24 mai 2011




Terre sainte.

Le dimanche soir vous arpentez les dédales de Roissy, attelés à vos valises à roulettes, les yeux hypnotisés par les panneaux indicateurs, maugréant contre les hésitants qui « bouchonnent », évitant de justesse le bagage qui dérape de sa trajectoire. Le lundi matin, au saut d’un bref sommeil, vous écarquillez les paupières sur le désert d’Arad et les antiques montagnes de Moab et d’Edom. Une nuit suffit pour remonter des siècles et traverser Beer-Shéva, la ville du puits du sept serment, en compagnie d’Abraham, « l’Araméen errant », d’Isaac « le ligaturé », d’Abimélek, le querelleur et d’Elie, le Thisbite.

Le Néguev : Splendeur et majesté se conjuguent ici avec frayeur et humilité.



Prise en main immédiate par Michel, le guide israélien, copain avec les cananéens idolâtres, parent avec les chefs des tribus bédouines de Juda, descendant des rois et des prophètes d’Israël, discutant avec les grecs, guerroyant avec les romains, déambulant dans les basiliques byzantines, fortifiant les cités avec les croisés, fouillant la Torah, creusant les Evangiles et citant le Coran.

Et voilà que les pages de la Bible se lisent à ciel ouvert, sur les collines de Bashan, marchent sur les eaux de Tibériade, se cachent entre les rives du Jourdain, se proclament au sommet des Béatitudes, se perdent dans l’agitation de l’esplanade du Temple. Par contre, il faut traverser les strates de pierres pour imaginer l’étable de Bethléem, la trouée du sépulcre, l’emplacement de la Croix et la vie cachée à Nazareth.



Pour les habitués des textes, l’existence historique de Jésus ne fait pas de doute même si l’exactitude des faits doit s’effacer devant la relativité des récits. Il y a trop de lieux et d’évènements concordants avec les textes pour ne pas, au moins, accorder une attention sérieuse à ce que les évangélistes ont raconté.

Il a vu la verte Galilée, a entendu la clapotis du lac, n’a eu aucun mal à se retirer au désert sachant que celui-ci vient border les faubourgs de la Jérusalem actuelle.



Mais que disent les paysages, les pierres, les ruelles, les ruines, les sites archéologiques de la divinité de Jésus ? Rien. « La pierre à elle seule est muette » disait notre guide archéologue. A la limite, une telle familiarité avec la terre de Jésus peut laisser percer le doute : « Dieu a-t-il pu voir ce que je vois ? ».

Comme s’il y avait là trop grande impudeur, totale incongruité… .

A-t-Il vu et voit-Il ces pierres hérodiennes du mur occidental qui fait écho à tant de prières mais aussi à tant de rancœurs de rêves perdus ?

Entend-il vraiment l’appel assourdissant et impérieux à la prière des muezzins ; le joyeux tintamarre des cloches chrétiennes ?

Est-il sensible aux coups-je dis bien aux coups- d’encensoir d’un pope orthodoxe vers les icônes ainsi que les coups d’œil qu’il lance aux visiteurs trop bruyants ?

Voit-Il tout cela, y compris, cette balafre que le pèlerin ne peut éviter et qui s’appelle le mur de séparation des territoires palestiniens, dits autonomes. « En sa chair il a détruit le mur de la haine qui les divisait » (Ep 2,14) ?



Dieu ne s’est pas fait pierre, même si on lui a donné l’appellation de Roc, mais Il s’est fait chair. Alors il faut le chercher dans les « pierres vivantes ». Il y en a en Israël, comme ailleurs. Certes discrètes, mais parlantes à qui a des « oreilles pour entendre ».

