21 décembre 2014

Bergers branchés

Un jeune curé parisien « high tech » se présentait récemment à un groupe de chrétiens « provinciaux. » Il leur expliquait que la « gestion » actuelle d’une paroisse n’avait rien à voir avec l’amateurisme plus ou moins éclairé qui régnait jusqu’ici dans la conduite de ce genre de communauté humaine. Il était, de fait,  à la tête d’une petite entreprise et il avait dû participer à un stage qu’un certain nombre de spécialistes « très pointus » avaient proposé à de jeunes prêtres comme lui, en vue de les initier aux méthodes du management moderne. Le curé d’une paroisse importante doit, en effet, maîtriser la communication et l’image, savoir gérer les ressources humaines comme un bon DRH, suivre de près les questions financières, salariales et comptables, savoir faire appel à des « coaches » pour optimiser les résultats etc.

Après cette brillante démonstration à laquelle j’assistais, je m’apprêtais à rejoindre la caisse des vieux outils périmés que l’on garde pour une décoration possible, lorsque je suis passé devant la crèche de l’église où avait lieu cette conversation. Les bergers et les moutons étaient en place en attendant les mages qui avaient encore du chemin à parcourir. Même si le décor n’a rien à voir avec le caravansérail qui, à l’époque de Jésus, servait à abriter bêtes et gens, la présence de ces santons m’a remis en mémoire une phrase de notre Pape demandant aux pasteurs de s’imprégner de l’odeur des moutons, de n’être pas toujours en tête, de se placer au milieu d’eux…

Les bergers que je connais, surtout quand ils fabriquent leur fromage en montagne, n’ont pas beaucoup de mal à sentir la brebis. Pourtant ils ont, eux aussi, grandement amélioré leurs conditions de vie. Ils peuvent profiter de cabanes confortables, bien équipées, dotées de panneaux solaires qui leur offrent la possibilité de ne jamais être coupés de leur famille ou du reste du monde. Ils bénéficient même de transports héliportés qui laissent les vieux ânes au chômage technique !

Mais tous savent bien que ces améliorations technologiques ne remplacent en rien la longue expérience de ces hommes silencieux, parfois taciturnes, qui ne quittent jamais trop longtemps le troupeau de leurs yeux. Ils savent que les bêtes les plus anciennes prennent la bonne direction, qu’elles savent où se réfugier en cas de bourrasque ou de chaleur excessive, qu’elles n’ont pas besoin du berger pour choisir la bonne herbe ou s’abreuver dans des endroits précis. Par contre, le pasteur veille au danger, envoie les chiens pour éviter que quelque étourdie ne se perde, leur prépare un enclos protecteur pour la nuit, repère les dominantes et prend soin des plus faibles, sépare celles qu’il faut traire des autres et que sais-je encore…
La troupe des fidèles d’une paroisse a certainement besoin d’un curé qui utilise tous les outils modernes qui sont à sa disposition. Mais ces techniques ne sont pas neutres. Elles sont porteuses d’une culture, celle justement de managers et parfois de déménageurs. 

Berger, tu ne perds jamais ton temps à regarder vivre tes brebis, à les écouter et même à les suivre. Elles ont comme toi, et parfois mieux que toi, le « sens de la Foi. » Elles t’apprendront à être ce que tu es : un bon pasteur…


Disposez vite les petits moutons au premier rang de la crèche. Le Berger des bergers a besoin de les sentir près de Lui…BON NOËL !

25 novembre 2014


Le Bonheur, version vieux béarnais.


Il n’a échappé à personne que depuis que les idées mènent le monde et qu’un certain nombre de personnalités sont venues débattre du bonheur, la ville de Pau nage dans la félicité.


On a entendu dire dans les débats palois que « le bonheur était lié à l’épanouissement de toutes nos potentialités. »


 Avait-t-elle exploité toutes ses potentialités, Catherine, dont on disait qu’une de ses copies du certificat d’études avait fait le tour du canton à titre d’exemple pour ses condisciples ? 

