« Marie toujours vierge après avoir achevé le cours de sa vie terrestre a été élevée en corps et en âme à la gloire céleste » nous dit le texte du dogme de l’Assomption défini par le Pape Pie XII en 1950.
Même s’il faut avancer sur la pointe des mots ou des pieds, pourquoi ne pas profiter de cette fête pour réfléchir un peu sur ces termes que nous employons si souvent - corps, esprit et âme - et que nous avons parfois du mal à préciser, hésitant entre distinction, confusion ou opposition?
D’abord le corps. Notre corps ne se réduit pas à sa biologie, à un amas de cellules combinées entre elles. Il est, encore moins, la « dépouille ! » de notre esprit. Il est le lieu, le siège de nos relations ; c’est par le corps que nos entrons en contact avec l’autre, que nous « faisons corps » avec lui. Nous sommes le résultat de relations et nous ne vivons que grâce à elles, à commencer par celle de nos parents. C’est ce qu’on peut appeler notre corps-ouvert. Mais il y a aussi le corps-clos, celui qui est exclusivement tourné sur lui-même, autocentré. Ce corps là n’a pas d’avenir, il s’asphyxie dans sa bulle. Paul l’appelle un « corps de péché ».
Il en est de même pour l’esprit. L’esprit s’exprime dans la connaissance, la conscience, les sciences, les arts. On a voulu le caractériser par le fait qu’il est immatériel, ce qui l’opposerait au corps. Même si l’esprit ne se réduit pas à un simple amas de neurones, sans le corps, il est muet, inopérant. Pour les hébreux, nos ancêtres croyants, l’homme n’est pas divisé mais unifié, il est un corps animé (1). Pour eux, les sentiments, le savoir, le courage, tout ce que nous attribuons à l’esprit prend sa source dans les organes de notre corps. La miséricorde et l’amour viennent, par exemple, des entrailles c’est-à-dire du plus profond de l’être. Nous-mêmes nous constatons combien esprit et corps peuvent s’influencer : une rage de dents paralyse l’esprit. Nous sommes donc un composé complexe d’esprit et de corps doté d’une conscience de soi qui lui permet de dire « Je ». Mais, comme pour le corps, on peut dire qu’il y a un esprit-clos, centré sur notre seul individu et un esprit-ouvert, greffé sur l’autre et qui peut féconder d’autres esprits. Celui là est disposé à franchir la mort.
L’âme. On confond souvent les deux termes, l’esprit et l’âme, et on les emploie indifféremment l’un pour l’autre comme, d’ailleurs, on confond l’esprit avec petit e et l’Esprit Saint avec un E majuscule. L’âme est la marque en nous de notre créateur. Elle nous prépare à partager sa vie divine. Certains la comparent à une éponge qui absorbe l’Esprit de Dieu, l’Esprit Saint, pour ensuite en imbiber non seulement notre esprit mais aussi notre corps. De sorte que la vie d’enfant de Dieu consistera à ce que tout notre être, corps et esprit, soit entièrement « animé », habité de vie divine. L’âme, présence de l’Esprit Saint en nous, prédispose notre personne, notre « je », à éclater comme le bourgeon en une vie autre, qui ne soit pas soumise à la corruption.
Mais alors que se passe-t-il au moment de la mort ? Marqués par l’opposition entre corps/matière et esprit/immatériel, nous avons l’habitude de dire que l’âme se sépare du corps. Cela revient à penser que le corps n’est rien d’autre que notre cadavre, que l’unité de notre personne est rompue et que la marque divine de l’âme sur le corps et l’esprit ne subsiste plus. Certes, la partie corruptible de notre être-clos se dissout mais ces relations qui nous constituent, ce corps que nous avons fait avec les autres , cette sorte de communion qui nous a soutenu dans l’être, nos corps et esprit ouverts, ne peuvent-ils pas résister à la mort ?
Ne pourrait-on pas dire que notre âme, ce germe divin qui nous habite, corps et esprit, ne meurt pas et que tout ce qui est imprégné par elle ne meurt pas non plus et peut, alors, ressusciter ? En effet, tout n’est pas corruptible puisque notre âme incorruptible a commencé la transformation de notre être. La résurrection achèvera cette renaissance dans un « corps glorieux » toujours selon St Paul.
Notre Foi nous dit que cette transformation demandera certainement de connaître un stade de purification ou d’ultime préparation selon ce qu’aura été notre relation avec Dieu et nos frères pendant notre vie terrestre. Un état de vie qui ressemblerait à celui de la chrysalide qui n’est pas encore papillon. On l’appelle le purgatoire.
Pourquoi dit-on que Marie a eu le privilège de connaître le Royaume (la gloire céleste) directement ? Parce que seule d’entre nous, elle n’était pas atteinte par le péché, son âme n’avait pas connu l’obstacle du corps et de l’esprit clos, la présence en elle de l’Esprit l’avait totalement configurée à Dieu.
Quoi qu’il en soit de nos représentations partielles et laborieuses, rappelons-nous que notre langage n’est pas adéquat aux choses divines. Essayons au moins de ne pas trop les dénaturer. Nos contemporains attendent que nous rendions compte de notre espérance avec des termes intelligibles même s’ils supposent un peu de réflexion et pas seulement une simple répétition des définitions d’un catéchisme trop résumé.
(1) à l’image de cette statue de terre que Dieu anime en lui communiquant son souffle (Gn 2)
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