15 janvier 2015

Au nom de ma liberté d’expression :

Durant les heures tragiques de l’attentat contre le journal Charlie Hebdo, les chaînes de télévision ont fait défiler les experts les plus compétents qui s’évertuaient à supposer ce qui se passait dans les zones interdites ; d’autres témoins étaient invités à dire ce qu’ils n’avaient ni vu ni entendu mais il fallait bien occuper les oreilles des auditeurs. Enfin, journalistes et politiques accouraient  pour tenir des propos aussi unanimes qu’indignés autour de tables rondes où chacun essayait de placer la formule qui serait retenue pour la postérité. De ce déluge de paroles émergeait comme une bouée salvatrice une expression reprise mille fois : « La liberté d’expression, fleuron des valeurs de la République outragée ». Dans cette surenchère verbale et médiatique, j’entendais une petite voix qui s’élevait de mes fumeux souvenirs de 68, et que n’auraient peut-être pas désavouée les journalistes assassinés : « Liberté d’expression, piège à …!» En effet, quand celle-ci est bâillonnée, la démocratie meurt étouffée ; mais quand elle n’a plus de frein, elle ouvre la porte à la dictature de ceux qui ont ou prennent les moyens de s’exprimer.

A cette petite voix insidieuse et provocante s’ajoutait un cri : « Messieurs les censeurs …bonsoir ! » Qui se souvient encore de cette réflexion de Maurice Clavel furibard qui, au cours d’un débat télévisé, s’était aperçu que les journalistes avaient tronqué une partie d’un documentaire le concernant ? Les organisateurs de la chaîne télévisuelle en étaient restés pantois car ils n’avaient pas prévu de plan B. Clavel, le converti de 68, qui ne laissait personne indifférent, avait osé traiter quelques fonctionnaires serviles de censeurs. Depuis, certains intellectuels, ou supposés tels, se sont fait une spécialité, bien française dit-on, de dénoncer et de tourner en dérision tout ce qui leur apparaît être une entrave à la (ou à leur) liberté d’expression au point de devenir les censeurs encensés de la pensée universelle.
Comment cette liberté fondamentale, à laquelle nous sommes férocement attachés et que nous défendons tous, s’inscrit-elle dans les faits?

La vie en société n’est possible que dans les limites librement consenties des cultures qui nous imprègnent ou fermement imposées par la loi qui nous régente. Et ces limites affectent toutes les réalités sociales sans exception. Or, il existe dans notre pays un nombre de plus en plus élevé de personnes n’appartenant à aucune culture, totalement ignorantes de celles des autres et n’acceptant aucune loi. « Sans Foi, ni Loi » disions-nous autrefois. On appelait, en ce temps- là, les études littéraires du beau nom « d’humanités ». Elles étaient la mère nourricière auprès de laquelle le petit d’homme pouvait sucer les compléments alimentaires qui le feraient plus humain. De cet humanisme sans cesse renaissant, Athènes, Rome, Jérusalem, Constantinople étaient les sources. Sont-elles à ce point taries ou travesties?

Le temps est peut-être venu de laisser les slogans faciles à ceux  qui ont besoin de flatter l’opinion publique et de réfléchir à la question que j’énoncerais à la manière d’un sujet d’examen :
« Sachant que :
certains êtres humains expriment leurs idées par la parole, la plume, le feutre, le pinceau, le clavier ; que d’autres parlent par le geste, le poing, les pieds, le couteau, la bombe et la kalachnikov ;
Sachant que :
 la parole, le mot, le silence, le dessin, le geste peuvent élever les êtres humains mais aussi, comme les armes, les détruire et les tuer ;
Que vous inspire l’expression : « Toucher la liberté d’expression, c’est tuer l’identité française ! ».
 Quels remèdes préconisez-vous pour éviter ce meurtre national ? »

Que la liberté d’émotion et d’expression n’entrave pas notre liberté de réflexion et le passage à l’action! 

07 janvier 2015

2014-2015

Tu as compté les années écoulées,
                        les liens tissés et les fils dénoués,

Tu as senti les gerçures des gelées
                        et les brûlures de l’été,

Tu t’es réjoui(e) des épis engrangés
et du vin partagé,

Tu as pleuré sur la jarre cassée
                        et la tombe scellée.