Qui n’a pas reconnu le voix du prophète de Galilée dans le « sermon » inspiré que nous a fait la petite sœur des Clarisses de Nazareth où a séjourné Charles de Foucauld ? « Personne n’a parlé comme cet homme-là ! » Qui n’est pas bouleversé devant l’incroyable destin de la jeune Mariam, vénérée à Bethléem, première palestinienne béatifiée, qui vécut au Carmel de Pau, totalement investie de la présence de l’Autre à la mesure même de son propre « évidement » ? « Celui qui m’aime demeure en moi ». Et ce Père Raed, curé de l’ancienne Ephraïm, n’est-il pas témoin de ce que le sépulcre n’a pu retenir : la passion de Dieu pour les hommes ?

De la passion, il y en avait dans les propos, tout en retenue, de Louis l’autre guide palestinien qui se contentait de dire que sa vie « n’était pas facile » comme s’il se défendait d’ajouter de l’huile sur le feu qui couve en Terre Sainte. Ne donnait-il pas raison à ceux qui ne voient d’autre issue à ce pays que la prière qui transperce les peurs ?

Et notre « mécréant » de guide, ne cachait-il pas sous ce terme l’immense effort qui a été le sien pour connaître et surtout pour comprendre ces religions qui ont élevé plus de murailles qu’elles n’ont ouvert de table commune. N’est-il pas à compter parmi ceux et celles qui entendront un jour qu’il faut «adorer en Esprit et en Vérité » ?



Un pèlerinage en Terre sainte est une belle expérience mais non une obligation. Les chrétiens ne sont pas des adorateurs de lieux ou de reliques. Cette démarche n’a pour but que de faire de nous des Jérusalem, cités de paix ; des « Bethel », demeures de Dieu ; des Bethléem, maisons de bon pain. Sans oublier que la paix ne s’installe jamais définitivement. Elle reste comme un fil tendu qui résiste à toutes les pressions de la violence et qui s’appelle pardon. Sil vous arrivait de l’oublier, l’interminable attente des contrôles soupçonneux de l’aéroport lors de votre retour se chargerait de vous le rappeler…

16 avril 2011

La Vie après la vie.


A l’heure où j’écris ces lignes, un cataclysme s’abat sur le Japon ; la mémoire du déluge refait surface. Des réacteurs nucléaires répandent leur invisible terreur ; le cauchemar de l’Apocalypse hante les esprits. Déjà circulent sur internet des prédictions chiffrées ; Tremblement de terre + tsunami + nucléaire = explosion finale. Elle a, nous dit-on, commencé son compte à rebours : les derniers jours sont arrivés. « Convertissez-vous » proclament certains ; « trop tard » répondent les autres.

Comment ne pas être accablé par ces images dévastatrices, par cette accumulation de souffrances qui renvoient les nôtres au niveau des inconvénients mineurs. A ce malheur sans nom, s’ajoutent les combats fratricides en Côte d’Ivoire, les attaques contre des civils en Libye, les victimes des soulèvements populaires en Tunisie et en Egypte et ces milliers de pauvres jetés sur les routes de l’exil.

Pour une fois Dieu semble avoir été épargné. On aurait pu lui attribuer les conséquences des catastrophes naturelles. « Que fait-il ton Dieu ? ». On préfère parler des risques encourus par une région dont on connaissait les dangers sismiques ou de despotismes trop longtemps tolérés parce qu’ils arrangeaient bien nos affaires.

Devant un tel désastre on reste sans voix. Face à ces soubresauts de l’histoire, on observe un silence plutôt gêné.

Par ailleurs, comment ne pas admirer la retenue des populations sinistrées, cette forme de pudeur qui s’exprime dans les attitudes et les mots, le sens du devoir de ceux qui exposent leurs vies pour préserver celles des autres ? Comment ne pas vibrer avec ces jeunes révoltés, saluer le courage de ceux qui, aujourd’hui encore, préfèrent la liberté à la vie ? Comment ne pas s’indigner de l’indécente fortune des pharaons modernes et trembler pour ceux qui affronteront d’autres dictatures ?

Mais pourquoi faut-il que chaque siècle connaisse des oppressions infâmes? Pourquoi l’expérience passée ne sert-elle jamais au présent ? Et si un jour la révolte à mains nues échouait sur le mur de la violence ? Et si les ruines et les maux nous enlevaient toute envie de redresser la tête ? Et si la terre n’avait plus d’autre perspective qu d’être un tombeau à ciel ouvert ?



