24 décembre 2019

Reste chez toi, Jésus,


car si tu venais en avion, en train ou en autobus, tu ne trouverais qu’une marée humaine compacte et maussade qui allonge le pas, se bouscule, s’invective, sur des quais surchargés et des couloirs surpeuplés. Ces troupeaux de bipèdes, tes frères, regardent droit devant, le dos qui les précède. Eux, ne te verraient pas.

Si tu entrais dans les cortèges de ceux qui défilent dans les rues des grandes villes ou de la capitale, ils ne t’entendraient pas. Ils sont là pour crier et pas pour écouter.
Alors, emprunte plutôt l’âne de ton père Joseph qui a l’œil doux et humide. Il te mènera vers les immeubles au garde-à-vous, les villages éparpillés, les maisons aux volets clos. Là, tu pourras t’asseoir et converser avec le vieillard chagrin, le malade amaigri, la maman abandonnée, le célibataire durci, l’étranger méprisé.

Étonné, tu en rencontreras certains qui couraient sur  les quais de gare ou qui suffoquaient dans le métro. En fait, ils se dépêchaient de partir pour donner de leur temps et de leur joie à leurs grands-parents et à leurs parents qu’ils sollicitent bien souvent, à une tante affaiblie, à l’ami esseulé. Tu les verras tout sourire et attentionnés ; ils auront oublié leur galère ; ils auront joie à soulager la tristesse et à partager leurs cadeaux. Alors Noël, timidement les remerciera et les bénira.

Et les autres ? Ils seront au ski ou dans les magasins, ils feront la queue et maudiront la météo. Et encore la galère… mais celle-ci, consentie et organisée et donc acceptée !

Et vrai Noël à tous !




07 décembre 2019

« Macron écoute nous ! Macron exauce nous » !



Dans le monde de mon enfance, l’inondation était causée d’abord par un excès de pluie et comme la pluie venait du ciel et que Dieu était au ciel, Il était responsable de la montée des eaux, CQFD ! Dans le monde qui a suivi, l’incroyance ayant en grande partie bouché les cieux, il était encore fréquent d’entendre : « Et ton Dieu que fait-il ? » lorsque la sécheresse sévissait et que le ciel tardait à pleurer sur nos malheurs. Dans le monde actuel, alors qu’il est enfin, certain, que le ciel est vide, il faut chercher un responsable, non plus en haut mais en bas. « C’est la faute à Macron ! » « C’est la faute à Trump ! » « C’est la faute à l’Europe ! » « C’est la faute aux Chinois ! »

Mais comme Macron, Trump, l’Europe et les Chinois ne viennent pas curer nos fossés, creuser des réserves, aplatir les inégalités, alors « c’est la faute aux incompétents, à ceux qui s’en mettent plein les poches, aux parisiens qui voient les choses de loin » ! L’ennui, c’est que cela fait beaucoup de monde et que la responsabilité diluée s’évapore. Alors « c’est la faute à mon voisin agriculteur qui pollue, à ces nouveaux venus qui ne supportent pas les odeurs et les cloches, au maire qui ne bouge pas » ; bref c’est la faute à mon prochain que je connais trop bien.

Ainsi, se développe une société du soupçon généralisé, de la défiance à priori et de l’auto défense systématique. Songeons que nous en sommes arrivés au point de suspecter toute information non contrôlée ; que les parents sont obligés d’interdire à leurs enfants de répondre à tout adulte qu’ils ne connaissent pas ; que toute publicité est taxée de mensongère. La défiance engendre la violence. Les poches vides iront puiser dans les poches pleines et les poches percées se serviront dans les deux autres. La violence dégénèrera de plus en plus car plus rien ne transcende et ne limite l’intérêt de l’individu ou du groupe. Le sacrifice de nos 13 militaires fait, d’autant plus, figure d’exception.

N’allons pas déterrer le faux Dieu de la pluie et du beau temps ou le super-dépanneur de nos incohérences et de nos incompétences ; mais renouons avec le Dieu Père, source et garant de notre fondamentale et indispensable fraternité, seule issue de toute crise.




15 novembre 2019

Bénédiction




« S’il vous plaît, Monsieur le curé, une petite bénédiction pour la médaille du baptême ? »

- Bien volontiers, mais je n’en ai qu’une grande ! »

Au-delà de la plaisanterie, il faut se souvenir que le premier qui « dit du bien » (bene dicere) c’est Dieu. Rappelons-nous la majestueuse introduction de toute la Bible. Par six fois, l’auteur proclame : « Et Il vit que cela était bon ! ». Au commencement de tout est la bénédiction divine et elle est à la dimension de Dieu : éternelle et infinie, donc « grande » !

Nos bénédictions ne sont que réponse et écho de celle, originelle, de Dieu. Nous bénissons Dieu car tout nous est donné. Nous ne possédons rien et rien ne nous est dû. C’est pourquoi la première et constante prière du croyant est un merci, une action de grâces. Le rabbin Ouakmin rappelle que les mots « juif » et « remercier » ont la même racine et le juif pieux, selon une tradition, devait bénir Dieu 100 fois par jour.

A lire certaines pages de l’Ecriture, on pourrait en conclure que Dieu bénit les hommes qui se conduisent bien et maudit les autres. Le Dieu qui crée tout, en disant du bien, ne peut se contredire. Dieu ne peut pas maudire, c’est sa limite. La malédiction ne serait d’après Paulo Coelho qu’une « bénédiction refusée ». L’intelligence humaine est une bénédiction, un don de Dieu. Mais dévoyée par le mauvais usage qu’en fait l’homme, elle devient malédiction.

Dans notre civilisation de l’image et de l’écrit raccourci, on peut se demander quelle est l’efficacité de la bénédiction qui n’est, somme toute, qu’une parole. Il suffit pour cela de constater les dégâts que peut provoquer son contraire c’est-à-dire une malédiction. Maudire son fils - « Tu n’es plus mon fils ! » - n’est-ce pas d’une certaine façon effacer son identité, nier  son existence ?



Commencer sa journée par une « grande ! » bénédiction est une manière d’actualiser à notre niveau l’œuvre divine de la création, de maintenir l’univers dans l’être, de soutenir l’élan vital contre les forces de la mort et de hisser l’être humain au niveau de « l’image et de la ressemblance » du Créateur.C’est aussi l’occasion de compter ceux et celles  qui nous sont proches comme autant de grandes bénédictions familières.






24 octobre 2019

Adresse à la génération qui monte



« …Vous êtes les petits-fils d’une génération qui a cru que la science allait résoudre tous les problèmes de l’humanité. C’est ainsi qu’une majorité de mes contemporains a estimé que, désormais, Dieu était devenu inutile, si ce n’est nuisible. Or, il se trouve que, par un curieux retour des choses, ce sont les sciences et les technologies, qui, aujourd’hui, posent à l’homme des questions qu’elles n’ont pas, seules, les moyens de résoudre. La réponse dépasse les bornes du champ scientifique. Elle fait appel à une réflexion sur l’origine et la fin de l’homme qui ne peut pas exclure, d’une façon ou d’une autre, l’idée de Dieu. Ainsi, la science ne veut plus faire taire Dieu, au contraire, elle l’interroge.

Les paysans eux-mêmes ont cessé d’implorer le ciel pour que la pluie tombe à partir du moment où l’irrigation faisait des miracles. Or, ne dit-on pas que le problème numéro un de la planète sera celui de l’eau et qu’on ne le résoudra pas par des moyens techniques mais grâce à un changement de comportement ? Alors, il faudra, peut-être, écouter la Parole biblique qui nous demande de nous comporter en gérants et non en propriétaires voraces. Mais gérant de qui ? Peut-être de ce Dieu bizarre qui fait pleuvoir sur les bons et sur les méchants, qui paye autant le dernier embauché que le premier et qui consent à nous arroser de son Esprit si nous le lui demandons!

Vous êtes les petits-fils d’une générations qui a retrouvé la noblesse et la grandeur des deux premiers termes de notre devise Républicaine. Elle a tout sacrifié à la liberté et à l’égalité. Or, aujourd’hui, la liberté atteint ses limites et le libre jeu des intérêts des nations ou des individus peut dégénérer du jour au lendemain en conflits mondiaux. Quant à l’égalité, elle peut enfermer dans un système clos et réducteur toutes les différences qui font la richesse d’une société humaine. Alors, certains responsables osent reparler non seulement de la solidarité mais de la fraternité, en insistant sur un point capital : il n’y a pas de fraternité sans la reconnaissance d’une paternité commune et universelle. Dieu serait-il ce Père-là ? … »
Ainsi parlait l’ancien devant deux jeunes gens radieux qui se mariaient devant ce Père retrouvé.


22 octobre 2019

La fabuleuse histoire d’un petit bout de bois



Autour du village des monstres aux crocs d’acier, pilotés par des nains perchés dans leurs cabines, avalent jour et nuit des champs entiers de maïs en quelques rotations. Presqu’instinctivement, je regarde un objet religieusement conservé et auquel je voue une véritable vénération. Un petit morceau de bois pointu taillé dans un buis, délicatement sculpté à la pointe d’un couteau, adapté au poignet par une simple cordelette. C’est le « pounchoû » (1) qui m’était dévolu lorsque, enfant, j’étais admis à prendre place autour du tas de maïs assis sur un tabouret au milieu du groupe des voisins qui se réunissaient pour « dépouiller » la récolte, c’est-à-dire détacher l’épi de son enveloppe (la peroque).


Cet outil (made à case !) condensait toutes les qualités exigées aujourd’hui par le rigoureux cahier des charges d’une entreprise normalisée. Rapport qualité/prix : imbattable ! Bilan énergétique :quelques « coups » de vin rouge et un panier de châtaignes chaudes appelées « las iroles » ! Impact écologique : sans comparaison car zéro déchet ! Prix de revient du produit final, peut-être, toutes proportions gardées, supérieur à celui craché par les batteuses dans les bennes des tracteurs qui font la noria jusqu’au site de stockage ! Par contre, aucune compensation pour la pénibilité du travail humain, aucune assurance ou très peu et pas plus de retraite au terme d’innombrables trimestres accumulés…Cet instrument de haute technologie avancée, suspendu toujours à son clou, garde le souvenir de ce « maïs du pays » dont on pouvait sans peine compter les grains sur les épis et dont quelques uns, pour la joie des enfants, finissaient dans la cendre chaude du foyer et éclataient en magnifiques « petàlhs »( traduit en bon français par « pop corn »).

