23 décembre 2013


Mort et naissance à Noël.

« J’ai du mal avec Noël, trop de deuils m’ont frappée dans cette période » me disent Christine et Anne. Deux jeunes enfants de mon canton passeront Noël sans leur papa et deux autres, bien près de moi, sans leur maman. Des dizaines de petits Centrafricains passeront un Noël d’orphelins… La mort, autrement dit le passage en l’autre Vie, n’est pas étrangère à la naissance….

 Dans un effort de lucidité, ma raison peut admettre la mort, la mort en général. Les scientifiques diront qu’elle est  la condition de la vie. Mais cette même raison s’insurge  devant l’absurdité de la mort en particulier ; celle qui a pris un nom, celui d’un époux , d’une mère, d’un grand père. Qu’elle survienne à vingt ans ou à quatre vingt dix ans, nous avons le sentiment qu’elle nous vole quelque chose que l’on pouvait encore espérer, ne serait-ce que ces derniers mots que nous aurions encore voulu prononcer. Nous cognons sur le mur de l’absurde où il est écrit: 

« Pourquoi la vie, si c’est pour mourir »! Et plus largement encore :
 « Pourquoi de l’être pour ne pas être ! »

Le langage courant traduit bien ces deux attitudes devant la mort. 
« C’est la vie » dit-on parfois pour en souligner la fatalité et presque la banalité; mais « plus rien ne sera comme avant », quand on en retient la perte irrémédiable qu’elle provoque.

Pour bien prendre la mesure du non sens que la mort oppose à toute entreprise humaine, il faut évacuer de notre esprit toutes ces banalités que nous échangeons en pareilles circonstances. Elles se veulent consolatrices, elles ne font que combler  le vide qui  nous apeure. Certains d’entre nous, plus courageusement, vont jusqu’à éliminer également toutes ces compensations imaginaires qui nous font rêver une après-vie. Ils se concentrent sur un seul impératif: donner un sens à la vie présente . Mais quel sens peut-elle avoir si le néant l’attend au coin du bois.
Il n’est pas étonnant, alors qu’une majorité de nos contemporains, et nous en faisons parfois partie, fermant délibérément les yeux sur l’avant et sur l’après, se réfugie dans la bulle de l’instant et n’observe qu’un seul commandement :
 « profite du moment présent ». Un peu comme si les résultats obtenus par le génie de l’humanité, comme si le gigantesque effort des hommes et la somme de toutes les leurs souffrances accumulées, en étaient réduits à la jouissance de la cigarette du condamné. Ainsi mise à nue, la radicalité de la mort donnerait raison à l’auteur du livre de l’Ecclésiaste, qui ne cesse de répéter: 
« De tout ce que j’ai vu sous le soleil, rien ne vaut la peine car tout est vain ». Malgré ce sombre diagnostic, l’homme, depuis son origine, refuse l’évidence du verdict.

 Pour vaincre la précarité de son existence, il s’est donné des dieux censés lui apporter l’immortalité. Un spécialiste des religions a pu affirmer que l’homme était une machine à faire des dieux. Le sommet de cette entreprise a certainement été atteint dans l’Egypte ancienne.
Ces jours ci, à Pau , Akhenaton, Ramsès II, Toutankhamon  et leurs sublimes épouses nous ont rendu visite par le truchement de splendides copies réalisées par le musée du Caire. Nous avons pu voir ce que l’humanité a inventé de mieux pour dire non à la mort, pour proclamer à la face de l’univers que l’homme n’était vraiment lui-même, que lorsqu’il mettait en œuvre cette idée d’infini, totalement incongrue, dont on ne sait d’où elle vient, qu’il porte en lui, alors que tout en lui et autour de lui est fini, limité, périssable. Et si l’homme était plus que l’homme, semblaient nous dire ces colosses de pierre, ces sarcophages dorés, ces visages immobilisés dans une beauté codifiée et à tout jamais immortalisés !