La pensée de Teilhard de Chardin qui voyait l’avenir du monde comme une montée irrésistible vers une humanité spirituelle, la théorie de Marx qui préparait des lendemains qui chantent semblent s’être perdus dans les logiques financières déconnectées du simple bon sens. Le sommeil des idéologues n’est troublé que par des rêves de comptables. Alors faut-il désespérer ?

Depuis la nuit des temps les hommes scrutent le sens de la vie. Certains pensent même que cette recherche est vaine et qu’il n’y a aucun sens. La terre ? Un astre refroidi à la merci d’un soleil lui-même éphémère. L’être humain ? Dès sa naissance programmé pour mourir, un fétu de paille sur un océan de hasards. Alors à quoi bon chercher une lumière! Les événements confirment cette sombre hypothèse.

Et pourtant les hommes relèveront les ruines, défieront encore les tsunamis, chercheront à mieux maîtriser l’atome, résisteront aux oppressions de toutes sortes. Comme s’ils savaient par un instinct divin que la Vie passerait la vie, que la mort ne pouvait pas l’engloutir à jamais. Les Chrétiens croient, en effet, que la mort et le mal se sont, un certain Vendredi, épuisés sur la croix, ne pouvant faire pire que ce que les hommes ont, eux-mêmes, accompli ce jour là. Ils ont refusé la source même de la Vie, ils ont voulu définitivement éradiquer le Don de Dieu en scellant son tombeau. Mais le deuxième don, le pardon du Père, la pierre n’a pas pu le retenir. Le tombeau s’est ouvert et il est devenu berceau d’une naissance nouvelle. Le Christ est ressuscité !

Les cimetières peuvent recouvrir la terre ; ce sont désormais des cimetières de tombes ouvertes. C’est peut être la bonne nouvelle qu’échangent, tous les matins, deux petites hirondelles juchées sur leur fil. A leur façon, elles anticipent un joyeux ALLELUIA !

07 février 2011

Séculier, sécularisation, sécularisme
« En de nombreuses occasions, j'ai parlé des générations : la mienne, celle qui m'a précédé, les générations futures. C'est pour moi le nœud crucial de la situation actuelle. Certes, le passage d'une génération à l'autre a toujours posé des problèmes d'adaptation, mais ce que nous vivons aujourd'hui est tout à fait particulier.
Le thème de la sécularisation devrait nous aider, là aussi, à mieux comprendre. Elle a connu une accélération sans précédent au cours des années 60. Pour les hommes de ma génération et plus encore pour ceux qui m'ont précédé, souvent nés et élevés dans un milieu chrétien, elle a constitué une découverte essentielle, la grande aventure de leur vie. Ils en sont donc arrivés à interpréter "l’ouverture au monde" souhaitée par le concile Vatican II comme une conversion à la sécularisation.
C'est ainsi que nous avons vécu, ou même favorisé, une auto-sécularisation extrêmement puissante dans la plupart des églises occidentales. »
Ces propos sont extraits d’un discours de Mgr Bruguès, aux recteurs des séminaires pontificaux. Mgr Bruguès a 66 ans, dominicain, évêque d'Angers jusqu'en 2007, il est secrétaire de la congrégation pour l'éducation catholique, vice-président de l'œuvre pontificale des vocations sacerdotales et membre de la commission pour la formation des candidats au sacerdoce. Il fait par ailleurs partie de l'Académie pontificale Saint Thomas d'Aquin.
Sécularisation : ce terme revient sans cesse dans les documents ecclésiastiques. A son évocation, les conférenciers prennent une mine déconfite, lèvent les yeux au ciel, et soupirent profondément. Le mot désigne le nouveau péché originel de la fin du 20ème siècle et par conséquent l’explication facile de tous les maux. « Ils n’en mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ».
De quoi parlons-nous ? Tout d’abord, lorsque l’on parle de « séculier » on désigne la spécificité de la mission du fidèle laïc qui vit et témoigne de sa Foi dans le siècle, dans la société de son temps.
Ensuite, on désigne le prêtre « séculier » par rapport à celui qui vit sous la règle, le « régulier ».
Quant à la sécularisation et au sécularisme, il faut demander à l’esprit subtil du pape Paul VI de nous éclairer sur la distinction à faire. Voici ce qu’il dit dans son encyclique Evangelii Nuntiandi : « D’une part, on est obligé de constater au cœur même de ce monde contemporain le phénomène qui devient presque sa marque la plus frappante : le sécularisme. Nous ne parlons pas de cette sécularisation qui est l’effort en lui-même juste et légitime, nullement incompatible avec la foi ou la religion, de déceler dans la création, en chaque chose ou en chaque événement de l’univers, les lois qui les régissent avec une certaine autonomie, dans la conviction intérieure que le Créateur y a posé ces lois. Le récent Concile a affirmé, en ce sens, l’autonomie légitime de la culture et particulièrement des sciences. Nous envisageons ici un véritable sécularisme : une conception du monde d’après laquelle ce dernier s’explique par lui-même sans qu’il soit besoin de recourir à Dieu ; Dieu devenu ainsi superflu et encombrant. Un tel sécularisme, pour reconnaître le pouvoir de l’homme, finit donc par se passer de Dieu et même par renier Dieu. » (55)


