20 avril 2019

Vendredi vers 15h

  
Environ trente ans après le début de notre ère, le 7 avril  vers 15h, Jésus de Nazareth pousse un cri et meurt. Conspué par ces courageux, qui profitent du nombre pour fondre leur lâcheté dans l’imbécile  cruauté de la foule, couvert de sang, de crachats et de cris, il a titubé longtemps entre les murs de la haine. Il a traîné le fardeau des souffrances et de la violence du monde hors de la ville. Cloué au gibet, dans un dernier spasme, étouffé sous son poids, il a rendu l’esprit.
Et voilà qu’un énorme ricanement secoue la butte du Golgotha. Les forces du Mal conjuguées pour l’occasion en une alliance improbable jubilent. Celui qui, par sa parole et par ses actes, donnait aux hommes le goût de redessiner l’image de Dieu sur leur visage, Celui qui libérait en eux l’Esprit divin entravé par le péché, Celui qui voulait ouvrir leurs mains au partage et leur cœur au pardon, Celui qui leur donnait l’espérance de vivre sans fin d’amour, Celui-là était bien mort !


Et les femmes pleuraient, elles, qui l’avaient soutenu, aidé et aimé…
Et les autres, ses compagnons, taisaient leur stupeur. « Comment Celui qui répandait autour de lui la Vie de Dieu pouvait-il plier devant la loi commune de la mort ?»
Et les ténèbres couvraient la terre ; l’étoile qui l’avait annoncé dans le ciel de Bethléem et qui scintillait dans les yeux des aveugles guéris s’était éteinte...morte elle aussi !


Environ 1990 ans après, en ce Vendredi voilé, les victimes des prédateurs traînent leur croix ou hurlent leur douleur. Les disciples taisent leur honte, pleurent et ne peuvent y croire… La nef est dévastée, la voûte effondrée, la croix brisée, au-dessus du clocher le ciel reste fermé.
L’écho de l’énorme ricanement déferle sur les ondes et les écrans : « Elle est morte, enfin, cette supercherie effroyable qu’on appelle l’Eglise et qui, depuis 2000 ans, tenait les hommes sous ses griffes hideuses. L’Homme peut enfin se faire Dieu… sans Lui et sans elle ! »


« Ils le déposèrent dans un tombeau creusé dans le roc. » Entre, avec lui et avec tous les crucifiés de cette terre, descends et attends. L’Esprit peut encore soulever les montagnes…



NB : Cette chronique a été rédigée avant l’incendie de Notre-Dame.

17 avril 2019

Notre-Dame !



Ave Maria

De tout le vocabulaire disponible pour dire la stupéfaction, il ne restait plus une parole à la disposition de celui ou celle qui voulait exprimer un sentiment personnel. Tout avait été dit. Ne restait que le silence. Un Français, croyant, catholique de surcroît, ne pouvait contempler le spectacle de la Cathédrale en feu que les larmes aux yeux. Huit cents ans de génie, de travail, de beauté ; des siècles d’histoire de la France, de malheurs et de sursauts, d’abandons et de relèvements ; des millions de vœux, de souhaits silencieux, de souvenirs personnels posés sur ces pierres, cachés dans le creux des volutes  de ce réceptacle géant étaient partis en fumée. Après le temps de la consternation, un croyant nourri de la Bible, qui sait que tout est Parole, se demande : « Quel signe nous est donné ? » Il se souvient, en effet, que les amis de Dieu des deux alliances se posaient souvent cette même question à l’instar du fameux Gédéon : « Donne-moi un signe que c’est toi qui me parles »  Jg 6,17 Jésus lui-même, interrogé par ses compatriotes, répondait par le « signe de Jonas ».

La toiture de la cathédrale composée de plaques de plomb a fondu. « La forêt » de chênes millénaires qui constituaient sa charpente est calcinée. Seule la structure de pierre, au dire des spécialistes, a résisté mais elle est certainement fragilisée. Des richesses de décoration et d’ornementation sont endommagées durablement. La restauration ne pourra jamais nous restituer l’édifice en son état. Symbole éloquent, l’autel et la croix sont demeurés intacts.