Te restera-t- il assez d’espérance pour griffer l’hiver de semailles nouvelles 
et voir percer le bourgeon velouté d’une année pleine et belle?

                                                                                        

21 décembre 2014

Bergers branchés

Un jeune curé parisien « high tech » se présentait récemment à un groupe de chrétiens « provinciaux. » Il leur expliquait que la « gestion » actuelle d’une paroisse n’avait rien à voir avec l’amateurisme plus ou moins éclairé qui régnait jusqu’ici dans la conduite de ce genre de communauté humaine. Il était, de fait,  à la tête d’une petite entreprise et il avait dû participer à un stage qu’un certain nombre de spécialistes « très pointus » avaient proposé à de jeunes prêtres comme lui, en vue de les initier aux méthodes du management moderne. Le curé d’une paroisse importante doit, en effet, maîtriser la communication et l’image, savoir gérer les ressources humaines comme un bon DRH, suivre de près les questions financières, salariales et comptables, savoir faire appel à des « coaches » pour optimiser les résultats etc.

Après cette brillante démonstration à laquelle j’assistais, je m’apprêtais à rejoindre la caisse des vieux outils périmés que l’on garde pour une décoration possible, lorsque je suis passé devant la crèche de l’église où avait lieu cette conversation. Les bergers et les moutons étaient en place en attendant les mages qui avaient encore du chemin à parcourir. Même si le décor n’a rien à voir avec le caravansérail qui, à l’époque de Jésus, servait à abriter bêtes et gens, la présence de ces santons m’a remis en mémoire une phrase de notre Pape demandant aux pasteurs de s’imprégner de l’odeur des moutons, de n’être pas toujours en tête, de se placer au milieu d’eux…

Les bergers que je connais, surtout quand ils fabriquent leur fromage en montagne, n’ont pas beaucoup de mal à sentir la brebis. Pourtant ils ont, eux aussi, grandement amélioré leurs conditions de vie. Ils peuvent profiter de cabanes confortables, bien équipées, dotées de panneaux solaires qui leur offrent la possibilité de ne jamais être coupés de leur famille ou du reste du monde. Ils bénéficient même de transports héliportés qui laissent les vieux ânes au chômage technique !

Mais tous savent bien que ces améliorations technologiques ne remplacent en rien la longue expérience de ces hommes silencieux, parfois taciturnes, qui ne quittent jamais trop longtemps le troupeau de leurs yeux. Ils savent que les bêtes les plus anciennes prennent la bonne direction, qu’elles savent où se réfugier en cas de bourrasque ou de chaleur excessive, qu’elles n’ont pas besoin du berger pour choisir la bonne herbe ou s’abreuver dans des endroits précis. Par contre, le pasteur veille au danger, envoie les chiens pour éviter que quelque étourdie ne se perde, leur prépare un enclos protecteur pour la nuit, repère les dominantes et prend soin des plus faibles, sépare celles qu’il faut traire des autres et que sais-je encore…
La troupe des fidèles d’une paroisse a certainement besoin d’un curé qui utilise tous les outils modernes qui sont à sa disposition. Mais ces techniques ne sont pas neutres. Elles sont porteuses d’une culture, celle justement de managers et parfois de déménageurs. 

Berger, tu ne perds jamais ton temps à regarder vivre tes brebis, à les écouter et même à les suivre. Elles ont comme toi, et parfois mieux que toi, le « sens de la Foi. » Elles t’apprendront à être ce que tu es : un bon pasteur…


Disposez vite les petits moutons au premier rang de la crèche. Le Berger des bergers a besoin de les sentir près de Lui…BON NOËL !

25 novembre 2014


Le Bonheur, version vieux béarnais.


Il n’a échappé à personne que depuis que les idées mènent le monde et qu’un certain nombre de personnalités sont venues débattre du bonheur, la ville de Pau nage dans la félicité.


On a entendu dire dans les débats palois que « le bonheur était lié à l’épanouissement de toutes nos potentialités. »


 Avait-t-elle exploité toutes ses potentialités, Catherine, dont on disait qu’une de ses copies du certificat d’études avait fait le tour du canton à titre d’exemple pour ses condisciples ? 

