15 décembre 2010

Indifférence, patience, urgence




« Frères en attendant la venue du Seigneur, ayez de la patience. » (Jc 5,7)



Le givre a saupoudré l’herbe des champs. La brume plaque au sol le ciel d’hiver. Les chênes de la forêt encore engourdie étirent leurs bras dénudés. Comme chaque matin, l’astre solaire s’installe dans l’échancrure de la colline boisée et s’apprête à entamer sa ronde étincelante.

« Pourquoi cette constance imperturbable dans la révolution des astres ? » se demande le spectateur ébloui. « Pourquoi la vie s’offre-t-elle chaque jour à l’indifférence de nos petits tracas quotidiens ? Pourquoi ce réveil de la nature assuré chaque matin, l’offrande d’un jour nouveau, le cadeau d’une année supplémentaire ? »

Parce que, depuis le fameux déluge qui épargna Noé, la patience de Dieu résiste à tous les flots et à toutes les fureurs. « Plus jamais je ne détruirai la terre » promit-Il alors. Il aurait pu ajouter : « L’homme s’en chargera bien tout seul ».

Et Pierre d’expliquer : « C’est pour nous qu’Il patiente : car Il n’accepte pas d’en laisser quelques-uns se perdre, mais il veut que tous aient le temps de se convertir » (2P 3,9).

Faut-il oser dire, en ce temps de l’Avent : « C’est Dieu qui attend en premier que nous nous décidions à lui accorder attention ; et c’est encore LUI qui, envers et contre tout, croit que l’homme ne le décevra pas. C’est lui qui a la Foi ! »

Un jour nouveau t’est accordé et déjà une voix mielleuse te susurre : « Profites-en, mange et bois, fais la fête, enivre-toi de puissance, rassasie-toi de plaisirs… Pense à toi ! »

Une autre voix amicale, mais ferme, te suggère : « Il en était ainsi aux jours de Noé…et les gens ne se doutèrent de rien jusqu’à l’arrivée du déluge… tel sera l’avènement du Fils de l’Homme…. Veillez donc, parce que vous ne savez pas quel jour va venir votre Maître » (Mt 24, 37)

Alors, au lieu d’attendre que demain ne la surprenne comme un voleur, offre ta vie dès ce matin à « L’astre d’en haut qui vient nous visiter en illuminant nos ténèbres (Lc1)» et en dérangeant ton indifférence. Il y a urgence !

NB Ami lecteur l’emploi de la deuxième personne du singulier n’est pas de ma part familiarité déplacée mais volonté délibérée de me placer parmi les destinataires de ces messages.

30 novembre 2010

La quête épuisante d’une source inépuisable.




Pour exister tout homme, toute femme a besoin d’être reconnu nous disent les psy. Traduction : chacun de nous sait qu’il a besoin d’être aimé et emploie tous les moyens pour y parvenir.



Les uns font dans l’extensif et cherchent l’adhésion des foules. Le suffrage universel, l’applaudimètre, la fréquence des titres sur papier glacé ou sur écran pourvoient à cette satisfaction parfois démesurée.



D’autres cultivent l’intensif des cercles restreints, des réseaux d’initiés, de l’élite choisie. La connaissance de quelques personnalités « bien placées » et citées à tout propos dans la conversation suffit à leur bonheur.



D’autres, enfin, se cantonnent dans l’exclusif. Sans lui, sans elle, le monde m’est insupportable. Je l’aime jusqu’à l’étouffer.

Un jour arrive où l’urne vous trompe avec l’adversaire, l’image tombe dans la corbeille, où les personnalités oublient votre adresse, où l’oiseau s’échappe de la cage grillagée.

Alors nous voilà amers, aigris, fuyant l’ombre de ce que nous étions, mais guettant cependant par la lucarne la moindre main qui se tendrait, le moindre sourire qui se souviendrait, la moindre parole qui nous relèverait.