Les prêtres responsables de cette paroisse-mère ont bien fait remarquer que l’Eglise ne se réduisait pas à des monuments de pierre pour aussi beaux et emblématiques qu’ils soient mais qu’elle était faite de « pierres vivantes », comme le faisait déjà remarquer saint Pierre dans l’une de ces lettres. Le Christ Lui-même n’avait-il pas laissé entendre que la splendeur du temple de Jérusalem pouvait être détruite par les armées impériales, Il était Lui, le nouveau temple qui abritait la présence de Dieu ?
Il n’empêche qu’affronté à la tempête qui s’abat sur la barque de Pierre, le matelot est en droit de se poser des questions. L’Eglise peuple de croyants n’est-elle pas en train de vivre de l’intérieur le drame qui a meurtri le vaisseau de pierre de Paris ? La couverture solide que le mariage du bois et du plomb des théologies avait rendu imperméable aux intempéries et aux secousses de l’histoire, n’est-elle pas en train de fondre ? La structure elle-même de la tradition vivante deux fois millénaire, n’est-elle pas fissurée ? L’enchevêtrement des institutions et des congrégations, n’alimente-t-il pas le brasier ? La solidité des piliers et des arcs-boutants qui s’appuyaient sur un monde rassurant, n’est-elle pas ébranlée par un univers nouveau qui fascine autant qu’il effraie ? L’incendie de Notre-Dame marque douloureusement la fin d’une époque et ouvre le début d’une autre.
En effet, il est question de reconstruction. Des fonds sont déjà collectés pour ce faire. Des appels se font jour pour alerter tout ce que la France et le monde peuvent abriter de spécialistes talentueux en rénovation des chefs- d’œuvre anciens. Ce gigantesque chantier nous redonnera-t-il une Notre-Dame à l’identique ? A la vue des anciennes restaurations, il faut croire que non. On utilisera des matériaux plus résistants et plus légers et tout un savoir-faire nouveau pour édifier sur les mêmes fondements ( l’autel du pain partagé et la croix de l’amour livré), une architecture nouvelle animée par le même Esprit.
L’Eglise des hommes renaîtra ; elle aussi, elle passera son triangle des Bermudes. Son esquif sera allégé, sa structure modifiée, ses fondements eux-mêmes revisités.
Et pour inaugurer cette rénovation espérée, je vois Barbara Hendricks à la demande de l’archevêque de Paris et devant tout le peuple de la capitale, chanter un splendide Ave Maria sur  le parvis ouvert au chantier. Mais parvenue au « pecatoribus », elle s’agenouillera…

Notre Dame, ayez pitié, soyez encore la mère d’une Eglise de nouveaux enfants de Dieu !!

06 avril 2019

Confusions… Attention !Danger !



Lecteur ou lectrice, si tu penses qu’un célibataire et de surcroît prêtre n’a rien à dire ni rien à demander à la gent féminine, tu peux jeter ces mots dans la corbeille. Si tu crois que le même individu est disqualifié quand il parle de l’Église car obligatoirement défenseur acharné de l’institution, fais de même. Si l’on peut aborder des sujets sensibles, même par un biais anecdotique, sans éveiller aussitôt le soupçon d’un retour à l’obscurantisme moyenâgeux ou, au contraire, sans être accusé de démolir les valeurs éternelles, alors poursuis la lecture et laisse-moi le droit de me poser quelques questions impertinentes.


J’ai causé, ces jours-ci, malgré moi, une certaine effervescence dans le public d’un colloque lorsque j’ai cité le philosophe Bertrand Vergely qui mettait en garde contre un féminisme réduit à la seule revendication d’un égalitarisme des genres. La discussion s’est poursuivie pendant le repas en se focalisant sur le mot « fraternité » de notre devise républicaine.
- « Ne faudrait-il pas changer ce vocable qui fait la part belle aux « frères » au détriment des « sœurs » ?
Pourquoi ne pas le remplacer par « solidarité » ?
J’ai presque failli lâcher : « et pourquoi pas tout bonnement inscrire la charité » !  Mais quel gros mot par les temps qui courent! Trois syllabes toutes gluantes de cette condescendance envers les pauvres qu’il vaut mieux à tout prendre ignorer que mépriser! Je me suis donc abstenu, tout en m’étonnant que personne ne relève que les trois paroles de la devise  écrites au féminin  pouvaient laisser penser que la moitié masculine des français n’était pas concernée.