Quand le maïs dit « américain » a envahi nos plaines, sa monoculture s’est imposée, les surfaces cultivées se sont agrandies, les machines auto tractées ont remplacé les bêtes de somme, le paysan est devenu un entrepreneur, les organisations professionnelles se sont multipliées, ainsi que tous les sous-traitants de « l’or jaune ». Au beau milieu de cette expansion triomphale quelques « chevelus », un peu rêveurs, firent leur apparition dans des hameaux perdus et furent accueillis au mieux par des sourires condescendants mais souvent par des propos méprisants. La condition économique et professionnelle des agriculteurs évolua grandement. Par contre, le nombre d’exploitations diminua drastiquement ainsi que leur représentation  dans les instances territoriales. Le « pounchoû »  finit ses jours dans la poche d’une vieille veste du grand-père oubliée dans l’étable vide.

Et voilà qu’aujourd’hui, l’Europe aidant, la rotation des cultures et leur diversification peignent nos champs  de couleurs que l’on avait oubliées. De jeunes paysans, bardés de diplômes, conscients de l’impasse dans laquelle s’est engagée une agriculture uniquement soucieuse de rentabilité, mettent tout leur savoir au service de la plante et de la terre. Ainsi, la technique se met au service de la raison et non l’inverse, au profit d’une meilleure qualité de vie du producteur et d’une confiance retrouvée dans notre alimentation. Les sourires dédaigneux ont laissé place à une curiosité sympathique et mêmes les grandes puissances agro alimentaires n’hésitent pas à verdir leurs étiquettes et à se garder pures de tout excès.

L’enfant au « pounchoû» » ne regrette pas d’avoir vieilli. Il constate que le temps d’une existence, il a connu une paysannerie nourrie de l’expérience des siècles qui se contentait d’une autosuffisance précaire mais était devenue incapable de nourrir une nation en majorité citadine. Il ne se permet pas de jeter la pierre à ceux qui ont pris le relais en assurant la quantité nécessaire de pain pour une population de plus en plus nombreuse et mieux nourrie. Enfin, il se réjouit de voir toutes ces recherches et parfois même ces errements aboutir à une culture soucieuse avant tout de l’avenir de la terre et de l’humanité. Vieillir a parfois des privilèges. En particulier celui de ne pas désespérer trop tôt des excès en tous genres et celui de faire confiance en l’Esprit du Créateur qui peut toujours inspirer les fils de la terre !


(1) Appelé aussi « espéroquetto » ou « broque », les spécialistes de la langue béarnaise corrigeront l’orthographe approximative.




26 septembre 2019

La soumission des clercs


Entendue un dimanche matin sur une radio nationale, l’annonce des réserves faites par l’Académie nationale de médecine concernant la nouvelle loi sur la bioéthique  qui, entre autres possibilités, ouvrira  la voie à la naissance d’enfants privés délibérément de père . Aussitôt  passe à l’antenne une personne qui  a pratiqué une PMA. Elle s’insurge contre l’avis de ces médecins en mettant en avant le cas de son enfant de trois ans qui apparemment compense fort bien  l’absence d’un père par la présence de « l’autre », entendre :tout autre que sa mère. Puis elle assène l’argument ultime : les propos des académiciens sont « d’un autre monde » et le journaliste de conclure la séquence en appuyant son sceau sur cette sentence sans appel.

Depuis que ce sujet surfe sur les ondes, on peut se demander où sont passés ces professionnels de l’intelligence que le monde nous envie.  Ont-ils subitement déserté les plateaux de la télévision ou les studios des radios, eux qui, d’habitude, n’hésitaient pas à intervenir sur tous les sujets et qui prenaient même un plaisir certain à contrer l’opinion de la foule et à épater le bourgeois par leurs analyses iconoclastes ! On peut bien leur pardonner de n’être pas joignables le dimanche matin de bonne heure.

Mais  ce qui est moins pardonnable, c’est cette sorte de soumission générale des « élites » à cette nouvelle idole qu’on nomme « Opinion Publique ».
Que l’illustre Académie Française, maîtresse du dictionnaire, n’ait pas proposé un autre nom que celui de « mariage » à l’union de deux personnes du même sexe…
Que les dérives certaines de ce qu’on appelle le droit à l’enfant (pour tous ?) soient passées sous silence…
Que le risque de marchandisation de l’être humain soit escamoté…
Que toutes les mises en garde finissent dans le « ringardisme » d’un autre âge…
 en dit long sur cette sorte de « trahison des clercs » à l’envers.

Mmes, Mrs les penseurs, osez donc présenter la complexité des enjeux de cette grave question, à l’instar de Sylviane Agacinski ou du biologiste Jacques Testart. Et que le législateur n’oublie pas le conseil biblique de Ben Sira : « l’idéal du sage est une oreille qui écoute », j’ajouterai « toutes les voix ». Sinon, il lui en manquera au prochain scrutin mais au profit de qui ?



17 septembre 2019

Pape François, père trop prodigue ou la parabole à revoir et à corriger !

Dans un village béarnais, il y a 60 ans :  une famille paysanne avec deux enfants. Le père et la mère ont trimé toute leur vie pour conserver le bien familial et leur acharnement a fini par payer. Leur maison a acquis une réputation de solidité et même une certaine aisance. Le fils aîné, économe et travailleur, prendra la suite mais il tarde un peu à se marier. Le fils cadet ne semble pas vouloir « rester à la terre » comme on dit. On a économisé sou par sou pour lui faire faire quelques études. Il a déjà adopté des habitudes de citadin, ce qui ne réjouit guère son père. Cependant dans cette vie de labeur monotone, il apporte une petite note de fantaisie et, comme par hasard, c’est celui que la mère préfère !

Voilà que le jour de sa majorité (21 ans) arrive. La ville le fascine. Pourquoi ne pas tenter l’aventure ? Prenant son courage à deux mains, il demande sa part d’héritage et rompt les amarres. Mais c’est ici que tout se gâte ! A cette époque l’avenir d’un cadet était tout tracé. Ou bien il restait au service de l’aîné moyennant le gîte, le couvert et un maigre pécule ou bien il renonçait à son bien et cherchait un emploi. Mais on ne touchait pas à la propriété ! L’affaire avait fait grand bruit au village. Les uns disaient que le père n’avait pas su être assez ferme, les autres qu’il n’avait pas su suffisamment négocier. Mais le plus dur à avaler c’est que les voisins, avec lesquels on ne se parlait plus, en avaient profité pour acheter la part du cadet et depuis, ils ne perdaient aucune occasion de faire sentir que la fortune avait changé de camp.

Trois années s’étaient écoulées. Le père avait pris un « coup de vieux » et, à force de ruminer les mêmes idées avait empoisonné sa vie. Le frère aîné était toujours aussi travailleur et taciturne. La mère gardait un secret espoir : peut-être reviendra-t-il ! Mais elle n’osait pas imaginer la scène du retour. Depuis trois ans, on ne parlait plus de lui, il était mort. Pire, il n’avait jamais existé !
Un jour, le père fauchait les « arpunchs », ces coins de pré inaccessibles à la faucheuse mécanique attelée. En s’arrêtant pour aiguiser sa faux, il regardait le chemin qui menait à la ferme. Soudain il aperçut une silhouette. Quelqu’un marchait lentement comme s’il hésitait. Au premier coup d’œil, il reconnut l’allure de son fils cadet. Celui-ci avait beaucoup réfléchi avant de se décider à revenir. La belle vie n’avait duré qu’un temps. Ensuite, il avait vécu d’expédients, de petits boulots. Très vite, il n’avait pas pu payer son loyer. Un jour, il avait dû  mendier pour pouvoir manger. Lui qui avait imaginé un retour triomphal au pays dans un costume neuf et coiffé d’un chapeau de riche revenait par des chemins de traverse, en rasant les haies comme un vagabond.

Le père avait enfoncé un peu plus son béret sur la tête et s’était remis à faucher. Le fils, maintenant était tout près de lui. Le père n’avait toujours pas levé la tête. « Bonjour père » lui dit le fils. Le père lève les yeux : « Ah, c’est toi ! » comme s’il l’avait vu la veille. Pas un mot de plus, pas un geste, par pudeur ou par rancœur. Il y avait là une deuxième faux. Le père, d’un coup de menton,  la désigne à son fils. Celui-ci se retrousse les manches et sans un mot se met au travail.
Midi, l’angélus sonne. Ils rentrent à la maison. Emotion de la maman qui se jette au cou de son fils et qui commence à lui poser mille questions, à lui reprocher de n’avoir pas envoyé son adresse : elle lui aurait envoyé un colis... Elle en a oublié le repas mais pas très longtemps. Le fils aîné qui n’avait pas desserré les dents lance d’un ton courroucé : « Quand va-t-on manger ici ? ». Les effusions s’arrêtent net, tout rentre dans l’ordre.

Le dimanche suivant, après la messe, les chrétiens du village n’ont qu’un sujet de conversation :le fils prodigue est revenu ! Les uns ne comprennent pas que ce fils indigne ose encore se montrer dans la commune. D’autres pensent que le père a failli dans son autorité : il n’avait qu’à le laisser à la porte. En tous cas, tous estiment que le cadet ne mérite qu’une place : celle de domestique dans la maison de  l’aîné.

C’était il y a 60 ans dans un village du profond Béarn. Dieu, en ce temps là, ressemblait à un père de famille de bonne réputation, ferme et juste qui ne transigeait ni avec la morale ni avec ses intérêts. Il avait su garder un peu de bon sens ! Il n’avait pas grand-chose à voir avec ce père prodigue un peu inconscient qui se jette au cou de son fils, tue le veau gras et dépense sans compter pour fêter le retour d’un ingrat. Folie de Dieu ? Sagesse humaine ?
Au fait, 60 ans après, en ces temps de nationalismes exacerbés et d’individualisme forcené, un Dieu tellement père peut-il encore toucher notre cœur et celui de nos contemporains ? Notre Pape n’est-il pas la cible de critiques de moins en moins voilées parce qu’il Lui ressemblerait trop ?



