Georges Bastide, philosophe personnaliste, l’un des rares professeurs de l’Université de Toulouse qui, dans la tourmente de 68, n’avait pas troqué son chapeau « petit bourgeois » pour le béret du Che, était interrogé sur sa vocation de moraliste. « Entre une carrière politique ou universitaire, j’ai choisi l’éducation indispensable à la démocratie » répondait-il.
La situation actuelle illustre pour une part ce choix. Face à une société démocratique amollie, certains sont tentés d’admirer les muscles de l’autocrate qui dirige son vaste empire d’une main de fer et qui n’hésite pas à détruire par le feu un pays gouverné selon lui par des drogués. En effet, on peut légitimement s’inquiéter pour l’avenir des démocraties, régies normalement par la loi, lorsque l’on voit à quel point celle-ci est bafouée y compris par les tenants de l’autorité. L’individu-roi se sait impuni et se croit intouchable. Le délinquant sort du palais de justice, brandit son rappel à l’ordre et se fait applaudir comme le héros du jour. Les forces de l’ordre n’osent plus avouer leur profession et les enseignants sont priés officiellement de ne pas sanctionner pour éviter les ennuis.
« Force est à la loi » disait-on. Mais quand celle-ci est à la remorque d’une opinion publique manipulée et utilisée comme moyen de pression sur la représentation parlementaire, la démocratie dérive vers l’anarchie ou vers la dictature.
A la veille d’une élection présidentielle, dans le climat anxiogène d’une guerre démente et d’un mécontentement généralisé, la tentation est forte de « faire davantage preuve d’autorité et d’en faire le fondement de la gouvernance » souligne Jean Casaubieilh (1). Mais une démocratie ne peut pas vivre sans le soutien de citoyens conscients et responsables et le fait de naître dans un Etat de droit ne suffit pas pour engendrer des démocrates. Mener en parallèle de l’action politique un travail éducatif de fond est indispensable pour les susciter et les maintenir en éveil. Cette éducation devrait s’appuyer sur les grandes traditions philosophiques, morales et religieuses qui inventèrent ces régimes démocratiques tenant l’équilibre fragile entre libertés individuelles et impératifs d’une communauté humaine. Les années de scolarité auraient alors pour but de donner les moyens suffisants pour poursuivre la formation professionnelle et citoyenne tout au long de la vie d’adulte. Cette éducation permanente permettrait à chacun, outre le développement de l’esprit critique indispensable, d’intégrer et de faire siens quelques principes dont celui du sens de la mesure et celui du respect d’autrui. Les débats actuels attisés par les réseaux sociaux en sont hélas tristement dépourvus.
(1) « La Chaîne » (Mars 2022)
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