26 juin 2025

La belle-mère de St Pierre

 


A voir l’air courroucé et indigné d’Agathe, ma voisine, je sens que la conversation va être musclée. Elle ne comprend vraiment pas pourquoi l’Eglise catholique exige un renoncement aussi important que le célibat à ceux qu’elle appelle au sacerdoce. Suit toute la litanie de reproches mille fois entendus: « On sait depuis longtemps que des hauts personnages du clergé au cours de l’histoire en ont pris à leur aise avec cette règle; que cette obligation s’est imposée pour éviter l’aliénation des biens de l’Eglise par la succession familiale; que le célibat n’augure en rien de la sainteté de l’individu ; et, argument suprême, qu’il y a des gens mariés qui pratiquent  la solidarité et la justice et bien d’autres vertus beaucoup mieux que certains clercs ; enfin, les perversions sexuelles dévoilées au sein du clergé, notamment, ne plaident pas en faveur de la pratique du célibat ! Celle-ci n’est-elle pas, au fond, l’occasion d’ériger l’hypocrisie en règle commune plus ou moins admise».

Pendant qu’elle reprend son souffle, je m’accorde une longue respiration !

Je lui précise au passage que St Pierre dont nous allons célébrer la fête avait une belle mère mais je comprends qu’elle soit révulsée par ces révélations ignobles. Je me permets toutefois de lui faire remarquer que son incroyance maintes fois revendiquée devrait la tenir à une certaine distance de ces problèmes et donc d’une blessure par trop douloureuse. Les catholiques pratiquants devraient être, à mon avis, plus affectés qu’elle par ces déviances. Et il vaudrait mieux leur laisser l’avantage (si l’en est un en la matière) de la réaction adéquate.

 J’aurais dû prendre deux respirations car l’argument manque totalement sa cible. « Les pratiquants sont des moutons que l’on a habitués à être tondus sans crier ! ».

Je reprends alors les choses au début. « Qu’est-ce-que être chrétien ? C’est avant tout imiter Jésus. C’est, malgré la faiblesse humaine, répondre à son « commandement » premier : « Aimez-vous comme je vous ai aimés ». Et c’est ce « comme » qui change tout.

Il ne s’agit donc pas d’un concours de justice, de vérité, d’honnêteté, de courage, de tempérance et que sais-je encore? Jésus met la barre bien au -delà : Aimez votre prochain (c’est-à-dire ceux et celles de qui vous vous approchez) et même vos ennemis jusqu’à, comme moi, donner votre vie et pardonner même leur refus !

L’Eglise a compris que pour répondre à cet amour divin et universel, il fallait, quel que soit notre statut social ou familial, commencer à faire une place à cet amour débordant que nous offre le Christ et, pour cela, renoncer à nous idolâtrer. Or, avoue, Agathe, que nous passons la plus grande partie de notre vie à la préserver et à l’améliorer dans une compétition incessante qui devient vite mortifère, chacun voulant être la mesure de toute chose. Le célibat est l’un des signes possibles de cette décentration de notre moi pour laisser place libre à l’Esprit du Christ !

Est-il encore un signe pertinent aujourd’hui dans un contexte social où il devient un choix revendiqué et non plus un renoncement ? Telle est peut-être la question à se poser… » 

19 juin 2025

Pour la fête du corps et du sang du Christ


C’était la fête Dieu. Les plus anciens se souviendront de ces processions hautes en couleurs qui traversaient villes et villages. Fillettes et garçonnets, dans un ordonnancement parfait et revêtus de leurs plus beaux atours, éparpillaient, au rythme du claquoir, des pétales de roses devant l’ostensoir doré. Les adolescents se chargeaient de porter des lanternes décorées aux bougies capricieuses ; les jeunes filles soutenaient la prière par leurs cantiques répétés avec soin les jours précédents; les jeunes gens mesuraient leur force en soulevant le plus haut possible les bannières des saints vénérés. Tout ce beau monde défilait le plus naturellement du monde dans les rues jonchées de verdure comme la tradition le veut encore dans certains villages basques. Chaque maison rivalisait d’imagination pour décorer sa façade. Ceux et celles qui ne pouvaient pas marcher se tenaient sur les pas de portes et se signaient au passage du dais surmonté de plumeaux et solidement tenu par « d’honorables pères de famille ». Les reposoirs préparés avec soin au pied des croix du village offraient un arrêt bienfaisant. Ce dimanche là, les anticléricaux  s’occupaient de leur jardin tandis que les rares athées, déclarés tels, gardaient le béret sur la tête et le mégot aux lèvres en marmonnant leur réprobation indignée.


Célébrée après celle de la Trinité, la « fête Dieu » manquait certainement de précision. Qui adorer : Le Père ? Le Fils ? L’Esprit ? Alors on l’appela « La fête du Saint sacrement », un intitulé peut-être encore trop flou dans l’esprit de tous ceux qui ne fréquentaient plus l’Eucharistie. D’ailleurs tous les sacrements ne sont-ils pas saints ? On se fixa enfin sur la fête du Corps et du sang du Christ qui rappelle clairement la messe. Celle-ci mérite bien une solennité. En effet, n’est-elle pas le sacrement le plus exposé à la routine et à une mortelle habitude ! Une fois l’an n’est pas de trop pour que les communautés chrétiennes s’attachent à retrouver toute la saveur et toute la profondeur de telle ou telle partie de l’eucharistie dominicale. Et pourquoi pas, comme les textes du jour nous le suggèrent, décliner, grâce à la prière de l’offertoire, la palette des sens qu’ont revêtu le pain et le vin au cours de l’histoire du salut ? 


Nous pourrons  ainsi redécouvrir que la messe est avant tout une bénédiction (Tu es béni Dieu de l’univers) bénédiction qui associe toutes les forces de l’univers (fruit de la terre) sans oublier sa part d’humanité (et du travail des hommes). Nous retrouverons aussi  l’importance de la manne dans le désert (ce pain venu du ciel le seul capable de nous rassasier), la signification du pain azyme, sans levain, mangé à la hâte lors de l’exode car notre vie est passage/ exode. Nous nous souviendrons encore du pain, du vin et de l’agneau du repas pascal, fête centrale du judaïsme qui a servi de cadre à la cène de Jésus. Cette bénédiction riche de sens et d’histoire portée par nos mains et nos lèvres va accueillir au cours de la messe celle de Jésus qui, la veille de sa passion, transforme (c’est bien une action de grâces) notre pain et notre vin (notre vie et notre univers) en son corps et son sang (en sa vie ressuscitée). Au terme de cette communion avec notre Seigneur chacun de nous pourra devenir ainsi un ostensoir du Christ au milieu de ses frères humains. N’est-ce pas là notre première mission ? 


N’hésitons pas à redonner à la bénédiction de l’offertoire la place qui lui revient et mesurons, si cela est possible, le don extraordinaire du mystère de la Foi !