Certainement pas ! Elle vivait avec son frère Jacques, vieux célibataire, à l’écart d’un village de montagne, dans un quartier haut perché depuis longtemps déserté par ses habitants. Malgré leur âge avancé, ils se cramponnaient tous les deux à leur coin de terre hérité de leurs aïeux et à leurs coutumes ancestrales, comme des naufragés s’agrippent à la proue du navire avant de disparaître. Indifférents au progrès, ils mettaient leur honneur à résister avec une belle obstination à l’inconfort d’une maison en ruine, à la solitude  des hivers et aux travaux de l’été. Quelques tisons rougis dans une cheminée branlante leur servaient de chauffage et de plaque de cuisson. Un petit promontoire situé près de leur habitation d’où ils pouvaient observer à la jumelle les activités des bêtes et des gens du village remplaçait l’écran de télévision. 
Lorsqu’une âme compatissante s’apitoyait sur leur sort, ils répondaient en souriant: «  Qu’abem de qué minjà, qu’abem de qué tribalhà, qu’abem de qué préga, que bouletz de mey ! » Autrement dit
 « Nous avons de quoi manger, nous avons de quoi travailler, nous avons de quoi prier, que voulez-vous de mieux ! »

« Le bonheur peut-il s’inscrire dans la limite ? » Tel  était le sujet auquel avaient répondu sans le savoir nos deux rescapés du Moyen Age, sans jamais avoir publié un ouvrage ni signé de dédicaces.

 « Le bonheur lié à l’épanouissement de toutes nos potentialités » suppose l’idée d’une totalité (toutes) et celle d’une puissance (potentialités). A les rapprocher, on finit par suggérer que le bonheur s’apparente à une sorte de toute puissance, à la possibilité de tout faire ou de tout vivre. Mais il ne faut guère une très longue expérience de la vie pour s’apercevoir que ce programme alléchant peut conduire aux pires déconvenues et aux plus cuisantes déceptions.
On dit qu’ à l’époque des migrations, les canards de la ferme entendant passer au-dessus d’eux leurs congénères sauvages essaient de les imiter et finissent le bec dans l’eau de leur mare étriquée et ridicule.
Ne vaudrait-il pas mieux reconnaître d’emblée que le bonheur ne peut se vivre que dans la limite ? « Je mourrai sans mettre le pied sur la lune qui me fascine. Cela m’empêchera-t-il d’être heureux ? »
Suis-je pour autant condamné au triste sort du canard domestique ?
Ma plus grande limite, mon malheur, consiste à n’être que moi-même, unique sujet et seul objet de mes désirs. Sauf à combler ce manque existentiel par un ego boursouflé jusqu’à l’éclatement, j’ai besoin, pour développer mes potentialités, de la médiation de l’autre. Voilà, peut-être, ce qui manquait à la première définition. La mention de l’autre lui donne une autre dimension et rend la question du bonheur encore plus délicate. Car l’autre peut s’avérer  être une clôture infranchissable, un poids écrasant, un mur incontournable. Et le remède devient pire que le mal. 
Par contre, lorsque ma relation à lui se vit sous le signe de l’émulation, de l’amitié ou de l’amour, sa présence vient élargir la ligne d’horizon de mes possibilités attendues  et désirées.

Quant au Tout Autre que l’on nomme Dieu, Il n’en finit pas de creuser encore plus le désir au fur et à mesure qu’Il lui répond.

Bienheureux les désencombrés d’eux-mêmes, ils pourront s’ouvrir aux autres et à l’Autre…

21 novembre 2014


Rétrécir Dieu : funeste tentation !


Dans son discours de clôture de la première partie du synode consacré à la famille, où l’on a vu se manifester  certaines attitudes de blocage de la part de hauts personnages de l’Eglise avant même que le débat soit ouvert, le Pape François a pointé cinq tentations à l’adresse des acteurs de cette assemblée. J’ai plus particulièrement retenu la cinquième car elle me paraît être à la racine de toutes les autres et elle nous concerne tous.