D’après Paul VI, la sécularisation n’est donc pas une maladie de la société. Elle est même nécessaire à son développement et à celui de l’homme comme Benoît XVI le reconnaît dans son encyclique « Caritas in Veritate », car répondant pleinement à sa vocation humaine.
Employer ce terme uniquement sous son aspect négatif qui convient au « sécularisme » en l’appliquant à l’Eglise, entretient le soupçon que tout effort d’insertion dans le siècle, toute reconnaissance de notre appartenance à notre temps est passible de trahison de la Foi. Ne pourrait-on pas reprendre simplement l’avertissement de Jésus : « Vous êtes dans ce monde, vous n’êtes pas du monde » ?
J’appartiens à cette génération qui, d’après le responsable romain, s’est « convertie à la sécularisation.» J’ai connu comme lui une Eglise de chrétienté dans laquelle le prêtre était l’homme du sacré.
Mais, déjà, de nombreux curés revenus de la guerre et de la captivité pratiquaient avec leurs paroissiens cette fraternelle proximité qu’ils avaient connue dans des conditions effroyables de promiscuité imposée. L’Action Catholique avait renforcé cette image du prêtre accompagnateur plus que pontife. Ma génération a mis ses pas dans ceux de ces pionniers. Nous ne nous sommes pas « convertis à la sécularisation », mais nous avons voulu simplement rendre le message évangélique désirable et abordable. Nous avons voulu donner au prêtre un visage chaleureux et un cœur miséricordieux.
Avons-nous passé sous silence les exigences de toute fidélité ? Avons-nous dépassé certaines limites ? Peut-être. Avons-nous émoussé le tranchant de la Parole en mettant en exergue un Jésus humain et ami des hommes et femmes de son temps ? Avons-nous pactisé avec le sécularisme de la société ? Je ne sais.
Je sais cependant que l’Eglise a bien profité de la sécularisation. Celle-ci a permis les grands voyages missionnaires, la fixation des textes dans l’écriture, la transmission du message chrétien à travers les langues et les schémas de pensée des diverses cultures, sans parler du foisonnement des rites, des musiques, des architectures que l’Eglise a charriés avec elle en traversant les siècles.
Va-t-on un jour reprocher au Pape Jean XXIII d’avoir laissé pousser une moustache bien séculière lorsqu’il était infirmier pendant la Première Guerre Mondiale ? Demandera-t-on des comptes à Jean Paul II parce qu’il a largement utilisé les couloirs aériens et les avions les plus performants ? Ne sera-t-il pas soupçonné un jour d’avoir succombé, entraîné par son siècle, au culte de la personnalité quand il rassemblait les foules ? Et les prêtres du XXI ème siècle qui lisent leur office sur leur ordinateur de poche pensent-ils qu’ils participent ainsi à une « conversion à la sécularisation » de leur prière ? Pour éviter l’intoxication, faut-il cesser de se nourrir ? Pour ne pas risquer le sécularisme, n’aurons-nous d’autres solutions que la fuite de ce siècle ou le combat contre la société?
Ce que je sais, enfin, c’est que le Christ lui-même, a remarqué que les foules qui le suivaient ne furent pas présentes lors du dernier rendez-vous sur la Croix ; que Saint Pierre et les disciples avec lui ont été lents à s’engager dans la montée vers le calvaire; qu’il y a donc toujours un temps où l’attirance, l’enthousiasme, la sympathie, l’empathie avec le siècle et le monde rencontrent la contradiction, le refus, le péché, la trahison, l’épine, les clous et la lance. Toute religion a ses suiveurs et ses martyrs, mais ces derniers se recrutent dans les premiers.
Sous prétexte de restaurer les figures d’un chrétien « attestataire » et celle d’un prêtre homme de contestation et même d’opposition, prenons garde de ne pas renvoyer tous ceux et celles qui ont cru à travers notre proximité que le message de Jésus était pour eux une Bonne Nouvelle, même s’ils n’ont bu la coupe que du bout des lèvres ? N’y aurait-il pas, de nouveau, tentation d’une religion des purs ? D’ailleurs qui peut dire, sauf Lui, avoir bu la coupe jusqu’à la lie ?