Certainement pas ! Elle vivait avec son frère Jacques, vieux célibataire, à l’écart d’un village de montagne, dans un quartier haut perché depuis longtemps déserté par ses habitants. Malgré leur âge avancé, ils se cramponnaient tous les deux à leur coin de terre hérité de leurs aïeux et à leurs coutumes ancestrales, comme des naufragés s’agrippent à la proue du navire avant de disparaître. Indifférents au progrès, ils mettaient leur honneur à résister avec une belle obstination à l’inconfort d’une maison en ruine, à la solitude  des hivers et aux travaux de l’été. Quelques tisons rougis dans une cheminée branlante leur servaient de chauffage et de plaque de cuisson. Un petit promontoire situé près de leur habitation d’où ils pouvaient observer à la jumelle les activités des bêtes et des gens du village remplaçait l’écran de télévision. 
Lorsqu’une âme compatissante s’apitoyait sur leur sort, ils répondaient en souriant: «  Qu’abem de qué minjà, qu’abem de qué tribalhà, qu’abem de qué préga, que bouletz de mey ! » Autrement dit
 « Nous avons de quoi manger, nous avons de quoi travailler, nous avons de quoi prier, que voulez-vous de mieux ! »

« Le bonheur peut-il s’inscrire dans la limite ? » Tel  était le sujet auquel avaient répondu sans le savoir nos deux rescapés du Moyen Age, sans jamais avoir publié un ouvrage ni signé de dédicaces.

 « Le bonheur lié à l’épanouissement de toutes nos potentialités » suppose l’idée d’une totalité (toutes) et celle d’une puissance (potentialités). A les rapprocher, on finit par suggérer que le bonheur s’apparente à une sorte de toute puissance, à la possibilité de tout faire ou de tout vivre. Mais il ne faut guère une très longue expérience de la vie pour s’apercevoir que ce programme alléchant peut conduire aux pires déconvenues et aux plus cuisantes déceptions.
On dit qu’ à l’époque des migrations, les canards de la ferme entendant passer au-dessus d’eux leurs congénères sauvages essaient de les imiter et finissent le bec dans l’eau de leur mare étriquée et ridicule.
Ne vaudrait-il pas mieux reconnaître d’emblée que le bonheur ne peut se vivre que dans la limite ? « Je mourrai sans mettre le pied sur la lune qui me fascine. Cela m’empêchera-t-il d’être heureux ? »
Suis-je pour autant condamné au triste sort du canard domestique ?
Ma plus grande limite, mon malheur, consiste à n’être que moi-même, unique sujet et seul objet de mes désirs. Sauf à combler ce manque existentiel par un ego boursouflé jusqu’à l’éclatement, j’ai besoin, pour développer mes potentialités, de la médiation de l’autre. Voilà, peut-être, ce qui manquait à la première définition. La mention de l’autre lui donne une autre dimension et rend la question du bonheur encore plus délicate. Car l’autre peut s’avérer  être une clôture infranchissable, un poids écrasant, un mur incontournable. Et le remède devient pire que le mal. 
Par contre, lorsque ma relation à lui se vit sous le signe de l’émulation, de l’amitié ou de l’amour, sa présence vient élargir la ligne d’horizon de mes possibilités attendues  et désirées.

Quant au Tout Autre que l’on nomme Dieu, Il n’en finit pas de creuser encore plus le désir au fur et à mesure qu’Il lui répond.

Bienheureux les désencombrés d’eux-mêmes, ils pourront s’ouvrir aux autres et à l’Autre…

21 novembre 2014


Rétrécir Dieu : funeste tentation !


Dans son discours de clôture de la première partie du synode consacré à la famille, où l’on a vu se manifester  certaines attitudes de blocage de la part de hauts personnages de l’Eglise avant même que le débat soit ouvert, le Pape François a pointé cinq tentations à l’adresse des acteurs de cette assemblée. J’ai plus particulièrement retenu la cinquième car elle me paraît être à la racine de toutes les autres et elle nous concerne tous.

