11 novembre 2025

Jean Claude Guillebaud

 


 Il fallait un certain courage à ce brillant journaliste, fréquentant l’intelligentsia de notre pays, au mieux  frileuse au pire sarcastique à l’approche des rives du religieux, pour publier « Urbi et Orbi » : « Comment je suis redevenu chrétien ? »(1). C’est en analysant honnêtement et sans à-priori idéologique notre modernité sécularisée que le chroniqueur du Sud-Ouest Dimanche et de l’hebdomadaire La Vie s’est aperçu qu’elle vivait encore sur les bases d’un christianisme refroidi.  Il lui fallait encore pousser plus loin ses investigations pour mesurer la révolution que cette religion avait semée dans le monde avant d’aborder la relecture contemporaine de l’Evangile. Ce travail qui l’engageait corps et âme laissait percer une pensée juste, exigeante et sans concession à la facilité.


Il n’en fallait pas tant pour que le responsable de la formation des chrétiens dans le Béarn se plonge dans toute une série d’ouvrages  que, l’ami de la vallée d’Ossau, consacrait à l’évolution de notre société et parfois à son aplatissement. Il mettait ainsi à notre portée les travaux de spécialistes qui entouraient les philosophes comme Michel Serres, René Girard, Jacques Ellul, Edgard Morin et autres analystes du monde contemporain. Personne alors ne s’étonna qu’invité à donner deux conférences à Pau,  l’écrivain charentais fasse « église comble » ! 


Cet intellectuel ne s'encombrait pas des mondanités usuelles de son milieu. De sa profession de journaliste baroudeur, correspondant de guerre pour le journal « Le Monde », il avait gardé un goût pour la fraternité et pour la simplicité. Une complicité montagnarde l’encouragea à écrire la préface du livre "L'un de vous, prêtre d'une fin de siècle" (2). Celui qui était devenu éditeur profita de cette occasion pour dire tout le bien qu'il pensait de la vie pastorale dans les Pyrénées et combien il savourait le silence retrouvé de ses randonnées. 


Voici quelques extraits de cette ode à la montagne béarnaise : « …la vallée d’Ossau est l’un des endroits d’Aquitaine que j’aime entre tous. Surtout vers la fin du printemps…Climat encore frais, fonte tardive des neiges  qui marquettent les parages des lacs de Louesque, d’Izieu ou d’Anglas…On me dira qu’il est saugrenu de s’émerveiller de la transhumance en vallée d’Ossau, au moment même où les guerres s’enlisent un peu partout…où une désespérance sociale se répand chez nous en Europe… La lente montée des moutons vers l’estive, fêtée dans les villages et conduite par des bergers patients représente l’exact contre point des folies ordinaires…Ici la lenteur prévaut au lieu et place de la hâte…Monter vers l’estive, c’est prendre de la hauteur (à tous les sens du terme) mais c’est aussi monter vers le silence. Or le silence est une devenu  une dentée rare…Et la prière n’est jamais loin… »


Au moment où Jean Claude Guillebaud,  au-delà des pics saupoudrés de la première neige, bascule maintenant dans l'éblouissement de la lumière divine, nous pensons à lui avec gratitude et nous prions pour lui et avec lui ! 
    (1) Ed Albin Michel 2007
    (2) Ed Parole et Silence 2018


05 novembre 2025

Visite en Mongolie…

« Le fou de Dieu au bout du monde »(1) est le  titre d’un livre relatant le voyage du pape François en Mongolie où ne résident que 1500 catholiques. L’auteur, Javier Cercas, écrivain espagnol collectionnant les prix littéraires se présente : « Je suis athée. Je suis anticlérical. Je suis laïc militant, un rationaliste obstiné, un impie rigoureux ». Et c’est ce « fou sans Dieu », autre appellation auto proclamée, qui, contre toute attente, reçoit un appel téléphonique du directeur des éditions vaticanes lui demandant de bien vouloir faire partie de la délégation qui accompagnera le Pape dans son périple. Une seule exigence : écrire un livre à son retour. L’écrivain hésite puis relève le défi tout en sollicitant la faveur d’un court entretien avec François. Etonné de ne lire que des comptes-rendus qui mettent exclusivement l’accent sur les retombées sociales ou politiques des discours de l’Argentin Bergolio et rattrapé par les mots de sa mère affirmant qu’elle reverra au ciel son défunt mari, il veut « interroger le pape sur la résurrection de la chair et la vie éternelle ». Deux promesses à ses yeux « scandaleuses » et néanmoins au cœur de la foi catholique. 


Nous passons par la ville éternelle dont nous finissons par connaître tous les recoins et tous les protagonistes clercs ou laïcs de cette aventure. Nous pénétrons ensuite dans l’univers du Vatican si décrié et pourtant si  méconnu. Aucun des problèmes de l’Eglise n’échappe au diagnostic de l’incroyant de service qui sait appuyer où ça  fait mal. 


Nous embarquons dans l’avion pontifical : 471 pages d’une folle cavalcade mongole dans un « mélange extravagant de chronique et d’essai et de biographie et d’autobiographie ». Une fantasia littéraire qui nous fera traverser plusieurs mondes grâce à une érudition flamboyante faisant appel à une réserve inépuisable de références bibliques, théologiques, sociologiques, politiques, poétiques, géographiques. La verve torrentielle de Cercas emporte sur son passage le cléricalisme dénoncé par François, la synodalité en  gestation, le langage incompréhensible de l’Eglise,  la théologie de la libération, les accointances du responsable des jésuites d’Argentine avec le péronisme…Cette plongée au cœur de l’Eglise nous donne droit à de véritables cours de théologie en particulier sur l’éternel affrontement entre la raison et la foi qui s’apaiserait s’il laissait une place au « sentiment » trop négligé !


Rien ni personne n’échappe au scalpel de l’« impie » sauf ces fous de Dieu que sont ces missionnaires, hommes ou femmes, immergés dans un univers totalement étrange avec un seul espoir : celui de refléter l’image du Christ frère jusqu’au bout de l’amour. Pier Luigi Maccali (2), missionnaire en Afrique enlevé pendant 2 ans par les djihadistes est cité, lui aussi, parmi ces témoins sans parole de l’absolu.  
Enfin, avec l’anticlérical revendiqué, nous pénétrons dans le monde « Bergolio », un « vrai chrétien monté sur le siège de Pierre » ce qui ne nous empêche pas de déceler ces moments cruciaux où le jésuite est passé par des remises en causes douloureuses. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, cette excursion aux périphéries du monde et de l’Eglise guidée par un athée, invite à la prière ! 
L’auteur réussira-t-il à approcher François pour lui poser la question  qui le hante et dont sa mère attend la réponse? Il faut lire le livre jusqu’à la fin sans perdre le souffle…


    (1) Editions Actes Sud.
    (2) Voir jeancasanave. blogspot .com sous le titre : « L’honneur des chrétiens : Pier Luigi Maccali » blog du 15/12/2022