29 décembre 2010

« Cherche logement sans confort avec vue sur l’Etoile » ou les paradoxes de Noël.




L’Invisible se rend visible. Mais comment ? Dieu se fait homme, fils de charpentier. On aurait pu s’attendre à mieux.

Le Fils de Dieu naît d’une vierge. La Parole fracassante du Sinaï se fait faible vagissement de nourrisson. L’obscurité de la nuit du monde s’éclaire d’un astre nouveau. Le silence des parents de l’enfant et des bergers est troublé par la louange de « troupes célestes d’anges ».



Dieu épouse l’humanité,

La Parole se tait,

Le silence chante,

La nuit s’éclaire.



Devenu adulte, l’enfant de Nazareth cultive encore le paradoxe. Au muet qu’Il guérit, Il commande la discrétion. Devant la couronne qu’on Lui propose, Il décline l’offre. A la face éblouissante de la Transfiguration succède le visage tuméfié du crucifié. Pourtant, Il sait imposer le silence aux puissances du mal. Il élève la voix quand Il chasse les vendeurs du Temple, lorsqu’Il apostrophe scribes et pharisiens, ou qu’Il enseigne les foules. Il se réfugie dans la solitude de la montagne et apparaît quand on ne l’attend pas.



Alertée par le deuxième rapport de Mgr Dagens et en conformité avec Rome qui s’inquiète d’une éclipse prolongée de la Foi en Occident, l’Eglise de France lance le mot d’ordre de la visibilité en contestation et même en contradiction avec le monde contemporain. Après le rapprochement avec les hommes et les femmes de leur temps que certains estimaient être le fruit du Concile Vatican II, voici que l’heure est venue d’enlever le boisseau qui cachait la lampe pour la « mettre sur le lampadaire » (Mt 5,13-16).



Simple oscillation du balancier de l’histoire ? Heureuse imitation de l’alternance des trente ans de vie cachée et des trois ans de vie publique ? Bonne stratégie pastorale qui répond ainsi à un besoin urgent de repères dont nos contemporains ont besoin ? Question d’expérience ou de pédagogie ? En effet on n’éclaire bien qu’à bonne distance de l’objet : ni trop près ni trop loin. Il y avait, ainsi, dans certaines cuisines anciennes des sortes de plafonniers qui grâce à un subtil mécanisme de poulies et de contrepoids permettaient à l’unique lampe de la pièce de changer de position selon l’intensité de clarté désirée.



