Rétrécir Dieu : funeste tentation !
Dans son discours de clôture de la première
partie du synode consacré à la famille, où l’on a vu se manifester certaines attitudes de blocage de la part de
hauts personnages de l’Eglise avant même que le débat soit ouvert, le Pape
François a pointé cinq tentations à l’adresse des acteurs de cette assemblée.
J’ai plus particulièrement retenu la cinquième car elle me paraît être à la
racine de toutes les autres et elle nous concerne tous.
Cinquième tentation : « La
tentation de négliger le depositum fidei
(ndlr : le dépôt de la foi) en se
considérant non comme les gardiens mais les propriétaires et les maîtres ou,
d’autre part, la tentation de négliger la réalité en utilisant une langue
minutieuse et un langage pour dire tant de choses et ne rien dire.Nous
appelons "byzantinisme" je crois, ces choses. »
Notons au passage
l’emploi du verbe négliger qui prend à revers ceux qui
justement accusent les autres de brader la doctrine.
« Bien dire Dieu »
Qui n’a pas cédé à la
facilité de prêter à Dieu ses idées et sa parole en affirmant
péremptoirement :« C’est la volonté de Dieu » « Jésus a dit
que…C’est ainsi qu’Il a fait et qu’il faut faire…» Ce faisant, non
seulement nous enfermons Dieu dans des mots à géométrie humaine mais nous
l’exposons à devenir l’enjeu de nos controverses conceptuelles ou idéologiques
dont Il ne peut que sortir défiguré aux yeux de ceux qui le cherchent « en
vérité ».
C’est justement ce mot
« vérité » qui vient nous piéger. En établissant une équivalence entre elle et Dieu, nous lui attribuons une
sorte d’éternité (les vérités éternelles !) et il suffit de franchir un
pas de plus pour rendre son expression
elle-même immuable et comme revêtue d’un caractère sacré. Nous tombons, alors,
dans la tentation d’enfermer Dieu dans nos catégories humaines. « Nous
n’avons jamais la vérité, dans le meilleur des cas c’est elle qui nous a »
répondait Benoît XVI à son interlocuteur dans
« Lumière du monde »
(1).
Et si Dieu était justement Celui qui vient faire éclater tous nos concepts
les plus élaborés et nos certitudes les plus assurées !
Rappelons-nous la
prudence des premiers chrétiens qui ont donné leur label à quatre évangélistes
et non à un seul se contentant
d’évangiles selon tel ou tel, chacun laissant l’espace
libre à d’autres variantes. Rappelons encore le réflexe lourd de signification
de nos frères aînés, les Juifs, qui refusent de prononcer le Nom donné à Moïse
sur le Sinaï.
St Justin, à son tour, s’interrogeait sur le mot même de
Dieu:
« …personne n’est
capable d’attribuer un nom au Dieu qui est au-dessus de toute parole, et si
quelqu’un ose prétendre qu’il en a un, il est atteint d’une folie mortelle. Ces
mots : Père, Dieu, Créateur, Seigneur et Maître ne sont pas des noms, mais
des appellations motivées par ses bienfaits et par ses œuvres. Le mot Dieu
n’est pas un nom, mais une approximation naturelle à l’homme pour désigner une
chose inexplicable. »
Nul n’est propriétaire du « bien dire Dieu » ou du dépôt de
la Foi.
Vous me direz : « Mais que
faites-vous des dogmes » ? Les dogmes ont souvent été donnés à
l’Eglise à la suite de déviations comme des balises à respecter pour ne pas
quitter le chemin de la Foi. Ainsi, jouent-ils justement le rôle de gardiens. En outre, leur vocabulaire est marqué par la culture et le
contexte historique de leur époque comme le faisait remarquer le Père
Congar :
« Un peu de
sens historique permet en effet de résoudre une difficulté qu’on entend souvent
exprimer. Si l’Eglise, dit-on, supprime un interdit qu’elle a porté autrefois,
c’est qu’elle s’est trompée alors… L’objection pèche en ceci qu’elle retire les
actes de l’Eglise à l’histoire et à ses conditionnements pour les placer dans
un en-soi de vérité intemporel, sans père ni mère, sans contexte et sans
humanité. »(2).
Faut-il pour autant en
revenir à la position des apophatiques qui opposaient un silence précautionneux
à tout discours sur Dieu ? Ce serait faire fi du désir irrépressible de
celui qui veut toujours mieux connaître Celui qu’il aime. C’est pourquoi le
théologien remet sans cesse les mêmes questions à l’ouvrage afin que le dépôt
de la Foi, évitant les impasses, continue son chemin et se développe pour
rejoindre nos contemporains. Mais alors,
la doctrine éprouvée tomberait-elle sous la loi du changement ?