Sortant de l’exposition, je me demandais : 
«  Pourquoi le Dieu en qui j’ai mis ma foi n’a-t-il pas profité de ce moment inégalé de l’histoire pour s’incarner dans une de ces dynasties ? Le monde aurait été déjà à ses pieds ! Des preuves irréfutables de son existence et de son œuvre auraient survécu pendant 3000 ans et plus encore ! Mais pourquoi, aussi, ces dieux à l’image de l’homme me ressemblaient si peu ? »

 C’est à côté, dans un peuple marginal que notre Dieu a vu le jour. Il a pris le visage d’un petit enfant, celui d’un homme qui passait, faisant le bien, il pris le masque du souffrant, il a poussé le râle du mourant. Rien à voir avec l’impassibilité des géants figés dans leur puissance. Comparé aux divinités fabriquées par nos intelligences, notre Dieu ne fait pas très  dieu. Une mangeoire en guise de trône, un bâton de pèlerin lui sert de sceptre, il touche le lépreux, une croix souillée de sang à la place d’un sarcophage, un tombeau d’emprunt au lieu d’un mausolée.

Pourtant ce Dieu là n’est pas la caricature de l’homme. Il me ressemble. A relire son histoire dans l’Evangile, je vois que Jésus mon Seigneur a pris les mêmes chemins que les miens, s’est posé les mêmes questions que moi, a voulu soulager misère et  maladie, nous a laissé un programme d’une vie autre. Malgré cela, la mort l’a suspendu au gibet. Que reste-t-il de lui ? Rien.

Rien ! Si ce n’est cette source inépuisable et divine de Vie et d’Amour qui nous transcende et qui fait que nous sommes là, pour offrir la gerbe de ces sommets et de ces creux qui ont fait cette vie. Nous sommes là, soutenant une maman meurtrie, consolant des enfants un peu perdus. Nous sommes là, non pour jeter un défi orgueilleux à la mort mais pour la plonger dans le bain d’Amour de Celui qui l’a vécue et vaincue pour en faire une nouvelle naissance.

Alors, en nous dégageant de nos idoles confortables et familières qui nous proposent une immortalité de pacotille, allons vers Noël, allons cueillir chez le pauvre de Bethléem, l’Amour qui, seul, peut faire fleurir les branches mortes de nos vies.

Heureux et beau Noël pour nos naissances à mourir et dans nos morts à naître…

11 novembre 2013


L'avenir des espaces ruraux 
 Colloque des 20 ans de l’Ifocap- Adour (Conclusion- J.Casanave).


Vingt ans ! Cela permet d’avoir entendu beaucoup d’analyses aussi brillantes que pertinentes, d’avoir vibré à de nombreuses utopies, d’avoir participé à quelques réalisations modestes, d’avoir  gardé l’esprit en éveil pour repérer les insoupçonnables capacités de l’homme à s’adapter à son territoire et à agir sur lui. Impossible de remercier tous ceux et celles qui ont contribué aux activités de notre association et à commencer par vous-mêmes qui lui témoignez, aujourd’hui , par votre présence, votre précieux soutien. Votre fidélité s’est peu à peu transformée en amitié partagée et c’est là, le fruit le plus savoureux de l’arbre planté il y a 20 ans qui n’a cessé d’étendre ses ramifications dans le département (64) et ailleurs encore.

 Après avoir lu et parfois côtoyé quelques grands auteurs et acteurs de notre société rurale (Les  Duby, les Baudrel, les Mendras, les Hervieu, les Kaiser, aujourd’hui Mr. Purseigle et Mr Lamassoure, en passant par les Debatisse, les Buchou, les Lacombe, les Rabhi, les Mirande et bien d’autres) je me suis demandé si l’une des composantes essentielles de notre rapport à la terre en général et au rural en particulier, n’était pas cette part de rêve qu’ils suscitent en chaque génération. Un rêve qui prend la forme d’un jardin.

Or, en relisant un vieux récit d’aménagement du territoire dans un livre que je consulte souvent, la Bible, j’y ai rencontré un pays que l’on appelle l’Eden ou le paradis. Ce terme dérivé du persan désigne un jardin clôturé, limité.

Nous cherchons tous un territoire qui serait notre paradis et le  réflexe le plus élémentaire consiste à le protéger des prédateurs et autres nuisibles. C’est le premier avantage de l’indispensable clôture. Mais n’y a-t-il pas une limite à la clôture ?
  • Qu’est- ce qu’un paradis qui  m’enfermerait ? 
                                          -Un jardin botanique transformé en prison.

 Mais il y a deux  autres limites, celle que je m’impose, pour ne pas épuiser les ressources du jardin afin qu’il soit durable. « Vous mangerez de tous les arbres sauf un… » et celle que l’autre m’impose pour ne pas empiéter sur son jardin qui ne ressemble pas tout à fait au mien . « Cet arbre  interdit, c’est ma part  de l’Eden » suggère le Créateur.