Je crains que ces analyses, entendues ici ou là, ne conduisent les chrétiens à opposer deux postures et à s’enfermer dans des affrontements stériles car elles réduisent le mystère du Dieu fait homme à nos infirmes schémas mentaux. Or, ce que nous avons dit de Noël et de Jésus nous montre bien qu’il existe simultanément dans l’Evangile, l’usage des mots et le recours au silence, la nuit acceptée et la lumière rayonnée, le cri d’effroi de la Passion et la prière murmurée. Autrement dit, Dieu ne suit aucune stratégie, ne s’enferme ni dans des mots, ni dans des écrits, ni dans des images, ni dans le visible ni dans l’invisible, ni dans une attitude ni dans une autre. Il fait exploser toutes nos étroites catégories et c’est pour cela que nous le trouvons paradoxal.

La lumière éblouissante du Thabor éclaire, la nuit du tombeau vide fait signe, la veilleuse du tabernacle peut illuminer. L’enfouissement n’est pas nécessairement incarnation, l’étalage médiatique n’est pas obligatoirement visibilité, le signe écrit n’engendre pas forcément la lisibilité, la communication ne suffit pas à l’évangélisation. L’éclat du plein jour peut produire un trompeur effet de brillant qui capte sur lui la lumière. La Caritas, elle, rayonne de l’intérieur de jour comme de nuit, elle est notre seule véritable visibilité.



Dieu s’est fait homme… et tout l’homme et tous les hommes ne diront jamais tout de ce Dieu là et ne verront jamais qu’un pan de son ombre ; comme celle qui toucha son manteau, il nous suffit – paradoxalement - de nous laisser couvrir par elle pour devenir visibles.

15 décembre 2010

Indifférence, patience, urgence




« Frères en attendant la venue du Seigneur, ayez de la patience. » (Jc 5,7)



Le givre a saupoudré l’herbe des champs. La brume plaque au sol le ciel d’hiver. Les chênes de la forêt encore engourdie étirent leurs bras dénudés. Comme chaque matin, l’astre solaire s’installe dans l’échancrure de la colline boisée et s’apprête à entamer sa ronde étincelante.

« Pourquoi cette constance imperturbable dans la révolution des astres ? » se demande le spectateur ébloui. « Pourquoi la vie s’offre-t-elle chaque jour à l’indifférence de nos petits tracas quotidiens ? Pourquoi ce réveil de la nature assuré chaque matin, l’offrande d’un jour nouveau, le cadeau d’une année supplémentaire ? »

Parce que, depuis le fameux déluge qui épargna Noé, la patience de Dieu résiste à tous les flots et à toutes les fureurs. « Plus jamais je ne détruirai la terre » promit-Il alors. Il aurait pu ajouter : « L’homme s’en chargera bien tout seul ».

Et Pierre d’expliquer : « C’est pour nous qu’Il patiente : car Il n’accepte pas d’en laisser quelques-uns se perdre, mais il veut que tous aient le temps de se convertir » (2P 3,9).

Faut-il oser dire, en ce temps de l’Avent : « C’est Dieu qui attend en premier que nous nous décidions à lui accorder attention ; et c’est encore LUI qui, envers et contre tout, croit que l’homme ne le décevra pas. C’est lui qui a la Foi ! »

Un jour nouveau t’est accordé et déjà une voix mielleuse te susurre : « Profites-en, mange et bois, fais la fête, enivre-toi de puissance, rassasie-toi de plaisirs… Pense à toi ! »

Une autre voix amicale, mais ferme, te suggère : « Il en était ainsi aux jours de Noé…et les gens ne se doutèrent de rien jusqu’à l’arrivée du déluge… tel sera l’avènement du Fils de l’Homme…. Veillez donc, parce que vous ne savez pas quel jour va venir votre Maître » (Mt 24, 37)

Alors, au lieu d’attendre que demain ne la surprenne comme un voleur, offre ta vie dès ce matin à « L’astre d’en haut qui vient nous visiter en illuminant nos ténèbres (Lc1)» et en dérangeant ton indifférence. Il y a urgence !