 Cinquième tentation : « La tentation de négliger le depositum fidei
 (ndlr : le dépôt de la foi) en se considérant non comme les gardiens mais les propriétaires et les maîtres ou, d’autre part, la tentation de négliger la réalité en utilisant une langue minutieuse et un langage pour dire tant de choses et ne rien dire.Nous appelons "byzantinisme" je crois, ces choses. »

Notons au passage l’emploi du verbe négliger qui prend à revers ceux qui justement accusent les autres de brader la doctrine.

« Bien dire Dieu »

Qui n’a pas cédé à la facilité de prêter à Dieu ses idées et sa parole en affirmant péremptoirement :« C’est la volonté de Dieu » « Jésus a dit que…C’est ainsi qu’Il a fait et qu’il faut faire…» Ce faisant, non seulement nous enfermons Dieu dans des mots à géométrie humaine mais nous l’exposons à devenir l’enjeu de nos controverses conceptuelles ou idéologiques dont Il ne peut que sortir défiguré aux yeux de ceux qui le cherchent « en vérité ».

C’est justement ce mot « vérité » qui vient nous piéger. En établissant une équivalence entre elle et Dieu, nous lui attribuons une sorte d’éternité (les vérités éternelles !) et il suffit de franchir un pas de plus pour  rendre son expression elle-même immuable et comme revêtue d’un caractère sacré. Nous tombons, alors, dans la tentation d’enfermer Dieu dans nos catégories humaines. « Nous n’avons jamais la vérité, dans le meilleur des cas c’est elle qui nous a » répondait Benoît XVI à son interlocuteur dans
 « Lumière du monde » (1). 

Et si Dieu était justement Celui qui vient faire éclater tous nos concepts les plus élaborés et nos certitudes les plus assurées !
Rappelons-nous la prudence des premiers chrétiens qui ont donné leur label à quatre évangélistes et non à un seul  se contentant d’évangiles selon tel ou tel, chacun laissant l’espace libre à d’autres variantes. Rappelons encore le réflexe lourd de signification de nos frères aînés, les Juifs, qui refusent de prononcer le Nom donné à Moïse sur le Sinaï.

 St Justin, à son tour, s’interrogeait sur le mot même de Dieu:
« …personne n’est capable d’attribuer un nom au Dieu qui est au-dessus de toute parole, et si quelqu’un ose prétendre qu’il en a un, il est atteint d’une folie mortelle. Ces mots : Père, Dieu, Créateur, Seigneur et Maître ne sont pas des noms, mais des appellations motivées par ses bienfaits et par ses œuvres. Le mot Dieu n’est pas un nom, mais une approximation naturelle à l’homme pour désigner une chose inexplicable. »

Nul n’est propriétaire du « bien dire Dieu » ou du dépôt de la Foi.

 Vous me direz : « Mais que faites-vous des dogmes » ? Les dogmes ont souvent été donnés à l’Eglise à la suite de déviations comme des balises à respecter pour ne pas quitter le chemin de la Foi. Ainsi, jouent-ils justement le rôle de gardiens. En outre, leur vocabulaire est marqué par la culture et le contexte historique de leur époque comme le faisait remarquer le Père Congar 

« Un peu de sens historique permet en effet de résoudre une difficulté qu’on entend souvent exprimer. Si l’Eglise, dit-on, supprime un interdit qu’elle a porté autrefois, c’est qu’elle s’est trompée alors… L’objection pèche en ceci qu’elle retire les actes de l’Eglise à l’histoire et à ses conditionnements pour les placer dans un en-soi de vérité intemporel, sans père ni mère, sans contexte et sans humanité. »(2).