29 août 2019

Planche de surf ou scaphandre pour mer agitée



La période estivale est toujours propice à une évangélisation qui se greffe sur l’événementiel. Les paroisses rivalisent d’initiatives pour s’inscrire dans les manifestations offertes à une population avide de festivités afin que la dimension religieuse  des divers concerts, des nuits du patrimoine, des fêtes de village ou de la mer, ne passe pas aux oubliettes. Mention spéciale pour l’organisation de séries de conférences aux thèmes accrocheurs qui peuvent élever un  peu le débat des « apéros-dinatoires ». Ce souci est particulièrement porté par la « Pastorale des réalités du tourisme et des loisirs » organisme officiel de l’Eglise de France.

Ce genre d’évangélisation qui saute sur l’occasion, a tendance à se développer tout au long de l’année. L’Eglise ayant du mal à rassembler les foules, essaie, à la manière des surfeurs, de prendre les vagues au vol telles qu’elle se présentent. Ainsi les inaugurations, les commémorations, le souvenir de Johnny Halliday, les transhumances, les rassemblements de gilets jaunes ont droit, pêle-mêle, à une bénédiction généreuse ou à l’ouverture des églises locales comme pour inoculer une dose de sacré dans ces activités profanes. Il convient de reconnaître à cette sorte d’ évangélisation « à l’occasion de » ou « au coup par coup » si ce n’est « au coup de pub ! » les qualités d’une attention sans cesse à l’affût et d’un sens de l’opportunisme assez développé.

Il ne faudrait pas, cependant, qu’elle remplace l’évangélisation des monotones marées quotidiennes. Celle-ci s’ancre sur une indispensable et solide formation qui pourra, justement, donner consistance et saveur à ce qui risquerait d’être un vernis tout aussi superficiel que spirituel. Tous les diocèses de France sont dotés d’un service de formation permanente des chrétiens. Sans ce travail indispensable, les flots les plus majestueux et enjôleurs finissent toujours en clapotis de rivage ou en embruns vaporeux!

Surfer sur les vagues d’une société fluide suppose équilibre aérien et légèreté de l’être. Rejoindre les courants de fond exige longue immersion et profonde respiration. Sans oublier, dans un cas comme dans l’autre, l’indispensable filin qui relie à l’élément stable…


28 août 2019

Stricte observance ou bon ajustement



Il existait dans le Judaïsme du temps de Jésus deux écoles d’interprétation de la Loi : celle de Shammaï et celle de Hillel, ce dernier étant réputé moins strict dans l’application des commandements que son confrère rabbin.
Ainsi nous assistons au sein de l’Eglise catholique à la confrontation de deux pastorales en particulier dans le domaine de la réception des sacrements. L’une plus intransigeante sur le respect des exigences demandées, l’autre plus accueillante aux souhaits formulés. Le cas du mariage sacramentel est symptomatique de cette situation.
Des paroisses parisiennes demandent une longue et assidue préparation rythmée de nombreuses rencontres alors qu’en région les centres de préparation au mariage organisent des sessions moins nombreuses et plus concentrées. La version parisienne semble aujourd’hui s’imposer de plus en plus.
Pourquoi ces différentes approches ? Parce que la société  a changé, dit-on !
Quand, il y a quelques années, un couple envisageait un mariage, il lui semblait « naturel » de s’engager pour la vie dans la fidélité et ceci sans être un croyant reconnu. Force est de constater que ce n’est plus le cas. Le divorce est envisagé comme solution « naturelle » à la résolution des crises futures. L’indissolubilité de l’union pas plus que la fidélité ne vont de soi.
Dans ce contexte non porteur, la réponse spontanée consiste à armer le mieux possible, spirituellement et intellectuellement, ceux qui auront à vivre ce sacrement dans des conditions peu favorables. Et ceci au risque de constituer des communautés de « purs », réduites mais clairement identifiées. Ce genre de réponse engendre parfois un sentiment de rejet chez les demandeurs.
L’autre tendance repose sur une conception plus ancienne de la société et de la famille que l’on suppose encore imprégnées des valeurs humaines et chrétiennes. Même si la foi d’un couple ne s’exprime pas par une pratique soutenue, on estime qu’on ne doit pas fermer la porte et qu’en vertu de la « mèche qui fume encore », il vaut mieux laisser une porte ouverte à l’action de l’Esprit Saint, même s’il ne nous demande pas la permission pour intervenir !
 Des règles existent. Elles sont nécessaires. Il faut les rappeler. Mais l’histoire d’un couple ne ressemble à aucune autre. Tout est affaire d’interprétation, et de la part des demandeurs dont on peut exiger la sincérité, et de la part des accueillants dont on peut attendre la bienveillance.

Plus que jamais est nécessaire en ce domaine la collaboration étroite des laïcs et des prêtres pour éviter que les décisions prises le soient en fonction de la réputation de laxisme ou de rigorisme de tel ou tel pasteur.
Enfin, ne serait-il pas souhaitable d’être plus rigoureux dans l’admission au baptême, base et fondement de tous les autres sacrements ?
Quoiqu’il en soit, l’Evangile nous rappelle de ne pas charger les épaules des disciples d’un joug trop lourd.

Arrière Satan !


La liturgie chrétienne rappelle souvent l’épisode où Jésus demande à ses disciples : « Pour vous qui suis-je ? ». L’impétueux Simon affirme : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Même si ce mot, « Christ », à l’heure où  il était prononcé, ne portait pas encore la charge de sens qu’il acquerra après la résurrection, il n’en est pas moins clairement remarqué par Jésus. « C’est mon père qui t’a révélé cela… » Et Jésus en profite pour donner à son apôtre la place prééminente dans le groupe des disciples : « Je te donne les clefs… tout ce que tu lieras sur terre sera lié… »Mt 16,13.
Aussitôt après ce qu’on appelle la profession de Foi de Pierre, Jésus annonce sa Passion et sa mort. Pierre s’insurge : « Qu’à Dieu ne plaise, cela ne t’arrivera pas ». Tous ses rêves d’une puissante royauté restaurée et d’une belle ascension sociale sont remis en question. D’ailleurs on le sent prêt à tirer l’épée du fourreau. La réplique de Jésus ne se fait pas attendre et elle est cinglante : « Arrière Satan… tu m’es un obstacle ».
Ainsi, dans le même laps de temps, l’apôtre se voit confier la plus haute responsabilité et attribuer le titre le plus ignominieux qui soit. Pourquoi ?
A la façon du Satan des tentations au désert, Simon ne peut pas concevoir un Dieu qui va jusqu’à se livrer entre les mains de ceux qui le refusent, un Dieu qui accepte de s’anéantir ! Le même Simon est « Pierre », solide dans sa Foi au Christ, et « suppôt de Satan », en se trompant de Dieu.
Nous, pauvres témoins et serviteurs de ce maître réduit à l’impuissance, nous sommes, nous aussi, capables de rayonner le visage de Dieu comme de le défigurer. Nous avons du mal à revêtir la tunique de la dérision. Nous cherchons, au contraire, l’approbation de la foule et le succès immédiat. Fasse au moins que notre « façon d’être pécheurs » n’aggrave pas notre cas en occultant la miséricorde divine par notre suffisance au lieu de la laisser transparaître au creux même de nos défaillances. François, notre Pape, en demandant dès le début de sa mission de prier pour lui, pécheur, nous montre le chemin.

13 août 2019

15 Août



« Marie toujours vierge après avoir achevé le cours de sa vie terrestre a été élevée en corps et en âme à la gloire céleste » nous dit le texte du dogme de l’Assomption défini par le Pape Pie XII en 1950.

Même s’il faut avancer sur la pointe des mots ou des pieds, pourquoi ne pas profiter de cette fête pour réfléchir un peu sur ces termes que nous employons si souvent - corps, esprit et âme - et que nous avons parfois du mal à préciser, hésitant entre distinction, confusion ou opposition?

D’abord le corps. Notre corps ne se réduit pas à sa biologie, à un amas de cellules combinées entre elles. Il est, encore moins, la « dépouille ! » de notre esprit. Il est le lieu, le siège de nos relations ; c’est par le corps que nos entrons en contact avec l’autre, que nous « faisons corps » avec lui. Nous sommes le résultat de relations et nous ne vivons que grâce à elles, à commencer par celle de nos parents. C’est ce qu’on peut appeler notre corps-ouvert. Mais il y a aussi le corps-clos, celui qui est exclusivement tourné sur lui-même, autocentré. Ce corps là n’a pas d’avenir, il s’asphyxie dans sa bulle. Paul l’appelle un « corps de péché ».
Il en est de même pour l’esprit. L’esprit s’exprime dans la connaissance, la conscience, les sciences, les arts. On a voulu le caractériser par le fait qu’il est immatériel, ce qui l’opposerait au corps. Même si l’esprit ne se réduit pas à un simple amas de neurones, sans le corps, il est muet, inopérant. Pour les hébreux, nos ancêtres croyants, l’homme n’est pas divisé mais unifié, il est un corps animé (1).  Pour eux, les sentiments, le savoir, le courage, tout ce que nous attribuons à l’esprit prend sa source dans les organes de notre corps. La miséricorde et l’amour viennent, par exemple, des entrailles c’est-à-dire du plus profond de l’être. Nous-mêmes nous constatons combien esprit et corps peuvent s’influencer : une rage de dents paralyse l’esprit. Nous sommes donc un composé complexe d’esprit et de corps doté d’une conscience de soi qui lui permet de dire « Je ».  Mais, comme pour le corps, on peut dire qu’il y a un esprit-clos, centré sur notre seul individu et un esprit-ouvert, greffé sur l’autre et qui peut féconder d’autres esprits. Celui là est disposé à franchir la mort.