NB Ami lecteur l’emploi de la deuxième personne du singulier n’est pas de ma part familiarité déplacée mais volonté délibérée de me placer parmi les destinataires de ces messages.

30 novembre 2010

La quête épuisante d’une source inépuisable.




Pour exister tout homme, toute femme a besoin d’être reconnu nous disent les psy. Traduction : chacun de nous sait qu’il a besoin d’être aimé et emploie tous les moyens pour y parvenir.



Les uns font dans l’extensif et cherchent l’adhésion des foules. Le suffrage universel, l’applaudimètre, la fréquence des titres sur papier glacé ou sur écran pourvoient à cette satisfaction parfois démesurée.



D’autres cultivent l’intensif des cercles restreints, des réseaux d’initiés, de l’élite choisie. La connaissance de quelques personnalités « bien placées » et citées à tout propos dans la conversation suffit à leur bonheur.



D’autres, enfin, se cantonnent dans l’exclusif. Sans lui, sans elle, le monde m’est insupportable. Je l’aime jusqu’à l’étouffer.

Un jour arrive où l’urne vous trompe avec l’adversaire, l’image tombe dans la corbeille, où les personnalités oublient votre adresse, où l’oiseau s’échappe de la cage grillagée.

Alors nous voilà amers, aigris, fuyant l’ombre de ce que nous étions, mais guettant cependant par la lucarne la moindre main qui se tendrait, le moindre sourire qui se souviendrait, la moindre parole qui nous relèverait.



Pour exister il faut être aimé.



Sachant cela, il n’y a donc rien de plus urgent, de plus utile, de plus humain que d’aimer en premier. C’est le renversement de perspective que le Christ a opéré. Si je cherche d’abord à être aimé, ce qui est la tendance naturelle, il y a de fortes chances que je m’épuise dans l’entretien de la courtisanerie obséquieuse, de la sympathie affichée ou protocolaire, de l’adulation servile, de la flagornerie bruyante.



Si je me consacre à aimer, d’abord, sans calcul, sans réserve, alors je risque de m’exposer, en retour, à la libre amitié de véritables frères comme à la haine recuite de tous les naufragés de l’amour exigé.



C’est à ce perpétuel renversement, cette conversion sans cesse à refaire que nous invite la période de l’Avent. Elle nous met en attente de Celui qui s’est fait amour avant même de chercher à être aimé parce qu’Il avait trouvé en son Père une réserve originelle et inépuisable de don et de pardon.

08 novembre 2010

Aux paysans, fiers de l’être, que je connais…




« L’Eglise s’intéresse à la crise agricole » tel était le message que voulait transmettre une rencontre organisée à l’initiative de l’Observatoire diocésain de la vie politique et sociale dans les Pyrénées Atlantiques. Exercice bien méritoire et délicat tant la profession est à fleur de peau et l’Eglise attendue au tournant. Pour ce faire, on avait réuni les compétences d’un éminent spécialiste de l’agriculture mondiale, d’un ancien responsable des jeunes agriculteurs qui se fait les dents dans l’engagement politique, de deux responsables d’associations et d’un président départemental de la Coordination rurale qui s’abritaient sous le vaste parapluie du bon Pasteur Benoît XVI et de son encyclique « Caritas in Veritate ».

De la vérité, Jean Sulivan disait qu’elle ressemblait à une verrière tombée à terre. Chacun se baisse, en ramasse un morceau, le brandit en disant : « J’ai la Vérité ».

Chacun, en effet, a profité de la tribune offerte pour distiller avec plus ou moins de transparence sa vérité. Une fois de plus, nombre d’interventions reprenaient la chanson qui fait fureur dans les étables et sur les tracteurs : « Tout le monde nous en veut » :

- La mondialisation et l’Europe. Celle-ci est passée presque sous silence, comme si l’Europe fondée par les moines paysans et le sang versé par des générations de paysans soldats, pouvait superbement ignorer l’avidité et les attaques des propriétaires des capitaux internationaux.

