30 juillet 2016

On meurt même en été…

A Nice, au volant d’un camion, un terroriste fait un carnage, en public, en un lieu mondialement connu. Des dizaines de vies joyeuses, au parfum d’été, catapultées, broyées, déchiquetées par un monstre qu’elles n’ont pas vu venir en face. 
A Saint-Etienne-du-Rouvray, un vieux prêtre égorgé, en huis clos, au couteau, au cours de la messe matinale. 
Point commun : la revendication fait état de « soldats » de l’EI. Vous remarquerez au passage le courage manifesté par ces dits soldats !
Dans les deux cas on parle d’acte de guerre car ce genre de mort est inqualifiable. Dans les deux cas encore on entend dire : « Il faut que la vie reprenne le dessus ! ». De la même façon que lorsqu’une personne âgée ou malade meurt, on répète machinalement ce qui pourrait paraître une incongruité : « C’est la vie ! » Il n’est pas interdit, cependant, de se demander : « Mais quelle vie doit reprendre? Celle qui a engendré ces chevaliers de la mort ? Celle qui n’a d’autre issue que quelques poignées de poussière ?»
Deux jours après le dernier attentat, j’entends dans une émission d’une radio nationale un reportage sur les fêtes de Bayonne, vivantes, s’il en est ! Au journaliste un participant répond: « Personne ne nous empêchera de picoler, de baiser et de danser !... on est Français…» Au vu du niveau atteint par cette réflexion solennelle, je ne peux m’empêcher de penser : « Les terroristes de tout poil ont de beaux jours devant eux ! Si, là, réside le sommet de la résistance du Français « vivant » face à la barbarie, on a quelque souci à se faire. »
Et pourtant ce « festayre » local ne fait que prolonger une autre sentence qui est en passe de devenir la règle d’or de notre société : « Profites- en bien ! Profite de la vie… elle est courte… tu n’en as qu’une ». « Profiter de la vie ! » devient le refrain entonné par tout nouveau retraité lorsqu’il est interrogé sur les projets qui sont les siens.
Ici encore, on peut légitimement poser la question : « De quelle vie s’agit-il exactement? »

Il y a deux façons de répondre à la loi universelle de la mort pour la vie. Partant du principe que toutes les espèces vivantes se nourrissent de la vie des autres espèces, et que la mort est nécessaire à toute vie, on peut envisager l’existence humaine comme une lutte pour la vie. D’ailleurs, l’expression courante « gagner sa vie » suppose bien une perte quelque part. La logique de cette lutte veut que le plus fort gagne et comme chacun est en droit de gagner, il en résulterait, si nous n’étions pas dans des Etats de droit, une élimination chronique d’une partie de la société ou de l’humanité et l’épuisement général de la planète. Consciemment ou non, nous baignons dans cette « culture de mort » faite de concurrence, de performance et de constante compétition et finalement de violence. Les salaires indécents de certains dirigeants, les sommes faramineuses versées lors des transferts des joueurs de foot, comme l’affligeante réponse citée plus haut, ne sont que les symptômes, aux deux extrêmes, de cette même culture mortifère.
Il y a une autre façon de considérer sa vie. Elle consiste à la recevoir comme un cadeau que nous avons à rendre et à partager. Il ne s’agit pas de nier la loi universelle de la mort pour la vie mais d’en opérer un radical changement de sens. Regardons comment Jésus a assumé sa vie humaine.  Constatons d’abord qu’Il n’a pas volé sa divinité au Père au terme d’un combat, comme on volait le feu des dieux dans les mythologies anciennes. Il l’a reçue et il s’est efforcé d’accueillir la volonté du Père dans un cœur à cœur avec Lui.  Quand ses adversaires ont voulu l’éliminer, lui ôter la vie, Il ne l’a pas défendue. Pour autant, la mort ne lui a pas volé la vie. Elle était déjà donnée et même par-donnée, donnée par delà le refus. Sa vie n’a été qu’Eucharistie, c’est-à-dire offrande au Père et à ses frères. Vie rendue pour que nous soyons nous-mêmes « eucharistie »…
Ceux qui font de la mort d’autrui, sous toutes ses formes, leur seule raison d’être pourront-ils accéder à ce renversement sans une lumière venue d’en haut ? Raison de plus pour prier aussi pour eux.


11 juillet 2016

Migrations estivales !

Elles en avaient rêvé tout l’hiver, confinées dans leurs stabulations sans horizon ; elles l’avaient espéré,  avachies dans leurs grasses prairies du printemps ; l’heure du départ a enfin sonné. Les pyrénéennes marquées au fer rouge sont en tête du cortège.



 Robe claire, cornes effilées, mufle relevé, enivré déjà des senteurs du serpolet et des rhododendrons, elles défilent au pas cadencé, en tête de la plus belle manifestation montagnarde de l’année. Invité à partager la loggia d’Henri et d’Yvonne, j’assiste à la parade des vaches, des brebis, des chevaux du Haut Ossau qui montent aux estives.  Une sorte de frénésie s’est emparée du peuple des quadrupèdes. Dans l’enfilade de la rue principale, un puissant tintamarre annonce chaque troupeau. Les lourdes cloches fixées au collier des chefs de file  brinquebalent au rythme de la marche. Elles aussi avaient rongé leur battant et suspendu leur silence pendant de longs mois au râtelier d’une grange. Ce soir elles retrouvent leur voix. Chacune, choisie en fonction de sa forme, de sa place et de sa sonorité,  participe au concert.
La calme fierté des bergers, solides gaillards, bâton à la main, impose son autorité à la fougue et à l’indiscipline des plus jeunes génisses. Ils adressent des saluts sonores à l’ami Simon qui  les hèle du haut du balcon, ils enveloppent d’un coup d’œil l’ensemble de la troupe pour qu’elle garde sa cohésion. Les petits enfants de la famille n’auraient manqué pour rien au monde l’honneur de côtoyer les grands. Le torse bombé, le pas assuré, le regard sérieux, ils assument crânement leur responsabilité. Ils entrevoient déjà le jour  où, devenus à leur tour « chefs de convoi », ils pourront s’envoler et rejoindre leur royaume sous les nuages. Ce soir, en effet, la montagne se fait discrète et distante sous son châle de brume.Résultat de recherche d'images pour "" Demain, elle réservera ses plus beaux atours à ceux qui auront franchi les premiers bivouacs et qui auront fait allégeance aux autorités du Syndicat de la Vallée. Et il en va ainsi depuis la nuit des temps…                                                
                                         
                                            

Les estivants font cortège et remplissent leurs écrans de photos souvenirs de ce monde insolite qu’ils croyaient disparu et dont ils perçoivent les racines solides et l’avenir fragile. Les anciens laissent flotter dans leurs yeux les images de cimes et les décors somptueux que la montagne leur offrait au temps où ils pouvaient défier les dents du Pic qui règne sur ce pays rude et accueillant.            
Certains regretteront que les grandes transhumances de notre société soient si souvent dépourvues de guides sûrs, d’accompagnateurs zélés, de trajets balisés, de rites éprouvés et se prennent à rêver que les enfants soient les premiers ! Il me semble qu’il en fut ainsi, un soir, à Bethléem, quand les bergers reconnurent la préséance d’un nouveau né…

                            
                                                           
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.