Pour exister il faut être aimé.



Sachant cela, il n’y a donc rien de plus urgent, de plus utile, de plus humain que d’aimer en premier. C’est le renversement de perspective que le Christ a opéré. Si je cherche d’abord à être aimé, ce qui est la tendance naturelle, il y a de fortes chances que je m’épuise dans l’entretien de la courtisanerie obséquieuse, de la sympathie affichée ou protocolaire, de l’adulation servile, de la flagornerie bruyante.



Si je me consacre à aimer, d’abord, sans calcul, sans réserve, alors je risque de m’exposer, en retour, à la libre amitié de véritables frères comme à la haine recuite de tous les naufragés de l’amour exigé.



C’est à ce perpétuel renversement, cette conversion sans cesse à refaire que nous invite la période de l’Avent. Elle nous met en attente de Celui qui s’est fait amour avant même de chercher à être aimé parce qu’Il avait trouvé en son Père une réserve originelle et inépuisable de don et de pardon.

08 novembre 2010

Aux paysans, fiers de l’être, que je connais…




« L’Eglise s’intéresse à la crise agricole » tel était le message que voulait transmettre une rencontre organisée à l’initiative de l’Observatoire diocésain de la vie politique et sociale dans les Pyrénées Atlantiques. Exercice bien méritoire et délicat tant la profession est à fleur de peau et l’Eglise attendue au tournant. Pour ce faire, on avait réuni les compétences d’un éminent spécialiste de l’agriculture mondiale, d’un ancien responsable des jeunes agriculteurs qui se fait les dents dans l’engagement politique, de deux responsables d’associations et d’un président départemental de la Coordination rurale qui s’abritaient sous le vaste parapluie du bon Pasteur Benoît XVI et de son encyclique « Caritas in Veritate ».

De la vérité, Jean Sulivan disait qu’elle ressemblait à une verrière tombée à terre. Chacun se baisse, en ramasse un morceau, le brandit en disant : « J’ai la Vérité ».

Chacun, en effet, a profité de la tribune offerte pour distiller avec plus ou moins de transparence sa vérité. Une fois de plus, nombre d’interventions reprenaient la chanson qui fait fureur dans les étables et sur les tracteurs : « Tout le monde nous en veut » :

- La mondialisation et l’Europe. Celle-ci est passée presque sous silence, comme si l’Europe fondée par les moines paysans et le sang versé par des générations de paysans soldats, pouvait superbement ignorer l’avidité et les attaques des propriétaires des capitaux internationaux.

- Le personnel politique qui ne comprend rien à l’agriculture, comme si les paysans n’avaient pas essayé et réussi eux-mêmes à entrer en politique depuis des lustres en investissant tous les partis, du Front National à l’extrême gauche.

- Les écologistes prétentieux, comme si les agriculteurs ne savaient pas que la terre ne leur appartenait pas et qu’elle était le bien commun de tous.

- Les consommateurs qui ne veulent pas payer leur nourriture à son juste prix comme si la production agricole (« Vivre de notre produit !») n’était pas un produit tout à fait spécial, celui qui donne la vie à tous, y compris aux plus pauvres.

- Le gouvernement, qui a la prétention d’encadrer l’agriculture, comme si un homme d’état qui se respecte pouvait laisser « l’arme » alimentaire entre les mains d’autres pouvoirs que la sienne.

- Et pour couronner le tout, cette hideuse idée de cogestion qui a fait d’un syndicat le collaborateur de politiques productivistes mais dont personne à ce jour n’a refusé les impures subventions que cette infâme collusion avait générées.