 Cinquième tentation : « La tentation de négliger le depositum fidei
 (ndlr : le dépôt de la foi) en se considérant non comme les gardiens mais les propriétaires et les maîtres ou, d’autre part, la tentation de négliger la réalité en utilisant une langue minutieuse et un langage pour dire tant de choses et ne rien dire.Nous appelons "byzantinisme" je crois, ces choses. »

Notons au passage l’emploi du verbe négliger qui prend à revers ceux qui justement accusent les autres de brader la doctrine.

« Bien dire Dieu »

Qui n’a pas cédé à la facilité de prêter à Dieu ses idées et sa parole en affirmant péremptoirement :« C’est la volonté de Dieu » « Jésus a dit que…C’est ainsi qu’Il a fait et qu’il faut faire…» Ce faisant, non seulement nous enfermons Dieu dans des mots à géométrie humaine mais nous l’exposons à devenir l’enjeu de nos controverses conceptuelles ou idéologiques dont Il ne peut que sortir défiguré aux yeux de ceux qui le cherchent « en vérité ».

C’est justement ce mot « vérité » qui vient nous piéger. En établissant une équivalence entre elle et Dieu, nous lui attribuons une sorte d’éternité (les vérités éternelles !) et il suffit de franchir un pas de plus pour  rendre son expression elle-même immuable et comme revêtue d’un caractère sacré. Nous tombons, alors, dans la tentation d’enfermer Dieu dans nos catégories humaines. « Nous n’avons jamais la vérité, dans le meilleur des cas c’est elle qui nous a » répondait Benoît XVI à son interlocuteur dans
 « Lumière du monde » (1). 

Et si Dieu était justement Celui qui vient faire éclater tous nos concepts les plus élaborés et nos certitudes les plus assurées !
Rappelons-nous la prudence des premiers chrétiens qui ont donné leur label à quatre évangélistes et non à un seul  se contentant d’évangiles selon tel ou tel, chacun laissant l’espace libre à d’autres variantes. Rappelons encore le réflexe lourd de signification de nos frères aînés, les Juifs, qui refusent de prononcer le Nom donné à Moïse sur le Sinaï.

 St Justin, à son tour, s’interrogeait sur le mot même de Dieu:
« …personne n’est capable d’attribuer un nom au Dieu qui est au-dessus de toute parole, et si quelqu’un ose prétendre qu’il en a un, il est atteint d’une folie mortelle. Ces mots : Père, Dieu, Créateur, Seigneur et Maître ne sont pas des noms, mais des appellations motivées par ses bienfaits et par ses œuvres. Le mot Dieu n’est pas un nom, mais une approximation naturelle à l’homme pour désigner une chose inexplicable. »

Nul n’est propriétaire du « bien dire Dieu » ou du dépôt de la Foi.

 Vous me direz : « Mais que faites-vous des dogmes » ? Les dogmes ont souvent été donnés à l’Eglise à la suite de déviations comme des balises à respecter pour ne pas quitter le chemin de la Foi. Ainsi, jouent-ils justement le rôle de gardiens. En outre, leur vocabulaire est marqué par la culture et le contexte historique de leur époque comme le faisait remarquer le Père Congar 

« Un peu de sens historique permet en effet de résoudre une difficulté qu’on entend souvent exprimer. Si l’Eglise, dit-on, supprime un interdit qu’elle a porté autrefois, c’est qu’elle s’est trompée alors… L’objection pèche en ceci qu’elle retire les actes de l’Eglise à l’histoire et à ses conditionnements pour les placer dans un en-soi de vérité intemporel, sans père ni mère, sans contexte et sans humanité. »(2).

Faut-il pour autant en revenir à la position des apophatiques qui opposaient un silence précautionneux à tout discours sur Dieu ? Ce serait faire fi du désir irrépressible de celui qui veut toujours mieux connaître Celui qu’il aime. C’est pourquoi le théologien remet sans cesse les mêmes questions à l’ouvrage afin que le dépôt de la Foi, évitant les impasses, continue son chemin et se développe pour rejoindre nos contemporains.  Mais alors, la doctrine éprouvée tomberait-elle sous la loi du changement ?

St Vincent de Lérins, déjà au 5ème siècle, employait l’image de la croissance du corps humain pour expliquer comment le dépôt de la Foi croît tout en restant lui-même.