L’âme. On confond souvent les deux termes, l’esprit et l’âme, et on les emploie indifféremment l’un pour l’autre comme, d’ailleurs, on confond l’esprit avec petit e et l’Esprit Saint avec un E majuscule. L’âme est la marque en nous de notre créateur. Elle nous prépare à  partager sa vie divine. Certains la comparent à une éponge qui absorbe l’Esprit de Dieu, l’Esprit Saint, pour ensuite en imbiber non seulement notre esprit mais aussi notre corps. De sorte que la vie d’enfant de Dieu consistera à ce que tout notre être, corps et esprit, soit entièrement « animé », habité de vie divine. L’âme, présence de l’Esprit Saint en nous, prédispose notre personne, notre « je », à éclater comme le bourgeon en une vie autre, qui ne soit pas soumise à la corruption.

Mais alors que se passe-t-il au moment de la mort ? Marqués par l’opposition entre corps/matière et esprit/immatériel, nous avons l’habitude de dire que l’âme se sépare du corps. Cela revient à penser que le corps n’est rien d’autre que notre cadavre, que l’unité de notre personne est rompue et que la marque divine de l’âme sur le corps et l’esprit ne subsiste plus. Certes, la partie corruptible de notre être-clos se dissout  mais ces relations qui nous constituent, ce corps que nous avons fait avec les autres , cette sorte de communion qui nous a soutenu dans l’être, nos corps et esprit ouverts, ne peuvent-ils pas résister à la mort ?
Ne pourrait-on pas dire que notre âme, ce germe divin qui nous habite, corps et esprit, ne meurt pas et que tout ce qui est imprégné par elle ne meurt pas non plus et peut, alors, ressusciter ? En effet, tout n’est pas corruptible puisque notre âme incorruptible a commencé la transformation de notre être. La résurrection achèvera cette renaissance dans un « corps glorieux » toujours selon St Paul.
Notre Foi nous dit que cette transformation demandera certainement de connaître un stade de purification ou d’ultime préparation selon ce qu’aura été notre relation avec Dieu et nos frères pendant notre vie terrestre. Un état de vie qui ressemblerait à celui de la chrysalide qui n’est pas encore papillon. On l’appelle le purgatoire.

Pourquoi dit-on que Marie a eu le privilège de connaître le Royaume (la gloire céleste) directement ? Parce que seule d’entre nous, elle n’était pas atteinte par le péché, son âme n’avait pas connu l’obstacle du corps et de l’esprit clos, la présence en elle de l’Esprit l’avait totalement configurée à Dieu.

Quoi qu’il en soit de nos représentations partielles et laborieuses, rappelons-nous que notre langage n’est pas adéquat aux choses divines. Essayons au moins de ne pas trop les dénaturer. Nos contemporains attendent que nous rendions compte de notre espérance avec des termes intelligibles même s’ils supposent un peu de réflexion et pas seulement une simple répétition des définitions d’un catéchisme trop résumé.

(1) à l’image de cette statue de terre que Dieu anime en lui communiquant son souffle (Gn 2)

30 juillet 2019

Lectures d’été et des 4 saisons


Adrien Candiard, dominicain de son état, ouvre pour nous la missive envoyée par Saint Paul à un de ses amis nommé Philémon à propos d’un problème apparemment domestique. Il s’agit du cas d’un esclave qui répond au nom d’Onésime. Il avait été « prêté » à Paul et celui-ci le renvoie à son propriétaire, Philémon, en lui recommandant de l’accueillir désormais comme son frère, car pendant le temps où il était avec Paul, cet homme est devenu chrétien. A la suite d’une lecture un peu simpliste, on a pu reprocher à Paul de n’avoir pas su profiter de l’occasion pour formuler une déclaration universelle de l’abolition de l’esclavage. Le théologien du Caire, en nous montrant comment Paul laisse Philémon prendre ses responsabilités, nous invite à une profonde réflexion sur l’usage de la liberté en régime chrétien. Un exemple d’action missionnaire vraie, qui ne consiste pas à dire à l’autre ce qu’il doit faire ou ne pas faire, mais qui compte sur l’amitié fraternelle pour l’amener à être ce qu’il doit être. Réflexion utile pour nous qui sommes si prompts à donner des directives sur tout sujet. (Adrien Candiard « A Philémon » Edition du Cerf) 



Denis Moreau  a le don de rendre abordables les sujets les plus ardus de la philosophie. Dans un petit ouvrage à l’argumentaire serré, l’auteur de « Comment peut-on être catholique ? » pose la question :« Y a-t-il une philosophie chrétienne ? » (ed du seuil). « Philosophie chrétienne » voilà une expression qui a quasiment disparu du vocabulaire universitaire. Pourtant, le professeur nantais ose nous faire entrer dans les théodicées de Leibniz et de Malebranche pour aborder une question toujours contemporaine : l’existence de Dieu est-elle compatible avec celle du mal ? En laissant de côté ce que peut en dire la Foi,  les arguments déployés par l’auteur permettent d’examiner de plus près la notion de « Toute puissance divine » et de laisser pointer l’idée d’une sorte d’impuissance de Dieu qui sera reprise par des théologiens contemporains. Il s’inquiète cependant de « la tentation fidéiste du christianisme contemporain » et lance son mot d’ordre: « Chrétiens philosophez ! »


Enfin, quel coup de vent, quel tourbillon de mots choisis et pour certains  improbables, quel arc-en-ciel de poésies, quels orages de situations surprenantes, ont secoué les neurones de Sylvie Germain pour nous faire parcourir le destin sautillant des personnages principaux de son dernier roman « Le vent reprend ses tours » ed Albin Michel. Dans un récit à rebondissements inattendus issus d’une  imagination luxuriante, cette habituée discrète des silences habités nous offre une belle analyse des profondeurs  impénétrables de l’être humain. A relire pour mieux savourer!


21 juin 2019

Bannières et processions





Des chrétiens s’étonnent, et parfois « râlent », de se voir imposer avec une plus ou moins souriante obstination, une liturgie et une parole qui ne correspondent pas à l’expression de leur Foi nourrie de leur expérience. Une génération de jeunes catholiques remplis d’un zèle qui est tout à leur honneur, constatant l’érosion des communautés vieillissantes, bouscule les habitudes acquises. Elle essaie de redonner aux rassemblements paroissiaux leur lustre d’antan. C’est ainsi que bannières, clochettes, dentelles et toute une pieuse brocante reprennent du service. Et les processions, pourquoi pas ! Notre Dieu n’a pas à se cacher. Depuis Abraham, Il « marche avec nous ». Mais Il ne confond pas marche en avant et déambulation publicitaire.


Que répondre à ceux qui redoutent une nouvelle mise au pas de la Foi? Tout d’abord, que les actes et les enseignements de Jésus ne cadraient pas toujours avec les attentes de  son auditoire. Il a même payé cher le prix de l’exaspération qu’il a provoquée. Comme ses contemporains, nous absolutisons et idolâtrons les images que nous nous faisons de Dieu et leur traduction dans nos gestes et nos paroles ! Anciens ou jeunes, personne n’est dispensé de la purification nécessaire apportée par l’Evangile du Christ. Au-delà de l’affrontement de nos courtes idées, ne sommes-nous pas amenés à nous recentrer sur l’essentiel ?


Cet essentiel réside pour tout être humain, dans la question : Dieu existe-t-il ? S’il existe, que savons-nous de Lui, de sa nature et son être propre ? Rien. Rien, si ce n’est qu’Il est Père. Et cela, nous n’aurions jamais pu l’imaginer. Seul Celui qui s’est présenté à nous comme son Fils était autorisé à le dire. Et saurons-nous jamais la portée exacte de ce mot prononcé par le Fils ? Tout le reste, tout ce que nous pensons, tout ce que nous disons et tout ce que nous faisons pour dire Dieu n’est que vague approximation d’un langage humain inadéquat au divin. Ceci ne nous empêche pas, toutefois, de rechercher les mots et les gestes les moins impropres à cette mission. Que la bannière de cet Essentiel prenne la tête de la procession et remette les autres signes à leur place… modeste, relative et donc respectueuse !




31 mai 2019

Utile et mortelle répétition…




Répétition rime avec tradition. Elle est fort utile pour profiter de l’expérience des autres, éviter les hésitations et les essais infructueux. La vie quotidienne est tissée de ces petits gestes appris sur les genoux des générations précédentes et de ces habitudes qui perdurent de mère en fille ou de père en fils, parce qu’il « en est ainsi et pas autrement » !

Elle est encore nécessaire dans l’acquisition de ces réflexes qui règlent la vie en commun  et qui composent un ensemble d’attitudes que l’on appelle la politesse. Son oubli ou son mépris sonne la charge de la vulgarité tyrannique.

La répétition est encore le pain béni des rites religieux. Elle garantit l’authenticité du geste célébré en accord avec son origine historique et divine.

Elle s’avère mortelle dans la vie politique quand les chefs de file des partis rabâchent inlassablement lorsqu’ils sont dans l’opposition, les éléments de langage fielleux et assassins qu’ils entendent eux-mêmes quand ils sont au pouvoir. Comment, ces aboyeurs de l’hémicycle, peuvent-ils ne pas se lasser de ces rengaines, usées jusqu’à la corde, au mépris de l’intelligence de leurs électeurs potentiels.

Mortelle encore la répétition, pour l’Eglise, quand toute réflexion se résume au ressassement convenu de quelques citations des grands penseurs ou des textes du magistère sans les replacer dans leur contexte historique afin d’en extraire l’esprit de la lettre. La répétition tue parce qu’elle pousse à la paresse et qu’elle stérilise toute réflexion personnelle.

Il est sage pour un professeur, un directeur ou un pasteur à qui on confie le soin d’une classe, d’une entreprise ou d’une paroisse nouvelles d’entrer dans le moule ancien. Mais quand les paramètres ont changé en termes de population, de territoire, de culture, ne serait-il pas opportun que tous les acteurs concernés prennent le risque de ne pas renouveler à l’identique le dispositif établi et de le réévaluer à l’aune de l’esprit et non de la lettre ? C’est bien ce que fait un fils ou une fille digne de son père ou de sa mère quand il devient leur héritier….