- Le personnel politique qui ne comprend rien à l’agriculture, comme si les paysans n’avaient pas essayé et réussi eux-mêmes à entrer en politique depuis des lustres en investissant tous les partis, du Front National à l’extrême gauche.

- Les écologistes prétentieux, comme si les agriculteurs ne savaient pas que la terre ne leur appartenait pas et qu’elle était le bien commun de tous.

- Les consommateurs qui ne veulent pas payer leur nourriture à son juste prix comme si la production agricole (« Vivre de notre produit !») n’était pas un produit tout à fait spécial, celui qui donne la vie à tous, y compris aux plus pauvres.

- Le gouvernement, qui a la prétention d’encadrer l’agriculture, comme si un homme d’état qui se respecte pouvait laisser « l’arme » alimentaire entre les mains d’autres pouvoirs que la sienne.

- Et pour couronner le tout, cette hideuse idée de cogestion qui a fait d’un syndicat le collaborateur de politiques productivistes mais dont personne à ce jour n’a refusé les impures subventions que cette infâme collusion avait générées.



« Tout le monde nous en veut ! Et après !». Que les politiques agricoles aient fait d’énormes dégâts, que les consommateurs soient inconséquents, que certains leaders profitent de leur position pour se tailler un destin national, que les coopératives n’honorent plus leur nom, j’en conviens. Est-ce une raison pour entonner toujours le même refrain? Nous sommes un certain nombre à espérer chaque fois du nouveau de telles rencontres et à revenir quelque peu déçus et lassés. Où était le souffle novateur ? Qui a proposé des alternatives concrètes innovantes ? Y avait-il une véritable recherche de la vérité quand la Coordination a pris deux fois la parole, que la voix de la Confédération paysanne dont deux représentants ont pris ostensiblement la porte a été oubliée et que la FDSEA ou les JA 64 n’étaient pas représentés en tant que tels ? Qui a osé parler du manque de solidarité au sein même de la profession ?



Et surtout, que penser de la quasi-absence de la voix des femmes ? Or, messieurs, la métamorphose de la société rurale qui englobe le monde agricole se fait aujourd’hui et se fera encore plus demain par les femmes. Durant les deux dernières guerres elles ont maintenu les campagnes en vie pendant que leurs hommes défendaient les frontières. Ce sont elles qui, aujourd’hui, sont les actrices principales de la diversification de la profession agricole, et qui sont à l’origine de multiples initiatives de la vie sociale et paroissiale des cantons ruraux. Enfin, elles sont souvent à l’initiative des « nouveaux styles de vie » que le Pape appelle de ses vœux dans sa dernière encyclique. Et tout ceci, parce que les femmes ont une affinité essentielle avec le monde de la terre, du vivant, de la nourriture : elles savent ce qu’est la vie à son origine.

La « famille agricole » qui sait si bien hausser le ton quand il le faut et se déchirer quand il ne faudrait pas, aurait tout intérêt à écouter et à donner la parole à ses « pionnières » dont M. TH. Lacombe a fait le sujet de son dernier ouvrage.

A moins que le silence ne soit l’arme la meilleure pour garder sa « liberté paysanne » quand de mâles commandos trop attentionnés veulent nous apprendre à bien penser pour notre plus grand bonheur !!

Tel est, pour aujourd’hui, mon morceau de vérité. Il va certainement en heurter beaucoup d’autres mais le grand Ajusteur, s’il le veut bien, lui trouvera une place dans la verrière agricole en reconstitution ou dans une autre en préparation…En attendant, merci à tous les paysans, et ils sont encore nombreux chez nous, qui n’ont pas rougir de leur métier et qui ne se sentent pas les victimes du monde entier.

Jeancasanave.blogspot.com