Ce qui est dit des réalités divines peut être dit aussi des réalités humaines et de la réalité tout court. A trop vouloir les saisir dans leur complexité, on tombe dans un stérile « byzantinisme » conceptuel. Ce que les mots échouent à dire, le geste, le regard, l’art, le symbole y parviennent parfois. « Marche en ma présence » demandait Dieu déjà à Abraham en guise de déclaration de Foi.
Ce n’est pas sur les résultats d’un concours de vérité ou de doctrine que Jésus a recruté ses disciples. Mais comme le mot l’indique, c’est sur un appel à le suivre. Que d’escarmouches stériles pourrions nous éviter si nous laissions notre Foi s’exposer davantage par le témoignage de notre vie que par l’exactitude de ses énoncés. C’est en Le suivant que les douze ont découvert sa vivante vérité marchant vers le don total de lui-même en « obéissance » aimante au Père (3).

Bien faire comme Dieu.

Pour suivre comment faire?
La tentation est forte de se croire également propriétaire du « bien faire comme Dieu ».
 L’exemple le plus flagrant est celui de la Liturgie. Qui fait bien comme le Christ à la cène ? Le copte, l’orthodoxe, le catholique ? Quel est le bon modèle, le définitif, le vrai ? La fraction du pain dans les catacombes, la messe sur le monde de Teilhard, celle de l’ermite dans son désert, celle des pontifes de la renaissance, celle des prisonniers dans les stalags ? Ici, aussi, traditions, cultures et histoire sont des vecteurs certes incontournables mais insuffisants pour « faire comme Dieu » ?
Et pourtant Dieu nous a bien donné une pensée et des mots pour transmettre le dépôt de la Foi. Il nous a donné une liberté pour orienter notre  vie. Il faut bien parler et agir et en cela nous avons la chance de pouvoir collaborer à l’action de Dieu sur le monde. Quel guide prendre pour « dire Dieu » et pour « faire comme Lui » sans commettre une forfaiture ? Il s’agit tout simplement de se laisser conduire par l’Eglise quand, tout entière, elle quitte les autoroutes confortables de la répétition pour suivre en balbutiant le Verbe qui se dévoile à elle en lui ouvrant le  chemin étroit. Car c’est bien en avançant vers sa Pâque et non en s’installant sur le Tabor que le Christ a dit tout ce qu’Il était.

L’auteur du quatrième évangile avait compris tout cela quand il retenait que Jésus avait déclaré être  « le chemin, la vérité et la vie », les trois en même temps et les trois en mouvement…comme les trois aimantés, mouvants et inépuisables de la Trinité.

(1) Benoît XVI « Lumière du monde » Bayard 2010 pge 75
(2)«  Notre Foi » Beauchesne 1967 et le cardinal Renard d’ajouter dans ce même ouvrage:
« Le mot porte une pensée qui lui est comme intégrée ;c’est pourquoi l’Eglise répugne à recourir à d’autres termes, en même temps qu’elle cherche des expressions adéquates pour mieux faire comprendre sa doctrine… » « …il faut se garder de manier des mots comme si on maniait les réalités divines elles-mêmes: un mot, même le plus juste, n’enserre jamais toute la richesse qu’il exprime : c’est un peu comme un rayon de soleil dans un cristal. Certes, c’est un vrai rayon de soleil mais personne ne prétendra que le rayon dans un cristal est le soleil lui-même »
 « Notre Foi » ibid pge 88, 89.
(3) C’est ce qu’exprime  Urs Von Balthasar dans son livre « La Foi du Christ » à propos de la suite de Jésus 
«… pour le moment il ne s’agit pas de présenter quelque chose à croire, mais seulement d’une invitation à entrer dans le mouvement de la Foi d’Israël et de sa marche à la suite de Dieu, et il faut d’abord répondre à cette invitation pour découvrir que Jésus en est capable et l’homme incapable »  Pge 132 ed du Cerf 1994 

