06 avril 2019

Confusions… Attention !Danger !



Lecteur ou lectrice, si tu penses qu’un célibataire et de surcroît prêtre n’a rien à dire ni rien à demander à la gent féminine, tu peux jeter ces mots dans la corbeille. Si tu crois que le même individu est disqualifié quand il parle de l’Église car obligatoirement défenseur acharné de l’institution, fais de même. Si l’on peut aborder des sujets sensibles, même par un biais anecdotique, sans éveiller aussitôt le soupçon d’un retour à l’obscurantisme moyenâgeux ou, au contraire, sans être accusé de démolir les valeurs éternelles, alors poursuis la lecture et laisse-moi le droit de me poser quelques questions impertinentes.


J’ai causé, ces jours-ci, malgré moi, une certaine effervescence dans le public d’un colloque lorsque j’ai cité le philosophe Bertrand Vergely qui mettait en garde contre un féminisme réduit à la seule revendication d’un égalitarisme des genres. La discussion s’est poursuivie pendant le repas en se focalisant sur le mot « fraternité » de notre devise républicaine.
- « Ne faudrait-il pas changer ce vocable qui fait la part belle aux « frères » au détriment des « sœurs » ?
Pourquoi ne pas le remplacer par « solidarité » ?
J’ai presque failli lâcher : « et pourquoi pas tout bonnement inscrire la charité » !  Mais quel gros mot par les temps qui courent! Trois syllabes toutes gluantes de cette condescendance envers les pauvres qu’il vaut mieux à tout prendre ignorer que mépriser! Je me suis donc abstenu, tout en m’étonnant que personne ne relève que les trois paroles de la devise  écrites au féminin  pouvaient laisser penser que la moitié masculine des français n’était pas concernée.


Les mots ont tous une charge symbolique et le langage qui combine ces symboles est régi par des codes communément admis. « Fraternité » laisse entendre « fratrie » qui, elle, est composée de frères et de sœurs. Mais la « fratrie » suppose un père ou une mère, ce qui ne s’impose pas à la solidarité. Elle laisse entendre une verticalité qui n’est pas indispensable à la solidarité. Mais faut-il exclure toute verticalité sous prétexte que le pouvoir vertical est aujourd’hui haï ?
Faire en sorte que la langue ne soit pas ressentie comme exclusive demandera une longue pratique et bien des ajustements. Aussi la tentation est de rapidement la « neutraliser ». Masculin et féminin fondus dans un neutre et dans la confusion! Nous avons beau insister, le réel résiste sauf à confondre, ici aussi, les mots et la réalité. Il y a un ciel et une terre, un soleil et une lune, l’eau et le feu, la nuit et le jour, l’homme et la femme. Maternité et paternité ne seront jamais dans l’équivalence ou dans la neutralité. Le vieux sage biblique l’avait déjà compris, lui qui considérait que « les choses vont deux par deux, en vis-à-vis, et qu’il n’y a rien de déficient. Une chose souligne l’excellence de l’autre, qui pourrait se passer de contempler la gloire du Seigneur ? » Sir 42,24.


Peu de temps après cette rencontre conviviale, je tombe sur la recension  d’un livre recommandé par une revue catholique. Je cite : « L’auteur est un partisan  résolu de la cité chrétienne. L’Église et l’État ne seront plus séparés, une telle séparation étouffant la vie de la grâce. La chrétienté n’est pas un mythe historique. Sa restauration est notre objectif. » (1)
 Ici, on relève non pas une confusion des mots mais des pouvoirs. Je suis assez âgé pour avoir connu certains de ces prélats qui n’auraient pas dédaigné le titre de « Prince de l’Église » et qui auraient fait bonne figure dans quelque salon de la cour royale. Avaient-ils rêvé d’une destinée semblable à celles de Richelieu ou de Mazarin ? Ils apparaissaient toutefois comme des organes témoins d’un passé révolu. Et voilà qu’aujourd’hui une partie de notre Église se réveille, nostalgique de ce bon vieux temps où confusion et collusion faisaient bon ménage dans une cité dite chrétienne, idéale  pour certains mais pas pour tous. Benoît XVI fait une analyse de cette éternelle tentation « d’asseoir la foi par le pouvoir » à propos du messianisme de Barabbas opposé à celui de Jésus (2).
J’ai connu également ces prêtres qui, dans un élan de générosité, avaient épousé la classe ouvrière au point de remplacer le « Je suis chrétien, voilà ma gloire ! » par l’Internationale et dont les invectives verbales et les postures radicales étonnaient même leurs camarades syndiqués ! Le patron avait remplacé le démon ! Ici aussi, confusion des rôles et des spécificités.


Il semblerait  que ces propos de table  et ces situations ecclésiales n’aient aucun rapport entre eux. Je n’en suis pas sûr. Quand la confusion brouille les mots et les rôles, quand elle mélange les genres et les pouvoirs, quand elle trouble les esprits, elle installe silencieusement le lit de ceux qui attendent l’heure favorable pour imposer leur ordre salutaire. N’oublions pas qu’à l’origine, nous dit-on, un certain Satan avait semé la confusion dans l’esprit de  l’être humain en lui faisant croire qu’il pouvait être Dieu ! « Sacrée » confusion !


Alors, mes sœurs, oui à l’égalité homme-femme et de considération et de salaire; oui à la parité quand elle n’est pas simple affichage ; oui à une langue non méprisante. Mais tout en revendiquant cela, préservez avant tout votre mystère féminin. Vous n’êtes pas de simples éprouvettes d’un laboratoire des sciences du vivant ni les clones des hommes au féminin. Vous portez la vie, vous la « couvez » et vous l’offrez au monde. En cela, le féminin l’emportera toujours sur le masculin.
Quant à vous, mes frères chrétiens qui rêvez d’un monde  unifié sous le pouvoir divin, respectez justement l’œuvre de Dieu. Lui aussi a jeté la confusion mais c’était dans l’entreprise prométhéenne de  Babel. A l’inverse du Satan du jardin de la Genèse, Il a voulu une humanité riche et belle de sa diversité de langues, de cultures et de croyances. Babel n’est pas la cité sainte, elle est l’anti Règne de Dieu.
Dans le brouillard qui noie les formes du réel, Esprit Saint donne-nous de savoir discerner !


(1) Notre Église N° 102 page 33
(2 Benoît XVI Jésus de Nazareth 1ère Partie p 59-61 Flammarion 2007

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"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.