25 mai 2019

Questions


Personne, je le suppose, n’aimerait se trouver dans la situation de Vincent Lambert, de ses parents et de son épouse. On ne peut que comprendre la souffrance criante d’une maman devant la décision d’accélérer l’inéluctable et de perdre ainsi ce qui est devenu sa raison de vivre. Et comment interpréter le silence de l’épouse qui semble absente de ces débats ? Dans le flot des arguments proférés de part et d’autre, et pas toujours rapportés avec les  nuances requises, le citoyen est plongé dans un abîme de perplexité et croule sous la complexité des questions.

D’abord, pourquoi parler « d’affaire Lambert » et jeter sur la place publique ce qui aurait dû rester dans le domaine réservé de la famille ? Qui a le droit de parler à la place de celui qui ne peut plus le faire quand il « a quitté son père et sa mère pour s’attacher à sa femme… » ?
Pourquoi les médias accolent-ils systématiquement le qualificatif de « catholiques » aux parents Lambert comme s’il n’y avait que les pratiquants de cette religion à penser que la vie ne nous appartient pas totalement?

Quand on entend les propos triomphateurs des avocats et quand on voit les scènes de liesse des « supporters » du camp des « pro vie », on peut se demander si l’on n’a pas atteint un niveau indécent d’instrumentalisation de celui qui est devenu l’otage de deux idéologies opposées.
N’oublie-t-on pas que dans la mort il y a un aspect biologique mais aussi un acte juridique qui constate le décès. Or ce constat n’a jamais été infaillible et a toujours évolué au gré des techniques. Que de morts déclarés tels dans les siècles passés ont été certainement inhumés alors qu’ils étaient dans un état comateux prolongé !

Le principe de précaution brandi à toute occasion semble avoir subitement disparu des écrans !
Quand on met en avant l’accompagnement d’une « mort naturelle » que faut-il entendre par là ? Qu’il soit « naturellement humain » de transporter un blessé à l’article de la mort dans un hôpital personne ne le contestera. Mais n’est-ce pas déjà enfreindre les lois de la nature que de nourrir quelqu’un artificiellement?
Où finit la vie d’un grand handicapé et où commence celle d’une personne en fin de vie ?
Le « cas Lambert » n’est-il pas révélateur du fait que mourir comme vivre n’est jamais un acte privé et que s’est installé dans notre société un déficit énorme de confiance à la fois vis-à-vis des spécialistes qui ont essayé de légiférer au mieux, et vis-à-vis, ce qui est plus grave, de notre entourage immédiat?

Heureux ceux qui voient clair dans cet épais brouillard !

10 mai 2019

« Réparons l’Eglise ». Contribution sans illusion…



Sans illusion, car ayant très longtemps fréquenté les chrétiens et le « personnel ecclésiastique » dont je fais partie, je sais que dans notre Eglise tout peut se dire, tout peut se penser mais au moment de décider et d’agir, nous retombons paresseusement dans la mortelle répétition. Le neuf fait peur !
Sans illusion aussi, car il faut être une voix déjà écoutée ou redoutée pour être entendue.
Sans illusion enfin, car découvrant, après avoir rédigé ma contribution, qu’il fallait remplir un questionnaire préparé par « La Croix » et le « Le Pèlerin », ce texte, qui découragera certains par sa longueur, ne pouvait entrer dans les cases prévues. Tentons tout de même un essai…





Avril 2019-Les nuages s’amoncellent sur la nation française.

Notre pays ne s’aime pas. Il est atteint par une sorte de mal-être général entretenu par des poussées de fièvre « jaune » hebdomadaires et nulle annonce des responsables politiques ne parvient à l’enrayer. Chacun, comme touché par une sorte d’épidémie, ajoute à la liste interminable des revendications son problème particulier  à régler  de toute urgence. Le pays est en colère ; le pays enrage mais pour des raisons souvent opposées.
Pendant ce temps, la Méditerranée avale dans ses abîmes son lot annuel de frères humains. Ils sont souvent jeunes , ils ont pris tous les risques, ils ne demandent qu’à travailler et ils font preuve d’une volonté hors du commun de « s’en sortir » ! Sur la côte, en face, l’Europe a peur ; l’Europe préserve ses avantages acquis.
Au Sri Lanka- mais Colombo est si loin!- les fanatiques font exploser des hôtels et des églises, tuent 300 innocents lors de la fête de Pâques. L’Occident n’est plus le porte drapeau de la civilisation ; l’Occident est honni ; il est haï.

Pâques 2019.La barque de Pierre dans la tourmente .

L’Eglise des hommes n’en finit pas d’étaler ses turpitudes. Des soutes du Vatican, des greniers des évêchés, on extirpe prédateurs sexuels et chapes de silence complice. Sur tous les continents, les responsables tremblent, les chrétiens abasourdis se terrent. Le soupçon plane sur les congrégations. L’Eglise, depuis toujours accusée et condamnée par le monde, achève la besogne ; elle se détruit elle-même.
Plus sournoisement et depuis des décennies, une faille profonde s’élargit sur sa façade. Une génération sans peur et sans reproche se lève et prend ostensiblement le contre-pied de la précédente. Enfin, voici revenus les jours de la fierté et de la conquête. Certains s’en réjouissent, nombreux sont ceux qui  s’étonnent, d’autres encore s’éloignent sans bruit.
Mieux encore ! D’éminentes figures, tout en se couvrant du manteau de la tradition et de  la conformité à l’enseignement du magistère, laissent entendre que François n’est pas à la hauteur de  sa tâche et se répandent en « compléments » salutaires de la pensée papale. Le fidèle paroissien s’inquiète, se cramponne et craint.
Notre-Dame de France flambe. La flèche qui dirigeait les yeux du passant vers le ciel est tombée. Le regard fixe désormais un trou béant et un amas de poutres calcinées. La Croix, étrangement, reflète une lumière dorée, l’autel endommagé est préservé, la mère et l’enfant n’ont pas bougé. La croix, l’autel et la mère peuvent engendrer une Eglise nouvelle, même s’il lui suffit d’une petite chapelle pour s’abriter. Notre-Dame sera rebâtie sur ses deux tours ; l’Eglise, sur l’autel, et la croix éclairée par le feu de la Parole et de l’Esprit Vivant. Faut-il reconstruire à l’identique ? Les avis divergent.

Au poste de vigie.

Dans ce temps après la Pâque, la liturgie nous fait lire l’Apocalypse. L’auteur, déporté et échoué à Patmos - déjà la Méditerranée !-, contemple l’Eglise de son temps. Elle est pourchassée par le pouvoir impérial et affaiblie par des dissensions internes graves. Dans l’épreuve de l’exil, il cherche à voir ce qui « doit arriver bientôt ». C’était, déjà, la tâche des grands prophètes de la déportation à Babylone et contrairement à toute attente Isaïe ne veut plus compter sur le passé :  « Ne vous souvenez pas d’autrefois, ne songez plus aux choses anciennes. Voici que je vais faire du nouveau qui déjà paraît, ne l’apercevez-vous pas ? » Is 43,19. Au creux de l’épreuve actuelle, le visionnaire de Patmos  et celui du « Trois fois Saint »  nous invitent à la nouveauté. Quant aux Actes des Apôtres, ils viennent opportunément réveiller la mémoire de la première annonce à la fois bonne et nouvelle.

Le panorama.
Des valeurs affichées.

Cet impératif de voir large et loin, n’empêche pas de porter un regard lucide sur la situation actuelle de l’Eglise de France à partir d’un territoire particulier.
Il nous faut d’abord reconnaître que la majorité de nos contemporains adorent une trinité qui a pour noms : le bien-être individuel, le profit sous toutes  ses formes et l’opinion publique devant laquelle on plie le genou. Ces dieux se déclinent sous toutes les appellations ; ils donnent l’énergie et l’envie de vivre comme ils sont le prétexte de tous les esclavages. Ils ne sont pas à jeter à priori aux enfers car ils nous disent quelque chose du désir de l’homme et de la réussite à laquelle il aspire. Cette religion adoptée par le plus grand nombre n’empêche pas de croire à « certaines valeurs » dont plusieurs sont issues du christianisme, si l’on est assez honnête pour le reconnaître. Depuis la publication de  « Laudato Si », il existe même des courants écologistes qui relisent le livre de la Genèse avec un autre œil ! Ainsi, tout en revendiquant une incroyance pratique, peut-on se dire « culturellement chrétien », surtout si l’on appartient à la génération antérieure aux années 70.

Une croyance résiduelle.

Parmi tous les adorateurs de cette trinité, beaucoup se disent « croyants » en quelque chose ou quelqu’un d’autre. Se dire « croyant » aujourd’hui ne suscite pas la dérision et le mépris, comme il était de coutume lorsqu’un marxisme larvé imprégnait les esprits. Cette « croyance », déclarée sans fausse pudeur, prend toutes les couleurs de l’arc en ciel religieux. Le Dieu auquel on se réfère se confond avec une puissance anonyme qui dépasse le pouvoir de l’homme et à laquelle on recourt lorsqu’on se sent dépassé par les évènements.

Dans la Laïcité de l’Etat.

D’autres croyants se réfèrent à un Dieu bien déterminé. Musulmans, Juifs, adeptes de religions orientales et autres chrétiens essaient de trouver leur place dans un Etat Français officiellement laïque. Mais la référence en matière de relations entre le politique et le religieux reste celle qui s’est instaurée avec l’Eglise catholique.


La communauté catholique.