 Ainsi, nous poursuivons sans cesse le rêve d’aménager un jardin qui ne peut être qu’un entrelacs de limites, de bordures et de clôtures ; mais,  définies, respectées et acceptées d’un commun accord,  elles deviennent la condition même du paradis.  Cette question du respect ou du franchissement des limites qu’on les appelle naturelles ou culturelles sera la grande affaire des générations futures et cela dans tous les domaines.


  •  Que serait une France paradisiaque coupée de ses voisins ?

                                  -Une garnison exclusivement occupée à défendre un territoire dont elle ne profiterait pas. 

              Mais que serait-elle sans ses régions définies et caractérisées ?

                                  -  Un monotone soliloque parisien.
  •  Que serait un rural préservé de l’urbain, retranché derrière ses haies ?
                                   -Un parc national supplémentaire dédié à la conservation d’une espèce rustique. 
             Mais que serait un rural sans son espace et son temps particuliers ? 

                                     -Une ville repeinte en vert.
  •  Que serait un consommateur totalement  asservi à la publicité boulimique?
                                     - Un esclave gavé du marché. 
              Mais que serait un consommateur uniquement centré sur l’offre concurrente la moins coûteuse? 

                                    - Un destructeur de territoire.
  •  Que serait un agriculteur ou une agricultrice refusant tout contact avec le consommateur ? 
                                     -Le seigneur d’un domaine inutile. 

                Mais que serait-il, s’il n’était pas responsable de sa production ? 

                                     -Un damné de la terre ou de la dette. Il ne serait plus en tout cas le pourvoyeur du sens et du pain quotidiens de l’humanité.

 L’avenir des espaces ruraux ? C’est le paradis mais avec ses toutes ses limites consenties  et  tous les autres acteurs réunis.


03 novembre 2013


« La France en face »

C’était le titre d’un documentaire proposé par France 3, ce lundi soir. Plutôt décapant! 
Notre pays, aux dires des spécialistes en géographie sociale interrogés, voit progressivement son territoire national se scinder en deux parties.
L’une comprend les métropoles et leurs périphéries. Elle attire les éléments les plus actifs et intégrés de notre société (du type : cadres supérieurs ) et toute une population immigrée et sous qualifiée qui se met au service de cette « gentry » plutôt jeune et dynamique. 
L’autre, qui s’étend sur les zones rurales reculées en perte de services et de vitesse, regroupe un pourcentage élevé de personnes soit vieillissantes, soit appauvries. Les métropoles sont au diapason de la mondialisation, établissent contacts et échanges avec les autres grandes cités de la planète et bénéficient d’une belle émulation dans la course à l’opulente modernité. Quant aux habitants des zones non attractives, ils iront de temps en temps, s’ils le peuvent, visiter cet autre monde branché et huppé et reviendront plus envieux ou plus résignés.

L’analyse des espaces urbains et ruraux donne lieu à intervalles réguliers à des prévisions qu’il faut bien souvent ré-ajuster. Pourquoi ? Parce qu’on oublie le prodigieux pouvoir de l’homme de s’adapter aux situations et aux circonstances. Ce n’est pas forcément l’abondance des moyens qui favorise le génie humain. Au contraire, on s’aperçoit souvent que les moments de crise ou de pénurie sont plus favorables à l’éclosion d’idées nouvelles et au déploiement d’énergies insoupçonnées.
 La France vue « en face » n’engendre pas, semble-t-il, un optimisme forcené.
 Alors, regardons- la de dos ou de travers, peut-être nous réservera-t-elle quelques bonnes surprises?

Les territoires ruraux ont-ils un avenir ? C’est à cette question que répondront
 Mr Purseigle (sociologue des mondes agricoles) et Mr Lamassoure, député européen, ainsi que Mr Labazée, Mr Habib et Mr Faurie, responsables de collectivités territoriales, au cours d’un colloque organisé par l’Ifocap-Adour. Il aura lieu à la salle communale de Gouze (64) le samedi 9 novembre prochain. Inscriptions et renseignements au 06 77 55 70 80.

Si en tant que ruraux ou urbains vous vous sentez concernés, voilà une occasion de démontrer que les populations locales peuvent aussi se regarder en face sans trop rougir !! Alors, rendez-vous le 9 nov.!!