« Tout le monde nous en veut ! Et après !». Que les politiques agricoles aient fait d’énormes dégâts, que les consommateurs soient inconséquents, que certains leaders profitent de leur position pour se tailler un destin national, que les coopératives n’honorent plus leur nom, j’en conviens. Est-ce une raison pour entonner toujours le même refrain? Nous sommes un certain nombre à espérer chaque fois du nouveau de telles rencontres et à revenir quelque peu déçus et lassés. Où était le souffle novateur ? Qui a proposé des alternatives concrètes innovantes ? Y avait-il une véritable recherche de la vérité quand la Coordination a pris deux fois la parole, que la voix de la Confédération paysanne dont deux représentants ont pris ostensiblement la porte a été oubliée et que la FDSEA ou les JA 64 n’étaient pas représentés en tant que tels ? Qui a osé parler du manque de solidarité au sein même de la profession ?



Et surtout, que penser de la quasi-absence de la voix des femmes ? Or, messieurs, la métamorphose de la société rurale qui englobe le monde agricole se fait aujourd’hui et se fera encore plus demain par les femmes. Durant les deux dernières guerres elles ont maintenu les campagnes en vie pendant que leurs hommes défendaient les frontières. Ce sont elles qui, aujourd’hui, sont les actrices principales de la diversification de la profession agricole, et qui sont à l’origine de multiples initiatives de la vie sociale et paroissiale des cantons ruraux. Enfin, elles sont souvent à l’initiative des « nouveaux styles de vie » que le Pape appelle de ses vœux dans sa dernière encyclique. Et tout ceci, parce que les femmes ont une affinité essentielle avec le monde de la terre, du vivant, de la nourriture : elles savent ce qu’est la vie à son origine.

La « famille agricole » qui sait si bien hausser le ton quand il le faut et se déchirer quand il ne faudrait pas, aurait tout intérêt à écouter et à donner la parole à ses « pionnières » dont M. TH. Lacombe a fait le sujet de son dernier ouvrage.

A moins que le silence ne soit l’arme la meilleure pour garder sa « liberté paysanne » quand de mâles commandos trop attentionnés veulent nous apprendre à bien penser pour notre plus grand bonheur !!

Tel est, pour aujourd’hui, mon morceau de vérité. Il va certainement en heurter beaucoup d’autres mais le grand Ajusteur, s’il le veut bien, lui trouvera une place dans la verrière agricole en reconstitution ou dans une autre en préparation…En attendant, merci à tous les paysans, et ils sont encore nombreux chez nous, qui n’ont pas rougir de leur métier et qui ne se sentent pas les victimes du monde entier.

Jeancasanave.blogspot.com

25 septembre 2010

Les romanichels


Un claquement cadencé de sabots ferrés, le grincement inquiétant d’essieux
mal ajustés, le bruit d’un bric à brac mal arrimé, et déjà tous les écoliers
se suspendent aux grilles de la cour de récréation qui longe l’unique rue du
village. Une haridelle hors d’âge, une roulotte ajourée, des têtes d’enfants
barbouillées, un homme dépenaillé aux commandes de l’attelage, deux chiens
efflanqués traînant leur peine et leur fidélité sous la cabane à roulettes : les bohémiens
sont là ! Ils vont s’installer comme chaque année sur la petite place qui
jouxte ma maison familiale et j’aurais tout le temps de les observer.
Le soir venu, le cheval dételé broute l’herbe du fossé, deux poules en
liberté surveillée grattent le sol, les chiens sont déjà en quête de
quelques restes et les gamins, difficiles à compter, tournent autour d’une
jeune femme brune qui aménage les alentours. Le père au teint cuivré dispose ses outils.

Demain, il ira dans les maisons à la recherche de vieilles casseroles ou de
chaudrons fatigués pour les rétamer ou les rapiécer. Sa femme présentera
les paniers en osier de sa dernière fabrication et quémandera quelques œufs
ou du lait pour sa maisonnée. En attendant, le tuyau percé du poêle émet un
filet de fumée. Le vent et la pluie flagellent les planches disloquées de la
maison portative.