Faut-il pour autant en revenir à la position des apophatiques qui opposaient un silence précautionneux à tout discours sur Dieu ? Ce serait faire fi du désir irrépressible de celui qui veut toujours mieux connaître Celui qu’il aime. C’est pourquoi le théologien remet sans cesse les mêmes questions à l’ouvrage afin que le dépôt de la Foi, évitant les impasses, continue son chemin et se développe pour rejoindre nos contemporains.  Mais alors, la doctrine éprouvée tomberait-elle sous la loi du changement ?

St Vincent de Lérins, déjà au 5ème siècle, employait l’image de la croissance du corps humain pour expliquer comment le dépôt de la Foi croît tout en restant lui-même.

Ce qui est dit des réalités divines peut être dit aussi des réalités humaines et de la réalité tout court. A trop vouloir les saisir dans leur complexité, on tombe dans un stérile « byzantinisme » conceptuel. Ce que les mots échouent à dire, le geste, le regard, l’art, le symbole y parviennent parfois. « Marche en ma présence » demandait Dieu déjà à Abraham en guise de déclaration de Foi.
Ce n’est pas sur les résultats d’un concours de vérité ou de doctrine que Jésus a recruté ses disciples. Mais comme le mot l’indique, c’est sur un appel à le suivre. Que d’escarmouches stériles pourrions nous éviter si nous laissions notre Foi s’exposer davantage par le témoignage de notre vie que par l’exactitude de ses énoncés. C’est en Le suivant que les douze ont découvert sa vivante vérité marchant vers le don total de lui-même en « obéissance » aimante au Père (3).

Bien faire comme Dieu.

Pour suivre comment faire?
La tentation est forte de se croire également propriétaire du « bien faire comme Dieu ».
 L’exemple le plus flagrant est celui de la Liturgie. Qui fait bien comme le Christ à la cène ? Le copte, l’orthodoxe, le catholique ? Quel est le bon modèle, le définitif, le vrai ? La fraction du pain dans les catacombes, la messe sur le monde de Teilhard, celle de l’ermite dans son désert, celle des pontifes de la renaissance, celle des prisonniers dans les stalags ? Ici, aussi, traditions, cultures et histoire sont des vecteurs certes incontournables mais insuffisants pour « faire comme Dieu » ?
Et pourtant Dieu nous a bien donné une pensée et des mots pour transmettre le dépôt de la Foi. Il nous a donné une liberté pour orienter notre  vie. Il faut bien parler et agir et en cela nous avons la chance de pouvoir collaborer à l’action de Dieu sur le monde. Quel guide prendre pour « dire Dieu » et pour « faire comme Lui » sans commettre une forfaiture ? Il s’agit tout simplement de se laisser conduire par l’Eglise quand, tout entière, elle quitte les autoroutes confortables de la répétition pour suivre en balbutiant le Verbe qui se dévoile à elle en lui ouvrant le  chemin étroit. Car c’est bien en avançant vers sa Pâque et non en s’installant sur le Tabor que le Christ a dit tout ce qu’Il était.

L’auteur du quatrième évangile avait compris tout cela quand il retenait que Jésus avait déclaré être  « le chemin, la vérité et la vie », les trois en même temps et les trois en mouvement…comme les trois aimantés, mouvants et inépuisables de la Trinité.

(1) Benoît XVI « Lumière du monde » Bayard 2010 pge 75
(2)«  Notre Foi » Beauchesne 1967 et le cardinal Renard d’ajouter dans ce même ouvrage:
« Le mot porte une pensée qui lui est comme intégrée ;c’est pourquoi l’Eglise répugne à recourir à d’autres termes, en même temps qu’elle cherche des expressions adéquates pour mieux faire comprendre sa doctrine… » « …il faut se garder de manier des mots comme si on maniait les réalités divines elles-mêmes: un mot, même le plus juste, n’enserre jamais toute la richesse qu’il exprime : c’est un peu comme un rayon de soleil dans un cristal. Certes, c’est un vrai rayon de soleil mais personne ne prétendra que le rayon dans un cristal est le soleil lui-même »
 « Notre Foi » ibid pge 88, 89.
(3) C’est ce qu’exprime  Urs Von Balthasar dans son livre « La Foi du Christ » à propos de la suite de Jésus 
«… pour le moment il ne s’agit pas de présenter quelque chose à croire, mais seulement d’une invitation à entrer dans le mouvement de la Foi d’Israël et de sa marche à la suite de Dieu, et il faut d’abord répondre à cette invitation pour découvrir que Jésus en est capable et l’homme incapable »  Pge 132 ed du Cerf 1994 