Les mots ont tous une charge symbolique et le langage qui combine ces symboles est régi par des codes communément admis. « Fraternité » laisse entendre « fratrie » qui, elle, est composée de frères et de sœurs. Mais la « fratrie » suppose un père ou une mère, ce qui ne s’impose pas à la solidarité. Elle laisse entendre une verticalité qui n’est pas indispensable à la solidarité. Mais faut-il exclure toute verticalité sous prétexte que le pouvoir vertical est aujourd’hui haï ?
Faire en sorte que la langue ne soit pas ressentie comme exclusive demandera une longue pratique et bien des ajustements. Aussi la tentation est de rapidement la « neutraliser ». Masculin et féminin fondus dans un neutre et dans la confusion! Nous avons beau insister, le réel résiste sauf à confondre, ici aussi, les mots et la réalité. Il y a un ciel et une terre, un soleil et une lune, l’eau et le feu, la nuit et le jour, l’homme et la femme. Maternité et paternité ne seront jamais dans l’équivalence ou dans la neutralité. Le vieux sage biblique l’avait déjà compris, lui qui considérait que « les choses vont deux par deux, en vis-à-vis, et qu’il n’y a rien de déficient. Une chose souligne l’excellence de l’autre, qui pourrait se passer de contempler la gloire du Seigneur ? » Sir 42,24.


Peu de temps après cette rencontre conviviale, je tombe sur la recension  d’un livre recommandé par une revue catholique. Je cite : « L’auteur est un partisan  résolu de la cité chrétienne. L’Église et l’État ne seront plus séparés, une telle séparation étouffant la vie de la grâce. La chrétienté n’est pas un mythe historique. Sa restauration est notre objectif. » (1)
 Ici, on relève non pas une confusion des mots mais des pouvoirs. Je suis assez âgé pour avoir connu certains de ces prélats qui n’auraient pas dédaigné le titre de « Prince de l’Église » et qui auraient fait bonne figure dans quelque salon de la cour royale. Avaient-ils rêvé d’une destinée semblable à celles de Richelieu ou de Mazarin ? Ils apparaissaient toutefois comme des organes témoins d’un passé révolu. Et voilà qu’aujourd’hui une partie de notre Église se réveille, nostalgique de ce bon vieux temps où confusion et collusion faisaient bon ménage dans une cité dite chrétienne, idéale  pour certains mais pas pour tous. Benoît XVI fait une analyse de cette éternelle tentation « d’asseoir la foi par le pouvoir » à propos du messianisme de Barabbas opposé à celui de Jésus (2).
J’ai connu également ces prêtres qui, dans un élan de générosité, avaient épousé la classe ouvrière au point de remplacer le « Je suis chrétien, voilà ma gloire ! » par l’Internationale et dont les invectives verbales et les postures radicales étonnaient même leurs camarades syndiqués ! Le patron avait remplacé le démon ! Ici aussi, confusion des rôles et des spécificités.


Il semblerait  que ces propos de table  et ces situations ecclésiales n’aient aucun rapport entre eux. Je n’en suis pas sûr. Quand la confusion brouille les mots et les rôles, quand elle mélange les genres et les pouvoirs, quand elle trouble les esprits, elle installe silencieusement le lit de ceux qui attendent l’heure favorable pour imposer leur ordre salutaire. N’oublions pas qu’à l’origine, nous dit-on, un certain Satan avait semé la confusion dans l’esprit de  l’être humain en lui faisant croire qu’il pouvait être Dieu ! « Sacrée » confusion !


Alors, mes sœurs, oui à l’égalité homme-femme et de considération et de salaire; oui à la parité quand elle n’est pas simple affichage ; oui à une langue non méprisante. Mais tout en revendiquant cela, préservez avant tout votre mystère féminin. Vous n’êtes pas de simples éprouvettes d’un laboratoire des sciences du vivant ni les clones des hommes au féminin. Vous portez la vie, vous la « couvez » et vous l’offrez au monde. En cela, le féminin l’emportera toujours sur le masculin.
Quant à vous, mes frères chrétiens qui rêvez d’un monde  unifié sous le pouvoir divin, respectez justement l’œuvre de Dieu. Lui aussi a jeté la confusion mais c’était dans l’entreprise prométhéenne de  Babel. A l’inverse du Satan du jardin de la Genèse, Il a voulu une humanité riche et belle de sa diversité de langues, de cultures et de croyances. Babel n’est pas la cité sainte, elle est l’anti Règne de Dieu.
Dans le brouillard qui noie les formes du réel, Esprit Saint donne-nous de savoir discerner !


(1) Notre Église N° 102 page 33
(2 Benoît XVI Jésus de Nazareth 1ère Partie p 59-61 Flammarion 2007
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.