Elle semble être traversée par deux options. L’une est tentée par la sélection rigoureuse, l’autre par l’admission sur la base d’un minimum requis. Héritière d’une société majoritairement chrétienne en apparence, la génération du Concile s’est épuisée à vouloir évangéliser et ceux du dedans et ceux du dehors. Résultat : une grande masse d’indifférents, une frange de sympathisants qui conservent une image favorable et un noyau de pratiquants plus ou moins épisodiques. Mais au vu des antécédents sociaux et culturels, on facilite autant que faire se peut, l’admission de ces « intermittents » des fêtes rituelles. Les sondages ont d’ailleurs élargi le terme de « pratiquant » à une fréquentation plus épisodique que celle de la messe du dimanche.  Les campagnes, réputées pour leur attachement à la Foi des ancêtres, voient se développer chez elles une sorte de conservation patrimoniale de quelques rites détachés d’un Credo que l’on a de la peine à murmurer. Le risque se profile d’une dissolution générale, à court terme, dans un « droitdel’hommisme » devenu la religion des bien-pensants modernes.
Au vu de la désertion des églises, l’autre option choisit de favoriser l’émergence de baptisés « purs-bio » répondant à toutes les normes d’un catholicisme dûment estampillé. Finies les préparations aux sacrements jugées par trop légères, les cérémonies qui adaptaient le rite aux circonstances, les initiatives des laïcs qui ne portent pas le label du curé ! Finies les compromissions avec un monde dont le péché est désormais clairement désigné !Une Eglise de catholiques visible, bien cadrée dans ses options, « droite dans ses baskets », rebâtie à l’identique de celle d’un pays de chrétienté, sera plus attirante pour tous ceux qui sont en quête d’une spiritualité  sans concession faite aux valeurs séculières. Les effets de ce choix se font déjà sentir dans des communautés chaleureuses, plus jeunes, n’hésitant pas à afficher leurs convictions sur les places publiques et à inventer de nouveaux services aux plus démunis. Comme on pouvait s’y attendre, cette nouvelle posture suscite des oppositions et des réprobations tout aussi nettes et sans nuances. Ce durcissement ne risque-t-il pas de favoriser une sélection de plus en plus rigoureuse et un  repli  identitaire encore plus marqué ?
Ainsi, deux Eglises coexistent tant bien que mal. Celle des « intermittents », plus accessible mais plus molle; et celle des « purs »,  plus élitiste et plus sélectionnée. 
Ni l’une, ni l’autre n’ont d’avenir pour la simple raison que  le monde de référence de l’une comme de l’autre n’existe plus. L’une vivait sur les braises d’une vieille chrétienté que le Concile avait justement ravivées. L’autre rêve d’un retour à une chrétienté « relookée » comme si la terre était déjà le cadre du Royaume de Dieu. Certes, il nous a été promis mais nous n’en sommes que des veilleurs, à l’affut des signes de son approche, et tout au plus, les initiateurs de timides esquisses.

C’est pourquoi il nous faut, plus que jamais, comme Isaïe et le Jean de l’Apocalypse être des guetteurs de l’aube.

Réparer, reconstruire ou régénérer ?

Au chevet de Notre-Dame carbonisée, les experts en restauration patrimoniale, en architecture dite sacrée et en  monuments mémoriels nationaux
commencent à rassembler leurs troupes pour entamer la bataille de l’identique ou du simili vrai.
Il en est de même quand on parle de reconstruire l’Eglise des hommes. La tentation est grande  d’attiser les querelles entre les tenants de la vraie tradition et les supposés déviants ; de prendre parti pour telle ou telle coterie favorisant nos présupposés idéologiques ; de monter des écuries : « j’appartiens à celle de Jean-Paul II, de Benoît XVI, de François, » comme s’il ne suffisait pas d’être de celle du Christ !! de résister avec la rage du désespoir, quitte à ce que la tranchée devienne un tombeau ; et surtout il n’est pas rare d’entendre s’élever les chants de lamentation sur l’état de ce monde  dévoyé qui n’accumule que des ruines.
Se battre pour savoir s’il faut  reconstruire l’Eglise  sur le modèle conciliaire essoufflé ou sur le schéma rêvé d’une restauration à l’identique est totalement vain. Ce débat n’est qu’un combat de myopes.
On ne fait pas grimper sur la nacelle de la vigie celui qui ne voit pas loin et qui ne distingue pas les faibles lueurs incertaines de l’aube que nous offre ce monde qui est le nôtre et celui de Dieu.
Si cette analyse, certes brossée à gros traits - et à laquelle on peut apporter toutes les nuances que l’on estime nécessaires en fonction des situations particulières, - reflète quelque peu la réalité, alors, n’espérons plus une reconstruction à l’identique, encore moins une rénovation selon les techniques modernes mais jetons les bases d’une régénération ( une re-genèse) totale de l’Eglise.

Comment ?

En libérant la parole et l’Esprit qui habite tous les baptisés. Mais nous ne sommes pas des « gilets jaunes ». Nous avons un passé, un savoir-faire et surtout un « cahier des charges », l’Evangile.
Demandons à notre Pape (par un référendum d’initiative des baptisés ?) d’ouvrir un Concile universel de tous les catholiques en décrétant une sorte d’année blanche durant laquelle, tous les dimanches,  les célébrations, selon des modalités à préciser, débuteraient par une écoute de  ce que nous dit le monde car la première parole de Dieu qui  est offerte aux hommes, chrétiens y compris, est celle du monde créé par Lui.
Par ses découvertes scientifiques sur le vivant et sur l’univers, par ses réseaux de communication qui relient chaque individu au monde entier, par ses flots migratoires qui frappent à nos portes, par ses cultures qui s’entrecroisent pour le meilleur et pour le pire, par la violence qui explose sans guerre ouverte, par ses changements climatiques et par cette exploitation inconsciente de la planète, Dieu nous parle. Mais Il nous parle aussi par tous ceux et celles sans lesquels la vie n’aurait pas de sel. Par le rire ingénu de l’enfant, la confidence de l’adolescent, l’engagement dans une association qui retisse du lien social ; par la vieille amie qui vous parle de son chat, par  le maire qui veut  rendre son tablier, par tout ce qui fait la grande histoire quotidienne des labeurs et des peines, celle sans laquelle l’autre histoire, celle des livres n’existerait pas. Dieu nous parle et le monde est l’écho de sa parole.

Surprises et nouveautés.

Cette parole du monde partagée, pourrait interroger celle des baptisés nourrie par le message évangélique. Et ainsi petit à petit, la confrontation du « texte » des hommes et de celui de Dieu, amènerait les baptisés à inventer une autre façon de vivre en Eglise de Jésus Christ. Et sans attendre les votes définitifs, que tout ce qui pourrait être tenté au nom de la triple responsabilité du baptisé puisse l’être. Il est prêtre dans l’acte de la prière ; il est prophète dans la transmission du message évangélique ; il est roi/serviteur de ses frères dans son engagement pour une société plus humaine. Rien de ce qui fait l’Eglise que nous avons connue ne serait retenu sans être passé au crible de cette refondation radicale et générale.
Cette expérience, organisée par une représentation de tous les baptisés, pourrait avoir pour cadre les diocèses afin d’en faciliter l’expression et l’exploitation. Les conclusions pourraient en être tirées, par la suite, à la fois au niveau des nations mais aussi sur celui d’un continent. Toutes les institutions de l’Eglise seraient soumises à cet exercice y compris les prêtres, les congrégations religieuses, les évêques et le Vatican lui-même.

Si l’ensemble des catholiques consent
-    à contempler le monde avec les yeux du Fils de l’Homme,
-    à lire en parallèle la parole de Dieu,
-    et à  pratiquer une sorte d’endoscopie de nos institutions ecclésiales, alors nous risquons de connaître d’heureuses surprises.

Que nous dit Dieu par le monde qui est le nôtre ?
Que nous dit-il par la Parole des commencements que nous a transmise l’Eglise ?
Que nous faut-il émonder de nos comportements et de nos structures sclérosées ?
Quels sont les germes qu’il  nous faut laisser régénérer par l’Esprit toujours vivant?
Tel pourrait être le programme de cette nouvelle Pentecôte que les guetteurs de l’aube attendent et préparent déjà, en dégageant des ruines la Croix lumineuse, l’autel, la mère et l’Enfant. 





20 avril 2019

Vendredi vers 15h

  
Environ trente ans après le début de notre ère, le 7 avril  vers 15h, Jésus de Nazareth pousse un cri et meurt. Conspué par ces courageux, qui profitent du nombre pour fondre leur lâcheté dans l’imbécile  cruauté de la foule, couvert de sang, de crachats et de cris, il a titubé longtemps entre les murs de la haine. Il a traîné le fardeau des souffrances et de la violence du monde hors de la ville. Cloué au gibet, dans un dernier spasme, étouffé sous son poids, il a rendu l’esprit.
Et voilà qu’un énorme ricanement secoue la butte du Golgotha. Les forces du Mal conjuguées pour l’occasion en une alliance improbable jubilent. Celui qui, par sa parole et par ses actes, donnait aux hommes le goût de redessiner l’image de Dieu sur leur visage, Celui qui libérait en eux l’Esprit divin entravé par le péché, Celui qui voulait ouvrir leurs mains au partage et leur cœur au pardon, Celui qui leur donnait l’espérance de vivre sans fin d’amour, Celui-là était bien mort !


Et les femmes pleuraient, elles, qui l’avaient soutenu, aidé et aimé…
Et les autres, ses compagnons, taisaient leur stupeur. « Comment Celui qui répandait autour de lui la Vie de Dieu pouvait-il plier devant la loi commune de la mort ?»
Et les ténèbres couvraient la terre ; l’étoile qui l’avait annoncé dans le ciel de Bethléem et qui scintillait dans les yeux des aveugles guéris s’était éteinte...morte elle aussi !


Environ 1990 ans après, en ce Vendredi voilé, les victimes des prédateurs traînent leur croix ou hurlent leur douleur. Les disciples taisent leur honte, pleurent et ne peuvent y croire… La nef est dévastée, la voûte effondrée, la croix brisée, au-dessus du clocher le ciel reste fermé.
L’écho de l’énorme ricanement déferle sur les ondes et les écrans : « Elle est morte, enfin, cette supercherie effroyable qu’on appelle l’Eglise et qui, depuis 2000 ans, tenait les hommes sous ses griffes hideuses. L’Homme peut enfin se faire Dieu… sans Lui et sans elle ! »


« Ils le déposèrent dans un tombeau creusé dans le roc. » Entre, avec lui et avec tous les crucifiés de cette terre, descends et attends. L’Esprit peut encore soulever les montagnes…



NB : Cette chronique a été rédigée avant l’incendie de Notre-Dame.