16 septembre 2014


Malgré la cruelle évidence…
  Les prêtres qui ont eu la chance d’être ordonnés dans l’esprit de renouvellement du Concile Vatican II et qui n’ont pas sombré dans les remous de la tempête de 68 ont essayé vaille que vaille de pratiquer ce que l’on appelle un apostolat de proximité. « Je me suis fait tout à tous » disait déjà l’Apôtre, mais n’est pas St Paul qui veut ! Certains d’entre eux comme le bon pasteur ont mis leur point d’honneur à « connaître toutes les brebis » et se sont faits les champions de la disponibilité et de l’adaptation à toutes les circonstances. D’autres ont utilisé leur tempérament de feu et leur verbe fracassant pour galvaniser les foules et réveiller les consciences. D’autres encore ont voulu répondre sans faillir à toutes les demandes même les plus « périphériques ». Ils n’avaient peut-être pas une foi à déplacer les montagnes mais assez d’espérance pour affronter les déserts les plus arides.
Ces prêtres- là ont pris de l’âge. Ils ne sont pas en fin de carrière mais au terme de leur ministère. Ils ont la « consolation » d’avoir noué avec des familles entières et de nombreuses personnes rencontrées sur leur route des liens très forts d’amitié et d’affection qui résistent au temps et à la distance. Mais si un bilan  de vie sacerdotale n’emprunte pas les critères comptables habituels, ces prêtres ne peuvent pas ne pas être insensibles au fait qu’une immense majorité de ceux et celles qu’ils ont accompagnés ou croisés, hormis les paroissiens habituels, ne manifestent pas, du moins visiblement et régulièrement, un lien quelconque avec le Christ.
« A qui ai-je attaché les gens qui m’ont été confiés ? A moi ou au Christ ? ».
C’est la question à laquelle ils ne peuvent échapper et qui leur donne parfois le vertige. Celle-ci se pose tout autant pour les baptisés appelés eux aussi à témoigner. 
Comment se fait-il qu’au delà de l’homme disponible, généreux ou assidu à son service, les relations, les amis, les proches n’aient pas perçu la présence de Celui qui l’habitait et n’aient pas engagé une approche de la Foi?
Cette constatation est d’autant plus douloureuse qu’une nouvelle génération de prêtres et de chrétiens se lève que l’on dit plus « attestatrice » ou plus
 « identitaire » ou encore plus « traditionnelle ». 
Elle revendique haut et fort une autre approche pastorale, plus visible, plus centrée sur les rites et la doctrine, plus respectueuse des règles séculaires. 
Et déjà elle affiche ses succès en termes de vocations suscitées, de communautés fondées et d’influence  retrouvée. Elle fait bien comprendre aux anciens que nous ne sommes plus dans le temps de  l’accompagnement, pas même dans celui de la proposition mais dans celui de la provocation prophétique.

Un jour viendra où cette génération- là n’évitera pas cette même interrogation : « A qui, à quoi se sont-ils attachés ? A des valeurs ? A des principes ? ou au Christ Vivant ? »
Cette question a traversé toute l’histoire de l’Eglise. Elle a été l’ « épine dans sa chair », une croix invisible mais bien réelle, le coup de fouet qui a provoqué bien des déceptions mais aussi toutes les « nouvelles  évangélisations » successives et l’éclosion des saints rénovateurs. Impossible de s’évader dans des réponses lénifiantes du style : « Il en restera toujours quelque chose ! » 
« Les voies du Seigneur sont impénétrables ! » Si la lucidité fait du mal, la bêtise l’aggrave.