19 mai 2013



« Viens Esprit Saint »
 
 
«Pauvre Eglise!» s’exclame le jeune clerc sanglé dans son uniforme anthracite et chaleureusement approuvé par une équipe de jeunes couples appréciant la sentence.
«Pauvre Eglise ! Elle a abandonné ses pratiques séculaires, sa langue universelle, ses signes distinctifs et surtout l’affirmation claire de sa doctrine immuable. Elle a supporté ses prêtres sécularisés qui ont voulu se faire peuple et n’ont réussi qu’à l’éloigner de nos églises. Et ce Concile, dont on a fait la Loi et les Prophètes et qui a été si mal interprété!
Oui, nous, les jeunes générations nous payons les inconséquences de nos anciens mais, nous voilà sur le chantier, «réparateurs de brèches », et, Dieu aidant, nous referons catholique notre Eglise. D’ailleurs, l’Esprit Saint ne l’a jamais abandonnée et Il lui a donné en la personne de nos derniers souverains pontifes les chefs qu’elle attendait.»

« Pauvre Eglise!» me murmure au creux de l’oreille, ce vieux militant chrétien à la sortie d’une réunion clairsemée.
« Nous voilà revenus au temps des dentelles et des courbettes, de l’arrogance des héritiers et du mépris pour les vieux bergers fatigués, de la componction affichée et des chapes dorées, des processions chantées et des bannières déployées. Et ce Concile, qui avait soulevé tant d’espoirs, le voici soumis à la torture des interprétations, comme s’il n’était qu’une collection de vieux parchemins défraîchis.
Enfin, gardons courage ! L’Esprit Saint n’a jamais abandonné l’Eglise et le peuple chrétien saura bien garder le sens de la Foi malgré tout et tous ! »

Même constat au départ, même constat à l’arrivée. Entre les deux de quoi diverger, se soupçonner, s’invectiver, s’ignorer et peut-être se détester.
A moins que chaque clan retourne sur lui-même le mot « pauvre » et puisse dire avec l’adversaire : « Oui, pauvre Eglise car elle continue avec nos pauvretés, nos rigidités, nos légèretés et nos outrances à témoigner de Celui qui se révèle encore à ceux et celles qui sont en attente. Car le «Peuple est en attente», non pas d’une Eglise timorée ou triomphante, grincheuse ou souriante, ignorante ou savante, mais de Celui qui peut, comme un enfant, lui ouvrir un avenir.
Alors, les uns et les autres reconnaîtront qu’aucune langue ne peut, seule, exprimer Celui qui reste l’Ineffable et toutes resteront nécessaires pour se faire entendre des multitudes.
Aucune expression doctrinale ne pourra s’arroger, seule, le monopole de la Vérité et toutes les approches théologiques seront requises pour refléter un rayonnement de la lumière du Verbe.
Aucune liturgie n’atteindra, seule, l’intensité de la Sainte Cène, mais tous les rites s’y essaieront, et chacun pour sa part lèvera un coin du voile du mystère divin.

Pauvre et Sainte Eglise tout à la fois, qui continue à aller de l’avant avec et malgré nos sursauts et nos envasements, nos assauts fracassants et nos chutes vertigineuses, nos arrêts fréquents et nos changements de direction.

Jamais l’obscurité de la nuit de Bethléem n’éteindra le scintillement de l’étoile des mages dans le ciel du peuple en attente. Et au terme de son long voyage, la lumière falote des lanternes des bergers de la première Eglise suffira pour lui désigner « l’enfant couché dans une mangeoire ».

15 mars 2013


Une voix, une plume, des gestes : 

Le prophète, le docteur, le pasteur.

Jean Paul II,  l’homme aux semelles de vent  avait donné une voix à l’Eglise.
Et quelle voix ! Elle a retenti jusqu’au bout de la terre !
Et le prophète a crié son espérance jusqu’au bout de la souffrance.

Benoît XVI, l’homme aux petits pas a pris la plume.
 Il l’a trempée dans la Foi et dans la raison et nous a laissé des textes au goût de pain béni.
 Et le Pape-docteur s’en est allé sans bruit. 
 Il avait tout dit et certainement beaucoup appris.

François est venu. Il a posé les gestes du pasteur.
  Il a le regard attentif, l’humilité du simple ; il est familier du silence.
 Il lui faudra beaucoup marcher comme tous les bergers, en tête mais aussi à l’arrière et sur    les flancs du troupeau.
Il avait oublié la crosse dorée adaptée aux allées droites et balisées.
Je suis prêt à lui donner mon bâton de buis taillé au pays des brebis. Il est plus utile dans les sentiers escarpés…
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.