13 septembre 2024

La grâce de l’inutilité



 Toi mon frère, ma sœur, le ou la super actif(ve), doté(e) comme il se doit d’un Haut Potentiel Intellectuel, tu n’aurais jamais cru que le dernier mot de ce titre oserait un jour entrer comme un voleur dans ton vocabulaire et encore moins, que tu pourrais l’associer à une grâce ! Et pourtant, combien de fois te surprends-tu à songer,  au détour d’une défaillance vite camouflée : « Que restera-t-il de mes capacités, de mon savoir-faire ? Pour quoi, pour qui serais-je encore utile ? »

 Et voilà que les ombres de tous ces anciens que tu as connus, viennent te rendre visite. Tu les revois assis au coin d’une table de cuisine, équeutant de leurs doigts gourds et déformés par le travail, une récolte de haricots verts ou un tas de petits pois. Tu les entends encore maugréer : « Je ne suis plus bon à rien ! ».
Tu revois encore la vieille maman « remisée » dans une maison de retraite comptant les heures d’un après-midi qui suinte l’ennui. Elle murmure comme en s’excusant : « Je ne sers plus à rien ».

En fait, lorsque tu sens la vieillesse grignoter sournoisement tes capacités,  tu as trois solutions.
-Maintenir coûte que coûte, ta forme olympique qui excitera les jaloux ou te fera regretter amèrement d’avoir lâché tes occupations officielles.
-Pester à n’en plus finir sur la fréquence de tes déficiences et surtout sur celles des autres.
-Enfin, prendre acte lucidement de ta disparition des écrans et te demander si cette nouvelle situation n’est pas une opportunité offerte (une grâce !) pour te poser cette douloureuse et essentielle question : « Suis-je encore moi quand je ne peux plus jouer les indispensables? »
 Un être humain dépouillé, tombé dans l’inutilité, peut-il encore intéresser quelqu’un ? Et pourquoi pas Celui que l’on a affublé de toutes les utilités idolâtres (1). On l’appelait le « L’Omnipotent ». N’est-ce pas le moment de découvrir qu’Il s’est offert à nous, dépouillé  de tout, sauf de l’amour gratuit, celui qui ne sert à rien, sinon à aimer ce qui reste de nous quand nous avons renoncé à être des petits dieux. Heureux les pauvres de soi !
   

 (1) Lire à ce sujet le décapant petit livre de Marion Muller- Collard « L’Autre Dieu » labor et fides.

01 septembre 2024

Retour de balancier ?

 Lucienne se désole : « On n’entend plus, dans nos paroisses, la voix du Concile (Vatican II) » !

« Lucienne, regardons la réalité en face ! L’Eglise, comme toutes les institutions humaines, subit les « va-et-vient » de son histoire. Le concile s’est achevé il y a 50 ans ! Autrement dit, pour les responsables actuels de paroisses, laïcs ou prêtres, il représente une histoire déjà ancienne. Les orientations qu’il a imprimées ont marqué, certes très profondément, les deux générations précédentes.

Mais, comme l’Eglise n’en finira jamais de se réformer, une nouvelle vague chrétienne veut apporter sa pierre à l’ouvrage et c’est dans la liturgie que le changement de cap est le plus visible, comme cela avait été le cas pour le Concile.

La nouvelle génération estime que le dialogue avec le monde, souhaité par Paul VI, a plutôt perverti l’Eglise que converti la société. Elle doit maintenant, pense-t-elle, se recentrer sur ses bases et afficher sa différence.

Ainsi, le balancier revient sur une liturgie plus soucieuse de l’exactitude du rite, de la solennité du décorum, du respect scrupuleux de la règle, de l’affichage d’un certain sacré.

De même, la prédication fait plus souvent appel au « ressenti », au possible miracle espéré et insiste de plus en plus sur le péché et sa confession.

La mission consiste davantage à ramener les brebis perdues à la maison qu’à évangéliser leurs conditions de vie et leur propre culture. Enfin, la prière se fait ostensible et parfois bruyante.

Ainsi est en train de naître une Eglise « affinitaire » dans laquelle « on est bien ensemble avec des prêtres qui nous ressemblent et que nous suivons, quel que soit notre lieu de résidence ».

La paroisse territoriale disparaît et, avec elle, les chrétiens « autochtones ». Lucienne, faut-il désespérer ?

Non ! Quand le balancier aura touché les limites et les contradictions de ces nouvelles options, il reviendra sur les positions ouvertes par le Concile et un équilibre, bien que toujours provisoire, s’établira. En tous cas, le balancier n’empêche jamais l’heure d’avancer, au contraire !

Deux rappels nécessaires :

1-Le monde d’aujourd’hui n’est plus celui du Concile.

2- Le mystère de Dieu déborde toutes les formes que l’Eglise a pu prendre au cours des âges, des cultures et des continents traversés.

A l’époque du Concile, l’athée comme le croyant avaient à peu près les mêmes repères et parlaient la même langue. Un dialogue était possible.

Aujourd’hui, il faut nous trouver une nouvelle langue, souvent au-delà des mots. Quant à l’Eglise, ses différentes expressions se multiplient et parfois s’ignorent. Par contre, certains jeunes n’ont aucune difficulté à passer de la messe en latin à celle du « Jour du Seigneur ». Il faudra peut-être s’habituer à une coexistence d’Eglises différentes. Chacune mettra l’accent sur un des visages du Christ à condition de ne pas s’exclure des autres.

Veiller à l’unité sera plus que jamais le rôle des évêques et du Pape, signes et acteurs efficaces de la communion et le mode synodal de la vie ecclésiale restera le fruit d’un Concile qui n’a pas dit son dernier mot. Espérons, Lucienne !