16 septembre 2014


Malgré la cruelle évidence…
  Les prêtres qui ont eu la chance d’être ordonnés dans l’esprit de renouvellement du Concile Vatican II et qui n’ont pas sombré dans les remous de la tempête de 68 ont essayé vaille que vaille de pratiquer ce que l’on appelle un apostolat de proximité. « Je me suis fait tout à tous » disait déjà l’Apôtre, mais n’est pas St Paul qui veut ! Certains d’entre eux comme le bon pasteur ont mis leur point d’honneur à « connaître toutes les brebis » et se sont faits les champions de la disponibilité et de l’adaptation à toutes les circonstances. D’autres ont utilisé leur tempérament de feu et leur verbe fracassant pour galvaniser les foules et réveiller les consciences. D’autres encore ont voulu répondre sans faillir à toutes les demandes même les plus « périphériques ». Ils n’avaient peut-être pas une foi à déplacer les montagnes mais assez d’espérance pour affronter les déserts les plus arides.
Ces prêtres- là ont pris de l’âge. Ils ne sont pas en fin de carrière mais au terme de leur ministère. Ils ont la « consolation » d’avoir noué avec des familles entières et de nombreuses personnes rencontrées sur leur route des liens très forts d’amitié et d’affection qui résistent au temps et à la distance. Mais si un bilan  de vie sacerdotale n’emprunte pas les critères comptables habituels, ces prêtres ne peuvent pas ne pas être insensibles au fait qu’une immense majorité de ceux et celles qu’ils ont accompagnés ou croisés, hormis les paroissiens habituels, ne manifestent pas, du moins visiblement et régulièrement, un lien quelconque avec le Christ.
« A qui ai-je attaché les gens qui m’ont été confiés ? A moi ou au Christ ? ».
C’est la question à laquelle ils ne peuvent échapper et qui leur donne parfois le vertige. Celle-ci se pose tout autant pour les baptisés appelés eux aussi à témoigner. 
Comment se fait-il qu’au delà de l’homme disponible, généreux ou assidu à son service, les relations, les amis, les proches n’aient pas perçu la présence de Celui qui l’habitait et n’aient pas engagé une approche de la Foi?
Cette constatation est d’autant plus douloureuse qu’une nouvelle génération de prêtres et de chrétiens se lève que l’on dit plus « attestatrice » ou plus
 « identitaire » ou encore plus « traditionnelle ». 
Elle revendique haut et fort une autre approche pastorale, plus visible, plus centrée sur les rites et la doctrine, plus respectueuse des règles séculaires. 
Et déjà elle affiche ses succès en termes de vocations suscitées, de communautés fondées et d’influence  retrouvée. Elle fait bien comprendre aux anciens que nous ne sommes plus dans le temps de  l’accompagnement, pas même dans celui de la proposition mais dans celui de la provocation prophétique.

Un jour viendra où cette génération- là n’évitera pas cette même interrogation : « A qui, à quoi se sont-ils attachés ? A des valeurs ? A des principes ? ou au Christ Vivant ? »
Cette question a traversé toute l’histoire de l’Eglise. Elle a été l’ « épine dans sa chair », une croix invisible mais bien réelle, le coup de fouet qui a provoqué bien des déceptions mais aussi toutes les « nouvelles  évangélisations » successives et l’éclosion des saints rénovateurs. Impossible de s’évader dans des réponses lénifiantes du style : « Il en restera toujours quelque chose ! » 
« Les voies du Seigneur sont impénétrables ! » Si la lucidité fait du mal, la bêtise l’aggrave.

Il nous faut revenir à Jésus. N’a-t-il pas lui aussi connu cette douloureuse inquiétude ? Ne s’est-il pas plaint amèrement de cette génération incrédule qui lui demandait des signes évidents. Il a passé son temps à expliquer qu’Il ne parlait et qu’il n’agissait que par référence au Père. Il a donné tous les signes possibles de sa filiation divine. A-t-il pour autant convaincu les foules ? Non ! « Il n’est que le fils du charpentier » disaient ses voisins ; un rabbi plus éloquent que les autres ; un prophète nouveau mais éphémère comme ceux qui l’ont précédé…
Quelques- uns seulement lui ont accordé crédit. Il a fallu pour cela qu’il se dépouille de tous les titres qu’il aurait pu revendiquer et qu’il meure nu. Il a fallu que son flanc béant laisse entrevoir le cœur de Dieu en laissant couler le sang et l’eau et en répandant l’Esprit. C’est à ce moment- là que Celui qui ne cessait de s’effacer devant Dieu s’est totalement confondu avec Lui : « Quand je serai élevé de terre, j’attirerai le monde à moi ! » C’est à l’heure du don total que ceux qui, jusque- là, n’avaient vu en Jésus que l’homme de Nazareth, l’enseignant éclairé, le prophète fulgurant, le guérisseur apprécié, ont entendu le soldat s’exclamer : « Cet homme était le Fils de Dieu ! » et ont peut-être enfin compris.