St Vincent
de Lérins, déjà au 5ème siècle, employait l’image de la croissance
du corps humain pour expliquer comment le dépôt de la Foi croît tout en restant
lui-même.
Ce qui est dit des
réalités divines peut être dit aussi des réalités humaines et de la réalité tout
court. A trop vouloir les saisir dans leur complexité, on tombe dans un stérile
« byzantinisme » conceptuel. Ce que les mots échouent à dire, le
geste, le regard, l’art, le symbole y parviennent parfois. « Marche en ma
présence » demandait Dieu déjà à Abraham en guise de déclaration de Foi.
Ce n’est pas sur les
résultats d’un concours de vérité ou de doctrine que Jésus a recruté ses
disciples. Mais comme le mot l’indique, c’est sur un appel à le suivre. Que d’escarmouches stériles pourrions nous éviter si nous
laissions notre Foi s’exposer davantage par le témoignage de notre vie que par
l’exactitude de ses énoncés. C’est en Le suivant que les douze ont découvert sa
vivante vérité marchant vers le don total de lui-même en
« obéissance » aimante au Père (3).
Bien faire comme Dieu.
Pour suivre
comment faire?
La tentation est forte de se croire également
propriétaire du « bien faire comme Dieu ».
L’exemple le plus flagrant est celui de la
Liturgie. Qui fait bien comme le Christ à la cène ? Le copte, l’orthodoxe,
le catholique ? Quel est le bon modèle, le définitif, le
vrai ? La fraction du pain dans les catacombes, la messe sur le monde
de Teilhard, celle de l’ermite dans son désert, celle des pontifes de la
renaissance, celle des prisonniers dans les stalags ? Ici, aussi,
traditions, cultures et histoire sont des vecteurs certes incontournables mais
insuffisants pour « faire comme Dieu » ?
Et pourtant Dieu nous a
bien donné une pensée et des mots pour transmettre le dépôt de la Foi. Il nous
a donné une liberté pour orienter notre
vie. Il faut bien parler et agir et en cela nous avons la chance de pouvoir collaborer à l’action de Dieu
sur le monde. Quel guide prendre pour « dire Dieu » et pour
« faire comme Lui » sans commettre une forfaiture ? Il s’agit tout
simplement de se laisser conduire par l’Eglise quand, tout entière, elle quitte
les autoroutes confortables de la répétition pour suivre en balbutiant le Verbe
qui se dévoile à elle en lui ouvrant le
chemin étroit. Car c’est bien en avançant vers sa Pâque et non en
s’installant sur le Tabor que le Christ a dit tout ce qu’Il était.
L’auteur du quatrième
évangile avait compris tout cela quand il retenait que Jésus avait déclaré
être « le chemin, la vérité et la
vie », les trois en même temps et les trois en mouvement…comme les trois
aimantés, mouvants et inépuisables de la Trinité.
(1) Benoît XVI « Lumière du
monde » Bayard 2010 pge 75
(2)« Notre
Foi » Beauchesne 1967 et le cardinal Renard d’ajouter dans ce
même ouvrage:
« Le mot porte une pensée qui lui est comme
intégrée ;c’est pourquoi l’Eglise répugne à recourir à d’autres termes, en
même temps qu’elle cherche des expressions adéquates pour mieux faire
comprendre sa doctrine… » « …il faut se garder de manier des mots
comme si on maniait les réalités divines elles-mêmes: un mot, même le plus
juste, n’enserre jamais toute la richesse qu’il exprime : c’est un peu
comme un rayon de soleil dans un cristal. Certes, c’est un vrai rayon de soleil
mais personne ne prétendra que le rayon dans un cristal est le soleil
lui-même »
« Notre Foi » ibid pge 88, 89.
(3) C’est ce qu’exprime Urs Von Balthasar dans son livre « La Foi du Christ » à propos de la
suite de Jésus
«… pour le moment il ne s’agit pas de présenter
quelque chose à croire, mais seulement d’une invitation à entrer dans le
mouvement de la Foi d’Israël et de sa marche à la suite de Dieu, et il faut
d’abord répondre à cette invitation pour découvrir que Jésus en est capable et
l’homme incapable » Pge 132 ed du
Cerf 1994
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