17 avril 2019

Notre-Dame !



Ave Maria

De tout le vocabulaire disponible pour dire la stupéfaction, il ne restait plus une parole à la disposition de celui ou celle qui voulait exprimer un sentiment personnel. Tout avait été dit. Ne restait que le silence. Un Français, croyant, catholique de surcroît, ne pouvait contempler le spectacle de la Cathédrale en feu que les larmes aux yeux. Huit cents ans de génie, de travail, de beauté ; des siècles d’histoire de la France, de malheurs et de sursauts, d’abandons et de relèvements ; des millions de vœux, de souhaits silencieux, de souvenirs personnels posés sur ces pierres, cachés dans le creux des volutes  de ce réceptacle géant étaient partis en fumée. Après le temps de la consternation, un croyant nourri de la Bible, qui sait que tout est Parole, se demande : « Quel signe nous est donné ? » Il se souvient, en effet, que les amis de Dieu des deux alliances se posaient souvent cette même question à l’instar du fameux Gédéon : « Donne-moi un signe que c’est toi qui me parles »  Jg 6,17 Jésus lui-même, interrogé par ses compatriotes, répondait par le « signe de Jonas ».

La toiture de la cathédrale composée de plaques de plomb a fondu. « La forêt » de chênes millénaires qui constituaient sa charpente est calcinée. Seule la structure de pierre, au dire des spécialistes, a résisté mais elle est certainement fragilisée. Des richesses de décoration et d’ornementation sont endommagées durablement. La restauration ne pourra jamais nous restituer l’édifice en son état. Symbole éloquent, l’autel et la croix sont demeurés intacts.

Les prêtres responsables de cette paroisse-mère ont bien fait remarquer que l’Eglise ne se réduisait pas à des monuments de pierre pour aussi beaux et emblématiques qu’ils soient mais qu’elle était faite de « pierres vivantes », comme le faisait déjà remarquer saint Pierre dans l’une de ces lettres. Le Christ Lui-même n’avait-il pas laissé entendre que la splendeur du temple de Jérusalem pouvait être détruite par les armées impériales, Il était Lui, le nouveau temple qui abritait la présence de Dieu ?
Il n’empêche qu’affronté à la tempête qui s’abat sur la barque de Pierre, le matelot est en droit de se poser des questions. L’Eglise peuple de croyants n’est-elle pas en train de vivre de l’intérieur le drame qui a meurtri le vaisseau de pierre de Paris ? La couverture solide que le mariage du bois et du plomb des théologies avait rendu imperméable aux intempéries et aux secousses de l’histoire, n’est-elle pas en train de fondre ? La structure elle-même de la tradition vivante deux fois millénaire, n’est-elle pas fissurée ? L’enchevêtrement des institutions et des congrégations, n’alimente-t-il pas le brasier ? La solidité des piliers et des arcs-boutants qui s’appuyaient sur un monde rassurant, n’est-elle pas ébranlée par un univers nouveau qui fascine autant qu’il effraie ? L’incendie de Notre-Dame marque douloureusement la fin d’une époque et ouvre le début d’une autre.
En effet, il est question de reconstruction. Des fonds sont déjà collectés pour ce faire. Des appels se font jour pour alerter tout ce que la France et le monde peuvent abriter de spécialistes talentueux en rénovation des chefs- d’œuvre anciens. Ce gigantesque chantier nous redonnera-t-il une Notre-Dame à l’identique ? A la vue des anciennes restaurations, il faut croire que non. On utilisera des matériaux plus résistants et plus légers et tout un savoir-faire nouveau pour édifier sur les mêmes fondements ( l’autel du pain partagé et la croix de l’amour livré), une architecture nouvelle animée par le même Esprit.
L’Eglise des hommes renaîtra ; elle aussi, elle passera son triangle des Bermudes. Son esquif sera allégé, sa structure modifiée, ses fondements eux-mêmes revisités.
Et pour inaugurer cette rénovation espérée, je vois Barbara Hendricks à la demande de l’archevêque de Paris et devant tout le peuple de la capitale, chanter un splendide Ave Maria sur  le parvis ouvert au chantier. Mais parvenue au « pecatoribus », elle s’agenouillera…

Notre Dame, ayez pitié, soyez encore la mère d’une Eglise de nouveaux enfants de Dieu !!

06 avril 2019

Confusions… Attention !Danger !



Lecteur ou lectrice, si tu penses qu’un célibataire et de surcroît prêtre n’a rien à dire ni rien à demander à la gent féminine, tu peux jeter ces mots dans la corbeille. Si tu crois que le même individu est disqualifié quand il parle de l’Église car obligatoirement défenseur acharné de l’institution, fais de même. Si l’on peut aborder des sujets sensibles, même par un biais anecdotique, sans éveiller aussitôt le soupçon d’un retour à l’obscurantisme moyenâgeux ou, au contraire, sans être accusé de démolir les valeurs éternelles, alors poursuis la lecture et laisse-moi le droit de me poser quelques questions impertinentes.


J’ai causé, ces jours-ci, malgré moi, une certaine effervescence dans le public d’un colloque lorsque j’ai cité le philosophe Bertrand Vergely qui mettait en garde contre un féminisme réduit à la seule revendication d’un égalitarisme des genres. La discussion s’est poursuivie pendant le repas en se focalisant sur le mot « fraternité » de notre devise républicaine.
- « Ne faudrait-il pas changer ce vocable qui fait la part belle aux « frères » au détriment des « sœurs » ?
Pourquoi ne pas le remplacer par « solidarité » ?
J’ai presque failli lâcher : « et pourquoi pas tout bonnement inscrire la charité » !  Mais quel gros mot par les temps qui courent! Trois syllabes toutes gluantes de cette condescendance envers les pauvres qu’il vaut mieux à tout prendre ignorer que mépriser! Je me suis donc abstenu, tout en m’étonnant que personne ne relève que les trois paroles de la devise  écrites au féminin  pouvaient laisser penser que la moitié masculine des français n’était pas concernée.


Les mots ont tous une charge symbolique et le langage qui combine ces symboles est régi par des codes communément admis. « Fraternité » laisse entendre « fratrie » qui, elle, est composée de frères et de sœurs. Mais la « fratrie » suppose un père ou une mère, ce qui ne s’impose pas à la solidarité. Elle laisse entendre une verticalité qui n’est pas indispensable à la solidarité. Mais faut-il exclure toute verticalité sous prétexte que le pouvoir vertical est aujourd’hui haï ?
Faire en sorte que la langue ne soit pas ressentie comme exclusive demandera une longue pratique et bien des ajustements. Aussi la tentation est de rapidement la « neutraliser ». Masculin et féminin fondus dans un neutre et dans la confusion! Nous avons beau insister, le réel résiste sauf à confondre, ici aussi, les mots et la réalité. Il y a un ciel et une terre, un soleil et une lune, l’eau et le feu, la nuit et le jour, l’homme et la femme. Maternité et paternité ne seront jamais dans l’équivalence ou dans la neutralité. Le vieux sage biblique l’avait déjà compris, lui qui considérait que « les choses vont deux par deux, en vis-à-vis, et qu’il n’y a rien de déficient. Une chose souligne l’excellence de l’autre, qui pourrait se passer de contempler la gloire du Seigneur ? » Sir 42,24.


Peu de temps après cette rencontre conviviale, je tombe sur la recension  d’un livre recommandé par une revue catholique. Je cite : « L’auteur est un partisan  résolu de la cité chrétienne. L’Église et l’État ne seront plus séparés, une telle séparation étouffant la vie de la grâce. La chrétienté n’est pas un mythe historique. Sa restauration est notre objectif. » (1)
 Ici, on relève non pas une confusion des mots mais des pouvoirs. Je suis assez âgé pour avoir connu certains de ces prélats qui n’auraient pas dédaigné le titre de « Prince de l’Église » et qui auraient fait bonne figure dans quelque salon de la cour royale. Avaient-ils rêvé d’une destinée semblable à celles de Richelieu ou de Mazarin ? Ils apparaissaient toutefois comme des organes témoins d’un passé révolu. Et voilà qu’aujourd’hui une partie de notre Église se réveille, nostalgique de ce bon vieux temps où confusion et collusion faisaient bon ménage dans une cité dite chrétienne, idéale  pour certains mais pas pour tous. Benoît XVI fait une analyse de cette éternelle tentation « d’asseoir la foi par le pouvoir » à propos du messianisme de Barabbas opposé à celui de Jésus (2).
J’ai connu également ces prêtres qui, dans un élan de générosité, avaient épousé la classe ouvrière au point de remplacer le « Je suis chrétien, voilà ma gloire ! » par l’Internationale et dont les invectives verbales et les postures radicales étonnaient même leurs camarades syndiqués ! Le patron avait remplacé le démon ! Ici aussi, confusion des rôles et des spécificités.


Il semblerait  que ces propos de table  et ces situations ecclésiales n’aient aucun rapport entre eux. Je n’en suis pas sûr. Quand la confusion brouille les mots et les rôles, quand elle mélange les genres et les pouvoirs, quand elle trouble les esprits, elle installe silencieusement le lit de ceux qui attendent l’heure favorable pour imposer leur ordre salutaire. N’oublions pas qu’à l’origine, nous dit-on, un certain Satan avait semé la confusion dans l’esprit de  l’être humain en lui faisant croire qu’il pouvait être Dieu ! « Sacrée » confusion !