D’où viennent ces étranges créatures qui parlent et jurent dans une langue
inconnue ? Libres comme l’air, les enfants ne vont pas à l’école ! Quelle
chance ont-ils de connaître le monde, de mener le cheval à leur guise, de
monter aux arbres comme les acrobates du cirque ! Pas d’horaires, pas de révisions,
pas de devoirs, pas de punitions ! La belle vie ! Le menu du soir n’a pas l’air
de les préoccuper et pour cause : il sera léger. Songeront-ils dans leur sommeil d’enfant à la douce chaleur des étables, aux soupes fumantes des tables garnies, aux cahiers bien remplis d’écriture soignée?
Qui l’emportera dans la tête du sage écolier: la fascination pour l’étrange ou la répulsion pour une vie de misère ? Le rêve aura longtemps le dessus.
Le lendemain, Monsieur l’Instituteur nous apprendra qu’il ne faut pas dire « Bohémiens » mais
" Romanichels ». Monsieur le Curé nous rappellera qu’ils sont eux aussi « enfants de Dieu ».

La rossinante et la roulotte ont disparu. Casseroles et chaudrons n’ont plus
besoin de la protection de l’étain. Curieusement, les paniers ont des
roulettes et chacun a appris à pousser sa petite roulotte dans les hypermarchés.

Caravanes et cylindrées s’entassent dans des aires de « stockage »
ou de passage…Elles ne font plus rêver les enfants des écoles, ni leurs
parents.

Hormis l’origine du mot, les roms d’aujourd’hui, n’ont rien à voir avec les fils du vent ou du bitume. Traîne-misère chez eux, ils ont échoué du côté des déchets industriels de nos grandes villes. Eux qui rêvaient d’une autre vie sont devenus, semble-t-il, le cauchemar du gouvernement.

Mon père Abraham, était, me dit l’Ecriture un « Araméen errant ». Lui, parvient encore à me faire rêver…Pharaon voulut l’éliminer, le vagabond lui échappa. Le souverain déifié nous laissa les écrasantes pyramides ; le nomade, la liberté des enfants de Dieu. Mais, qui racontera aux enfants des campements sordides, l’histoire du Père dans la Foi pour leur rendre dignité, fierté et sens des responsabilités ?

07 septembre 2010

L’Eglise doit-elle intervenir dans les questions sociales? Lectures pour temps de crise.




L’enseignant comme le cultivateur profite de l’été pour mettre de côté les provisions dont il aura besoin le reste de l’année. En vue des futures formations à proposer, il doit largement moissonner pour ne retenir parfois que quelques ingrédients nécessaires à sa réflexion. Parmi mes lectures ou mes relectures de l’été, je me permets d’en signaler deux.

A tout Seigneur tout honneur, Benoît XVI et son encyclique sociale « Caritas in Veritate ». Je l’avais déjà lue avec le sentiment d’avoir affaire une fois de plus à un empilage de citations de ses prédécesseurs et à une simple actualisation de principes répétés chaque pontificat. Ayant à présenter son thème central qui est celui du développement, je l’ai relue minutieusement complétée par de multiples commentaires. Nous avons là une véritable somme de la doctrine sociale de l’Eglise. Le Pape, en professeur magistral, nous offre une vaste synthèse à la fois théologique et sociale de ce qu’implique la pratique de l’amour du prochain. Deux innovations de taille dans la pensée de l’Eglise.

1- La charité ne peut faire fi de la réflexion et de la raison, sinon elle vire au sentimentalisme éphémère qui ne s’inscrit pas dans le concret et dans le durable.

2- L’économie mondiale ne peut oublier la gratuité car à l’origine, tout est don : Un encouragement à toutes les initiatives qui essaient de conjuguer le profit et le développement du partenaire. Mais l’éthique ne se décrète pas sur simple étiquette.

Une fois assurés ces deux principes, le texte déploie l’ensemble des activités humaines, y compris les plus inattendues, pour en dégager la dimension sociale et charitable. Aussi une mère de famille, un médecin, un entrepreneur, un artisan, un paysan, un économiste, un maire, un journaliste, un humanitaire, un député, un écologiste peuvent tirer partie de cette lecture qui suppose cependant une petite introduction.