Il nous faut revenir à Jésus. N’a-t-il pas lui aussi connu cette douloureuse inquiétude ? Ne s’est-il pas plaint amèrement de cette génération incrédule qui lui demandait des signes évidents. Il a passé son temps à expliquer qu’Il ne parlait et qu’il n’agissait que par référence au Père. Il a donné tous les signes possibles de sa filiation divine. A-t-il pour autant convaincu les foules ? Non ! « Il n’est que le fils du charpentier » disaient ses voisins ; un rabbi plus éloquent que les autres ; un prophète nouveau mais éphémère comme ceux qui l’ont précédé…
Quelques- uns seulement lui ont accordé crédit. Il a fallu pour cela qu’il se dépouille de tous les titres qu’il aurait pu revendiquer et qu’il meure nu. Il a fallu que son flanc béant laisse entrevoir le cœur de Dieu en laissant couler le sang et l’eau et en répandant l’Esprit. C’est à ce moment- là que Celui qui ne cessait de s’effacer devant Dieu s’est totalement confondu avec Lui : « Quand je serai élevé de terre, j’attirerai le monde à moi ! » C’est à l’heure du don total que ceux qui, jusque- là, n’avaient vu en Jésus que l’homme de Nazareth, l’enseignant éclairé, le prophète fulgurant, le guérisseur apprécié, ont entendu le soldat s’exclamer : « Cet homme était le Fils de Dieu ! » et ont peut-être enfin compris.

Courage, le dépouillement n’est jamais terminé…le flanc n’est pas encore percé…le cœur n’est pas à nu…l’Esprit peut encore ouvrir les yeux aveuglés…

20 avril 2014

                                   BONNE PAQUE!!  
Un jeudi de pain, un vendredi de sang, un samedi de pierre,
  un dimanche de lumière : ainsi va la vie…
Les chrétiens viennent de s’unir aux trois derniers jours de la vie du Christ leur Sauveur.
Jeudi : célébration de la Cène, partage du pain et du vin, de la vie.
Vendredi : mort de Jésus en croix : réalisation dans sa chair de ce don de lui-même anticipé la veille avec le pain et le vin.
Samedi : silence autour du tombeau puis, dans la nuit, explosion de la vie ressuscitée.
Ces trois jours nous sont donnés comme le concentré de toute une vie pour  mieux prendre conscience de ce que nous vivons quotidiennement.

Il y a, en effet, la "vie vivante", celle du pain et du vin à produire, à échanger, à conserver. La vie de cette création qui nous est offerte pour être transformée par l’immense labeur et l’incessante activité des hommes en une vie meilleure. C’est la vie de l’enfant qui s’amuse en riant, de sa maman qui s’inquiète pour sa grande fille partie au loin, du papa qui redoute la crise économique. C’est la vie qui nous pousse, nous oblige à faire des projets, à nous organiser, à nous rencontrer, à nous entraider. C’est la " vie bonne ".

Il y a aussi la vie endurée, qui pèse de tout son poids. La vie à affronter comme un combat usant, fatigant, éreintant. Lutte contre la maladie, le désespoir, la division. La vie avortée, divorcée, disloquée. La vie cauchemar du sans papier, du sans ressources, du sans amis, du sans logis. La vie volée, violée, assassinée à plaisir, par l’ivresse sanguinaire. La vie retenue comme un dû, comme une proie à ma merci. C’est la vie de la coupe amère, malheureuse et mauvaise.

Enfin, il y a cette vie éteinte, enterrée, parfois oubliée dans la tombeau de l’histoire. La vie scellée par la pierre tombale, réduite à quelques lettres : un nom, deux dates gravées sur la dalle. Une fin irrémédiable  qui condamne toute existence à la vanité ou à l’absurde. C’est la vie morte. C’est le temps de la nuit, des ténèbres, du silence des choses et de Dieu .Mais prenons y garde. La nuit est aussi le temps de la germination, de la fécondation. Ce n’est pas pour rien que le calendrier juif compte le jour en partant de la veille. Le silence n’est-il pas nécessaire à la parole, à la caresse muette qui dit l’amour, au regard qui interroge. La nuit, c’est la vie du bébé lovée, bien au chaud dans le ventre maternel. Cette vie morte est une vie qui repose et qui attend pour se déplier.

