18 octobre 2018

L’heure a sonné…



Curieusement la lettre de notre Pape au cardinal Ouellet est passée presque inaperçue lorsqu’elle a été publiée, il y a deux ans. Elle est intitulée « Les laïcs, messagers de l’Evangile ». D’emblée, François cite l’expression qui fit flores à une époque : « C’est l’heure des laïcs ! » et le pape d’ajouter malicieusement : « Il semble que l’horloge se soit arrêtée ».

Il profite de ces quelques pages pour rappeler que « notre première et fondamentale consécration prend ses racines dans notre baptême » et que « nul n’a été baptisé prêtre ou évêque » mais laïc. Il reprend à son compte la notion de Peuple de Dieu, mise en évidence par le Concile Vatican II. Il renouvelle sa confiance à ce peuple en lui donnant, pourrait-on dire, ses lettres de noblesse. Il n’hésite pas à le nommer : « Peuple saint des fidèles de Dieu ».  « Ayons confiance » dit-il « en notre peuple, en sa mémoire et son flair… Ayons confiance en l’Esprit Saint qui agit en eux et avec eux (les laïcs) …Cet Esprit n’est pas la propriété exclusive de la hiérarchie ecclésiale ».

Cela ne l’empêche pas de dénoncer le « cléricalisme » c’est-à-dire l’abus de pouvoir qui n’est pas réservé aux seuls clercs. Malgré cet avertissement, il sera amené à revenir malheureusement sur ce thème dans sa récente et émouvante « Lettre au peuple de Dieu » écrite sous le coup des révélations des crimes sexuels perpétrés par des clercs sur des enfants. Devant la gravité des faits et une certaine légèreté dans leur traitement, le Pape laisse percer son désarroi. Il appelle toute l’Eglise à  un sursaut et une conversion de tous ses membres en appelant à la pénitence et au jeûne.

On peut se demander si justement l’heure des laïcs n’a pas enfin sonné conformément à ce que disait Benoît XVI  en visitant une paroisse de Rome en 2009 :« Il est nécessaire que les mentalités changent à l'égard des laïcs, que l'on cesse de les considérer comme des collaborateurs du prêtre pour les reconnaître réellement coresponsables de l'être et de l'agir de l'Église ». Le Pape émérite avait l’habitude de bien peser ses mots. Alors, à quand une rénovation des ministères et des missions qui donnerait aux femmes et aux hommes mariés une coresponsabilité effective partagée avec les prêtres et les évêques ?



05 octobre 2018

Jean de La Fontaine ne l’a pas dit mais le bœuf et la grenouille enflèrent tous les deux et en crevèrent ensemble!


Germain, agriculteur, la soixantaine, me tend quatre pages écrites de sa main. Sous une belle calligraphie, il dépose entre mes mains le bilan chiffré de toute son amertume. Il va bientôt vendre son troupeau de vaches laitières qui ne lui assure plus un salaire décent. Il cherche une sortie honorable de cette longue lignée qui l’a précédé, comme s’il redoutait le regard réprobateur de ses ancêtres et de cette terre qui les a nourris. A qui  la faute ? A son avis, à cette tyrannie de la croissance et de la démesure qui pousse à investir dans des installations « high tech » totalement informatisées et sans cesse à perfectionner. Résultat : des emprunts excessifs, une spirale d’endettements, l’étranglement, l’angoisse de l’échec et peut-être pire pour nombre de ses collègues…

Le même jour, une longue conversation téléphonique avec Sylvie. Elle est cadre supérieur dans une  entreprise étatisée. « Coincée entre la direction et les employés, mon travail devenait un calvaire. Je suis tombée malade. J’ai anticipé ma retraire. Je suis partie dans le bénévolat avec un énorme soulagement. Ces gens là sont des tueurs ! ».

Hier, le fille d’une amie est convoquée pour un entretien d’embauche. « Votre mission consistera à assécher les deux concurrents désignés. Moyennant quoi votre salaire pourrait être multiplié par trois ». Refus de la jeune femme.

Quand posera-t-on des limites à cette course insensée à la production et à la rentabilité qui confine au délire?  Le problème se pose dans tous les domaines de la vie humaine. De sa conception à sa fin, en passant par le travail, les loisirs et l’amour, rien n’échappe à sa marchandisation. Tout se passe comme si la seule ambition des dirigeants et des chercheurs consistait à dépasser les chiffres obtenus, à abattre les frontières existantes, tout en sollicitant l’approbation et l’appui d’une opinion publique largement manipulée.

 « On ne peut pas imposer une barrière à la science, à la technique et au progrès » nous dit-on, doctement. En effet, il faut bien admettre qu’il est dans la nature de l’homme de maîtriser et de s’affranchir des lois de la nature. Mais si le progrès scientifique et technique ne sert qu’à développer à l’infini la loi du plus fort alors les tueurs vaincront avant d’être tués à leur tour. De plus, ceux-ci seront exonérés de toute responsabilité puisque couverts et consacrés par « l’appellation scientifiquement contrôlée».

Or, une limite originelle s’impose. Elle s’appelle l’autre. Il est ma frontière en même temps que ma fortune, à la fois mon concurrent et mon bon génie, la digue qui tempère mes  flots et l’océan qui me fascine. Si je l’élimine, ma réussite provisoire est assurée et ma ruine prochaine programmée. Si je prends sa main, il se relèvera et il me soutiendra.

La société des hommes a toujours élevé des garde-fous face à la voracité et à la cupidité, ne serait-ce que pour faire comprendre à chacun que le respect de l’autre est la garantie de sa propre survie. On ne peut pas dire qu’elle a réussi. Les sociétés premières, conscientes de leur fragilité, se donnaient des tabous infranchissables. Jusqu’à une époque récente la limite était dictée par la terre qui imposait sa loi au paysan. Celle-ci était doublée et sacralisée par le décalogue, y compris dans sa version sécularisée par la République. La déclaration universelle des droits de l’homme s’est efforcée d’en donner une version moderne. Elle est récusée par certains états qui lui reprochent de n’être qu’une tentative de plus d’une domination  du modèle occidental.

Ce qu’imposaient la nature ou l’état des techniques et de la science,  la sagesse et la raison devront bien le redécouvrir au risque de faire exploser la planète et le genre humain. Seule la limite collectivement élaborée et acceptée par toutes les parties, au terme d’une concertation responsable en vue du Bien Commun, pourra mettre un terme au massacre du plus faible ou du moins chanceux. Mais qui aura le courage de dire que le Bien Commun n’est pas forcément l’intérêt de chacun, ni même celui d’une majorité !

"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.