Alors, mes sœurs, oui à l’égalité homme-femme et de considération et de salaire; oui à la parité quand elle n’est pas simple affichage ; oui à une langue non méprisante. Mais tout en revendiquant cela, préservez avant tout votre mystère féminin. Vous n’êtes pas de simples éprouvettes d’un laboratoire des sciences du vivant ni les clones des hommes au féminin. Vous portez la vie, vous la « couvez » et vous l’offrez au monde. En cela, le féminin l’emportera toujours sur le masculin.
Quant à vous, mes frères chrétiens qui rêvez d’un monde  unifié sous le pouvoir divin, respectez justement l’œuvre de Dieu. Lui aussi a jeté la confusion mais c’était dans l’entreprise prométhéenne de  Babel. A l’inverse du Satan du jardin de la Genèse, Il a voulu une humanité riche et belle de sa diversité de langues, de cultures et de croyances. Babel n’est pas la cité sainte, elle est l’anti Règne de Dieu.
Dans le brouillard qui noie les formes du réel, Esprit Saint donne-nous de savoir discerner !


(1) Notre Église N° 102 page 33
(2 Benoît XVI Jésus de Nazareth 1ère Partie p 59-61 Flammarion 2007

21 mars 2019

Des paroles aux actes.


Histoire béarnaise. Un vieux paysan sort d’une réunion préélectorale. Il a écouté le candidat à la députation. Un voisin le rencontre et lui demande : « Qu’a-t-il dit ? » Réponse : « Je ne sais pas mais il a bien parlé ! »

C’était le temps où l’éloquence des préaux d’école pouvait faire tomber quelques bulletins de vote dans l’escarcelle.
Les temps ont changé. «  Nous ne voulons pas des paroles mais des actes » répètent inlassablement les assidus des manifestations qui occupent le pavé ces derniers jours. « Des paroles aux actes, pour un monde plus humain ! » sera le thème d’un colloque qui se déroulera à l’université de Pau le 30 mars (1).

Il semble, en effet, que l’inflation des petites ou grandes phrases relayées par les chaînes en continu amplifie l’impression d’antinomie entre ces deux termes. Beaucoup de mots pour peu de résultats concrets !

Mais à y regarder de plus près, y a-t-il vraiment opposition entre ces deux moyens d’expression ?
Que l’acte parle ne fait aucun doute si l’on pense à celui accompli par le Colonel Bertranne !  Quel Français ne s’est pas senti interpellé par le sens de la responsabilité que traduisait son geste de bravoure ? Mais, à l’inverse, qui n’a pas été atteint par telle ou telle parole prononcée par un père, une mère, un professeur, un ami, au point que sa vie en a été profondément transformée ?
La parole, pour le meilleur ou pour le pire, peut être action. Le torrent d’expressions répétitives proférées récemment sur un plateau de TV  par deux femmes politiques consistait essentiellement à noyer l’adversaire dans un déluge sonore et à recevoir la palme du dernier mot. Résultat  de ce pugilat verbal et de ce spectacle lamentable : dégoût et lassitude, écran noir et muet.

Si la parole est acte et si l’action peut parler, n’est-ce pas parce que la première Parole qui est à l’origine de tout ce qui se dit et de tout ce qui se fait est à la fois Parole et Acte : « Il dit et cela fut ! » Puissent nos paroles et nos actes laisser retentir un lointain écho de la voix du Créateur !

(1) renseignements : « de cairn en cairn »  06 13 48 90 65

28 février 2019

Quarante


Chiffre biblique magique qui compte les années de désert subies par le peuple hébreu. Conduit par Moïse, il y fait le dur apprentissage de la liberté après les années d’esclavage. Ce n’est pas seulement la tutelle du Pharaon qu’il faut quitter mais encore le joug des divinités égyptiennes. 40 jours sera pour Elie, le combattant des idoles, le temps nécessaire pour éprouver « le fin silence » d’un Dieu qui se risque à  laisser la parole à l’homme. Enfin, Jésus conduit par l’Esprit, passera encore 40 jours au désert pour préparer sa vie publique en affrontant et en refusant la tentation démoniaque de se faire le dieu de nos besoins et de nos fantasmes.


De ces expériences fondatrices vient notre carême. 40 jours de préparation à ce qui constitue pour le chrétien le sommet de l’année liturgique et le centre de sa Foi, à savoir la fête de la résurrection du Sauveur et la sienne aussi. Mais il faut d’abord passer par le feu…


Autrefois, c’est-à-dire avant les mises aux normes, à cette époque-ci, la nuit de nos vallées offrait un étrange spectacle.  D’immenses serpents de feu rampaient vers les étoiles à l’assaut d’on ne sait quelle planète. De temps en temps, un brasier se faisait plus scintillant, les étincelles jaillissaient en hauteur, peut-être un « buisson ardent » ?  Et l’on se prenait à imaginer Moïse fasciné par ce feu mystérieux dont l’origine restait obscure. Les bergers, suivant la coutume ancestrale, avaient allumé la flamme au bas de la montagne. Elle nettoyait les pâturages jusqu’à s’épuiser sur le « contre-feu » sagement prévu. De la végétation roussie par les intempéries et par le gel, il ne resterait que cendre grise et squelettes noircis. Quelques jours plus tard, les pentes se recouvriraient d’un duvet vert en attendant d’offrir aux troupeaux une herbe grasse et savoureuse.

Ainsi débute notre carême : raccourci de quarantaine. Une mort symbolique, un retour à la poussière, un feu purificateur de tout ce qui nous encombre, de tout ce qui obscurcit l’essentiel de nos vies. Une cendre qui amende et nourrit une vie pour toujours incandescente! « Convertis-toi ! »

24 février 2019

François,


Qui suis-je pour m’adresser à toi (1) ? Un pécheur comme les autres. Mais si j’ose le faire, c’est parce que j’ai été ordonné prêtre seulement deux années avant toi et que, par conséquent, tu es mon frère dans le sacerdoce. Un frère qui force mon admiration car tu as accepté de conduire l’Eglise au moment où une vague de scandales fait peser sur tout le clergé une chape de soupçons.


François, regarde la France, fille aînée de l’Eglise, disait-on autrefois. Elle est malade. L’Europe l’est aussi. Le système démocratique est devenu si complexe et la société si réglementée que le citoyen s’est vu contraint de déléguer peu à peu tous ses pouvoirs à des représentants chargés de les exercer dans le cadre du bien commun. Aujourd’hui, il se sent oublié et victime d’un système qui lui échappe. Il veut être écouté. Il désire reprendre le pouvoir à son compte et il le fait savoir. La réaction est saine, même si elle paraît contestable en bien des points.


Regarde l’Eglise ! Tu le sais mieux que moi, elle est malade. Notre vieille mère, qui a traversé tant de siècles, a gardé de sa fréquentation de l’histoire des hommes des manières surannées, des titres ridicules, des ornements désuets, un  langage abscons. De ceci on pourrait sourire, comme on le fait des photos jaunies du vieil album de famille que l’on feuillette. Elle a parcouru tant de chemins  boueux que sa peau est souillée de terre. Mais cette souillure là n’est pas malsaine. Elle est la compagne inévitable de son incarnation parmi les hommes. Elle est  cette glaise que le Créateur  du livre de la Genèse a pétri pour faire un être à sa ressemblance quoique terreux. Cette souillure est excusable ; elle est le signe d’une proximité avec les hommes qui s’est parfois brûlé les ailes.


L’Eglise est malade d’un mal bien plus grave. Depuis que le souffle de l’Esprit s’est engouffré dans la chambre haute de la Pentecôte, des hommes d’Eglise, j’allais dire « d’appareil », se sont employés à canaliser ce vent divin dans un labyrinthe tel qu’il en sort exténué et parfois perverti. Ils lui ont donné un vocabulaire spécifique, un code de bonne conduite, un espace sacré dont ils prétendent détenir la clef, définir les frontières et organiser la visite. Et comme l’invasion du sacré est inversement proportionnelle à la perte de la foi au Dieu vivant, ceux qui s’en estiment les propriétaires et les grands- prêtres ont vu leur prestige prendre encore plus d’ampleur.  François, tu as diagnostiqué ce mal. Tu l’as appelé le « cléricalisme ». D’ailleurs, il n’est pas réservé aux clercs et on peut le rencontrer dans bien d’autres institutions humaines. Cet abus de pouvoir est sans commune mesure avec la souillure contractée dans la foulée imprudente des chemins de traverse. C’est un torrent d’ordures qui déferle sur ces ministères pervertis. Et cela est d’autant plus intolérable qu’il touche des personnes vulnérables.


Alors, François, toi qui as confiance dans le « Peuple saint des fidèles de Dieu » demande-lui, si par hasard, il aimerait s’identifier davantage à la communauté des Actes des Apôtres qui partageait « d’un même cœur » l’enseignement, la parole et le pain ; demande-lui si, par hasard, s’appuyant sur les conseils de St Paul, il ne souhaiterait pas repenser les ministères de l’Eglise pour les confier à des hommes et des femmes ayant fait leurs preuves dans la conduite de leur famille et dans leur profession ; demande-lui s’il ne préfèrerait pas être un peu allégé de tous ces accessoires hérités des siècles passés. Ils ont eu, certes, leur utilité mais ils sont devenus étouffants et encombrants. D’ailleurs, ils ont trop souvent empêché le peuple saint de se prendre en main en le maintenant dans un état d’enfance protégée et prolongée.


Tu sais, comme moi, François, que le Maître reprochait à certains d’imposer des fardeaux qu’ils étaient incapables de porter eux-mêmes. Alors, s’il te plaît, après avoir entendu les évêques, écoute les baptisés, ceux qui forment « la classe moyenne de la sainteté ». Tu as dit que le baptême était « notre première et fondamentale consécration » car « nul n’a été baptisé prêtre ou évêque » (2). Convoque donc une conférence des baptisés pour chaque continent. Donne-leur la parole sans intermédiaire, sans le filtre des « autorités qualifiées ». Il te dira, ce peuple encore fidèle, ce qu’il est essentiel de préserver pour que la barque ne chavire pas dans l’ignominie. Il te dira ce qu’il faut balancer par dessus bord pour l’alléger afin qu’elle ne soit pas engloutie sous son propre fardeau.
François, aide-nous à hisser la voile, tiens bon la barre et qu’un vent nouveau nous pousse au large…


(1) Je me permets ce tutoiement car c’est ainsi que  je m’adresse au Christ dans ma prière.
(2) Pape François « Les laïcs messagers de l’Evangile » ed Salvator.2016

"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.