Et voilà qu’au matin surgit la vie nouvelle. Elle commence par un cri d’effroi devant l’inconnu menaçant avant que le geste et la parole des parents ne le transforment en babil souriant.
Pâques est un cri : " Jésus est vivant pour toi et avec toi. "
Il est vivant pour que la « vie bonne » qui t’est donnée comme un cadeau le reste. Qu'elle soit eucharistie, pain et vin partagés, action de grâces envers le Créateur et ton prochain.

Il est vivant pour que la vie "mauvaise" polluée par ton péché, la vie de la   "coupe amère"  soit l’occasion de la compassion éprouvée, de la solidarité retrouvée et peut-être du pardon accordé.
Il est vivant pour que la vie éteinte repose en silence sur un lit de confiance et que mûrissent notre Foi et notre Espérance.

Alors, à ton tour, tu pourras pousser le cri du matin de Pâques  et le Père te répondra :
            "Il y eut un soir, voici le matin sans fin et cela est très bon!!  "

05 février 2014


La laïcité à la béarnaise


A l’occasion du centenaire de la séparation des Eglises et de l’Etat, un colloque se tenait dans l’Abbaye-école de Sorèze à l’initiative, il faut le noter, d’une religieuse  (Octobre 2004). Les  représentants de diverses familles de pensée laïques ou religieuses s’étaient donné rendez-vous et avaient confronté leurs analyses sous la présidence d’un éminent historien: René Rémond. Après avoir écouté tous les orateurs, il fit une magistrale synthèse des débats et  concluait, qu’après avoir traversé bien des périodes tourmentées, la société française pouvait enfin connaître le temps d’une«laïcité apaisée ».

Quatorze ans plus tard, le diagnostic est-il le même ?
Il semble que de lourds nuages viennent noircir l’horizon « de ceux qui croyaient au ciel et de ceux qui n’y croyaient pas ».
La montée de la mouvance islamiste de part le monde et quelques coups d’éclats de fanatiques dans notre pays ont réveillé la suspicion à l’égard de toutes les religions. On  s’est empressé de stigmatiser tout ce qui pouvait ressembler à des signes religieux dans le vaste espace public.  On a proclamé haut et fort que la religion ne devait pas franchir la sphère de la vie privée et de la conscience individuelle. Ce raidissement officiel, tout à fait compréhensible quand la paix publique est en jeu, a provoqué, par effet de balancier, un sentiment de discrimination parmi les croyants. Ils  ne comprennent pas en quoi l’affirmation de leurs convictions religieuses peut gêner leur participation au bien commun.

Les choses auraient pu en rester là. Mais nos gouvernants, grisés par une frénésie de légiférer sur tout, ont voulu remettre en cause quelques principes qui fondaient jusqu’ici la société et qui méritaient un autre traitement que celui d’une bataille politicienne et partisane.

Tout ceci se passe sur fond d’ébranlement général des valeurs consécutives à l’effacement des idéologies et au brouillage de toute perspective d’avenir dû à une crise économique qui exacerbe les clivages. Et ce manque de repères assurés pousse les jeunes générations à adhérer à des visions du monde plus tranchées susceptibles de justifier un idéalisme intransigeant.

De la suspicion à l’incompréhension, de l’incompréhension à la thèse du complot et au délit de persécution, les réseaux sociaux franchissent allègrement le pas. Tout est bon pour accuser les religions liberticides de maintenir les sociétés sous l’étouffoir de l’obscurantisme. Tout est bon pour débusquer le travail de sape des lobbies antireligieux qui organiseraient sous cape, sous prétexte de respect et de dignité de l’individu, une dégénérescence de l’humanité. Entre le déni de tout héritage religieux et la soumission à une tradition imposée y-a-t-il une autre posture ?

