01 janvier 2023

A un moment donné

 


 « Une année de plus » se réjouit le petit garçon qui rêve de devenir grand et de rattraper le statut de son frère aîné. « Une année de moins » soupire le grand-père qui fait le décompte de celles qui lui restent  à vivre. Mais quelles que soit les réactions qu’il suscite, le rouleau compresseur des jours, des nuits, des semaines, des mois et des années poursuit son travail de broyage inlassable. Il n’a que faire de nos émois et de nos commentaires qui souvent se contredisent et s’annulent. Le temps paraîtra bien trop long pour le condamné à la solitude mais, le même, se plaindra amèrement  du rythme trop rapide des années qui s’accumulent. Le temps, lui, n’en a cure, il passe par-dessus tout…
Il nous reste à le vivre mais comment ?


« Je n’ai pas le temps…Il faut prendre le temps de…Puis-je te voler quelques minutes… J’ai gagné deux heures…Vous perdez votre temps… »  autant d’expressions quotidiennes qui dénotent d’un rapport au temps  de l’ordre de la possession, de la maîtrise, du découpage parcimonieux. La culture numérique l’accélère toujours plus et pourtant, elle est, dit-on, chronophage ? Le temps est pensé comme un bien à défendre, à rentabiliser, à produire; le temps c’est de l’argent, répétions-nous en apprenant l’Anglais. Nous savons aussi qu’il y a un « maître des horloges », qu’il réside au palais de l’Elysée et qu’il est chargé de « remettre les pendules à l’heure »! Et voilà Chronos devenu dieu de la République !

Bref, nous n’avons pas le choix. Ou bien nous entretenons l’illusion de maîtriser notre temps au risque de manquer les rendez-vous avec des imprévus prometteurs ou bien nous nous condamnons à courir éperdument après lui jusqu’à l’asphyxie fatale. Une expression banale pourrait nous ouvrir un passage pour sortir de ce dilemme : « A un moment donné ». Elle est souvent employée pour mettre en valeur la surprise d’un évènement : « à un moment donné le cheval se cabra et le cavalier tomba… ». Elle souligne également la dimension gratuite du temps : « donné ». Or l’imprévu ne peut se vivre qu’au présent et le temps, malgré tous nos efforts pour le programmer et l’anticiper reste un cadeau de chaque instant. Les sages grecs avaient inventé le « temps opportun » celui de la coïncidence entre l’action humaine et le vouloir divin dans un acte ajusté au moment donné. Au début d’une année nouvelle, à défaut de maîtriser notre temps, souhaitons-nous de répondre avec discernement à l’appel de l’instant présent et de savoir le partager en toute gratuité comme notre plus grand bien.



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"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.