04 février 2024

Le « nous » l’emporte

 

 Grand-mère est ravie. Son petit fils qui vient d’obtenir son permis de conduire a accepté de l’emmener rendre visite à son vieil ami, l’ermite de l’arribere. Elle compte bien profiter de l’occasion pour raviver quelques notions de vie religieuse qu’elle avait essayé de lui inculquer dans son jeune âge et qui n’encombrent plus guère ses neurones. Arrivés chez le vieil homme, un peu hors d’âge et hors monde, ils jettent un coup d’œil sur sa minuscule chapelle. Louis  remarque aussitôt un certain nombre d’images et d’objets inusités qui donnent à ce lieu l’apparence d’une église orthodoxe en réduction, en plus sobre et moins rutilante. L’ermite, encouragé par la curiosité du jeune homme, ne se fait pas prier pour détailler l’origine de chaque statue et de chaque tableau en lui faisant remarquer que lorsqu’il prie, il n’est ainsi jamais seul : « Cette coupelle posée dans le trou du tabernacle vient du malheureux Rwanda et se souvient de toute l’Afrique. Ce tissu, cadeau d’une rescapée des camps du Cambodge, convoque l’Asie et tous les persécutés du monde. Cette icône qui a échappé à la tyrannie destructrice d’un despote roumain tend la main au monde orthodoxe. Ce pupitre avec ses arabesques soutient la Bible et n’oublie pas le monde musulman à la fois si proche et si lointain ! Cette étole aux franges taillées dans le cuir du caribou provient du Canada et des Amériques lointaines. Ce banc de cheminée qui soulageait, le soir venu, la fatigue de mes ancêtres rappelle le travail de ces hommes de la terre qui ont façonné ce pays. Saints Pierre et Paul se donnant l’accolade embrassent l’Église déchirée. Et enfin, ce « Dieu soutenant le monde », sculpté par un ami, historien de renom, rassemble l’univers entier autour de cette pierre d’autel. »
Et le vieux moine insiste : « Vois-tu, quand je célèbre seul l’Eucharistie, je murmure la prière à la première personne du pluriel. Le « je » sonnerai faux, hormis le « je confesse », car la messe n’est jamais un acte solitaire, même en l’absence de convives. La prière chrétienne ne peut jamais être autocentrée. Il ne s’agit pas d’un « nous » de majesté dont usaient autrefois les personnages publics mais plutôt un « nous » à la fois de représentation et de réelle communion ». Grand- mère jubile, le dialogue du retour sera fort animé !

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