A tous ceux et celles qui déplorent parfois que les chrétiens ne soient pas plus actifs face à la misère du monde et qui se contentent de lever chaque fois le drapeau de l’abbé Pierre ou de mère Thérésa, je conseille la lecture de « Justice dans la peau, géopolitique de l’action humanitaire » écrit par Denis Viénot, ancien président de la Caritas internationale (édition DDB). Le nombre de réalisations soutenues par les Caritas locales (comme notre Secours Catholique) et l’expertise qui découle de ces expériences vous coupent le souffle. Et ceci n’est qu’une partie de l’action menée par l’ensemble des organismes d’inspiration chrétienne de par le monde.

Cet ouvrage est un bon complément de l’encyclique et son abord est plus facile. On peut cependant regretter que tous ces organismes ne fassent pas plus de tapage dans les médias. Mais nous savons depuis quelques temps qu’on ne peut pas occuper les écrans et travailler en profondeur, et, depuis encore plus longtemps, que « le bien ne fait pas de bruit ».

A propos, saviez- vous que le fondateur des banques alimentaires en France est un chrétien inspiré en cela par l’action d’une religieuse? Merci Bernard Dandrel.

06 juillet 2010

Le bon chemin




A l’occasion de l’année jacquaire, le Conseil Général des Pyrénées Atlantiques a voulu honorer la petite ville de Navarrenx, halte très appréciée des pèlerins de Compostelle. Un débat réunissait deux Jacques célèbres : Jacques Rigoud, qui a assumé de hautes

fonctions dans le domaine de la culture et de la communication, et Jacques

Barrot, ancien commissaire européen et membre du Conseil Constitutionnel.

Ils étaient accompagnés d’une journaliste écrivain, Alix de Saint André et de

l’abbé Ihidoy, ancien curé de la cité et initiateur de l’accueil des

marcheurs. Thème de la table ronde : « Le bon chemin. »



Comme il fallait s’y attendre, chaque intervenant a présenté le sien comme

le « bon « , Jacques Rigoud défendant celui de la lenteur et de la durée avec

des mots soigneusement choisis et des analyses d’une grande sagesse. Sous les

pierres du chemin de Jacques Barrot pointait la passion, politique bien sûr,

qui se nourrit de vastes horizons. La journaliste, la seule à avoir parcouru

l’itinéraire et cela par trois fois, fit l’éloge des sentiers de traverses

où l’on se retrouve toujours, tandis que Sébastien Ihidoy, n’écoutant que

son cœur de pasteur rassembleur, qualifiait tous ces routiers de

« chercheurs d’une étoile. » Mais de quelle étoile ?



Tous s’accordaient à dire, comme le poète Machado, que le chemin se

fait en marchant :

« Caminante son tus huellas,

el camino, y nada mas…

se hace el camino al andar.

Al andar se hace el camino… » et si tu regardes derrière toi, tu vois une

trace que nul autre que toi n’a pu fouler...



Tous reconnaissaient que le chemin était l’occasion de rencontres multiples

et riches dans leur simplicité. Une petite voix me murmurait : « Je suis le

Chemin… «. Le Christ ne dit pas « Je vous montre le Chemin, allez-y,

empruntez-le. » Il dit bien « Je suis… » Autrement dit, le chemin est avant

tout rencontre. C’est dans la rencontre que tu vas découvrir un chemin

infini vers toi, vers moi. C’est l’histoire de tout amour. « Quitte ton

pays » dit Dieu à Abraham et Marie Balmary ajoute en psychologue : « Va vers

toi. »



Un regret, j’aurais aimé entendre davantage deux mots : solitude et silence.



