Transhumances musicales.
Décidément
rien ne se passe comme ailleurs dans le petit village de Laas niché au cœur du
Béarn. Le parc de son splendide château accueille depuis 20 ans, lors du
week-end de l’Ascension, un festival de musiques populaires
qui répond au nom «
vachement » évocateur de transhumances musicales.
Le
grand ordonnateur en est le maire de la commune, par ailleurs nouveau
conseiller départemental. Jacques Pédehontaa est son nom et il tient, depuis le
début de l’aventure, à ce qu’une messe soit célébrée, le dimanche matin, sous
le chapiteau qui abrite les manifestations programmées. Lui-même n’hésite pas à
prêter main forte à sa vaillante équipe de bénévoles pour transformer le podium
en chœur de cathédrale de toile.
Cette
année, au début de la cérémonie, le célébrant a remercié de leur concours les
deux groupes qui l’ accompagnaient : une fanfare locale et deux marins du
fameux Bagad de Lann Bihoué. Il leur a fait remarquer, ainsi qu’aux autres participants,
que toute musique était religieuse dans la mesure où elle reliait (origine du
mot religion) des générations, des cultures, des personnes différentes dans une
même communion artistique. Sans éluder toutefois l’existence de musiques qui
droguent, qui saoulent, qui réveillent les plus bas instincts de l’homme. Mais
peut- on encore les assimiler à de l’art ?
La
cérémonie s’est déroulée convenablement devant une assistance nombreuse et
attentive, ce qui n’est pas toujours le cas dans ces ambiances festives. Le
souci le plus manifeste des acteurs de la liturgie consistant avant tout à ne
pas se prendre les pieds dans les innombrables fils qui entouraient l’autel
improvisé et à contourner les baffles imposants qui trônaient sur la scène.
Mais la cerise sur le gâteau ou la surprise du
jour a eu lieu pendant l’homélie. L’évangile rappelait la sentence du Christ :
« Vous êtes dans le monde sans être du monde ». Et voilà que le prédicateur «
s’est payé le luxe » de lire à l’assemblée un extrait de la lettre à Diognète
qui au début du 3ème siècle donnait déjà les grands principes de la
situation des chrétiens dans le monde.
« Ils sont des étrangers domiciliés » ;
ils vivent comme tout le monde mais cependant ils se distinguent car ils ne
peuvent pas adopter certains comportements qui éliminent l’autre parce qu’il
gêne ; ils ne peuvent pas, sauf cas exceptionnel, prendre partie pour la
violence sous toutes ses formes et c’est pour cela qu’ils sont incompris,
raillés, détestés. « On les insulte, et ils bénissent ! »
Diognète
invité aux transhumances musicales de Laas aux côtés du « Le Soldat Louis » :
il fallait oser ! A en croire la réaction de certains paroissiens du jour qui,
à la fin de l’office, demandaient le texte entendu, le pari n’était pas aussi
risqué qu’il paraissait.
Morale
de l’histoire :
-Ne pas négliger ces moments de « piété populaire » comme le
demande le Pape François dans son encyclique. Une dame se disait « bouleversée
» à l’issue de cette liturgie qui ne présentait pourtant pas tous les critères
requis à cet effet.
-Parier
sur le désir des chrétiens d’aujourd’hui d’être formés et informés.
-Ouvrir
les yeux sur le prosélytisme des « nouveaux magistères » selon l’expression du
Père Valadier, qui profitent du climat actuel pour promouvoir une laïcité
identitaire et offensive. Cette sorte de neutralisation officielle des
religions alerte et inquiète ceux qui demandent à César un simple respect
démocratique des convictions de chacun. Malgré un contexte totalement différent
de celui du 3ème siècle persécuteur des chrétiens, la question des
relations entre les croyants et la société civile devient de plus en plus
sensible. La lettre à Diognète que l’on extrait du fond des siècles à usage des
études sérieuses et des ouvrages spécialisés s’est faufilée malgré la gravité
de son propos entre deux airs de cornemuse et quelques assauts de clairons sans
indisposer outre mesure l’auditoire. Preuve de son actualité !
Puisse-t-elle
s’intercaler dans quelques dossiers ministériels et inspirer les responsables
religieux de toute confession et de toute obédience ?