bateau coulait ? 


Et pourtant cet enfant va « sauver » à la fois la fête elle-même de Noël et le monde tout entier.
Le dédain des grands qui ne croient plus aux contes de fées, les sarcasmes des gens sérieux et compétents, n’ont pas réussi à éteindre l’étoile. Noël est la fête religieuse qui résiste le mieux même si elle est engloutie sous un déluge de fêtes, de bouffe et de cadeaux. Mais jusqu’à quand ? Il y a longtemps qu’elle aurait dû revenir à son origine païenne, le solstice d’hiver. Mais c’est bien l’enfant qui, jusqu’à aujourd’hui, a « sauvé » Noël avec ce qu’il réveille de merveilleux, d’ingénu, de ravissement, de nouveauté. Car à Noël, c’est le tout-petit qui remonte du tréfonds de tout homme et de toute femme y compris les plus sérieux, les plus affairés, les plus conscients de leur rôle salvifique et de leur place indispensable au chevet de la mère-planète.   


Noël est le sourire du calendrier mais la nouvelle de cette naissance n’est pas une plaisanterie !
Car ce bébé enchanteur, cet enfant du bonheur de Dieu dont les yeux illuminent la nuit de Bethléem, ce nourrisson accroché au sein de Marie ne vient pas seul. Il est accompagné de ses frères de malheur, ceux que l’on a appelés gentiment les « saints innocents ». La cohorte apeurée et tremblante de ceux qui paient leur part de vie à la face sombre et cachée  de l’humanité, celle qui broie ses fils et ses filles sans pitié et sans regret depuis l’aube des temps. L’émerveillement de cet accouchement espéré depuis des siècles n’efface pas par magie le cri d’effroi des mamans dont on égorge l’enfant ni l’obscénité des viols des petites filles livrées aux mains des vainqueurs criminels.


Non, ce n’est pas une plaisanterie. Dieu n’est pas le suprême hypnotiseur qui endort la douleur. Cet enfant n’aura que trente ans pour s’attaquer aux forces du mal avec le sourire du Père prodigue qui tend les bras au fils pardonné, avec aussi le râle du condamné suspendu  au gibet de la croix qui a tout donné y compris son Esprit. Il n’aura que trente ans pour nous dire et pour nous montrer que le salut n’est pas dans la planification du bonheur à l’échelle mondiale mais dans l’amour partagé, même et surtout dans le naufrage et la désolation.
Faire appel à un enfant pour sauver le monde n’était pas une idée farfelue car cet enfant là n’était en rien complice du mal, il était simplement le frère des malheureux et le compagnon des pauvres, des absents des écrans. 


Cet amour là ne se planifie pas, ne se comptabilise pas, ne se programme pas ; il se vit avant, pendant et après à l’échelle de l’éternité ; dans la main caressée du mourant qui s’en va, dans le regard échangé du couple qui s’est  compris, dans les yeux d’un enfant qui se blottit dans les bras de sa maman …
Mais combien, dans cette obsession de la fête, de la neige, des cadeaux, des repas, se souviennent encore que Noël est le salut et que le salut est cet enfant nommé Jésus?
Avec Lui, que chacun de vous ami(e) lecteur ou lectrice puisse vivre un vrai Noël !
 

15 décembre 2022

L’honneur des chrétiens : Pier Luigi Maccalli


 Dans cet hiver de la foi que subissent les catholiques, les éditions médiaspaul nous donnent à lire une expérience bouleversante. Pier Luigi Maccalli, missionnaire au Niger, a été pendant deux ans l’otage d’un groupe de djihadistes fanatiques, qui l’ont traîné, sous la menace des armes, de campements en abri de fortune, très souvent enchaîné à un arbre ou entravé, sans aucun repère géographique et sans explication.  Au-delà des péripéties scabreuses et pénibles  qui émaillent son récit, l’expérience la plus douloureuse du « Père Gigi » fut celle la non communication. Là, il a pu mesurer combien l’homme est avant tout un être relationnel et que privé de communication, il perd son identité. 


Cette nuit en plein soleil, cette prison sans barreaux de sable et de désert ne l’ont pas empêché de garder une liberté d’esprit suffisante pour s’accrocher à la pensée de tous ceux et celles auxquels il avait donné sa vie et surtout pour rejoindre le Dieu de Jésus dont ses ravisseurs voulaient l’éloigner en l’obligeant à adopter celui de Mahomet. La prière et la messe en « esprit » compensaient difficilement son trop long jeûne eucharistique. Un nuage de non sens noircissait son horizon à l’exemple de celui de Job criant son incompréhension devant un Dieu silencieux. Ajouté à cela le poison mortel de l’inactivité pour cet homme qui,  dans l’esprit des missionnaires d’Afrique, pratiquait tous les métiers et s’attelait à toutes les tâches afin de favoriser la promotion de l’homme et sa dignité. De sa bouche, pas un cri de haine, pas une insulte, que du respect pour les vrais croyants de l’Islam.


Enfin, au terme de cette nuit de 752 jours, il pouvait reprendre les notes confiées à un carnet précieusement conservé, pour nous inviter à allumer comme lui « l’espérance dans l’obscurité des évènements ». Ce livre est pour nous providentiel : il nous rappelle que de la nuit la plus profonde peut jaillir une aurore prometteuse. Cet évangile silencieux, vécu dans les larmes et la déréliction  sera peut-être l’acte missionnaire le plus fécond de la vie de ce prêtre et pour nous, comme la parabole  d’un « Avent » d’une Eglise nouvelle.


    (1) Pier Luigi Maccalli « Chaînes de liberté » médiaspaul 2022