Pour avoir parcouru cette route il y a 40 ans, à l’époque où faute de

« clients » (nous étions trois malheureux bipèdes), il n’y avait ni accueil

organisé, ni signalisation, ni hébergement, je suis toujours ébahi par ces

grappes de pèlerins qui cheminent ensemble. Comment rencontrer l’autre

réellement et durablement, si chacun n’a pas fait au préalable ce chemin

intérieur qui consiste à se débarrasser des trompeuses apparences qu’il

avait fabriquées jusque-là pour affronter le réel ?



Seuls le silence et la solitude prolongés permettent cette dure exploration de soi-même,

ce délestage intérieur, cet allégement indispensable. Dieu merci, il y a ces rudes journées de chaleur où il est impératif d’économiser les paroles inutiles, et ces petits matins où la nature ne s’offre qu’à ceux qui savent l’écouter.



Et pendant que ces experts devisaient, les remparts de la cité nous

toisaient du haut de leur histoire séculaire et de leur mépris immobile.

« On ne passe pas ! » En effet vous ne pouvez entrer et sortir de Navarrenx

que par deux issues. Certains habitants étouffent dans l’enceinte où les

yeux se croisent en angle droit, où la rumeur revient en écho amplifié, où

toute idée nouvelle doit faire allégeance aux portes fortifiées.



Il n’y a, parfois, qu’une solution pour trouver le bon chemin : sortir par

le haut, profiter des courants ascendants, prendre son envol, et on s’aperçoit

alors, que la cité bastionnée est une étoile tombée du ciel, à jamais

pétrifiée…Il lui reste à retrouver le bon chemin pour rejoindre le campus stellae…

11 juin 2010

La « reculée » de Livron





« C’est un trou de verdure où chante une rivière… » Non, ce n’est pas le val du dormeur d’Arthur Rimbaud. C’est une combe encaissée, surplombée par un étau de verdure. Un fouillis de chênes verts creusé de grottes et de sources, tapissé de buis et de mousses, parsemé d’églantiers, abrite un entrelacs de sentiers qui remontent vers la crête, appuyés sur leurs murets de claires pierres.



Au tomber de la nuit, de chaque excavation, de chaque bouche rocheuse on s’attend à voir surgir le monstre de la légende, les sorcières grimaçantes, les bêtes cornues aux griffes fourchues.



A imaginer l’hiver, ici, vos yeux se givrent et vos os se glacent.



Mais aux jours de ciel radieux les sentes en colimaçon deviennent « le chemin des anges ».



C’est là qu’au 19ème siècle, Francisco Palau, carme catalan exilé, se réfugia et établit son camp, tel le chevalier du ciel. Une grotte suspendue au flanc de la ravine lui servit de refuge, de résidence et d’oratoire. Et là « dans le silence et la solitude, je t’attendrai » écrivait-il en désignant son Seigneur.Un jour, il repartit dans sa patrie et fonda un ordre de carmélites missionnaires.



Si vous passez par Caylus (82), suivez « Notre Dame de Livron » jusqu’au bout du chemin. L’antique sanctuaire de pierres humides vous contera la grande histoire de ce lieu unique. Allez-y lorsque le long soleil de Juin prend le vallon en enfilade et en éclaire successivement chaque page de l’album. Ici, la géographie vous oblige à vivre la tête droite et les yeux levés. Ici, vous comprenez que la source d’eau vive jaillit du Temple nouveau, bâti en forme de croix et de cœur.



Vous croiserez l’une des sentinelles de cet autel de verdure. Elle vous abordera avec un beau sourire et un joli accent navarrais.



Filles des Thérèses, la grande et la petite, les sœurs accueillent le promeneur du val fleuri. Elles dressent table abondante pour le servir, offrent silence et paix à l’affamé de solitude, et guident ses pas vers son temple intérieur.

Elles enchantent le monde en dévoilant un petit coin de paradis.



« Dans la solitude et le silence de la grotte, je t’attendrai. »