27 juin 2020

Retour du réel



Un appel téléphonique après la première étape du déconfinement. Il s’agit de Cécile (50 ans) qui a retrouvé le chemin de la Foi à l’âge de 35 ans et qui, dans l’enthousiasme de sa conversion, n’a pas ménagé sa peine pour se former et s’intégrer dans la communauté chrétienne.
-    « J’ai passé plus deux mois à me nourrir des eucharisties proposées par les dominicains et les assomptionnistes à la TV ou sur internet et je me suis régalée. Une liturgie sobre et belle à la fois, un déroulement sans bavure, des chants splendides, et des homélies enfin enrichissantes ! Je viens de retourner dans ma paroisse et j’ai retrouvé tout dans le même état qu’avant avec, en plus, une ambiance lugubre, une assemblée masquée et comme accablée. C’était triste à en pleurer. Mais le pire, c’est qu’après avoir reçu le corps de Christ sacramentellement, je n’ai même pas ressenti cette communion que j’éprouvais devant mon écran. Je trouve que c’est grave ! Je ne sais plus quoi faire ! »

Que lui dire si ce n’est que nous sommes tous à la recherche d’une liturgie parfaite dans une Eglise parfaite. Sauf que ce cérémonial ne me dit plus rien, qu’au moment de la consécration mon voisin éternue et crache ses poumons, que la canne de Marie-Jeanne s’étale sur le dallage, que les enfants de chœur gesticulent sans arrêt, que l’animateur entonne trop bas, que le curé s’adresse à nous comme à des gamins et ainsi de suite. « Autrement dit, Cécile, il n’y pas de fraternité vraie et réelle hors de ce réel là. Celui qui nous fait mal, celui qui nous déçoit, celui qui nous blesse. Le plus gênant dans notre foi est bien le mystère de l’Incarnation et ses limites.

Et, souviens-toi encore, qu’au moment de la cène, il y avait autour de la table un futur traitre, un renégat en puissance, un incrédule (Thomas) et quelques autres  « au cœur lent à croire et sans intelligence » qui détaleront au dernier moment. Jésus n’a pas changé de chaîne ou de site pour voir s’il pouvait compter sur une équipe au top niveau.

Mais que cela ne t’empêche surtout pas de chercher, avec tes frères chrétiens, à vivre le repas du Seigneur « en Esprit et en Vérité » même s’il faut « renverser la table » mais surtout les cœurs. Bel été pour toi ! »



04 juin 2020

Village au fond de la vallée (1)




Une cloche sonne


 « Une cloche sonne, sonne, elle chante dans le vent, obsédante et monotone … » l’abbé Jean (Jaun Erretora) s’en est allé !
Ce n’était pas un prêtre d’hier mais d’avant-hier (92 ans) et, paradoxalement, totalement d’aujourd’hui. De jeunes séminaristes, les prêtres de demain, le visitaient parfois, reconnaissant en lui, l’image du vrai pasteur. A l’annonce de sa mort un grand vide s’est ouvert au cœur même du village et dans celui de tous ses paroissiens. On connaissait certes son grand âge, on pardonnait ses travers car il était là, toujours là et depuis longtemps. Il n’encombrait pas les réseaux sociaux, n’était pas débordé par les fake news, ne s’énervait pas devant son ordinateur… : il n’en avait pas ! Par contre, s’il y en avait un qui « sentait le troupeau », c’était bien lui. De ces villages de montagne, il connaissait chaque ferme, chaque famille. Il en avait partagé les inquiétudes quand la vie rude du berger n’attirait plus les jeunes et quand la désertification paraissait inexorable. Mais il avait tenu bon. Puis, les vents avaient tourné. Quelle n’avait pas été sa joie de pouvoir encourager et accompagner quelques pionniers qui avaient pris en main leur destin, pétris qu’ils étaient de l’amour de leur terre et de leur culture chantée dans leur langue et habitée par leur foi. La silhouette familière  de leur curé au verbe haut et au grand béret plat allait manquer dans le paysage. Mais plus que cela ! C’était cette sagesse paysanne affinée au moulin de l’Evangile qui risquait de s’effacer, cette sagesse en sabot  qui n’a rien à envier à celle des studios branchés.


« Qu’allons-nous faire ? Vu la situation actuelle du clergé nous n’aurons plus de prêtre, que deviendra notre église ? » se demandaient certains à la sortie des obsèques.
Alors, une voix se fit entendre : « Vous ne me direz pas qu’une vallée qui a su redresser en sa faveur le destin qui la condamnait à l’oubli  ne sera pas capable  d’animer sa communauté chrétienne si votre foi est encore vive. Rappelez-vous ce que firent les Apôtres  après la mort de Jésus. Ils n’attendirent pas qu’un successeur de Judas leur tombe du ciel. Ils en désignèrent un. Ensuite, ils s’assemblèrent autour de la mémoire du Seigneur dans la prière et l’entraide communes et les Apôtres vinrent soutenir et authentifier leur démarche. Après deux mille ans de Christianisme, vous êtes bien capables d’en faire autant que nos premiers aînés ! » Ils reconnurent cette voix ferme et chantante. Elle venait du porche de l’église qui abritait désormais la trace de leur curé devenu un homme nouveau.

« Une cloche sonne, sonne, sa voix d’écho en écho, dit au monde qui s’étonne (une Eglise) s’ouvre au jour…Village au fond de la vallée…»




(1) Les Aldudes en Pays Basque
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.