10 octobre 2025

Marquise



« Marquise » était le nom donné à une brave chienne au pelage fauve et soyeux qui, après avoir ramené le troupeau à la ferme, avait l’habitude de venir s’étaler devant le feu de cheminée. Immanquablement, l’aïeule de la maison lui balançait un coup de savate : « Passo de quiù ! », « va-t-en ! »
« Mané, pourquoi la chasses-tu ? » s’indignait son petit fils. Et la sentence tombait sans appel : «  ù ca qu’ey ù ca » (un chien est un chien).
Etienne, familier des hautes estives, s’apprêtait à monter dans sa cabane. Après avoir équilibré la charge de son âne, il s’installait sur son dos pour affronter sans effort une longue montée.
« Mais tu vas le crever ! » lui lançait son copain pris de pitié pour la bête de somme.
-« Mon cher », lui répondait le berger, « si j’étais un âne je serais dessous et lui dessus. Il se trouve que je ne suis pas un âne, donc je suis dessus ! » Ainsi allait le monde d’avant.
Ce genre de réflexions vaudrait aujourd’hui la correctionnelle car il semblerait que l’un des problèmes majeurs des Français soit le bien-être animal. Une page dans le sérieux journal « La Croix » daté du 03 10 25, suivie par une émission TV nationale et reprise par France-Info le lendemain. Reportage et commentaires sur ces jeunes couples qui font un essai éducatif sur le chien avant de se permettre d’avoir un enfant ; sur cette jeune fille, un peu prolongée, qui a enfin trouvé son bébé qui partage tout son temps et toutes ses émotions ; sur ce couple attablé au restaurant accompagné de « Mirza » qui, après avoir consulté pour elle un nutritionniste, cale sa poussette contre la table ; l’animal flaire son menu allégé en se léchant les babines.
C’est le monde d’aujourd’hui ! Ce bien-être animal génère quelques 66,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Une pensée émue pour Raoul Follereau qui avec (seulement) le prix de deux bombardiers aurait éradiqué la lèpre en Afrique !
Quant au monde d’après, il verra certainement Médor équipé de l’IA, pousser la chaise roulante de son maître et l’amener au parc municipal rejoindre ses copains qui se raconteront le « monde d’avant ». 
Et pendant ce temps, le border collie de la bergerie voisine se régale des os jetés pour lui dans la gamelle, le gastroentérologue attendra ! Reste à savoir pourquoi la langue française a enraciné le mot « animal » sur l’âme et l’« humain » sur l’humus terreux ?
 

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