Comment se pratique la laïcité dans de nombreux villages du Béarn et dans bien d’autres communes rurales, du moins en ce qui concerne la religion catholique?
Les municipalités mettent un point d’honneur à restaurer et à entretenir des églises. Celles-ci le cas échéant ouvrent leurs portes à des manifestations artistiques, après accord préalable des parties concernées sur le contenu  et le déroulement des ces évènements. Quand un curé est nommé dans une paroisse, il ne tarde pas à rendre visite aux maires des villages qui la composent. Il n’est pas rare, à l’occasion des obsèques de voir le premier magistrat, qui est le seul à connaître tous les habitants, prendre la parole au début ou en fin de cérémonie pour évoquer la vie du défunt. Et quand une paroisse a besoin d’une salle plus vaste pour des activités occasionnelles, elle se tourne vers la mairie et obtient, en général, l’usage des locaux comme les autres associations. Lorsque la secrétaire paroissiale est en même temps responsable du centre sportif municipal, personne ne s’offusque de savoir qu’elle détient les clefs de l’église et de la salle de gymnastique.

Quel intérêt aurait-on à prêcher je ne sais quelle croisade ou à remettre en cause cette laïcité apaisée et courtoise qui s’exerce dans le respect des prérogatives de chacun ?
Prenons garde : une seule étincelle peut rallumer de vieux brasiers. Le mépris ou l’arrogance peuvent détériorer très vite ce capital de sympathie que les Eglises avaient su patiemment tisser entre elles et une majorité de la population de nos campagnes depuis que chrétiens et laïques avaient partagé les horreurs des dernières guerres et la construction de l’Europe. On pourra objecter que l’Evangile n’a jamais été consensuel et que Jésus a vomi les tièdes. Effectivement, il n’a pas mis sa langue dans sa poche, mais il a remis l’épée dans le fourreau.

Que peut-on faire ? 
Imiter le regretté René Rémond. Personne, à l’époque, n’a contesté son discours sur la séparation des Eglises et de l’Etat. Parce qu’il était compétent dans son domaine professionnel et intelligent dans l’appréciation des situations et d’autrui, nul ne lui reprochait d’être croyant et de le dire ouvertement, sans ostentation et sans polémique inutile.

09 janvier 2014


Vœux

A toi l’ancien…à toi l’ancienne…
Cette année nouvelle creusera un peu plus tes rides, blanchira tes tempes, accentuera un peu plus tes manies et ton insupportable habitude de vouloir avoir le dernier mot ( en général assassin ) sur tout.

A toi son enfant, son proche, son jeune ami…
Il t’arrivera, encore, de laisser percer ton agacement à son endroit, d’échanger avec les autres un petit sourire complice et condescendant.
Il te faudra, encore, abandonner les illusions enfantines et les transferts inconscients que tu entretenais à son sujet, accepter tes propres défaillances et mesurer tes lacunes.
Mais une année nouvelle s’offre à toi, pour que ton amour, ainsi purifié, transfigure son visage. Comme un baume bienfaisant, il aplanira ses angles durs, il éclairera ses ombres indélébiles, il fera luire ses cicatrices comme rais de lumière. Et tu le trouveras beau, et tu la trouveras belle ! Miracle de l’amour quotidien si souvent ignoré !

Qu’il en soit de toi et de Dieu comme de l’ancien et du plus jeune.
Qu’Il profite des crevasses de tes doutes et des gouffres de tes péchés pour les remplir de l’onde bienfaisante de sa Grâce. Qu’elle y fasse son lit large et débordant, qu’elle pénètre au plus profond de ton être, qu’elle inonde tes infinies platitudes et renverse tes rances certitudes.

Alors, ton visage ne sera méprisé ni de Dieu ni des autres. Il resplendira limpide et gracieux aux yeux de ceux-là mêmes, qui ne te regardaient pas…

"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.