16 septembre 2014


Malgré la cruelle évidence…
  Les prêtres qui ont eu la chance d’être ordonnés dans l’esprit de renouvellement du Concile Vatican II et qui n’ont pas sombré dans les remous de la tempête de 68 ont essayé vaille que vaille de pratiquer ce que l’on appelle un apostolat de proximité. « Je me suis fait tout à tous » disait déjà l’Apôtre, mais n’est pas St Paul qui veut ! Certains d’entre eux comme le bon pasteur ont mis leur point d’honneur à « connaître toutes les brebis » et se sont faits les champions de la disponibilité et de l’adaptation à toutes les circonstances. D’autres ont utilisé leur tempérament de feu et leur verbe fracassant pour galvaniser les foules et réveiller les consciences. D’autres encore ont voulu répondre sans faillir à toutes les demandes même les plus « périphériques ». Ils n’avaient peut-être pas une foi à déplacer les montagnes mais assez d’espérance pour affronter les déserts les plus arides.
Ces prêtres- là ont pris de l’âge. Ils ne sont pas en fin de carrière mais au terme de leur ministère. Ils ont la « consolation » d’avoir noué avec des familles entières et de nombreuses personnes rencontrées sur leur route des liens très forts d’amitié et d’affection qui résistent au temps et à la distance. Mais si un bilan  de vie sacerdotale n’emprunte pas les critères comptables habituels, ces prêtres ne peuvent pas ne pas être insensibles au fait qu’une immense majorité de ceux et celles qu’ils ont accompagnés ou croisés, hormis les paroissiens habituels, ne manifestent pas, du moins visiblement et régulièrement, un lien quelconque avec le Christ.
« A qui ai-je attaché les gens qui m’ont été confiés ? A moi ou au Christ ? ».
C’est la question à laquelle ils ne peuvent échapper et qui leur donne parfois le vertige. Celle-ci se pose tout autant pour les baptisés appelés eux aussi à témoigner. 
Comment se fait-il qu’au delà de l’homme disponible, généreux ou assidu à son service, les relations, les amis, les proches n’aient pas perçu la présence de Celui qui l’habitait et n’aient pas engagé une approche de la Foi?
Cette constatation est d’autant plus douloureuse qu’une nouvelle génération de prêtres et de chrétiens se lève que l’on dit plus « attestatrice » ou plus
 « identitaire » ou encore plus « traditionnelle ». 
Elle revendique haut et fort une autre approche pastorale, plus visible, plus centrée sur les rites et la doctrine, plus respectueuse des règles séculaires. 
Et déjà elle affiche ses succès en termes de vocations suscitées, de communautés fondées et d’influence  retrouvée. Elle fait bien comprendre aux anciens que nous ne sommes plus dans le temps de  l’accompagnement, pas même dans celui de la proposition mais dans celui de la provocation prophétique.

Un jour viendra où cette génération- là n’évitera pas cette même interrogation : « A qui, à quoi se sont-ils attachés ? A des valeurs ? A des principes ? ou au Christ Vivant ? »
Cette question a traversé toute l’histoire de l’Eglise. Elle a été l’ « épine dans sa chair », une croix invisible mais bien réelle, le coup de fouet qui a provoqué bien des déceptions mais aussi toutes les « nouvelles  évangélisations » successives et l’éclosion des saints rénovateurs. Impossible de s’évader dans des réponses lénifiantes du style : « Il en restera toujours quelque chose ! » 
« Les voies du Seigneur sont impénétrables ! » Si la lucidité fait du mal, la bêtise l’aggrave.

Il nous faut revenir à Jésus. N’a-t-il pas lui aussi connu cette douloureuse inquiétude ? Ne s’est-il pas plaint amèrement de cette génération incrédule qui lui demandait des signes évidents. Il a passé son temps à expliquer qu’Il ne parlait et qu’il n’agissait que par référence au Père. Il a donné tous les signes possibles de sa filiation divine. A-t-il pour autant convaincu les foules ? Non ! « Il n’est que le fils du charpentier » disaient ses voisins ; un rabbi plus éloquent que les autres ; un prophète nouveau mais éphémère comme ceux qui l’ont précédé…
Quelques- uns seulement lui ont accordé crédit. Il a fallu pour cela qu’il se dépouille de tous les titres qu’il aurait pu revendiquer et qu’il meure nu. Il a fallu que son flanc béant laisse entrevoir le cœur de Dieu en laissant couler le sang et l’eau et en répandant l’Esprit. C’est à ce moment- là que Celui qui ne cessait de s’effacer devant Dieu s’est totalement confondu avec Lui : « Quand je serai élevé de terre, j’attirerai le monde à moi ! » C’est à l’heure du don total que ceux qui, jusque- là, n’avaient vu en Jésus que l’homme de Nazareth, l’enseignant éclairé, le prophète fulgurant, le guérisseur apprécié, ont entendu le soldat s’exclamer : « Cet homme était le Fils de Dieu ! » et ont peut-être enfin compris.

Courage, le dépouillement n’est jamais terminé…le flanc n’est pas encore percé…le cœur n’est pas à nu…l’Esprit peut encore ouvrir les yeux aveuglés…
"L'âne se jette à l'eau" aux éditions Médiaspaul.