Courage, le dépouillement n’est jamais terminé…le flanc n’est pas encore percé…le cœur n’est pas à nu…l’Esprit peut encore ouvrir les yeux aveuglés…

20 avril 2014

                                   BONNE PAQUE!!  
Un jeudi de pain, un vendredi de sang, un samedi de pierre,
  un dimanche de lumière : ainsi va la vie…
Les chrétiens viennent de s’unir aux trois derniers jours de la vie du Christ leur Sauveur.
Jeudi : célébration de la Cène, partage du pain et du vin, de la vie.
Vendredi : mort de Jésus en croix : réalisation dans sa chair de ce don de lui-même anticipé la veille avec le pain et le vin.
Samedi : silence autour du tombeau puis, dans la nuit, explosion de la vie ressuscitée.
Ces trois jours nous sont donnés comme le concentré de toute une vie pour  mieux prendre conscience de ce que nous vivons quotidiennement.

Il y a, en effet, la "vie vivante", celle du pain et du vin à produire, à échanger, à conserver. La vie de cette création qui nous est offerte pour être transformée par l’immense labeur et l’incessante activité des hommes en une vie meilleure. C’est la vie de l’enfant qui s’amuse en riant, de sa maman qui s’inquiète pour sa grande fille partie au loin, du papa qui redoute la crise économique. C’est la vie qui nous pousse, nous oblige à faire des projets, à nous organiser, à nous rencontrer, à nous entraider. C’est la " vie bonne ".

Il y a aussi la vie endurée, qui pèse de tout son poids. La vie à affronter comme un combat usant, fatigant, éreintant. Lutte contre la maladie, le désespoir, la division. La vie avortée, divorcée, disloquée. La vie cauchemar du sans papier, du sans ressources, du sans amis, du sans logis. La vie volée, violée, assassinée à plaisir, par l’ivresse sanguinaire. La vie retenue comme un dû, comme une proie à ma merci. C’est la vie de la coupe amère, malheureuse et mauvaise.

Enfin, il y a cette vie éteinte, enterrée, parfois oubliée dans la tombeau de l’histoire. La vie scellée par la pierre tombale, réduite à quelques lettres : un nom, deux dates gravées sur la dalle. Une fin irrémédiable  qui condamne toute existence à la vanité ou à l’absurde. C’est la vie morte. C’est le temps de la nuit, des ténèbres, du silence des choses et de Dieu .Mais prenons y garde. La nuit est aussi le temps de la germination, de la fécondation. Ce n’est pas pour rien que le calendrier juif compte le jour en partant de la veille. Le silence n’est-il pas nécessaire à la parole, à la caresse muette qui dit l’amour, au regard qui interroge. La nuit, c’est la vie du bébé lovée, bien au chaud dans le ventre maternel. Cette vie morte est une vie qui repose et qui attend pour se déplier.

Et voilà qu’au matin surgit la vie nouvelle. Elle commence par un cri d’effroi devant l’inconnu menaçant avant que le geste et la parole des parents ne le transforment en babil souriant.
Pâques est un cri : " Jésus est vivant pour toi et avec toi. "
Il est vivant pour que la « vie bonne » qui t’est donnée comme un cadeau le reste. Qu'elle soit eucharistie, pain et vin partagés, action de grâces envers le Créateur et ton prochain.

Il est vivant pour que la vie "mauvaise" polluée par ton péché, la vie de la   "coupe amère"  soit l’occasion de la compassion éprouvée, de la solidarité retrouvée et peut-être du pardon accordé.
Il est vivant pour que la vie éteinte repose en silence sur un lit de confiance et que mûrissent notre Foi et notre Espérance.

Alors, à ton tour, tu pourras pousser le cri du matin de Pâques  et le Père te répondra :
            "Il y eut un soir, voici le matin sans fin et cela est très bon!!  "